Séminaire :
Autobiographie et Correspondance (ABC) / 2018-201917/01/2019 - 17/01/2019, ENS, 45 rue d'Ulm, salle Dussane
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Christophe Corbier
Musicologue, compositeur, helléniste ? Quelques réflexions sur le choix des lettres de Maurice Emmanuel
Maurice Emmanuel (1862-1938) occupe une place singulière dans le champ de la musique en France durant le premier tiers du XXe siècle. Formé au Conservatoire de Paris et à la Sorbonne dans les années 1880, Emmanuel a d’abord été considéré comme un helléniste, disciple d’Alfred Croiset, de Maxime Collignon, d’Edmond Pottier, de Louis Havet, de François-Auguste Gevaert. Il se signale par la publication d’un livre majeur sur la danse grecque antique (1896), dont la renommée durable et le lectorat nombreux (d’Isadora Duncan à Jacques Copeau) est attestée notamment par sa correspondance. L’helléniste devient ensuite musicologue en raison de son action en faveur de l’institution de la musicologie française avant 1914, et parce qu’il a occupé la chaire d’histoire générale de la musique au Conservatoire de Paris de 1909 à 1936. Mais après la Première Guerre mondiale, tandis que son activité de musicologue s’éloigne des pratiques instituées par ses collègues universitaires, il s’affirme comme un compositeur dont les œuvres sont appréciées par toute une génération de musiciens qui furent ses contemporains ou ses élèves (Messiaen, Koechlin, Busoni, Caplet, Dutilleux, Migot…).
La correspondance de Maurice Emmanuel constitue une source privilégiée pour comprendre ce parcours complexe. Editer une sélection de ses lettres engage cependant un questionnement sur l’identité d’Emmanuel d’autant plus que, depuis quelques années, son nom tend à être attaché à son œuvre musical de compositeur plutôt qu’à sa production musicologique. Le cas d’Emmanuel n’est certes pas isolé : Romain Rolland est un autre exemple de transfert entre activité musicologique et création. Mais, à la différence de Rolland, tôt reconnu comme écrivain, l’identité problématique d’Emmanuel est au cœur même de sa correspondance, qui peut être lue comme le reflet d’un long processus de reconnaissance du compositeur au détriment du musicologue et de l’helléniste.
Par leur dimension apologétique autant que par leur contenu autobiographique, nombre de lettres d’Emmanuel apparaissent comme des textes relevant de l’écriture de soi. Elles possèdent non seulement une valeur informative sur le plan historique et biographique, mais elles engagent la réception même de l’œuvre du compositeur-musicologue par ses successeurs, sans oublier le simple plaisir de lecteur qu’elles peuvent procurer. C’est donc le choix même des lettres d’Emmanuel qu’il conviendra d’éclairer et d’interroger lors de cette séance.
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Christophe Corbier est chargé de recherche au CNRS, à l’Institut de Recherche en musicologie (UMR 8223). Il est l’auteur de trois ouvrages sur Maurice Emmanuel (Maurice Emmanuel, 2007 ; Poésie, Musique et Danse. Maurice Emmanuel et l’hellénisme, 2010 ; Maurice Emmanuel, Lettres choisies, 2017). Il prépare actuellement l’édition de Voyage musical au pays du passé de Romain Rolland, ainsi que l’édition du mémoire de DES de Roland Barthes (avec Claude Coste et Malika Bastin-Hammou) et les fragments de Nietzsche sur la rythmique grecque. Ses recherches sont consacrées principalement à l’histoire et à la réception et à l’histoire de la musique grecque en France, en Allemagne et en Grèce au XIXe et au XXe siècle.
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Jean-Sébastien Macke
La correspondance d’Alfred Bruneau :
Du creuset de l’œuvre musicale à l’émergence d’une personnalité
Alfred Bruneau (1857-1934) est connu pour être le « musicien de Zola ». En effet, cet élève de Massenet au Conservatoire de Paris a mis en musique Le Rêve et L’Attaque du Moulin (Opéra-Comique, 1891-1893) puis a composé ses drames lyriques d’après les livrets en prose de Zola (Messidor, 1897, Opéra ; L’Ouragan, 1901 et L’Enfant roi, 1905, Opéra-Comique). Ce qui aurait pu rester une simple collaboration artistique s’est rapidement transformée en véritable amitié, dont les liens se sont définitivement resserrés au moment de l’affaire Dreyfus.
Les plusieurs milliers de lettres que constituent la correspondance active et passive de Bruneau nous permettent ainsi de suivre, sur près de cinquante années, le cheminement d’un compositeur passé de la gloire à l’oubli. Nous nous proposons, durant cette communication, d’en détailler quelques aspects :
La correspondance croisée entre Alfred Bruneau, Émile Zola et Louis Gallet (librettiste du Rêve et de L’Attaque du moulin) est le véritable creuset de la création de ces deux drames lyriques et nous en montrerons les moments les plus importants. Après la mort de Zola, Alfred Bruneau poursuit une correspondance assidue avec Alexandrine Zola. Ces lettres nous sont très précieuses pour comprendre comment le romancier est célébré durant les années qui suivent son décès, de la création du pèlerinage de Médan (1903) à la panthéonisation en juin 1908. Trop longtemps resté dans l’ombre de Zola, Alfred Bruneau doit être étudié en tant qu’individu, à la personnalité autonome qui s’affirme progressivement dans les milieux artistiques. Nous en donnerons quelques exemples, notamment dans l’étude de sa correspondance avec Roger Martin du Gard et Pierre Margaritis, ceci grâce à quelques lettres récemment retrouvées.
Jean-Sébastien Macke est ingénieur à l’Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS/ENS), au sein de l’équipe « Supports et tracés » et du Centre d’étude sur Zola et le naturalisme. En 2003, il a soutenu une thèse consacrée aux liens d’Émile Zola avec le compositeur Alfred Bruneau. Il s’est spécialisé dans l’étude des rapports entre littérature et musique et s’intéresse au prolongement du naturalisme dans les domaines de la photographie et du cinéma. Il a participé à l’édition des Lettres à Alexandrine (sous la direction d’Alain Pagès, Gallimard, 2014) et vient d’éditer, avec Aurélie Barjonet, les Actes du colloque de Cerisy Lire Zola au 21ème siècle (Classiques Garnier, 2018).