Véronique Montémont
“ Denis Roche : itinéraire d’un écrivain photographe”
Denis Roche (1937-2015) a marqué le paysage artistique français de la seconde moitié du XXe siècle, tant par son activité d’écrivain et d’éditeur que par sa production photographique. Poète et membre du groupe Tel Quel, il a fait une entrée remarquée en littérature avec une série de recueils qui lui ont valu une reconnaissance croissante : de Forestière amazonide (1962) au Mécrit (1972) en passant par Récits complets (1963) ou encore Éros énergumène (1968). Mais en 1972, alors qu’il fait partie des voix majeures de la poésie française, il rompt de façon radicale avec la poésie, dont il n’écrira plus jamais une ligne. On pourrait penser que l’activité photographique, qu’il a commencé à développer en 1971, est venue prendre le relais d’un mode d’expression qu’il a abandonné avec la ferme volonté de ne plus y revenir ; mais vouloir lire l’itinéraire artistique de Denis Roche en le distribuant de part et d’autre de cette ligne de fracture déboucherait sur un contresens. D’abord parce que le poète n’a jamais cessé d’écrire, en prose cette fois, des textes entre essai et création (Dépôts de savoir & de technique, 1980 ; La Disparition des Lucioles, 1982), qui sont aussi de véritables documents de genèse ; ensuite parce que la photographie chez lui n’est jamais très loin du texte, qu’il s’agisse de légender l’image ou de revenir sur la démarche photographique pour l’éclairer, l’accompagner, l’expliciter. Par ailleurs, la part autobiographique de ce travail est essentielle : Denis Roche a fait partie du groupe des fondateurs des Cahiers de la photographie, un collectif qui, avec Gilles Mora, Claude Nori et Bernard Plossu, a réfléchi à la question de la photobiographie, interrogeant la capacité de la photographie à dire la vie. Cette réflexion, dans une large mesure, a rencontré les interrogations qui traversent le champ de l’autobiographie littéraire, de Roland Barthes à Georges Perec, et a ouvert la voie à d’autres types de travaux, beaucoup plus ancrés dans le fictionnel, comme ceux de Levé ou de Sophie Calle.
Cette présentation commencera par examiner les liens, nombreux, qui existent entre l’écriture de Denis Roche et sa pratique photographique : l’un et l’autre peuvent être vus comme les deux faces d’une même démarche artistique, fondée sur la volonté de capturer de manière singulière le passage du temps, ou plus exactement son mouvement. Nous nous interrogerons ensuite sur la nature autobiographique de l’œuvre photographique de Denis Roche, en nous penchant tout particulièrement sur l’interaction du texte et de l’image telle qu’elle est mise en œuvre dans Légendes de Denis Roche (1981).
Véronique Montémont est maître de conférences à l’Université de Lorraine. Spécialiste d’autobiographie, notamment dans ses rapports avec la photographie, elle a coédité avec Catherine Viollet Le Moi et ses modèles (Academia Brulant, 2009) et Archives familiales : modes d’emploi (Academia-L’Harmattan, 2013).