Sylvia Massias
La correspondance de Vincent La Soudière
C’est à travers la publication d’une volumineuse correspondance, adressée à son meilleur ami pendant près de trente ans, que Vincent La Soudière (1939-1993), écrivain secret admiré par Michaux et Cioran, se révèle aujourd’hui. Publiées en trois tomes aux Éditions du Cerf de 2010 à 2015, les Lettres à Didier comprennent près de huit cents lettres et n’incluent pas les réponses du destinataire, ce qui les apparente à une forme de journal.
Dès le premier volume, C’est à la nuit de briser la nuit, couvrant les années 1964 à 1974, Vincent La Soudière apparaît comme un être tourmenté, hanté par le suicide, pour qui l’existence n’a de sens que par la création littéraire et l’œuvre qu’il voudrait donner au monde. De l’enfantement d’une telle œuvre à laquelle il décide de vouer son existence, il attend qu’elle le fasse accéder à une vie dont il se sent douloureusement séparé. En 1970, il fait la connaissance d’Henri Michaux qui, fortement impressionné par ce jeune homme auquel la souffrance a donné, dit-il, « une sorte de maturité étrange », l’aide à publier quelques textes dans des revues et un recueil de proses poétiques, Chroniques antérieures (Fata Morgana, 1978).
Les lettres des années 1975-1980 réunies dans le deuxième volume, Cette sombre ferveur, se situent autour de la publication de ce recueil, qui n’a pas l’effet espéré et ne provoque aucune mutation essentielle, aucun changement de règne. S’ensuit une crise existentielle et spirituelle d’une rare violence, crise elle-même suivie d’une descente dans les abîmes de la dépression, puis d’une stagnation dans le shéol.
Les lettres du troisième et dernier volume, Le Firmament pour témoin, couvrant les années 1981 à 1993, témoignent d’un « combat à outrance » en même temps qu’estimé « impossible », et voient poindre une lumière invincible, pressentie malgré l’enlisement dans des gouffres trop sondés. Déchiré entre le monde de l’En Bas et celui de l’En-Haut, des « ténèbres du shéol » au « firmament pour témoin », Vincent La Soudière nous fait pressentir la mystérieuse articulation entre les ténèbres et une invincible lumière dont il porte l’espérance au plus profond de sa nuit.
Sylvia Massias a établi l’édition de cette correspondance et publié un choix de fragments de Vincent La Soudière sous le titre de Brisants (Arfuyen, 2003). C’est à l’occasion de recherches sur Cioran, dont elle a inventorié les archives à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, qu’elle a découvert ses écrits. Elle a obtenu une bourse du Centre national du livre pour les publier et a consacré un livre à cet auteur, Vincent La Soudière, la passion de l’abîme (Cerf, 2015).