Sabine Kraenker
“Frédéric Boilet : être apprenti japonais”
Dans son texte L’Apprenti japonais, Frédéric Boilet donne des indications et des commentaires sur la construction de son roman graphique Tôkyô est mon jardin. La première partie de L’Apprenti japonais est constituée de fax envoyés en France et de notes prises lors d’un premier séjour au Japon, le tout entrecoupé de photos et de croquis ainsi que de fac-similés de listes, notes, lettres, pages d’agenda. La deuxième partie de l’ouvrage est composée de petits textes portant principalement sur la vie quotidienne au Japon. La troisième partie du livre est construite autour de dessins politiques faits par Frédéric Boilet et parus dans un grand journal national japonais. L’ensemble du texte est aussi parsemé d’extraits d’interviews que l’auteur a donnés.
On a ici la genèse d’une œuvre de fiction née au croisement de genres (lettres/fax, journal intime, journal d’ethnographe, croquis) qui ont, chacun, séparément ou collectivement, joué un rôle dans l’élaboration du roman graphique.
De plus, ce texte hétéroclite semble aussi un questionnement vigoureux sur l’approche que les médias ont du Japon. Boilet parle d’être un apprenti japonais car plus vraiment français mais jamais japonais non plus. Il n’est pas question pour lui de se fondre dans la société japonaise et de devenir plus japonais que les Japonais. Ce livre se veut ainsi la défense d’une certaine vision de l’altérité et du vivre ensemble, de l’exotisme et il remet en question l’approche médiatique et intellectuelle la plus fréquente concernant le Japon. Boilet combat fortement dans ses deux livres (L’Apprenti japonais et Tôkyô est mon jardin) les clichés véhiculés par les médias mais aussi la mise en avant de la différence et il reprend dans ses œuvres, à de nombreuses reprises, cette affirmation : « les Japonais sont en tout point pareils à nous, c’est leur façon d’être identiques qui change ! ». Le texte L’Apprenti japonais est ainsi une autobiographie composée de lettres, d’extraits de journal intime et d’un journal d’ethnographe entre autres, mais c’est surtout un pamphlet, une certaine défense d’une altérité autre et la critique d’un certain exotisme.
Bibliographie
Frédéric Boilet. L’Apprenti japonais. Bruxelles, les Impression nouvelles, 2006
Frédéric Boilet. Tôkyô est mon jardin. Paris, Ego comme X, 2011
Sabine Kraenker est maître de conférences à l’université de Helsinki, au Département des Langues Modernes, section Philologie française. Elle est l’auteure de Les Écrits de la rupture amoureuse dans les textes de gens ordinaires et la littérature française de l’extrême contemporain (2000‒2010) (Publications romanes de l’Université de Helsinki, volume 8, Helsinki, 2014), et a publié plusieurs articles en lien avec le domaine autobiographique. On citera, entre autres, « Les avant-propos de Philippe Lejeune ou les introductions intimes d’une œuvre de critique littéraire » (L’Autobiographie entre autres, écrire la vie aujourd’hui, sous la direction de Fabien Arribert-Narce et Alain Ausoni, Peter Lang, 2013) et « De ʺPassion simpleʺ à ʺSe perdreʺ, de ʺPassion simpleʺ à ʺPuhdas intohimoʺ » (en collaboration avec Ulla Tuomarla) dans Traduire le texte érotique, sous la direction de Pier-Pascale Boulanger, Université du Québec à Montréal, 2013.