18/11/2022 - 19/11/2022, Paris, ENS-PSL, campus Jourdan (salle Rebérioux) et 45 rue d'Ulm (salle Paul Celan)
L’ouverture de la notice consacrée par Verlaine, en 1884, au premier des « Poètes maudits », Tristan Corbière, fait flotter une incertitude autour d’une notion appelée à passer à la postérité : « C’est Poètes Absolus qu’il fallait dire », précise le poète de Sagesse, avant d’ajouter un peu plus loin : « Absolus par l’imagination, absolus dans l’expression, absolus comme les Reys netos des meilleurs siècles. » Cette redéfinition liminaire, postromantique, cristallise l’ambiguïté fondamentale qui entoure un titre hérité d’une longue tradition, et qui tient davantage de la formule ouverte, de l’étendard hissé à grand fracas, que d’une promesse de définition stable de la « malédiction » littéraire. Le succès de la formule n’en a pas moins érigé le « poète maudit » en figure mythique, puis en poncif d’un certain imaginaire de la poésie moderne, héritier en cela d’une tradition que Jean-Luc Steinmetz avait explorée en 1982, dans un article fondateur[1].
La critique récente s’est attachée à combler cette lacune notionnelle en interrogeant la constitution et l’affermissement d’un imaginaire de la malédiction, depuis la seconde moitié du xviiie siècle jusqu’à la fin du xxe siècle[2], essentiellement en termes de mythologie, positive ou négative, et d’approche de postures d’écrivain ou de « scénographies auctoriales » (José-Luis Diaz).
En intégrant les apports de ces réflexions, la journée d’étude que nous consacrons aux « maudits » depuis la fin du xixe siècle voudrait explorer un autre versant de cet imaginaire de la malédiction : la voie matérielle des images, à laquelle Verlaine, qui avait sollicité des gravures de Thomas Blanchet pour illustrer la première édition des Poètes maudits (1884) et de Manuel Luque pour la seconde (1888), accordait une importance de premier plan. C’est par elle que se perpétue l’imaginaire de la malédiction au xxe siècle. La parution chez Seghers, en 1972, de l’anthologie Poètes maudits d’aujourd’hui. 1946-1970, en atteste la persistance, bien au-delà de la cristallisation fin de siècle : gravures, représentations picturales, ou encore portraits photographiques semblent œuvrer à la diffusion d’une certaine idée de la malédiction, qui réclame un questionnement spécifique. Les liens que nouent avec cette iconographie les mises en scène de la malédiction littéraire, notamment dans les romans de la vie littéraire comme l’Anicet d’Aragon (1921), participant d’un « romanesque des lettres » (Michel Murat), pourront être abordés, de même que des entreprises éditoriales significatives comme l’aventure de la collection puis de la maison d’édition Le Soleil noir (1950-1983). L’approche de ces « portraits de maudits » se voudra enfin ouverte aux traitements iconographiques des phares de la poésie moderne (Baudelaire, Rimbaud et Verlaine surtout, ou encore Lautréamont et Germain Nouveau), au xxe siècle, et aux dispositifs éditoriaux qui orchestrent la diffusion de leurs œuvres.
Organisation : Adrien Cavallaro et Andrea Schellino, avec le soutien de Litt&Arts (Université Grenoble Alpes), de l’ITEM (CNRS-ENS) et de l’Università Roma Tre.
Comité scientifique : Corinne Bayle (ENS de Lyon), Michel Murat (Sorbonne Université), Henri Scepi (Sorbonne Nouvelle), Fabio Scotto (Università degli Studi di Bergamo).
PROGRAMME (Télécharger le PDF ici)
Vendredi 18 novembre (salle Rebérioux, campus Jourdan, 48 boulevard Jourdan)
13 h 30 : Accueil des participants
14 h : Ouverture du colloque (Adrien Cavallaro et Andrea Schellino)
Poètes maudits en représentations : xixe siècle
Modérateur : Andrea Schellino
14 h 30 : Jean-Didier Wagneur (BnF) : « “Quand le poète peint l’enfer, il peint sa vie” : quelques approximations ».
15 h : Julien Schuh (Université Paris Nanterre) : « Maudit par les poètes : Francisque Sarcey ».
Discussion et pause
Modérateur : Henri Scepi
16 h : Benoît Houzé (Rennes 2) : « Maudit par anticipation : enjeux de la malédiction dans l’iconographie de Tristan Corbière ».
16 h 30 : Éric Dayre (ENS de Lyon) : « Photographier le maudit : les portraits de Baudelaire par Nadar ».
17 h : Raisa Rexer (Vanderbilt) : « Les poètes maudits de Carjat : Rimbaud, Verlaine, Mallarmé ».
Samedi 19 novembre (salle Paul Celan, 45 rue d’Ulm)
Illustrer la malédiction
Modérateur : Adrien Cavallaro
9 h 30 : Julien Zanetta (Université Saint-Louis-Bruxelles) : « Trois malédictions d’Eugène Delacroix ».
10 h : Zoé Monti (Sorbonne Nouvelle) : « Illustrer (les poèmes de) Rimbaud ».
Discussion et pause
Modérateur : Luigi Magno
11 h : Henri Scepi (Sorbonne Nouvelle) : « Fraternité maudite : Van Gogh, Artaud et le « “monde n’a qu’à la boucler” ».
11 h 30 : Corinne Bayle (ENS de Lyon) : « Fantômes au miroir : Portrait de René Crevel par René Char ».
Déjeuner
Malédictions en partage
Modératrice : Corinne Bayle
14 h : Martine Créac’h (Université Paris 8) : « Retour amont. Images de la malédiction au xxe siècle (Picasso, Seghers) ».
14 h 30 : Émilie Frémond (Sorbonne Nouvelle) : « “En attendant l’épingle qui me clouera au tableau des papillons de nuit” : anthologies d’écorché.e.s ».
Discussion et pause
Modératrice : Émilie Frémond
15 h 30 : Antoine Piantoni (Sorbonne Université) : « “Toi le visage, le cher visage” : apparition et disparition du portrait dans l’œuvre de Béatrice Douvre »
16 h : Luigi Magno (Università Roma Tre) : « Poésies au travail ».
17 h : Clôture du colloque
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Contacts : adrien.cavallaro@gmail.com ; andrea.schellino@yahoo.it
[1] Jean-Luc Steinmetz, « Du poète malheureux au poète maudit (réflexions sur la constitution d’un mythe) », Œuvres critiques, vol. vii, no 2, 1982, p. 75-86.
[2] Pascal Brissette, La Malédiction littéraire. Du poète crotté au génie malheureux, Presses de l’Université de Montréal, 2005 ; Pascal Brissette et Marie-Pier Luneau (dir.), Deux Siècles de malédiction littéraire, Presses universitaires de Liège, 2017.