19/04/2017, Salle des Résistants, École normale supérieure, 45 rue d’Ulm, 75005 Paris, 17h-19h
La correspondance de Pietro et Alessandro Verri offre à chacun des épistoliers l’occasion de mûrir et d’exposer, pendant trois décennies (1766-1797), ses pratiques d’écriture, en relation avec l’évolution des goûts et des modes littéraires. On suit dans les volumes du Carteggio l’ensemble des processus créatifs, depuis l’élaboration de méthodes empiriques (l’approche collaborative de l’écriture, l’éloge de la dictée comme outil de libération de la voix et du style),
jusqu’aux pérégrinations postales des manuscrits auprès des relecteurs et des éditeurs, à la phase de réception critique, voire aux rééditions successives. On y suit aussi l’usure de l’amitié fraternelle et des promesses initiales (tout se dire, « électriser » l’autre puis être son censeur impartial), à mesure que deux styles s’affirment et que se creuse le clivage idéologique dans les années de la Révolution. Lorsque la fiction de l’alter ego s’est dissipée, lorsque les dissensions ont rendu l’entente impossible, lorsque le public a désavoué le correspondant : comment conseiller et comment juger l’autre ? Le Carteggio ne demeure qu’un temps le creuset et la forge de textes littéraires. Le relâchement du lien épistolaire, cet espace de confidence miné par les non-dits et devenu par certains aspects un lieu de contrôle et de répression des écarts, est aussi pour Alessandro une libération et le préalable à de nouvelles expérimentations esthétiques et stylistiques. De toute évidence, l’écriture épistolaire des frères Verri n’a pas, en matière de genèse littéraire, qu’une fonction productrice. Elle présente aussi un revers obscur : des interdits et des censures s’y formulent ; les jugements exprimés ne témoignent pas toujours d’une capacité de l’interlocuteur à saisir et déchiffrer l’œuvre et ses enjeux. Les débats finissent d’ailleurs par se déplacer vers la production d’autres auteurs (Alfieri, notamment), tandis que le processus de création réintègre la sphère d’une intimité non partagée.
L’étude s’intéressera donc au statut et aux fonctions de l’écriture épistolaire de Pietro et Alessandro Verri en relation à la création littéraire, ainsi qu’aux répercussions qu’ont eu sur leurs pratiques de composition les vicissitudes de leur relation dialogique.
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* Spécialiste de littérature italienne, Pierre Musitelli est maître de conférences au Département Littérature et Langages de l’ENS et membre de l’ITEM (Groupe sur les manuscrits italiens de l’équipe “Écritures des Lumières”). Il a consacré aux frères Verri et à leur correspondance une part importante de ses recherches, qui concernent aussi le roman néoclassique et la constitution du canon littéraire italien pendant le long XVIIIe siècle, l’histoire du droit pénal dans la Lombardie autrichienne et des auteurs tels que Beccaria ou Longo. En 2016 est paru dans la collection de l’École française de Rome Le Flambeau et les ombres. Alessandro Verri, des Lumières à la Restauration (1741-1816).