23/03/2018 - 23/03/2018, Paris 3 - Sorbonne nouvelle - salle 410

femme_mode2-187x300.jpg

« Usage passager qui règle la forme des objets matériels, et particulièrement des meubles, des vêtements et de la parure » selon le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, « la mode est un « usage transitoire » et général : nul n’échappe à la mode, qui n’est qu’un usage d’une durée plus brève et de surcroît différente selon l’objet auquel elle s’applique – un meuble ainsi, rappelle l’article du Larousse, se démode moins vite qu’une parure. À la question soulevée à la fin de cette notice, « à quoi tient la mode ? Pourquoi une mode nouvelle s’établit-elle, puis cède-t-elle à une autre ? », plusieurs écrivains ont cherché à répondre au XIXe siècle : la mode devient un objet de recherche sérieux, même si s’en emparer suppose souvent d’être considéré par les clercs comme un bibelotier futile ou un spécialiste du chiffon et de la dentelle.
Le chiffon, la dentelle, Edmond de Goncourt s’y est précisément intéressé pour écrire Chérie où il confie un rôle important au couturier Gentillat, comme Zola l’avait fait en 1872 en représentant Worth sous les traits de Worms dans La Curée. C’est là un personnage nouveau du roman réaliste, qu’on rencontre également dans Les Rois en exil de Daudet (le couturier Spricht). Les toilettes féminines sont associées par Zola et Goncourt à une époque, le Second Empire, dont elles indexent à la fois les fastes, la vacuité et l’éphémère. Elles jouent un rôle important dans le parcours du personnage dont elles accompagnent la folie croissante, allégorisant ainsi également son destin. Mais la célébration des créations de Gentillat disent aussi autre chose : le couturier est un homme de l’art, une figure métapoétique dont on sait le parti qu’en tirera Proust lorsqu’il comparera La Recherche non à une cathédrale mais à une robe.
Cet intérêt pour la mode, les Goncourt le partagent donc avec certains de leurs contemporains. Baudelaire au premier chef, Gautier ensuite. Ils sont parmi les premiers à brandir le mot de modernité qui paraît indissociable de celui de mode. Ainsi, comme Baudelaire a son Guys, ils ont leur Gavarni, dont ils disent en 1856 : « Songer que sauf Gavarni, il n’y ait personne qui se soit constitué le peintre de la vie et de l’habit du XIXe siècle ! Tout un monde est là, que le pinceau n’a pas touché. Cependant quel intérêt, quel charme, quelle vie dans ces portraits d’après nature du XVIIIe siècle — Carmontelle, etc. — qui sont le portrait de l’homme entier et pris dans ses habitudes de pose et dans les entours ordinaires de sa vie. Folie, de faire des portraits dans une pose solennelle et d’en draper le décor avec une colonne et une draperie » (Journal des Goncourt , 25 novembre 1856). Mais à la différence de Baudelaire, il ne s’agit pas pour les deux frères de faire voir « combien nous sommes grands et poétiques dans nos cravates et nos bottes vernies » dans ce passage du Salon de 1845 où Baudelaire définit cet « héroïsme de la vie moderne » et son « côté épique ». Dans l’élaboration de ce beau moderne qui rendrait compte de toutes les nuances de la mode, ils ne sont pas du côté du grand et de l’éternel mais plutôt du transitoire et de l’infime. La mode selon les Goncourt, et leur conception de la modernité, se distingue en cela de celle de Baudelaire, même si les rapproche leur rejet du beau classique et de ses drapés. Mais il s’agit bien pour le poète et pour les deux frères de dire la beauté du monde moderne, de ses boulevards ou de sa banlieue, des parures féminines comme de ses bals de barrière – et nullement du monde moderne d’un Du Camp.
Celle du XVIIIe siècle, de l’art de la mouche, évoqué dans La Femme au XVIIIe siècle, aux toilettes des personnages de Watteau, les requiert tout autant, comme la « révolution » du style grec et romain introduit dans le mobilier au moment de la fête de la Fédération en 1790. Parler de la mode d’un temps sert donc de tremplin à d’éventuelles polémiques, tant l’habit et le meuble en disent long sur l’esprit du temps : le style grec reflète ainsi la lourde pédagogie de l’époque révolutionnaire – et son absence de goût esthétique. La mode est aussi un matériau pour l‘histoire. On connaît la célèbre phrase qui associe menu d’un dîner et échantillon d’une robe, jugés seuls à même de faire revivre une époque. Cette attention au champ de ce qui se nomme aujourd’hui l’histoire culturelle est remarquable mais peut-être pas si singulière qu’il peut y paraître d’abord. D’abord car les Goncourt, en bien des points, suivent les modes de leur époque : dans leurs pratiques historiennes tout d’abord (la collecte d’autographes, le goût de l’archive) comme pour leurs objets (l’intime, la femme), les Goncourt sont de leur temps, ainsi que l’ont récemment rappelé Pierre-Jean Dufief (« Les Goncourt et l’archive vivante », Les Goncourt historiens, Strasbourg, PUS, 2017) et Nicolas Bourguinat (« La femme au XVIIIe siècle : un terrain d’enquête pionnier ? » , ibid.). Leur rapport au document, Dominique Pety l’a souligné dans son ouvrage sur la collection (Poétique de la collection au XIXe siècle : du document de l’historien au bibelot de l’esthète, Paris, Presses universitaires de Paris Ouest,2010), les apparente à l’école positiviste, dont leurs positions politiques par ailleurs les éloignent. On sait ainsi la querelle qui opposa Edmond à Zola dans la revendication de paternité de l’expression « document humain ».
Les Goncourt sont donc à la page plus que pionniers. Même en ce qui regarde le japonisme, ils accompagnent, plus qu’ils n’initient, un mouvement qui débute avec les travaux de Félix Bracquemond, Philippe Burty ou Régamey au début des années 1850 et se poursuit avec la découverte des estampes japonaises par Manet et Monet à la fin des années 1860. Pourquoi donc ce besoin de se dire précurseurs ? Pourquoi avoir tant cherché leur légitimité dans le fait d’être des lanceurs de modes – pour déplorer constamment qu’on ne le leur reconnaisse pas ?
Ce séminaire consacré aux relations des Goncourt et de la mode aimerait à la fois placer les Goncourt dans un contexte large (entre Baudelaire et Uzanne, entre Balzac et Zola) et tenter de répondre aux quelques questions – dont la liste n’est pas limitative – que nous venons d’évoquer.

Séance organisée à Paris 3 – Sorbonne nouvelle (Centre Censier) – salle 410 – 23 novembre 2018, 14h