Les brouillons sur « soi ». Lectures génétiques et poïétiques. Actes de colloque

10/01/2011

Actes du colloque international* de novembre 2009 édités sous la direction de Valentina Radulescu, Laurent Rossion et Monica Tilea.

*organisé par Res (réseau de recherche), Université de Craiova (Roumanie) et les Archives et Musée de la littérature (Belgique)

Les brouillons sur soi. Lectures génétiques & poïétiques, Valentina Rădulescu, Laurent Rossion et Monica Tilea dir., Éditions Universitaria, Craiova, 2010, 294 p., ISBN 978-606-510-987-2

Du 5 au 7 novembre 2009 ont eu lieu, à l’Université de Craiova, les travaux du Colloque international Études francophones. Les brouillons sur soi. Génétique / Poïétique. Le colloque a été organisé par l’Université de Craiova, les Archives et Musée de la Littérature de Bruxelles et le réseau de recherche res*, dans le cadre du Projet bilatéral de recherche entre l’Université de Craiova et les AML de Bruxelles : « Recherches sur les francophonies européennes : analyse génétique des textes – approche poïétique / poétique » (2008-2010), projet financé par l’Agence nationale pour la Recherche scientifique de Roumanie.
Le présent volume est le résultat des interventions et des débats qui ont tenté, lors de ce colloque, de rapprocher deux visées critiques sur la littérature, méthodes essentielles pour comprendre le parcours d’une œuvre et les mécanismes de sa création, méthodes qui, toutes deux, visent l’écriture comme devenir : la critique génétique et la poïétique.
La critique génétique est aujourd’hui l’un des champs les plus dynamiques et les plus productifs de la critique littéraire. L’existence d’un vaste ensemble de documents, souvent inexplorés, permet de reconstruire la création d’une œuvre, ce qui constitue un champ de recherche fascinant pour les spécialistes.
Par ailleurs, la poïétique, pratique du comportement auctorial, de la relation de l’écrivain avec l’œuvre en train de se faire, aide à retracer le processus d’instauration d’une œuvre.
C’est pourquoi la première section « Le cours de l’écriture » propose des réflexions sur les perspectives communes des deux approches.
L’analyse des divers avant-textes et des témoins de l’aventure scripturaire de la première leçon du « Cours de poétique » de Paul Valéry conduit Christina Vogel à repérer les traits distinctifs de la méthode valéryenne : une méthode dont l’essentiel réside dans l’exercice du pouvoir de l’esprit, une démarche intellectuelle capable d’identifier et de comprendre les principes de création des œuvres de l’esprit.
En suivant le sillonnement de l’écriture cioranienne, Dumitra Baron conjugue les méthodes génétiques et poïétiques pour dégager les enjeux des aspects techniques de l’instauration de l’œuvre ainsi que les métamorphoses du moi scriptural régies par la « philosophie du papillon ».
Nicolas Cavaillès se penche sur la genèse envisagée comme détournement des « visées » poïétiques qu’elle manifeste. À partir des quelques pages consacrées par Cioran à Dostoïevski dans son Histoire et Utopie, la démarche analytique de Nicolas Cavaillès met en évidence une relation complexe et (encore) problématique entre poïétique et génétique textuelle.
Les difficultés du faire de l’œuvre proustienne sont examinées par Loredana Hărăbor dans la perspective de deux oppositions majeures auxquelles Proust est constamment confronté : la pression du temps, due à la gravité de sa maladie, et l’étendue de la matière fictionnelle à organiser.
Cecilia Condei s’intéresse aux formes énonciatives des « pré-visions » textualisantes identifiées dans l’espace discursif des avant-textes de deux récits de Panaït Istrati, dans le but de comprendre la genèse énonciative des textes étudiés.
La seconde section se penche sur des « Tours et détours classiques » où il importe de suivre pas à pas une forme de méthode d’écriture.
Camelia Manolescu étudie ainsi la méthode flaubertienne telle qu’elle se définit dans les pages de la Correspondance de Flaubert. La Correspondance est comprise comme guide pour la compréhension du comportement auctorial ou des métamorphoses de la forme et de l’espace romanesque.
L’analyse de l’avant texte balzacien permet à Gleya Maatallah de reconstituer les étapes d’un travail créateur qui pendule entre la joie supérieure et la douleur de l’enfantement, en passant, au niveau textuel, par la pléthore, l’hybridation et l’inachèvement.
Les Carnets d’Albert Camus qui, en tant que documents poïétiques, permettent le déchiffrement du devenir de l’œuvre de fiction, attirent l’attention de Ioan Lascu. Sont examinés, conjointement, des aspects de la genèse de quelques textes camusiens majeurs, ainsi que de la formation de la personnalité de l’écrivain.
Le prométhéisme comme forme de dégénération nihiliste de l’impiété est la zone de recherche privilégiée par Antonio Rinaldis. Son étude suit l’évolution de ce concept, dans une perspective comparatiste, de l’Antiquité jusqu’au XXe siècle.
Cristiana Bulgaru Teşculă consacre une analyse détaillée à la construction des images de la représentation onirique dans Les songes et les sorts de Marguerite Yourcenar. Sa recherche se focalise sur l’élément aquatique, véritable noyau de la configuration circulaire ou labyrinthique du paysage citadin.
Le devenir du texte du roman Tempo di Roma d’Alexis Curvers préoccupe Maria Tronea, qui s’attarde sur les dimensions poétiques, poïétique et esthétique du paratexte et du texte de l’œuvre analysée.
Matériaux à valeur génétique (Almuth Grésillon) ou poïétique (Irina Mavrodin), les documents qui accompagnent l’avènement d’une œuvre : interviews, entretiens, conférences, journaux, etc., s’avèrent être très féconds lorsqu’il s’agit de la reconstitution du processus créateur, de la mise en relief des mécanismes de l’écriture.
C’est ce que les auteurs de la section « L’auteur, autour de l’œuvre » essaient de montrer à travers leurs études.
En effet, Ela Vălimareanu propose un inventaire des principes de l’écriture perecquienne à partir d’une suite de documents où Pérec parle de la fabrication de son œuvre. À son tour, Ilona Balázs entreprend une étude des entretiens de Jean-Philippe Toussaint pour reconstituer la genèse de La salle de bain, tout en tenant compte des possibles mystifications que pourrait provoquer l’écart temporel entre le faire proprement dit et les interviews qui le prennent pour sujet. En prospectant l’espace virtuel à la recherche des confessions d’Amélie Nothomb, Cristiana Teodorescu se situe au seuil du laboratoire de la création pour déchiffrer le comment de l’écriture propre à la prolifique romancière.
Grâce au concours des Archives & Musée de la Littérature et à leurs collections de manuscrits, des études consacrées à la genèse du roman La chronique du cygne de Paul Willems approfondissent les débats dans la dernière section du volume, « Parcours d’un texte ». Ce roman, et les archives littéraires qui le concernent, est présenté et problématisé par Laurent Rossion en partant de l’expérience d’un lecteur novice, avant de rejoindre une analyse du manuscrit en tant qu’œuvre littéraire lui-même.
Valentina Rădulescu étudie, dans une perspective poïétique, les « Notes » du roman La chronique du cygne de Paul Willems afin de montrer que l’avant-texte est un espace stratégique qui fournit des clés de lecture sans toutefois lever toutes les ambiguïtés du texte définitif.
Enfin, si Monica Tilea poursuit une étude de la citation en acte dans La chronique du cygne en mettant en relation le texte final du roman avec le manuscrit de la Conférence sur les origines de La chronique du cygne (Cologne 10 mai 1984) et les « Notes » du roman, Alina Ţenescu invite à une incursion dans l’atelier de l’écrivain et suit les traces de l’instauration de l’œuvre dans le manuscrit du même roman pour identifier les stratégies qui gèrent la création de Paul Willems.