La douleur suppose une confrontation inévitable au corps et au langage. Comment se traduit-elle en littérature ? Les mots finissent-ils par l’emporter ? Peut-il y avoir, et dans quelles conditions, un rejet ou une maîtrise de la douleur par l’écriture ? Est-il possible de passer, avec ou sans déperdition, avec ou sans distorsion, d’une expérience intime, subjective, intérieure, qui paraît dans bien des cas incommunicable (Lo que no tiene nombre/Ce qui n’a pas de nom, roman de Piedad Bonnett-Colombie 2013), au statut social d’une expression publique, partagée ? Son expression revient-elle à donner du sens à une expérience vécue parfois comme le comble de l’absurde, de l’injustice ou de l’inhumain, à donner une mesure à l’inquantifiable ? Revient-elle à s’en libérer, à s’en soulager, ou du moins à en édifier un souvenir, une re-présentation visant à écarter la scène première pour n’en conserver que l’image ?
L’écriture de la douleur en Amérique latine a souvent été liée à un acte de mémoire, sous forme de témoignage d’un passé collectif livré depuis l’exil ou la prison (ex. : Alicia Kozameh/ Fonds Archivos CRLA-Poitiers). Mais l’écriture de la douleur peut s’inscrire également dans le présent et s’envisager comme « une écriture à vif ». Au Mexique, par exemple, face aux corps que l’on retrouve pendus ou démembrés au détour d’un pont ou d’un poteau électrique, en pleine campagne ou en ville, certains auteurs se demandent comment parler des morts au présent (Los muertos indóciles de Cristina Rivera Garza), ces morts qui ne renvoient plus au passé sanguinaire des dictatures du cône Sud ou d’Amérique centrale, mais obsèdent au quotidien le regard et l’esprit. L’adage d’Adorno (« écrire un poème après Auschwitz est barbare ») est-il toujours d’actualité pour ces pays meurtris par une violence aussi monstrueuse que quotidienne?