Julie LeBlanc
Une écriture multimédia: l’hybridité de l’œuvre autobiographique et photographique de Jacques Henri Lartigue[1] (l’année 1944)
La relation entre le texte et l’image n’est pas un combat mortel, mais une collaboration énergique et fructueuse qui culmine dans le « tiers pictural » : texte et image sont alors interdépendants pris dans une dialectique et leur oscillation est fructueuse. (L. Louvel, Le Tiers Pictural, p. 15)
Les objets laissés au sein de “L’Association des amis de Jacques Henri Lartigue” comprennent entre autres, 100 000 images (négatifs et photographies), 7000 pages d’agendas, de carnets, ses journaux intimes, sa correspondance et ses 135 albums photographiques. Outre sa richesse textuelle et visuelle, ce monument autobiographique est marqué par une hybridité générique dont la complexité est accentuée lorsque l’on se penche sur les manuscrits et tapuscrits annotés des journaux personnels de Lartigue, sa correspondance avec son fils reproduite de façon fragmentaire dans les tapuscrits annotés de son journal et ses clichés qui recoupent sur le plan temporel son écriture diaristique et épistolaire. Les journaux manuscrits, qui nous offrent de nombreuses descriptions des effets dévastateurs de la fin de la Deuxième Guerre mondiale et d’importantes réécritures vouées à nuancer les sentiments éprouvés et les faits racontés, présentent des écarts avec les deux autres versions du journal, voire entre le tapuscrit et le texte publié. On notera par ailleurs que les photographies de la guerre et les fragments de lettres introduits dans son tapuscrit ne servent qu’à accentuer l’hybridité générique et la complexité génétique de cette œuvre multimédia destinée à la construction d’une vie qui sera à maintes reprises revue et recorrigée par Lartigue au cours de nombreuses décennies. C’est l’année 1944 qui sera privilégié au cours de mon intervention, car contrairement aux autres manuscrits, tapuscrits de ses journaux personnels, correspondance et albums photographiques conçus au cours de la Deuxième Guerre mondiale, c’est au moment de la libération de Paris que Lartigue décrit et photographie pour la première fois les effets dévastateurs de la guerre.
Julie LeBlanc est professeur titulaire au Département d’études françaises et au Centre for Comparative Literature à l’Université of Toronto. Ses domaines de spécialisations sont les récits de vie, la critique génétique et les rapports texte/image. Elle est l’auteur de Genèses de soi : l’ écriture du sujet féminin dans quelques journaux d’écrivaines. Montréal: Éditions du Remue-Ménage, 2008 ; Énonciation et inscription du sujet: textes et avant-textes de Gilbert La Rocque. Toronto: Editions du GREF, Collection « Theoria », 2000 ; Les Masques de Gilbert La Rocque. Collection Bibliothèque du Nouveau Monde. Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1998. Son livre Narrativité et iconicité au féminin paraîtra en 2016 aux Éditions du Remue-Ménage. Elle a dirigé de nombreux numéros de Texte. Revue de critique et de théorie littéraire, Voix et images, RS/SI, Arborescences portant sur l’autobiographie, la génétique, l’énonciation, la rhétorique, l’iconicité et les rapports texte/image. Elle
[1] Mon étude des avant-textes de Lartigue s’inscrit dans un projet de recherche de cinq ans sur la guerre subventionné par le Conseil de Recherche en Sciences Humaines du Canada. Jacques Henri Lartigue (peintre, photographe, diariste, épistolier) est décédé à Nice le 12 septembre 1986. Des fragments de ses journaux intimes rédigés tout au long de sa vie ont été publiés dans trois volumes: Mémoire sans mémoire (1975), L’émerveillé écrit à mesure (1981) et L’œil de la mémoire, 1932-1985 publié en 1986. C’est ce dernier texte qui sera privilégié au cours de mon intervention.