01/01/2015
Cet ouvrage propose l’édition des feuilles 2–56r du ms. Alfieri 4 de la Bibliothèque Laurentienne (Florence), contenant les extraits (et leur traduction partielle) des tragédies de Sénèque, réalisés par l’écrivain piémontais Vittorio Alfieri pendant les années 1776-1778.
Ces extraits documentent un épisode relevant de la réception de Sénèque au XVIIIe siècle : « faux philosophe » collaborateur du tyran, mais aussi auteur de tragédies anti-tyranniques, anticipateur du mauvais goût baroque, et pourtant capable d’atteindre, quoique par intermittences, le sublime, il demeure l’objet d’une appréciation controversée, où l’admiration cède souvent à la critique sévère. En même temps, les extraits éclaircissent la méthode de travail d’Alfieri. Bien qu’ils soient restés inédits jusqu’ici, ils présentent des enjeux majeurs par rapports aux autres exercices littéraires d’Alfieri, car leur transcription s’entremêle directement à sa propre production. En effet, si d’un côté il cherche à modeler son endécasyllabe sur l’ïambe et sur la brevitas sénéquéenne, en reprenant notamment les célèbres vers coupés, de l’autre il tire le sujet de son diptyque argien (Agamemnon et Oreste) de l’Agamemnon latin. L’étude du ms. Alfieri 4 montre que les vers sélectionnés ne se limitent pas à composer un florilège stylistique, mais représentent une véritable réécriture dramaturgique, propédeutique à la création des pièces d’Alfieri, au point qu’il insère certains passages de sa traduction dans son propre Agamemnon. Quant aux notes qu’il appose dans les marges du manuscrit, elles contiennent des jugements qui font évoluer ses réflexions sur la poétique tragique.
Les extraits de Sénèque constituent également un avant-texte pour d’autres tragédies d’Alfieri : Polynice, en partie tiré de Phoenissae ; Myrrha, qui rivalise avec Phedra ; Octavie, dont la pièce pseudo-sénéquéenne homonyme est une source inavouée, qui intègre les Annales de Tacite. Mérope mérite une mention particulière : le personnage de la reine protagoniste y est calqué sur l’Andromaque des Troades. En composant cette tragédie Alfieri souhaitait rivaliser avec Maffei et Voltaire, qui avaient développé le même sujet : le recours à Sénèque lui permet de corriger les inflexions bourgeoises de la pièce de Maffei – qui se voulait proche du réel – par le biais du modèle héroïque idéalisé. Cet exemple laisse entrevoir l’enchevêtrement des sources, dans lesquelles confluent les anciens et les modernes. Ce même dialogue s’effectue dans l’étude même de Sénèque, médiée par les commentaires de Gronov et Farnaby, aussi bien que par les préceptes du père Brumoy et par la comparaison aux tragédies françaises. De façon similaire, Alfieri entre en compétition tant avec le texte original qu’avec sa version italienne par Ettore Nini, véritable palimpseste de sa propre traduction.
Cet ouvrage a été publié avec le soutien du Conseil Scientifique de l’Université de Strasbourg et des équipes CHER et CARRA dans le cadre de l’IdEX Translatio.