25/04/2014
Colloque international
organisé par Chiara MONTINI (ITEM, CNRS/ENS, Paris)
avec la collaboration de Olga ANOKHINA (ITEM, CNRS/ENS, Paris)
Les 25-26 avril 2014
Liberté et incertitude précèdent le moment crucial du choix. En philosophie, d’après la définition de S. Auroux, le choix désigne d’une part l’acte par lequel on se détermine pour une chose plutôt que pour une autre ; et d’autre part le résultat de cette détermination. Au premier sens, le choix suppose une liberté à venir : ‘avoir le choix’, c’est être libre. Au deuxième sens, le choix témoigne d’une liberté passée, et désormais fixée : le choix effectué nous contraint. Cette situation décrit bien l’activité du traducteur qui travaille dans une liberté sous contrainte. Liberté, car il a le choix (à partir du texte qu’il voudra traduire jusqu’au choix des mots), et contrainte, car ce choix est déterminé, entre autres, par le respect du texte source. « La traduction est mise en rapport ou elle n’est rien », écrit Berman dans L’Épreuve de l’étranger. À travers les traces présentes dans les manuscrits il est possible de parcourir cette « mise en rapport » qui est toujours dialectique, car elle met en jeu la relation entre soi-même et l’autre, entre liberté et respect.
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PROGRAMME
25 avril 2014
9.30-9.45 Accueil des participants
9.45-10.00 Ouverture de la journée par les organisatrices et présentation de Genesis
10.00-11.00 1ère session. Modérateur Chiara MONTINI
10.00 – 10.30 Nicole BROSSARD (auteure) : Opaysages ou la partie invisible des mots
10.30 – 11.00 Elena BASILE (University of Toronto, traductrice) : Traduction comme témoignage : Quelle fidélité? Quelques considérations sur la traduction italienne duDésert mauve de Nicole Brossard
11.00 – 11.30 – pause
11.30-12.30 2ème session. Modérateur Antonietta SANNA
11.30-12.00 Olga ANOKHINA (ITEM) : Traductions vers l’anglais et le français de Vladimir Nabokov : traduction ou auto-traduction ?
12.00-12.30 Chiara MONTINI (ITEM) : Dmitri Nabokov traducteur de Vladimir
12.30-14.30 –repas
14.30-15.30 3ème session. Modérateur Olga ANOKHINA
14.30-15.00 Pierre-Marc de BIASI (ITEM) : Les enjeux de la génétique appliquée au multilinguisme
15.00-15.30 Rainier GRUTMAN (Université d’Ottawa): Autotraduction et génétique. Regards croisés
15.30-16.00 – pause
16.00-17.00 4ème session. Modérateur Pierre-Marc de BIASI
16.00-16.30 Sandrine MARCHAND (Université d’Artois): Clarté obscure : le choix de la traduction de poèmes chinois
16.30-17.00 Antonietta SANNA (Université de Pise): Traduire Léonard. La traduction au service de la tradition
17.00 – 17.30 débat
26 avril 2014
10.00-11.30 5ème session. Modérateur Rainier GRUTMAN
10.00-10.30 Slimane Benaïssa : Traduire la réalité d’une langue à l’autre
10.30-11.00 Patrick QUILLIER (Université de Nantes) : Pour une traduction acromatique
11.00-11.30 – pause
11.30-13.00 6ème session. Modérateur Anthony CORDINGLEY
11.30-12.00 Eva KARPINSKI (York University, Toronto) : Choices, Chances, Changes: Working in Barbara Godard’s Translator’s Archive
12.00-12.30 Dirk Van HULLE (Université d’Anvers) : Twin Geneses: Hesitation, Decision Making and Creative Undoing in Beckett’s Selftranslations
12.30-13.00 Dirk WEISSMANN (Université Paris-Est) : Entre contrôle et confiance : Paul Celan correcteur de ses traductions françaises
12.30-14.30 –repas
14.30-15.30 7ème session. Modérateur Sandrine MARCHAND
14.30-15.00 Christilla VASSEROT (Université Sorbonne Nouvelle) : Traduction théâtrale et surtitrage : la remise en cause des choix. Le cas d’Angélica Liddell
15.00-15.30 Noemia SOARES ((Université Fédérale de Santa Catarina, Brésil /ITEM) : Les manuscrits de traduction du sanscrit vers le portugais de Pedro II du Brésil
15.30-16.00 – débat
16.00-16.30 – Pause café
16.30-17.30 – Lecture de textes
Slimane BANAISSA, Nicole BROSSARD, Patrick QUILLIER
17.30 – Clôture du colloque
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Contact : Chiara Montini : montini.chiara@gmail.com
Ce travail a été réalisé avec le soutien du laboratoire d’excellence TransferS, PSL (programmes Investissements d’avenir ANR-10-IDEX-0001-02 PSL* et ANR-10-LABX-0099), ainsi que grâce à la contribution du SEPS (Segretariato Europeo per le Traduzioni Scientifiche).
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Olga Anokhina : Traductions vers l’anglais et le français de Vladimir Nabokov : traduction ou auto-traduction ?
Après avoir présenté rapidement la typologie des pratiques scripturaires des écrivains plurilingues, nous nous arrêterons sur l’autotraductionque nous considérons comme l’écriture consécutive, par opposition avec l’écriture parallèle, le code switchingou encore la séparation fonctionnelle des langues, stratégies créatives que nous avons pu observer dans le processus d’écriture de ces écrivains. L’autotraductionpermet à l’écrivain de prolonger le travail d’écriture, en créant un continuum créatif grâce au passage à une autre langue. En nous appuyant sur le cas de Vladimir Nabokov, qui avait pour l’habitude de superviser la traduction de ses œuvres du russe vers l’anglais et vers le français, nous interrogerons la frontière difficile à déterminer entre l’autotraduction et la traduction.
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Elena Basile : Traduction comme témoignage : quelle fidelité? Quelques considérations sur la Traduction italienne de Le Désert mauve, de Nicole Brossard
Le Désert mauvede Nicole Brossard propose, entre autres, une phénoménologie précise de la lecture et de l’écriture comme un processus de palimpseste dialogique et donc ouvert. En ce sens, il constitue un texte exemplaire pour explorer le défi de la traduction en tant que pratique transformatricede récriture, dont les critères de « fidélité » ne peuvent ni être réduits qu’aux problèmes d’ « équivalence » linguistique, ni être évalués uniquement dans leur rapport à l’autorité de prime abord inattaquable du texte-source « original ». Au contraire, les choix de traduction dans le roman sont explicitement mis au premier plan comme des choix qui n’ont pleinement de sens que lorsqu’ils sont mesurés dans le contexte d’une fidélité radicale à ce que Brossard appelle « les paysages vrais » de la langue et ses fictions – des paysages, devrais-je ajouter, qui obligent la lectrice-traductrice à « entrer en scène » (89) -.
Ainsi, j’examinerai le travail préalable à la traduction qui révèle les processus affectifs et cognitifs à la base de ma traduction de Le Désert mauveen italien. J’insisterai tout particulièrement sur la question épineuse de l’ « entrée en scène » dans la langue comme quasi-auteure afin de démontrer qu’elle ne peut avoir lieu, pour moi, qu’en laissant Mélanie, la protagoniste fictionnelle du roman, devenir le véritable vecteur d’une possibilité de transformation narrative (et par conséquent, mythopoétique). Transformation narrative qui non seulement prolonge la vie de l’ouvrage dans une autre langue, mais poursuit la participation au projet transculturel du livre de récriture de récits patriarcaux, misogynes et violents, au-delà de leurs conclusions vraisemblablement non modifiables.
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Slimane Benaïssa : Traduire la réalité d’une langue à l’autre.
J’aborderai les problématiques de la traduction non pas d’un point de vue universitaire et théorique, mais plus d’une manière pragmatique dans ma confrontation avec l’écriture. Etant dramaturge et romancier, j’ai commencé mon activité théâtrale en arabe dialectal en Algérie. J’exprimais alors une réalité dans la langue ou elle était vécue. En 1992, exilé en France je me suis mis à écrire en français.
J’ai commencé par traduire en français mes œuvres écrites en arabe dans une perspective l’auto-traduction : j’exposerais la problématique de cette démarche.
Ecrire en français une réalité que j’avais déjà exprimée dans ma langue maternelle est une démarche de transposition d’une réalité dans une autre langue : problématique de cette démarche.
Tels sont les deux axes de mon intervention. Pour finir j’aborderais les avantages et inconvenant du bilinguisme en écriture.
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Nicole Brossard : Opaysages ou la partie invisible des mots
Qui traduit se tient tout près, à moyenne ou à longue distance de l’auteur et de son univers.
Il y a des cercles de proximité, d’affinité et de confort avec les œuvres. Le bon traducteur est-il celui qui peut se rapprocher jusqu’au point zéro de l’intimité? Intimité de la langue, intimité de la pensée d’une époque, intimité singulière, manière d’être.
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Ranier Grutman : Autotraduction et génétique : regards croisés
Dans cette communication, nous voudrions continuer le dialogue, récemment entamé ici même à l’Institut des Textes et Manuscrits par différents membres de l’équipe « Multilinguisme, traduction, création » (Olga Anokhina, Chiara Montini), entre l’étude génétique des textes et l’autotraduction comme objet d’étude. Après avoir examiné la nature spécifique de la contribution que peut faire l’approche génétique à l’étude du processus autotraductif (direction, part de cotraduction, augmentation/effacement de l’hétérolinguisme etc.), nous nous arrêterons à l’energeiapropre à l’autotraduction comme réécriture et comme chaîne (inter)textuelle, dynamique qui permet de faire un retour sur la notion d’inachèvement (fondamentale dans la philosophie sous-tendant les travaux génétiques).
Eva C. Karpinski : Choices, Chances, Changes: Working in the Translator’s Archive of Barbara Godard
This presentation examines the methodology and process of translation as it can be traced and documented using the archival drafts preserved in the Barbara Godard Fonds in the Clara Thomas Archives and Special Collections at York University. More specifically, applying the method that can be called “textual genetics” I will look at several consecutive versions of Godard’s translation of Nicole Brossard’s Amantes(1980) in order to excavate different layers of the translation-in-process on its way to becoming the published text. This approach captures the tensions inherent in the double nature of translation as both process and product and makes it possible to show multilingual play at work in the back-and-forth movement between the source and target languages. Describing the work in progress as revealed by the in-between texts, or « avant-textes » (Montini), my analysis makes it possible to produce a “genetic map” of the evolution of Brossard’s Amantesinto Godard’s Lovhers(1986). In addition to using textual genetics, in assessing the archival materials, I will rely on an interview with Ray Ellenwood (Godard’s fellow translator and colleague), Godard’s published essays on translation theory, her correspondence with the author, and her comments in “A Translator’s Journal.” Working in the translator’s archive brings to light the invisible conjunction of research, creativity, and collaboration that inform Godard’s project of literary translation.
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Sandrine Marchand : Traduire un poème chinois : un choix sans commentaire.
La question du choix est peut-être encore plus épineuse en ce qui concerna la traduction de poésie, même dans la poésie contemporaine en vers libre, le choix entre musicalité, rythme et plurivocité implique un engagement décisif de la part du traducteur.
Je souhaiterais interroger la question du choix de la traduction de poésie sinophone contemporaine à partir de l’expérience particulière de la traduction d’un poème de Hsia Yu夏宇, poétesse taïwanaise, dans son rapport à la traduction, à l’autotraduction et au multilinguisme, en interrogeant la tradition de la traduction en Chine et en me demandant comment l’explication du poème (en l’occurrence par l’auteure) influe sur le choix du traducteur et comment celui-ci doit être à la fois à l’écoute du langage et résister à l’éclaircissement du sens.
Chiara Montini : Dmitri Nabokov traducteur de Vladimir
En relisant sa première version en russe de L’Enchanteur, en 1959, Nabokov écrit que le roman pourra être rendu en anglais « par les Nabokov », se référant ainsi à une collaboration qui durera toute sa vie. Grâce aux travaux de Grayson, Boyd, Anokhina et Shrayer, entre autres ; et grâce aussi aux témoignages de certains traducteurs (Scammel et Pertzov, par exemple), de même qu’aux manuscrits de leurs traductions révisés par l’auteur, nous savons que Nabokov faisait traduire ses textes russes en anglais pour ensuite les modifier, souvent de façon drastique, à sa guise. Dans sa préface à la traduction de Invitation to a Beheading, l’auteur confirmait que pour lui la traduction était un moyen de revenir sur son texte et de l’améliorer. D’après son biographe, W. Boyd, dans ses dernières années, Nabokov aurait considéré ses traductions en anglais comme étant les textes de référence pour les traductions en d’autres langues. Ajoutons à cela que c’est notamment quand Nabokov« trouve un fidèle collaborateur en son fils Dmitri » (Shrayer, 1999) que ce choix devint ferme. Et Dmitri, dans son avant-propos à sa traduction des nouvelles du père, n’hésite pas à définir cette collaboration « sans nuage » (cloudless).
Cette collaboration, où l’auteur avait toujours le dernier mot sur son fils, résulte aussi des manuscrits des traductions qui n’ont jamais, à ma connaissance, fait l’objet d’une étude approfondie. Je montrerai ici, à travers une étude génétique, comment le choix traductif en collaboration relève d’un attachement passionné à l’assujetissement (Butler, 1997) de la part de Dmitri à l’autorité du père pour ensuite analyser les traductions faites après la mort du géniteur, quand il commence à traduire des inédits en anglais aussi bien qu’en italien.
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Patrick Quiller : Pour une traduction acroamatique
On essaiera de démontrer que la contrainte des contraintes est une affaire d’écoute du corps sonore du texte à traduire. Exercer une « écoute sensible » de ce texte consiste à se rendre attentif à son rythme (dans une perspective proche de celle de Meschonnic), à tout ce qui bat en lui et qui modèle le sens au plus haut point et en profondeur. La liberté d’un traducteur acroamaticien peut se déployer à l’intérieur de cet espace résonnant que lui ouvre son écoute. Les choix qu’il est conduit à faire sont déterminés par elle.
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Antonietta Sanna : Traduire Léonard: la traduction au service de la tradition.
La fin du XIX siècle connaît en France la parution d’une opération éditoriale exceptionnelle: la publication, transcription et traduction par Charles Ravaisson-Mollien desCarnetsde Léonard de Vinci, conservés à la Bibliothèque de l’Institut de France.
Nombreux sont les écrivains qui ont plongé leur regard dans l’œuvre manuscrite de l’artiste italien. C’est au travail de Valéry sur Léonard, que je vais consacrer mon intervention. Car non seulement Valéry s’est « installé » dans son œuvre, non seulement il l’a analysée profondément, mais il a même entamé un vaste projet de traduction, resté inédit, a partir duquel il a affiné une théorie et une pratique de la traduction qui n’a pas manqué d’influencer son écriture. Ecrire et traduire sont pour Valéry deux activités poétiques qui connaissent les mêmes dynamiques. Dans l’une et dans l’autre on procède par tâtonnements, hésitations, attentes. Le traducteur tout comme l’écrivain est appelé à faire des choix. Le traducteur « fait ce qu’il peut » dans les liens étroits que l’original lui impose, tandis que l’auteur « fait à peu près ce qu’il veut » dans la forêt du langage où il s’aventure.
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Noêmia Guimarães Soares : Les manuscrits de traduction du sanscrit vers le portugais de Pedro II du Brésil
Cette intervention a pour but de présenter la problématique du choix dans les manuscrits de traduction de l’ancien empereur brésilien D. Pedro II (1825-1891) du texte en sanscrit Hitopadesaou « Instruction utile ». Il s’agit d’un recueil de contes et d’apologues de la fin du Ve siècle très connu en Inde jusqu’à aujourd’hui. Il s’agit des brouillons (transcrits par MAFRA, 2013 ; 2014) dont les états génétiques postérieurs n’ont pas encore été retrouvés (pas de mises au net et pas de version éditée jusqu’à présent). Ces documents sont très intéressants car ils permettent d’observer les traces de l’activité du traducteur, dont plusieurs phénomènes multilingues. Ces manuscrits témoignent d’une grande passion de D. Pedro pour les langues (il a étudié plusieurs langues modernes et anciennes tout au long de sa vie). Il s’intéressait également à la parenté entre les langues indo-européennes. Ainsi on trouve sur les pages de la traduction de Hitopadesades réflexions du traducteur sur l’origine commune du sanscrit et d’autres langues européennes, comme le latin, le grec, l’anglais, l’allemand, le gothique, parmi d’autres. Ces manuscrits contiennent également les indications que le traducteur donne à lui-même de respecter les contraintes lexico-syntaxiques de la langue source, ce qui rappelle une traduction interlinéaire, ou mot-à-mot, pratiquée par les spécialistes de langues orientales au XVIIIe et XIXe siècles.
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Dirk Van Hulle : Genesis, Translation and Cognition: Beckett’s Indecision-Making and Digital Genetic Editing
Making use of the Beckett Digital Manuscript Project’s first two modules (Beckett’s L’Innommable / The Unnamableand his last works; www.beckettarchive.org), the paper explores the exo-, endo- and epigenesis of Beckett’s bilingual works, paying special attention to moments of doubt and decision making in the translation process, as manifested in traces of creative undoing (cancellations, omissions, cuts, revisions). The awareness of manuscripts’ intellectual value culminates in the work of twentieth-century authors such as Samuel Beckett, who presented a new image of writers who fumble for words and therefore keep looking for them. This notion of continuous incompletion becomes even more striking if the genesis continues after publication, e.g. in the form of self-translation. A particularly interesting facet of genetic translation studies is the process of linguistic decision-making. The special case of Samuel Beckett’s works, however, forces us to also take into account the notion of ‘indecision-making’ and to investigate its interpretative relevance. The paper suggests a cognitive approach to genetic translation studies, to examine the role of hesitations and cancellations in enactive cognition on the basis of notebooks and drafts; and to explore the ways in which (and to what extent) this process of cognition can be made accessible to students and researchers in the form of a digital genetic edition.
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Christilla Vasserot : Traduction théâtrale et surtitrage : la remise en cause des choix. Le cas d’Angélica Liddell
S’agissant de traduction théâtrale, la question du choix est en partie liée au format sous lequel sera livrée cette traduction : un texte à dire, un texte à lire ? Une traduction pour la scène peut aussi être une traduction destinée à être lue. Tel est le cas du surtitrage, une pratique de plus en plus courante en France, pour laquelle les choix du traducteur sont doublement conditionnés : par le texte et par la scène. Nous avons ici choisi de porter un regard critique sur notre propre pratique de la traduction en nous penchant sur le cas particulier de l’Espagnole Angélica Liddell. Il permet d’envisager la question du choix en traduction en tenant compte de nouvelles contraintes, liées au fait que Liddell est tout à la fois auteur, metteur en scène et interprète de ses pièces. La traduire revient donc aussi, et inévitablement, à surtitrer ses spectacles. Les choix de surtitrage influencent-ils la traduction intégrale du texte ? Traduit-on l’auteur comme on surtitre la comédienne ? Les choix de mise en scène déterminent-ils ou remettent-ils en cause certains choix de traduction ? Telles sont les questions posées par la traduction du théâtre d’Angélica Liddell.
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Dirk Weissman : Entre confiance et contrôle : Paul Celan correcteur de ses traductions françaises
Les commentateurs de l’accueil de Paul Celan (1920-1970) en France ont souvent insisté sur le retard pris par l’édition française de son œuvre. Il est vrai que pendant longtemps le débat français sur cet auteur s’est déroulé sur une base textuelle extrêmement mince. Or rien ne serait plus faux que de conclure de cette sous-représentation sur le plan des publications à un manque d’intérêt pour l’œuvre de Celan en France. En effet, l’histoire de la réception française de Celan démontre que si retard il y a, celui-ci n’est pas uniquement imputable au système d’accueil, mais résulte également d’une attitude qu’on pourrait qualifier de protectionniste de la part du poète. Le souci de Paul Celan de protéger son œuvre et d’influer sur son image s’exprime notamment à travers ses interventions sur les traductions françaises de ses poèmes. Celles-ci ont en partie été massivement corrigées par ses soins, si bien qu’on peut parler dans certains cas d’une forme d’auto-traduction. Sur la base d’un examen de l’appareil génétique de certains de ces traductions françaises datant des années 1960, il s’agit d’analyser et d’interpréter les interventions de l’auteur, et d’en décrire l’évolution jusqu’à sa mort.