All. ? ; Angl. unfinished state ; Ar. ? ; Chin. ? ; Esp. ? ; Ital. ? ; Jap. ? ; Port. ? ; Rus. ?.
•État de ce qui n’a pas été mené à son terme. Dépréciatif dans l’usage courant.
• Incomplétude constitutive ou programmée de l’œuvre, ménageant l’espace d’une réception plurielle.
Hist.Dans la perspective organiciste classique définie dès la Poétique d’Aristote, l’œuvre n’existe qu’achevée, au double sens de la complétude et du « fini », l’inachèvement étant perçu comme l’interruption indésirable du processus génétique. Si la mort brutale de son auteur laisse parfois une œuvre en suspens (Camus, Le Premier homme), des disciples se sont souvent efforcés de pallier les effets d’un tel inachèvement : en littérature, par la rédaction de continuations (Honoré d’Urfé, L’Astrée), en musique où des fins s’inspirent d’esquisses de l’auteur (Mozart, Requiem ; Schubert, La Symphonie n° 10 ; Berg, Lulu), comme au cinéma (Orson Welles, It’s all true) – certains continuateurs s’attachant à retrouver l’« intention » dissimulée dans les manuscrits (Pascal, Pensées), hypostasiant les brouillons en texte (Proust, tomes posthumes d’À la recherche du temps perdu), ou encore agissant par délégation testamentaire (Stendhal, Lucien Leuwen). La valorisation de l’inachevé apparaît dès la Renaissance (Léonard de Vinci), avec le retour néoplatonicien à la divine furorcréatrice et l’émergence du génie opposé au fini artisanal. Les Esclaves de Michel-Ange profilent une poétique du non finito, que Rodin transformera en esthétique consciente et volontaire (La Porte de l’Enfer). Au xxe siècle, Sartre voit dans l’inachèvement (Les Chemins de la liberté, L’Idiot de la famille) la relance indéfinie de la pensée et du projet ; Valéry valorise la « fabrication » (1913), aux dépens de l’œuvre finie (« coque ou conque désertée ») ; Barraqué se dit musicien de « l’inachèvement sans cesse » (1960). La critique génétique, depuis vingt ans, souligne « la fragilité du modèle d’œuvre “achevée” » (L. Hay, 1986) et l’importance du non finitocomme inachèvement programmé dans l’écriture, chez Flaubert en particulier, où il coexiste avec le parachèvement de la forme(P.-M. de Biasi, id).
Théor.Présent dans le brouillon sous de multiples formes, tant au plan syntaxique et lexical que narratif ou thématique (interruptions, alternatives non résolues, raccords, doublons, lacunes…), l’inachèvement est inséparable de la dynamique même de l’écriture : le suspens, le projet ou le virtuel, le multiple et le métamorphique exemplifient quelques traits du « style » de l’inachevé (Herschberg Pierrot, 2005). Valéry, pour qui un poème « n’est jamais achevé » (1922), prône un paradoxe fondateur : « Le parfait impose l’inachèvement » (1937). Plus largement, toute œuvre, même publiée, exposée ou jouée, demeure inachevée tant que, d’une part, le décès de l’auteur ne met pas fin aux possibles remaniements et que, d’autre part, ses significations ne s’actualisent pas à travers l’attention esthétique d’un lecteur (l’« œuvre ouverte » d’Umberto Eco), d’un auditeur ou d’un spectateur. Les brouillons, les esquisses appellent à une relance des formes incomplètes, leurs lecteurs ou spectateurs participant ainsi, d’une certaine manière, au processus créateur. Dans l’œuvre achevée elle-même, les ellipses, lacunes et ambiguïtés ménagées à dessein par un écrivain dans le cadre d’une poétique du non finitosuggèrent la fécondité herméneutique de l’inachèvement. Enfin on ne confondra pas l’inachevé avec le fragmentaire, qui peut être fini du point de vue formel, et tenir lieu, métonymiquement, d’une totalité supposée.
Quest. Il n’est pas toujours possible de savoir si l’inachèvement relève de la circonstance (autres sollicitations ou projets, par exemple : ainsi le « faux départ » témoigne d’une réorientation du projet lui-même à l’orée de la genèse), d’un accident (interruption contingente, involontaire), ou s’il est d’ordre structurel : l’abandon d’une œuvre déjà avancée peut correspondre à une manœuvre dilatoire ou à un redéploiement, l’œuvre étant reprise plus tard sous une autre forme. Mais il peut s’agir aussi d’une impossibilité, voire d’un refus, de parvenir à la complétude : certaines œuvres accidentellement inachevées (la Recherchede Proust, le Moses und Aaronde Schönberg) étaient peut-être ainsi inachevables.

→ ABANDON, ACHEVEMENT, FAUX DEPART, NON FINITO, RESERVE

Auteurs :

Micheline Hontebeyrie

Nathalie Mauriac Dyer