Cristal et Clarie : une anthologie numérique collaborative
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Le Lion de la Froide Montagne (v. 4169-4236)
Une traduction d’ Ombeline Brouillaud, Olivér Csákány et Moritz Eberle.
Le mot des traducteur·ices :
Dans notre traduction, nous voulions à la fois garder l’unité du texte original et faire ressortir les particularités stylistiques de chacun·e d’entre nous. Pour ce faire, nous avons décidé d’adopter la versification octosyllabique du poème pour prouver qu’il est possible de garder et respecter la musicalité du texte original en français moderne. Cependant, notre proposition de traduction n’est pas homogène, et il est possible d’en distinguer trois mains. A savoir, le contraste entre les deux premières parties se marque par le traitement différent des temps verbaux, tandis que la partie finale est introduite par un vers blanc. Le résultat se présente donc comme une sorte de « champ d’expérimentation » ayant comme but de démontrer les différentes possibilités stylistiques et linguistiques d’une telle traduction. L’éventail va d’une traduction proche de la versification originale jusqu’à la rupture de cette structure par endroits (sans hésiter à ajouter des vers pour restituer le contenu dans tous ses détails), d’un lexique choisi, qui s’éloigne de la première version collective pour se rapprocher du caractère du texte original et pour respecter les normes métriques au maximum, jusqu’à l’essai d’une reproduction (du caractère) de la traduction faite en classe pour créer un lien entre les deux travaux.
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Copenhagen, Royal Library, Thott 143.2º, f. 163v.
Revenons à notre question,
A Cristal, dont nous vous parlons,
Qui rapidement a grimpé
La rude Montagne Glacée
Jusqu’au lion, sans s’arrêter.
Et quand Cristal l’a rencontré,
Vaillamment il l’a assailli,
Le lion fit de même aussi.
Or le lion, de faim mourant
Était fort, féroce, effrayant
Sur Cristal d’un bond il sauta,
Et férocement l’attaqua.
Cristal fut sauf en l’évitant ;
Son cheval était excellent.
Encore ils se sont attaqués
Et Cristal l’a si bien frappé
De l’épieu tenu dans sa main
Que son épaule il a atteint,
Et ouvert une laide plaie ;
A terre son sang ruisselait.
Le lion sent qu’il est blessé,
Il hurle et se met à crier
Bien fortement – rempli de rage
Il inflige bien de dommages,
Saute sur le brave Cristal
Qui se défend, mais son cheval –
Sa couverture déchirée –
Au flanc et poitrail est blessé.
Le chevalier, lui, craint donc fort
Pour son cheval et craint sa mort ;
Cristal frappe sans hésiter
Le corps du lion exposé,
Lui donne un grand coup sur la tête
Et coupe une oreille à la bête.
Brandissant l’épée, il lui troue
D’un autre coup toute la joue
De sorte qu’elle est transpercée.
La bête se met à hurler
Et à crier intensément –
Le lion souffre tellement
Qu’il ne sait même plus que faire ;
Cristal se retire en arrière
Et il descend de son cheval.
Il laisse paître l’animal
Pour mieux reprendre le combat
Et le lion le jette à bas ;
Voilà ses griffes enfoncées –
Cireux semble son bouclier –
Sautant sur lui dans son courroux,
Il force Cristal à genoux.
Mais il se lève, du fourreau
retire sa bonne arme blanche,
et le frappe si fort qu’il tranche
sa tête ainsi que ses deux pattes.
Alors le chevalier éclate
de joie : par les griffes pendues
restent les pattes à l’écu.
L’une apparaissait d’un côté
et l’autre de l’autre côté.
Cristal, en voyant la carcasse,
remercie Dieu et lui rend grâce.
Ensuite, il s’est intéressé
au cheval, craint qu’il soit blessé,
donc il l’a doucement scruté
mais nulle plaie il n’a notée
qui lui soit source de souci.
Sans tarder il s’en va ainsi,
sur son cheval qui a du zèle,
pour retrouver la demoiselle.
Mais il ne sait sous quels azurs
continuera son aventure.

Alençon, BM, 67, f. 70v.
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Les deux enluminures encadrant le texte donnent à voir le combat de David avec le lion. Toutes deux représentatives du style Channel, présent la région de la Manche à compter de 1175, elles sont issues respectivement d’un psautier anglais de la fin du XIIe siècle et d’un exemplaire des Commentaires sur les Psaumes de Pierre Lombard produit dans le Nord-Ouest de la France durant la première moitié du XIIe siècle. L’illustration de ce combat, rapporté notamment dans Samuel 17 : 34–40, représente souvent, conformément au texte, David entouré de ses moutons et affrontant en même temps le lion et l’ours. Ici, la lutte est singularisée et l’image insiste sur la dimension de duel entre le lion et David. Ce dernier, avec son épée et son grand bouclier, est représenté comme un chevalier, en particulier dans la deuxième enluminure où il ne porte pas la barbe ni la tenue antiquisante qu’il revêt dans le psautier. En ce sens, cette iconographie est apte à illustrer le corps-à-corps de Cristal avec le lion de la Froide Montagne et permet d’inscrire ce passage du roman dans la longue lignée des combats littéraires opposant le protagoniste à un lion.