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Le terrible Brias de la Montagne (v. 3375-3443)

Une traduction de Clément Gallet et Paul Tourel.

 

Le mot des traducteurs : 

Nous avons choisi de traduire ce passage du roman en vers libres par soucis de fidélité syntaxique et sémantique avec le texte d’origine. Les vers libres nous permettent de rendre justice à la fluidité de la narration qui est d’autant plus importante que l’extrait traduit correspond au récit de la naissance d’une confrontation soudaine qui contraste avec l’atmosphère sereine du début du passage.

La traduction proposée cherche à rendre l’atmosphère de la scène et à concilier la dimension écrite du roman et son caractère oral qui ressort dans la vivacité de la narration. Aussi avons-nous fait le choix d’unifier la plupart des formes verbales en optant pour une traduction mêlant imparfait et passé simple (là où le texte originel croise différents temps verbaux avec un usage du passé composé qu’il semblait difficile de conserver en français moderne, dans la mesure où les valeurs des temps sont moins souples qu’en ancien français et que le passé simple s’impose comme temps du récit). Toutefois, c’est à dessein que le présent de narration a été conservé pour mettre en relief certains moments du texte afin de rendre l’effet que son usage produit dans le texte source et pour restituer la dynamique et l’atmosphère de l’extrait en en conservant la vivacité qui rappelle la tradition orale du roman.

Par ailleurs, le choix de la représentation picturale, Yvain à la fontaine de Barenton, s’est imposé du fait de l’intertextualité qui anime le récit mythique du chevalier arrivant à une fontaine magique. L’extrait est effet un pastiche d’une scène du roman de Chrétien de Troyes Yvain ou le Chevalier au Lion, ce qui en fait un passage insigne du roman. Le tableau synthétise de nombreux éléments de la référence mythique à la fontaine de Barenton (la fontaine de marbre qui bout, l’insigne du lion, la présence du chevalier noir provoquant le duel…).

 

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Yvain à la fontaine de Barenton – Segment du tableau de l’église de Tréhorenteuc

 

Ainsi, il chevauche tout pensif,
Au loin, aperçoit un grand arbre,
Jamais il n’en avait vu de si beau.
À cet arbre était suspendu un écu d’or,
Sur lequel figurait un lion d’argent
Qui était de très bonne facture.
Cristal tourna sa bride vers ce lieu,
Et ne s’arrêta pas avant d’atteindre l’arbre.
Sous l’arbre se trouvait une fontaine,
Dont l’eau était très claire et très pure,
Et jaillissait, impétueuse,
Comme si elle bouillonnait ardemment,
Bien qu’elle fût plus froide que le marbre.
Le bel arbre lui faisait de l’ombre
À l’endroit où l’écu d’or était pendu.
On ne vit pas plus bel arbre,
Et jamais la nature n’en fit de plus beau,
Car en tout temps son feuillage persiste
En hiver comme en été.
Cristal le scruta, insistant,
Tout comme la fontaine, qui était belle,
Et jaillissait claire sur le gravier.
Il lui prit un grand désir de boire,
Et il descendit de sa monture,
Après avoir enfoncé sa lance dans l’herbe du pré
Où il avait attaché son cheval,
Il but l’eau de la fontaine
Autant qu’il voulut et à son gré.
Il s’y reposa un moment,
Si bien qu’il s’y assoupit un peu.
Et quand il se réveilla,
Non loin de lui il aperçut
Brias, le cruel, le déloyal,
Qu’il reconnut à son cheval,
Arrivant avec le fracas d’une tempête ;
Et qui ne s’arrêta pas avant d’atteindre la fontaine.
Quand il voit Cristal, il lui crie :
« Chevalier, montre-toi généreux
Et paie-moi ce que tu me dois ! »
Et Cristal, en généreux, lui lance :
« Seigneur chevalier, dites-moi
Ce que je vous dois,
Car je ne veux rien de ce qui est à vous,
Seigneur, si je ne le paie pas bien ;
Du bien d’autrui, je n’en ai cure,
Pourvu que Dieu me réserve une bonne fortune. »
Brias, le cruel, lui répondit :
« Laissez ici toutes ces armes
Et ce cheval, c’est ma juste redevance. »
– « En voilà une demande, »
Dit Cristal, « qu’elle est rude et sévère !
N’attendez pas de moi qu’un jour je m’en acquitte :
Comment pourrais-je me déplacer à pied ?
Mais soyez bon et généreux,
Et ne demandez rien à personne
Qui le conduise à l’affliction,
À défaut d’avoir un meilleur sens de la justice.
Et que Dieu lui réserve une mauvaise fortune
Et un grand déshonneur et un grand malheur
À celui d’après qui vous exercez ce droit.
Sachez-le, je ne vous donnerai rien de ce que j’ai :
Je défendrai mon bien de tout cœur contre vous ;
Quant à vous, efforcez-vous de protéger ce qui vous appartient,
Car j’entends bien l’emmener comme le mien.
Je ne sais pas, si c’est à un autre ou à moi qu’il reviendra
Quand je partirai d’ici. »
Et Cristal ayant dit ces mots,
Brias fut pris de rage
Et dit : « Chevalier, je vous défie. »