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Le château de l’enchanteresse (v. 1795-1895)

Une traduction de Félicité Beutter, Camille Coueignoux, Claire Pees et Antoine Vouhe.

 

Le mot des traducteur.ices :

« A la manière de Marlène Jobert »

 

En nous inspirant des supports audio et papier de la célèbre conteuse, nous avons choisi de présenter notre traduction sous des formes plastiques variées. Notre traduction en octosyllabes cherche à rendre justice à la forme poétique médiévale du texte d’origine : le rythme et la musicalité des vers nous a semblé conserver la dimension féerique de l’extrait en français moderne. En regard de cette traduction écrite, la mise en voix et en musique de notre extrait renforce le caractère poétique, tout en le rendant ludique et accessible. Les illustrations viennent colorer et compléter le montage audio : nous avons choisi un dessin fait main, écho aux livres d’enfants.

 

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(C’est un petit seigneur qui parle à Cristal.)

 

« Sire, il y a bien fort longtemps,
Voici au moins quatre cents ans,
Fut construit ce très grand château
Aux larges douves remplies d’eau :
Voyez encore sa prestance !
Un donjon, avec élégance,
S’élevait là, content nos pères.
Jamais un pont n’orna la terre
De ce haut lieu impénétrable
Sans le bateau inébranlable.
Sachez bien que, dans le bateau,
Se font craindre quatre animaux.
Deux léopards s’y trouvent, frères,
Mais en ce monde sans nul pair :
Ils ont causé tant de douleurs
Par leurs inouïes force et grandeur.
Il s’y trouve aussi deux dragons
D’une hideur sans comparaison,
D’une grandeur d’exception.
Ces bêtes, dans l’embarcation,
Sont quatre à garder le château
Dans lequel vit la demoiselle,
Qu’on pense fée tant elle est belle.
Elle compte ici-bas parmi
Les trois filles les plus jolies
Qui soient, étant nées d’une femme.
Tous les cœurs pour elle s’enflamment.
[…]La demoiselle est noble et sage,
Cher enfant d’un troyen lignage.
Aucun mariage à l’horizon,
Soyez-en sûr et sans soupçon.
Et pour lui tenir compagnie,
Elle a sa tante et sa magie.
Aucun objet de son désir,
Rien de ce à quoi elle aspire,
Ne peut lui être refusé :
Elle obtient tout, selon son gré.
On dit qu’elle a une corneille ;
Unique, inconnue des mortels ;
Elle a son bec tout serti d’or.
La corneille vaut un trésor.
Sa voix est des plus étonnantes :
Douce, sonore, et élégante.
Et chaque lieu qu’elle veut voir,
Elle y parvient, par son vouloir.
[…]La vieille femme et sa magie
Font de grands tours, et de génie :
Enchantements, incantations,
Rien ne résiste à son action. […]
Personne n’ose l’attaquer
De ce fait, pas même un guerrier.
Pourtant, son oracle lui dit
(ce qui lui cause un grand dépit)
Qu’un chevalier, et seul, viendra,
L’enchantement, le brisera,
Puis choisira que faire d’elle,
Et de ces bêtes si fidèles.
À son gré, il disposera
Du bateau, et pénétrera
De force l’imposant château,
Pour s’emparer du bel oiseau
— La corneille au bec tout doré –
Et de son trésor fort loué.
Maints chevaliers hardis, vaillants,
Forts, très courageux et prudents,
S’y sont rendus pour éprouver
Leur fier honneur et révéler
Si leur destin d’exception
Conduirait à la sujétion
Des bêtes gardant le bateau.
Mais nul ne partant à l’assaut
Ne put réussir à rentrer.
Avant que l’homme n’eut donné
Ne serait-ce qu’un piètre coup
Le valeureux était à bout :
Mordu, vaincu, taillé en pièces
Sous les dents des viles espèces,
Et dévoré… à chaque fois ! »
Alors Cristal dit : « Par ma foi
En Dieu, demain, je défierai
Ces monstres toujours indomptés !
Demain, j’aurai l’embarcation
Ou, vite, ils me dévoreront. »