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Plus de peur que de mal… (v. 959-1024)

Une traduction de Cécile-Marie Lajambe, Maël Lapierre, Pablo Pourtau-Burgos et Sofia Sadiq.

 

Le mot des traducteur·ices : 

Pour notre projet créatif, nous avons décidé de rendre en prose moderne notre projet afin de rendre le texte plus lisible et plus compréhensible. Nous avons gardé un style littéraire afin de conserver le mieux possible le registre épique de l’extrait et pour garder une plume claire. Le passage décrit une scène d’action entre énonciation au présent, posture du conteur et retranscription du talent stratégique de Cristal qui devine les actions du Géant. Ainsi, nous avons tenté de garder le plus possible les temps d’origine, afin de montrer la simultanéité de ces trois instances. L’idée d’illustrer des passages du texte nous est venu assez naturellement : d’abord l’affrontement chevaleresque nous figure de manière vive et facile à imaginer l’action du texte, ensuite le lien entre l’image et le texte dans le roman médiéval nous a semblé être important à retranscrire. Nous avons choisi une iconographie qui mêle représentations du Moyen Âge dans la littérature jeunesse (contes, BD…) et récit épique puisque, que comme le dit Michel Zink pour le Moyen-Âge au cinéma[1], cette période historique constitue dans nos imaginaires un lieu d’enfance, voire une double-enfance : enfance au sens de l’imaginaire jeunesse qui se nourrit d’inspirations médiévales pour construire du merveilleux, mais aussi enfance de la société occidentale qui y voit une sorte de mythe primitif.

[1] « Projection dans l’enfance, projection de l’enfance : le Moyen Age au cinéma », Les Cahiers de la cinémathèque, Le Moyen Age au cinéma, coordonné par François de La Bretèque, n° 2/43, été 1985, p. 5.

 

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Furieux, le géant crie et hurle avec une violence telle que son cœur manque d’éclater tant le cri le blesse violemment. Il leur dit qu’il traversera l’eau à la nage : il portera son gourdin sur lui, avec lequel il les fera beaucoup souffrir, il démolira la porte et abattra tout le pont. Alors qu’il se prépare et s’apprête, vous êtes sur le point d’entendre une histoire extraordinaire. Dans l’eau si agitée, le géant se lance tout droit. A son dos, il avait attaché son gourdin afin de ne pas l’oublier. Il traverse l’eau avec impétuosité et sans marquer le moindre arrêt. Il est arrivé à la porte, qui sera bien défendue par Cristal, posté au-dessus d’elle. Un grand javelot à la main, le chevalier s’avancera vers le géant si ce dernier s’approche. Le Géant, qui a cessé de crier, après avoir brandi haut dans les airs le gourdin, a frappé la porte d’un coup si fort qu’il la fend tout entière du poids du gourdin. Puis il porte un autre coup, si fort qu’il abat la porte intérieure ; et, quand le portier le voit, il commence à implorer :

 

 

Dieu, notre vrai Seigneur, donnez-nous du courage, ayez pitié de nos péchés, car je vois ma mort approcher, rien ne peut nous défendre.

 

Mon noble ami (rétorque Cristal) par Dieu, je vous vois ébahi ; mais avant toute chose, il lui faudrait déjà pouvoir s’approcher, si c’est bien par lui que nous devons mourir.

 

 

 

Alors que Cristal prononçait ces paroles, le Géant franchit la porte intérieure. Cristal, qui l’avait bien surveillé, ne manqua pas de le frapper : il avait déjà levé le bras droit, apprêté son javelot, avec lequel il frappe au niveau de la visière, entre les deux yeux, avec une telle force qu’il lui fait sortir son sang et sa cervelle par l’arrière de la tête, et le fait s’étendre, mort, à terre. Alors, il le blâme :

 

 

 

Géant, je vous demande une trêve ; aussi longtemps que vous dormirez, ne nuisez plus.

 

 

 

Dès lors, le portier est rassuré, le châtelain n’a plus peur : l’ennemi est mort, celui qui s’était emparé de sa contrée, son épouse et son château. Le châtelain s’est mis à genoux devant Cristal, ce noble jeune homme ; et, avec beaucoup d’insistance, il lui demande de lui donner son nom en signe d’amitié. Et Cristal ne lui cache pas le sien. Ils font grande joie toute la nuit ; il n’y eut plus personne pour les menacer.