Cristal et Clarie : une anthologie numérique collaborative
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Sale bête ! (v. 547-610)
Une traduction d’Anne-Solange Delerm, Jean Fondain et Mathilde Moizard.
Le mot des traducteur.ices :
Notre jeune prince, Cristal, tombé éperdument amoureux de la femme qu’il a vue en rêve, part à l’aventure dans l’espoir de la retrouver, accompagné de son écuyer Rigal. Alors que les deux hommes font halte dans une forêt, près d’une fontaine, ils sont surpris dans leur sommeil par un monstrueux serpent.
La transposition en alexandrin que propose cette traduction entend souligner l’intensité dramatique et le suspense de cette scène de voyage qui bascule dans l’horreur.
*** *** ***
Cristal est descendu au bas de son cheval,
Il n’a pour compagnie nul autre que Rigal.
Ce lieu inhabité, forêt au vert feuillage,
Est le gîte choisi des animaux sauvages :
Se partagent les lieux plusieurs ours et lions,
Tigres et léopards, et dangereux dragons.
Sous un chêne imposant à la vaste ramure
Chacun d’eux, arrêté, ménage sa monture.
Une source limpide affleurait près de là ;
Son eau étincelait, pure et pleine d’éclat.
Ils s’assirent enfin au bord de la fontaine
En tenant leurs chevaux par le bout de la rêne.
Paissant, les destriers trouvent là leur régal
Mais aucun aliment pour le pauvre Cristal !
En effet ils n’ont rien, leurs besaces sont vides,
Quoiqu’en aient bien besoin leurs estomacs avides ;
C’est depuis le matin qu’ils chevauchent sans fin
Sans avoir déjeuné, résistant à la faim.
Dessus leur bouclier les deux braves couchèrent
En vue d’enfin trouver le repos qu’ils espèrent.
Aussitôt allongés sur ce modeste lit
Fatigués et fourbus, chacun d’eux s’endormit.
Rigal, dans son sommeil, ronflait avec vacarme.
Mais un serpent les guette, eux qui sont sans alarme.
Sur tous les animaux faisant régner sa loi,
Le serpent monstrueux inspirait grand effroi
Au point que tous fuyaient, tremblant à sa venue.
Ô bête du démon, de l’Enfer apparue !
Ce serpent imposant, ses anneaux déployés
De la tête à la queue était long de vingt pieds.
Il rampa, silencieux, tout droit vers la fontaine,
Où Cristal et Rigal sommeillaient, sous le chêne.
Alors, à cet instant, le serpent aperçut
Les deux hommes couchés ; il se tint à l’affût
Écoutant, attentif, les ronflements du page.
Lors, la bête s’élance et se jette avec rage
Sur le pauvre Rigal qu’elle blesse aux côtés :
Au travers des entrailles les crochets sont entrés.
Alors Rigal hurle d’une voix si puissante
Que Cristal aussitôt à ce cri s’épouvante.
Il se lève d’un bond, porté par la fureur
Et la vue du démon le remplit de stupeur.
Il voit que le serpent de Rigal fait ripailles
Et avec cruauté lui pourfend les entrailles.
Par ce malheur soudain Cristal est dévasté :
Voilà le bon Rigal qui vient de trépasser.
Mais Cristal n’était plus que désir de vengeance ;
Ce dernier s’écarta et s’arma en urgence
Voulant rendre justice à son page et ami.
Mon Dieu, Roi de Gloire, apporte ton appui
A Cristal et permets qu’il pourfende la bête –
Lui qui ne savait plus où donner de la tête.
Car le vilain serpent, méchant et malfaisant,
Cruel et repoussant, venimeux et puissant,
A occis des mortels, par dizaines, par centaines.
Selon son habitude il vient à la fontaine
Quatre fois du couchant jusqu’au lever du jour.
Ainsi nul n’a trouvé le chemin du retour :
Hommes et bestiaux en ont été victimes,
Elle les a dévorés, ne comptant plus ses crimes.
Et tous les animaux évitaient le serpent
Partout où ils savaient qu’il allait en rampant.

Image générée par IA.