Les grandes études de genèse sur le dossier manuscrit de L’Éducation sentimentale (1985‑1995)

Introduction

Comme on a pu le voir, le centenaire de Flaubert a eu un important retentissement au sein de la critique. 1985‑1995 tire donc les bénéfices de l’intérêt que le centenaire a suscité chez les critiques, et notamment chez les jeunes chercheurs. Après 1985, on voit la publication des premières grandes études de genèse sur L’Éducation sentimentale. À cette date, si l’on possède quasiment toutes les pièces du dossier, on aura cependant remarqué que quelques fragments autographes relatifs au roman, issus de la vente Franklin‑Grout (Drouot 1931), continuent à passer dans les ventes publiques (ex : vente Drouot 1987)1. Cette période (1985‑1995) est surtout marquée par la parution de deux importantes éditions de manuscrits : l’édition des Carnets de travail de Flaubert (1988)2 et l’édition des scénarios de L’Éducation sentimentale (1992)3. Entre‑temps, le tome III de la Correspondance de Flaubert pour la collection la Pléiade (1991)4 qui embrasse la période de rédaction de L’Éducation sentimentale (1859‑1868) est publié. Cette décennie est également celle des premières entreprises universitaires (thèses et mémoires) en critique génétique sur le roman parisien. Et, parallèlement à ces travaux, on assiste à une multiplication des publications ponctuelles (plus d’une trentaine) sur le dossier de rédaction de L’Éducation sentimentale, dans le cadre de revues, de colloques internationaux sur Flaubert (Flaubert e il pensiero del secolo, 1984)5 ou dans des volumes de critique génétique (La Naissance du texte, 19876 ; Manuscripts and literay History, 1988)7.

Du nouveau dans la Correspondance de Flaubert

Sur la genèse de L’Éducation sentimentale (1985)

En 1984, au colloque Flaubert e il pensiero del secolo organisé à l’Université de Messine, J. Bruneau tient une conférence sur la question de la genèse scénarique de L’Éducation sentimentale : le moment qui précède la rédaction proprement dite, soit la période de la vie de Flaubert qui s’étend de 1862 à 1864. À ce moment, il faut savoir que le critique est en train de travailler au tome III de la Correspondance (Pléiade, 1991) et c’est notamment à l’aide de lettres « inédites » qu’il tente d’éclaircir et de reconstituer la chronologie de la genèse du roman. Cette conférence est publiée en 1985 sous le titre « Sur la genèse de L’Éducation sentimentale (avec des documents inédits) »8 dans le recueil collectif publié par l’Université de Messine. Dans une analyse fondée sur des lettres de Louis Bouilhet à Flaubert, extraites de la collection Lovenjoul (dont certaines avaient déjà été citées par B. F. Bart), J. Bruneau confirme l’hypothèse de A. Raitt selon laquelle la date de conception du projet de L’Éducation sentimentale est l’année 1862, et non 1863 comme le soutenait M.‑J Durry9. J. Bruneau propose ainsi trois étapes dans la mise en place du roman parisien : « mars‑mai 1862 » pour la conception, « décembre 1862‑juin 1863 » pour l’hésitation entre les deux romans (Bouvard et Pécuchet et L’Éducation sentimentale) et enfin « février‑septembre 1864 » pour l’établissement des plans. Puis, en fonction de ces trois phases de la genèse, l’auteur propose de dater les différents plans du roman. S’appuyant donc sur une lettre de Bouilhet à Flaubert datée du 15 décembre 1862 dans laquelle il est question de l’ajout de « l’ami » (Deslauriers), le critique date les plans « Durry » (Carnet 19) de la première phase de la genèse et en déduit que la fameuse note du Carnet 2 (« 12 décembre 1862 m’être mis sérieusement à mon roman parisien ??? ») renvoie bien à L’Éducation sentimentale. Cependant, d’après J. Bruneau, les plans correspondant à la seconde phase de la genèse (c’est‑à‑dire le moment où Flaubert ajoute les autres personnages du roman et notamment « l’ami ») ont sans doute été perdus car, comme il le fait remarquer, les scénarios d’ensemble (qui correspondent à la troisième phase de la genèse) présents à la Bibliothèque Nationale sont très avancés par rapport au scénario initial. Cet article de J. Bruneau fait date dans les études sur la genèse de L’Éducation sentimentale. Il est une référence pour qui s’intéresse à cette période (1862‑1864) d’avant la rédaction proprement dite du roman.

Le tome III de la Correspondance de Flaubert dans la collection de la « Pléiade » (1991)

En 1991, le tome III de la Correspondance de Flaubert dans la collection de la Pléiade est publié. Ce volume porte sur la période de rédaction de L’Éducation sentimentale (janvier 1859‑décembre 1868). Il contient l’ensemble des lettres de Flaubert pour cette période dont 74 lettres inédites. Le texte a été revu sur les autographes et complété. Des lettres sans date ont été datées comme une lettre de M. Du Camp à Flaubert (déjà citée par J. Suffel)10 contenant des informations, pour le roman, sur les journées de juin. De nombreuses dates ont été modifiées, et certaines de ces révisions ne sont pas sans conséquence sur notre connaissance de l’œuvre de 1869. À ce sujet, on relèvera l’exemple pris par C. Gothot‑Mersch dans son compte rendu11 de l’édition, où elle pointe une lettre à Feydeau datée jusqu’alors de 1868 où Flaubert écrit : « l’exécution est de plus en plus difficile à mesure que j’avance, parce que j’ai vidé mon sac et qu’il doit avoir l’air encore plein » et, pour laquelle, J. Bruneau propose la date du 18 janvier 1862 (éd. Pléiade, p. 200) Comme le fait remarquer C. Gothot-Mersch, cette nouvelle datation permet de ne plus appliquer cette réflexion à L’Éducation sentimentale, mais à Salammbô… Ce volume contient également de nombreuses lettres et extraits de lettres inédites de correspondants, répartis soit dans les notes, soit dans le corps du texte lui‑même (en caractère plus petit), et dont certains sont particulièrement intéressants pour le travail de rédaction de L’Éducation sentimentale. On notera l’importance du paratexte : les annotations (pratiquement inexistantes dans les éditions précédentes) sont particulièrement fournies. En fin d’ouvrage, on trouve diverses notes (historiques, biographiques) qui tentent d’éclairer la lettre et son contexte, et des informations sur des autographes non retrouvés. Se trouvent également deux appendices contenant des lettres et extraits de lettres de M. Du Camp (notamment des lettres extraites du manuscrit autographe volume XIII [17611]) et de L. Bouilhet adressées à Flaubert, ainsi que tous les extraits du Journal des Goncourt qui relatent les phrases ou les discours de Flaubert pour la période. L’édition de J. Bruneau constitue une avancée considérable dans le domaine du témoignage épistolaire sur la genèse. Cependant, un nombre important de points restent discutables : les notes d’éclaircissement portent très peu d’intérêt aux manuscrits et certaines datations ont, depuis, été remises en cause. La méthode de J. Bruneau se rapproche plus de l’histoire littéraire traditionnelle et biographique que d’une approche génétique des documents.

Les éditions de manuscrits de L’Éducation sentimentale (1988‑1992)

L’édition des Carnets de travail (P.‑M de Biasi, 1988)12

Entre‑temps, en 1988, on voit la publication d’une importante édition critique et génétique : les Carnets de travail de Flaubert, établie par un spécialiste des manuscrits flaubertiens et de la critique génétique, Pierre‑Marc de Biasi. Cette édition « monumentale » de mille pages crée l’événement lors de sa parution. P.‑M de Biasi propose, non seulement la transcription intégrale de l’ensemble des dix‑huit Carnets de travail de Flaubert, mais aussi un appareil critique conséquent. On notera que l’on doit au chercheur la formule Carnets de travail (p. 39). Jusqu’à cette date, comme on a pu le voir, on connaissait les Carnets sous l’appellatif, assez vague et plutôt inexact de Carnets de « notes de lectures » que l’on devait à un bibliothécaire anonyme de la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris. Comme le fait remarquer P.‑M de Biasi, la nature des notes contenues dans les Carnets est multiple et ne se limite pas aux seules « notes de lecture », notamment dans le cadre de L’Éducation sentimentale puisque les Carnets contiennent des scénarios, des notes de repérages, d’enquête sur place, des notes biographiques, etc. Le chercheur a donc choisi l’appellation « note de travail » qui semble mieux correspondre à ce corpus. Comme on a pu le voir, avant l’édition de P.‑M de Biasi, les Carnets de Flaubert étaient connus des spécialistes grâce à l’édition partielle de M.‑J Durry et celle du Club de l’Honnête Homme13. Si l’édition de M.‑J Durry est particulièrement bien menée, elle ne couvre, en revanche, que trois Carnets de Flaubert ; quant à l’édition « intégrale » des Carnets, établie par M. Bardèche, elle est en réalité incomplète et trop souvent fautive, sans parler du défaut total d’appareil critique, pour fournir un matériau fiable qui puisse permettre l’exploitation génétique de ce corpus : un « anti‑modèle » pour P.‑M de Biasi (p. 37). Dans une préface d’une centaine de pages (pp. 7‑118), P.‑M de Biasi fait état du corpus, retrace le parcours historique des Carnets, définit leur statut et leur rôle génétique et explique la méthode employée pour en faire l’analyse. Deux tableaux (p. 52‑53) situent les Carnets dans une chronologie de la production de Flaubert. Si la numérotation n’a pas changé14, le classement, en revanche, ne suit plus l’ordre numérique des Carnets (comme c’est le cas dans l’édition du Club de l’Honnête Homme) mais un ordre chronologique selon une typologie précise qui fait apparaître trois grandes familles de documents aux caractéristiques bien distinctes : les « carnets d’idées », les « carnets de projets » et les « calepins d’enquêtes » (selon la terminologie du chercheur). Les Carnets sont regroupés dans l’ordre de leur apparition autour des grandes œuvres de Flaubert avec pour chacune des points de repères chronologiques, génétiques et biographiques. Le principe d’édition (pp. 101‑119)  adopté pour chaque Carnet est le suivant : une description du Carnet qui fait état de l’aspect matériel, du nombre de folios et des lacunes15 ; une datation du Carnet qui présente son contenu en établissant une continuité entre la vie de Flaubert, l’œuvre et le Carnet en question ; un synopsis, sous forme de tableau récapitulatif qui résume le contenu de chaque folio ou groupe de folios d’un Carnet en le rapportant aux passages concernés dans l’œuvre et dans la rédaction ; et la transcription du Carnet à laquelle s’ajoute une abondante annotation. Deux types de notes sont proposés : des notices « manuscriptologiques » qui concernent la transcription du manuscrit, des notices « d’éclaircissement » dans lesquelles on trouve des notices historiques, bibliographiques, chronologiques, biographiques et génétiques. On s’intéressera particulièrement aux notices « génétiques » qui mettent en évidence les relations génétiques entre les Carnets et les œuvres (p. 117) : lorsqu’une note se retrouve « presque sans transformation majeure » dans le texte définitif, P.‑M de Biasi propose la citation intégrale du passage du texte définitif qui correspond à la « note‑source ». Enfin, en ce qui concerne la transcription, le texte des Carnets est présenté folio par folio, et chaque folio est soigneusement cloisonné par un cadre fermé. Le principe de transcription utilisé est semi‑diplomatique avec un code simplifié. P.‑M de Biasi a tenté de reconstruire « l’image physique du folio » (p. 110) et abandonnant, de ce fait, l’image d’un « texte continu » tel que le donnait l’édition de M. Bardèche. Cette édition a été l’occasion de repérer certaines omissions, de corriger plusieurs grosses fautes de lecture présentes dans les éditions antérieures et notamment dans l’édition du Club de l’Honnête Homme (p. 35), mais aussi de mettre en évidence des biffures comme un petit « lapsus » contenu dans le scénario initial de L’Éducation sentimentale (Carnet 19) : la biffure (p. 64) du « r » pour transformer « phrase » en « phase » dans « Montrer que le sentimentalisme (son développement depuis 1830) suit la politique et en reproduit les phases » (f°38v°). Aucun éditeur n’avait encore prêté attention à ce « lapsus » qui est pourtant, comme le fait remarquer P.‑M de Biasi, un signe annonciateur du parallélisme des phraséologies politiques et amoureuses qui se jouent dans le roman. En ce qui concerne le roman de 1869, le critique revient sur la question de la datation du scénario initial, et met en doute le fait que Flaubert ait écrit le premier plan en février‑mars 1862. Il propose une autre idée :

« ces projets de romans, et peut‑être celui de L’Éducation sentimentale également, pourraient bien dater de l’été 1862, et avoir été écrits petit à petit entre juillet et octobre » (p. 252)

Sur le contenu des Carnets, et notamment des Carnets de projets, on apprend, par exemple, que certaines notes du Carnet 2 (outre le f°47v° bien connu des flaubertiens) pourraient éventuellement se référer au roman parisien, mais sans pour autant qu’il soit facile de le prouver (p. 204). Sur les Carnets d’enquête relatifs à L’Éducation sentimentale, le chercheur fait une importante révélation. On apprend que le Carnet 13 (1865‑1866), classé par erreur parmi les Carnets de voyage, n’est pas le premier des calepins d’enquête du roman et qu’il existe un Carnet, aujourd’hui disparu, qui contiendrait des notes prises par Flaubert pendant la première année de préparation et de rédaction du roman des premiers chapitres de la première partie du roman entre « l’été 1864 et l’été 1865 ». Du reste, une citation de R. Dumesnil dans son édition des Belles Lettres 1942 atteste l’existence de ce Carnet : elle est reproduite in extenso par P.‑M de Biasi (p. 449). Comme on l’a déjà évoqué au sujet de la question des Carnets dans notre première partie (1880‑1975)16, P.‑M de Biasi suppose que ce Carnet a été subtilisé ou, éventuellement perdu, lors du transfert des Carnets du Musée Carnavalet à la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris. Quant à l’appareil critique, les annotations qui accompagnent les transcriptions des quatre calepins d’enquête de L’Éducation sentimentale (Carnets 8, 12, 13 et 14)17 permettent de rectifier quelques erreurs. Dans une note (p. 348), P.‑M de Biasi corrige les propos d’A. Cento qui attribue une note du Carnet 13 (f°28v°) aux déclarations de Sénécal (III, 1). Le chercheur montre que le Carnet 13 n’a servi que pour la première et deuxième partie du roman et, pour ceux qui objecteraient le fait que Flaubert aurait très bien pu revenir « piocher », au cours de sa rédaction, dans le Carnet 13, il précise que la source du fragment évoqué par A. Cento se trouve « textuellement » dans le Carnet 14. D’autres annotations sont aussi l’occasion pour le chercheur de préciser la destination souvent difficile d’une « note‑source » (p. 400) ou encore de mettre en évidence la fonction du calepin d’enquête qui, par définition, est bien plus qu’un simple matériau documentaire sinon un véritable document de rédaction. Si certaines notes topographiques (les notes sur la ville de « Chartres » consignées dans le Carnet 13) prises par Flaubert n’ont pas servi pour la narration, en revanche, d’autres calepins, comme le Carnet 12, connaissent un autre sort, ce que P.‑M de Biasi nomme, d’une manière amusante, la « technique du citron pressé » (p. 86) qui correspond à une exploitation systématique du matériau documentaire : toutes les notes sont intégrées à la rédaction. Si des notes subissent de multiples transformations au moment de leur insertion dans le récit : l’exemple sur « les cannes à épées et poignard » (Carnet 14) ; d’autres, au contraire, s’intègrent presque textuellement dans le roman (notes de repérage prises au cimetière du Père‑Lachaise contenues dans le Carnet 12). P.‑M de Biasi montre également que « la note d’enquête se met parfois à jouer dans la rédaction un rôle qui dépasse de loin sa fonction documentaire » : c’est ainsi que le nom de l’auberge, notée par Flaubert dans son Carnet 12, « À la bonne matelote », se retrouve par métonymie réintroduit dans le menu de Rosanette et Frédéric lors de leur escapade amoureuse à Fontainebleau « une matelote d’anguilles », etc. On pourrait multiplier les exemples car cette édition n’est pas seulement une édition de Carnets, mais un véritable vivier de réflexions critiques et génétiques sur le traitement du documentaire et la pratique de la note d’enquête. D’ailleurs, sur cette question, on retiendra trois autres études du même chercheur, publiées entre 1989 et 1991, dans lesquelles on trouve très souvent des remarques sur les calepins d’enquête de L’Éducation sentimentale : « La notion de « carnet de travail » : le cas Flaubert »18 et « Les « carnets de travail » de Flaubert : taxinomie d’un outillage littéraire »19 ; ainsi que « L’esthétique référentielle. Remarques sur les Carnets de travail de Gustave Flaubert »20. Ces articles abordent la question de la classification et de la typologie critique des Carnets, leurs caractéristiques, la fonction génétique des notes, ainsi que la question de l’esthétique documentaire. Dans une autre étude (multiple microgénétique), parue en 1990, sur le thème de la topographie parisienne : « La traversée de Paris de Gustave Flaubert (l’image de Paris dans les Carnets de travail) »21, le critique aborde l’analyse des notes de repérages prises par Flaubert (Carnet 13) lors du trajet en fiacre qu’il effectua le 3 février 1866 entre le pont de Charenton et le jardin des plantes pour le début de la seconde partie du roman (II, 1) : le moment où Frédéric qui vient d’hériter, quitte Nogent et arrive aux abords de la capitale. P.‑M de Biasi tente d’éclairer la méthode de travail de Flaubert lors de la prise de note de repérage et montre notamment que le travail d’enquête sur place est très souvent chez Flaubert un « exercice de simulation » (p. 105). Cet article est le point de départ d’une analyse qui se développera dans une édition ultérieure (voir plus loin). Notons également, du même auteur, la publication en 1993 d’une édition du texte22 (petit format) publiée au Seuil. Cette édition (691 p.) contient des notes, une chronologie et une postface. La petite postface et les notes proposent une synthèse des avancées de la recherche sur le roman ainsi que des références précises aux calepins d’enquête de L’Éducation sentimentale.

Avant de clore cette partie consacrée aux éditions des Carnets de Flaubert, il faut mentionner l’ouvrage de synthèse sur le roman parisien de Pierre‑Georges Castex paru en 1989 sous le titre Flaubert. L’Éducation sentimentale23. Il s’agit d’une réédition revue et corrigée d’un ouvrage paru en 1980, l’année du centenaire, lui‑même version refondue et mise à jour d’un cours de Sorbonne de 1959, publié entre 1960 et 196124. Cet ouvrage propose une vue d’ensemble du roman pour qui veut mieux connaître L’Éducation sentimentale. L’auteur fait la synthèse de nombreux thèmes (l’autobiographie, l’Histoire, les personnages, etc.), propose, entre autres, un commentaire du Carnet 19, donne des informations sur les sources documentaires (se fondant sur les principales analyses de S. Buck, G. Guisan, A. François, A. Cento, A. Raitt), relève et commente certains détails contenus dans les Carnets de travail. On s’arrêtera notamment sur le commentaire de la promenade de Frédéric et Rosanette à Fontainebleau (III, 1) dans lequel, à partir de quelques exemples de notations relevées, ça et là, dans le Carnet 12, P.‑G Castex tente d’analyser la façon dont le texte définitif du passage a été élaboré. Mais il ne s’agit pas d’un commentaire génétique. Autre remarque : dans la partie de l’appendice intitulé « Documents », le critique propose la « transcription » de trois Carnets de notes 8, 12 et 1425. S’il prend en compte les corrections apportées par P.‑M de Biasi au « texte » des Carnets, en revanche, il ne propose aucun code de transcription et cette dernière ne respecte pas la disposition du folio donnant à voir un texte continu (non folioté) qui rappelle étrangement celui de l’édition des Carnets du Club de l’Honnête Homme. On ajoutera que cet « appendice » contient également une très brève description des « dossiers de Rouen » dans laquelle P.‑G Castex précise rapidement le contenu des folios du volume 4 du dossier préparatoire de Bouvard et Pécuchet, mais, en revanche, et l’on ne comprend pas pourquoi, il ne donne pas la numérotation des folios pour les autres notes auxquelles il fait référence. De ce point de vue et, étant donné les avancées des recherches en génétique sur le roman, ce petit ouvrage à vocation scolaire et universitaire mériterait certainement une troisième révision26

L’édition des scénarios de L’Éducation sentimentale (D. A Williams, 1992)

Quatre ans après l’édition des Carnets, en 1992, paraît l’édition des scénarios de L’Éducation sentimentale présentée et établie par David Anthony Williams. Avant de passer au descriptif de cette édition, il faut mentionner certains travaux publiés par ce chercheur sur l’étude des brouillons du roman parisien et particulièrement sur la question de la génétique scénarique. D. A. Williams est notamment l’auteur d’un ouvrage paru en 1987 sous le titre The Hidden Life at it’s Source : A study’s of Flaubert’s « L’Éducation sentimentale »27. Dans cet ouvrage, D. A. Williams aborde la question de la psychologie des personnages et de la cohérence du récit de L’Éducation sentimentale. En se fondant sur les écrits de E. M Forster (Aspect du roman) et sur ceux de Freud sur les forces inconscientes, le chercheur tente de révéler la dimension psychologique complexe du roman parisien grâce à l’étude critique du texte et à l’analyse des manuscrits.

On retiendra principalement le chapitre consacré aux plans du roman « The Planning of Education sentimentale ». Après avoir réalisé un bref rappel de la genèse d’avant la rédaction proprement dite du roman, D. A. Williams propose un commentaire de l’ensemble des plans et scénarios : il en examine la structure et le contenu, et tente de mettre en évidence la détermination de Flaubert à construire son roman sur des bases psychologiques solides et à donner une certaine cohérence au récit. Le chercheur propose un relevé commenté, dans les scénarios d’ensemble, des notes de Flaubert concernant le portrait psychologique des personnages afin de comprendre comment se tissent les relations complexes entre les personnages. L’étude des scénarios d’ensemble montre qu’à ce stade de la genèse, Flaubert cherche à créer un univers cohérent et dote ses personnages d’une base psychologique solide : « (…) the essential function of the scenario is to establish a clear and coherent pattern of events, consistent with the characters presented » (p. 56). L’étude des scénarios partiels montre également que Flaubert continue à développer le contenu de son intrigue, les liens entre les événements et les motivations de chacun des personnages. Aussi D. A. Williams s’interroge‑t‑il sur cette façon de procéder « étonnante » lorsqu’on sait que la plupart de ces développements, présents dans les scénarios, disparaissent dans la version définitive. Selon le généticien, il s’agit moins pour Flaubert d’une volonté de créer, dans les scénarios, un véritable fond balzacien (qu’il déconstruit par la suite) que d’un réel besoin de maîtriser totalement son œuvre : c’est connaître dans les moindres détails ce qu’il va s’exercer à cacher au cours de la rédaction du roman. Dans le prolongement de son travail, « La Structuration du récit dans les scénarios de L’Éducation sentimentale »28 ouvre la voie à une étude approfondie de la génétique scénarique de L’Éducation sentimentale. D. A. Williams pointe ici une première approche générale qui viserait à analyser le rôle des scénarios dans la planification du roman et une analyse détaillée sur la façon dont la narration a été élaborée à travers les plans et scénarios. Les deux études de D. A. Williams sur les aspects du travail scénarique de Flaubert viennent, en quelque sorte, contrebalancer, d’une manière générale, la tendance de la critique moderne qui ne voyait que l’aspect opaque des œuvres de Flaubert (aspect qui a, du reste, fait de Flaubert, un écrivain de la modernité).
Revenons à l’édition des scénarios. Dans sa préface (pp. 7‑29), le critique revient sur les différentes étapes de la genèse du roman et, pour chacune, émet des hypothèses sur les parties du dossier génétique lui correspondant29. Il donne également des informations précises sur l’aspect, le contenu et les lacunes concernant les différentes pièces du corpus (pp. 19‑22), notamment les scénarios d’ensemble : « aucune de ces quatre grandes chaînes avant‑textuelles n’est complète » (p. 19). En revanche, l’ensemble des scénarios « détaillés » apparaît quasi complet. Il fait une remarque intéressante sur les scénarios « très détaillés » (ceux qui couvrent tout un chapitre) : aucun scénario détaillé n’existe pour les quatre premiers chapitres de la première partie. Sur ce point, D. A Williams ne retient pas l’hypothèse de la disparition. D’après le chercheur, il se pourrait que ces scénarios n’aient jamais existé : « un certain nombre de scénarios détaillés relatifs à ces chapitres ont‑ils été perdus ou, ce qui semble plus probable, Flaubert avait‑il adopté un système différent au début ? » (p. 20). Pour pallier cette absence, D.A. Williams publie trois ébauches ou esquisses (« Appendice » III, pp. 347‑357) qui traitent respectivement des chapitres II, III et IV de la première partie, et ajoute des reproductions photographiques du premier scénario d’ensemble du roman (pp. 359‑374). Ces reproductions photographiques permettent de restituer leur singularité visuelle aux scénarios. Toujours en annexe, dans le premier appendice, on trouve la transcription semi‑diplomatique du scénario initial contenu dans le Carnet 19 (D. A. Williams reproduit à l’identique les transcriptions proposées par P.‑M de Biasi dans son édition des Carnets de travail) et dans le second appendice, la transcription linéarisée des quatre résumés du roman (ffos106, 105, 107, 31, 108). En ce qui concerne l’établissement du « texte », si la séparation entre scénarios d’ensemble et scénarios « détaillés » est clairement établie, en revanche, celle entre les scénarios « détaillés » et, ce que D. A. Williams nomme les scénarios « très détaillés », l’est beaucoup moins. On peut se demander en quoi notamment les scénarios « très détaillés » se distinguent de ce que la critique génétique appelle depuis le début des années 1980 « scénarios développés » dans cette étape génétique décrite comme celle de l’avant‑texte30. De la même manière, on regrette que le texte du folio ne se détache pas plus (visuellement) des commentaires de l’auteur. Au demeurant, cette édition, peu annotée, ne met que très rarement en rapport les scénarios avec le texte définitif et, encore moins souvent, avec d’autres phases de la genèse. Dans son compte rendu de l’édition, le chercheur E. Le Calvez fait notamment remarquer, avec raison, que cette absence de commentaire ne permet pas de juger du « phénomène de va‑et‑vient entre les scénarios, ébauches et brouillons »31, même si, du reste, cet aspect de l’écriture flaubertienne a été signalé par D. A. Williams en amont, dans son introduction (p. 17). Quant au principe de transcription, Williams a choisi d’adopter un mode de transcription linéarisée pour des raisons de « lisibilité » (p. 23‑24) :

« une transcription trop fidèle risque d’être peu lisible et une transcription trop lisible risque d’aplatir les irrégularités et ôter les bizarreries qui font le charme d’un document manuscrit ».

Quand les dimensions du dossier édité le permettent, il est toujours préférable de recourir à la formule : fac‑similé accompagné de la transcription diplomatique du folio. Mais, bien entendu, ici, s’agissant d’une publication de plus d’une centaine de folios, sous format papier, l’économie spatiale s’imposait et il était difficile d’échapper à la linéarisation. En revanche, une édition numérique libère de ces contraintes spatiales, et comme on le verra plus loin, dans les exemples transcrits sur son site internet, D. A. Williams offre quelques transcriptions (diplomatiques) de scénarios. Si une transcription diplomatique demande beaucoup plus d’espace qu’une transcription linéarisée, en revanche, la transcription diplomatique respecte la dynamique du manuscrit. Pour reproduire cette « dynamique » du folio, D. A Williams a choisi de transcrire le premier jet en italique. C’est une option intéressante car, comme le chercheur le fait remarquer, l’usage de l’italique permet plusieurs lectures (p. 24), mais qui présente cependant, deux difficultés : celle de naturaliser, comme premier jet, ce qui reste au fond une interprétation du critique et, celle d’embrouiller la lisibilité de la transcription en utilisant une différenciation typographique trop insistante.  Avant de clore cette partie, il faut mentionner deux aspects de l’édition : le classement et l’état du corpus. En ce qui concerne le classement, le chercheur n’a pas choisi l’ordre imposé par la Bibliothèque Nationale. Dans ses précédents travaux, il avait notamment rétabli l’ordre chronologique des scénarios et démontré que ce qui avait été classé par la BN comme étant la première série était, en fin de compte, la seconde : les folios (ffos 65‑104) ont été rédigés avant les folios (ffos 1‑64)32. Dans l’édition, les scénarios ont donc été classés selon les différentes phases de la genèse scénarique établie par Williams d’après la Correspondance de Flaubert. Avec ce classement, D. A. Williams a tenté de rendre compte des « syntagmes génétiques » c’est‑à‑dire de l’enchaînement des folios « qui constituaient, avant d’être disloqués, des scénarios continus ». Quant à l’état du corpus, le critique fournit un bilan aussi détaillé que possible des éléments de cette première phase génétique de la rédaction, mais certains commentateurs ont jugé que son inventaire n’était pas absolument complet. D’après le compte rendu de l’édition proposé par Le Calvez, il semble que D. A. Williams n’ait pas tenu compte d’un « jeu » (selon l’expression du chercheur) de scénarios qui se trouve disséminé dans les brouillons de L’Éducation sentimentale ; ce qui rend cette édition incomplète et peut, éventuellement remettre en question (en partie) l’ordre chronologique du classement. À la décharge de D. A. Williams, rappelons que le critique entendait publier les plans et scénarios, sans s’occuper des esquisses disséminées dans les brouillons (outre la publication de quelques ébauches relatives à la première partie pour pallier l’absence des scénarios détaillés)33 : la question qui reste à poser serait de se demander en quoi ces documents génétiques intermédiaires que Williams évalue à plus d’une centaine appartiennent ou non à la phase « pré‑rédactionnelle » ou « rédactionnelle ». La question de l’édition génétique suppose un éclaircissement typologique et une homogénéité dans la terminologie qui, en 1992, étaient loin d’être achevés34.

Les premiers travaux universitaires en génétique sur L’Éducation sentimentale

Les travaux de Kazuhiro Matsuzawa (1988‑1992)

La même année que l’édition des scénarios, le chercheur Kazuhiro Matsuzawa a publié une version remaniée et amplifiée de sa thèse soutenue en mai 1988 à l’Université Paris VIII sous la direction de Claude Duchet, intitulée Étude critique et génétique des manuscrits de L’Éducation sentimentale de Gustave Flaubert l’amour, l’argent, la parole ‑(800 p.). Cette thèse est particulièrement importante, car c’est le premier travail universitaire qui s’intéresse de près aux manuscrits autographes de L’Éducation sentimentale. L’ouvrage est donc publié en 1992, en deux volumes, sous le titre Introduction à l’étude critique et génétique des manuscrits de L’Éducation sentimentale ‑ l’amour, l’argent, la parole 35. Il constitue à la fois une édition de manuscrits et une analyse critique et génétique du roman. Le premier volume contient une préface de P.‑M de Biasi sur les objectifs et les méthodes de la génétique littéraire (I, pp. 13‑21). Dans la première partie, K. Matsuzawa se penche sur le scénario initial et rappelle brièvement la question épineuse de la datation de la conception du roman et les avancées de la recherche sur le sujet. S’il reprend fidèlement l’analyse de J. Bruneau pour ce qui est du traitement de l’adultère et de la scène de la dernière rencontre (I, 6), le généticien propose cependant un troisième point jusque‑là passé inaperçu auprès de la critique : la dimension économique de l’intrigue (I, pp. 50‑53). Il montre notamment que si l’idée d’une dernière entrevue est bien présente dans le Carnet 19 au même titre que le problème d’argent qui surgit chez les Arnoux, aucun rapport n’est encore établi entre ces deux faits : le lien se forme dans les scénarios d’ensemble. Le second chapitre est entièrement consacré au classement et à l’examen critique de ces scénarios. On remarquera, au passage, que le second volume contient le tableau génétique des scénarios d’ensemble des trois parties du roman (II, pp. 376‑381). La seconde partie du volume contient l’analyse génétique de plusieurs extraits de brouillons choisis dans le texte des chapitres II, III, IV, V et VI de la deuxième partie du roman (pp. 111‑235). À partir de l’analyse génétique des scénarios et brouillons, K. Matsuzawa montre comment l’histoire économique infiltre l’histoire sentimentale pour, au fur et à mesure, altérer « tout le sens et l’enjeu de celle‑ci ». L’ensemble de la deuxième partie du roman a donc été balisé en fonction de ce point de vue thématique. À l’étude critique se mêle l’exploitation génétique des manuscrits qui correspondent aux courts passages sélectionnés. K. Matsuzawa propose la transcription linéarisée de nombreux fragments de scénarios et (ou) brouillons dont il analyse l’évolution. Le plus souvent, il s’agit de passages qui marquent une étape importante non seulement dans le roman mais aussi dans la rédaction. Enfin, la troisième partie du premier volume est une lecture critique et génétique de la dernière entrevue entre Frédéric et Marie Arnoux (pp. 236‑304). D’après K. Matsuzawa, c’est dans l’avant‑dernier chapitre que la question financière apparaît au premier plan36. Une partie de l’étude est également consacrée à l’analyse génétique de deux petits passages du chapitre V de la troisième partie. La transcription intégrale de l’ensemble des archives rédactionnelles de ce chapitre est donnée dans le second volume. La recherche génétique de K. Matsuzawa présente le mérite de renouveler l’interprétation des relations entre l’écriture flaubertienne et le modèle balzacien au sujet du topos qu’est la question d’argent : le recours aux brouillons montre comment Flaubert cherche à dissimuler et à problématiser une logique sociale et financière que Balzac aurait affichée et qui se trouve désormais construite sous la forme d’un réseau de causalité second, mais néanmoins déterminant. En ce sens, la thèse de Matsuzawa a apporté une contribution à la « débalzaciénisation » et approfondi considérablement les hypothèses de Guy Sagnes37. Deux grands ensembles composent le second volume : le « classement tabulaire »38 de l’ensemble des treize volumes que constituent les scénarios et les brouillons du roman et l’édition génétique de l’avant‑dernier chapitre de la troisième partie du roman. Le tableau (pp. 311‑376) est une présentation statique de chaque folio (brouillons et scénarios) selon l’ordre du classement effectué par Madeleine Cottin en 197539. Ce tableau se divise en sept colonnes : pour chaque folio est donné le recto (« f°(recto) ») et le verso (« f°(verso) ») ainsi que les paginations de l’édition Garnier‑Flammarion 1969 « GF(BN) ». Le chercheur a pris l’initiative d’inscrire le numéro de la page GF (précédé d’un astérisque) lorsque celle‑ci manque sur le folio. Il a également reporté chaque folio à la pagination de deux éditions « modernes » : Garnier‑Flammarion 1985 (« GM ») et Classiques Garnier 1984 (« W »)40. Dans la colonne (« f°(verso) »), chaque verso vierge est signalé. Aussi, à partir des informations données par le chercheur, est‑il possible de retrouver les rectos consacrés au même passage du verso en recherchant le numéro de la page correspondante dans la colonne (« GF (BN) »). On retiendra tout particulièrement la septième colonne (« Notes ») qui permet de saisir à quel chapitre et à quelle partie le verso du folio correspond. Cet aspect du tableau est particulièrement intéressant lorsqu’on sait que le plus souvent le verso ne correspond pas au contenu du recto du folio. Concernant plus spécifiquement le treizième volume, coté [17611], K. Matsuzawa s’est limité aux folios des scénarios, plans et résumé : les notes documentaires, notes et brouillons (ffos109‑152) comme les fragments autographes divers (plans scénarios, notes, brouillons et lettres) acquis en 1977 par la Bibliothèque Nationale (ffos154‑188) n’apparaissent pas dans le classement. La seconde partie du volume contient l’édition génétique verticale de l’avant‑dernier chapitre (pp. 383‑533). K. Matsuzawa a choisi un mode de transcription linéarisé. Chaque brouillon transcrit est accompagné de son fac‑similé. En fonction de la mise en page, le fac‑similé précède la transcription ou se situe sur la page de gauche en vis‑à‑vis. On trouve également le tableau génétique des brouillons qui précède leur transcription. L’établissement de ce tableau génétique s’inspire en grande partie de la thèse de P.‑M de Biasi, Étude critique et génétique de La Légende de saint Julien l’Hospitalier (ch. 2 « Classement des brouillons »). Le tableau génétique est une présentation dynamique des manuscrits qui permet à la fois de saisir la successivité génétique d’un même fragment textuel (scénario, esquisse (scénario partiel), brouillons, mise au net et texte final) et de lier la successivité génétique des folios à la chronologie narrative du texte final divisé en segment successif (pp. 406‑411). Le chercheur propose également la totalité des modifications de ce passage à partir de l’édition originale Lévy de 1869, de l’édition définitive Charpentier de 1880 (et de l’édition Charpentier de 188641), du Manuscrit définitif et du manuscrit du copiste ainsi que des principales éditions modernes (Imprimerie Nationale, Garnier‑Flammarion et Classiques Garnier). Enfin, à la suite de l’édition, se trouvent les fac‑similés des trois plans d’ensemble du roman. Bien entendu, ce dispositif de classement génétique n’est appliqué qu’à quelques fragments du dossier de genèse en fonction de l’étude thématique qui guide la recherche : il ne s’agit donc pas d’un classement génétique de l’ensemble du dossier. Jacques Neefs clôt ce volume par une postface qui souligne la difficulté d’une telle entreprise et l’apport considérable de cette étude. À l’actif de cet ouvrage, on ajoutera l’importante bibliographie (20 pages) proposée en fin du second volume, qui regroupe les principaux livres et articles critiques sur L’Éducation sentimentale.

Pendant cette décennie, K. Matsuzawa a également publié trois communications sur le même sujet : « Une note génétique sur L’Éducation sentimentale : l’ombre d’un doute »42 ; « Une lecture génétique des manuscrits de L’Éducation sentimentale. Autour de la dernière visite de Mme Arnoux »43 où il présente quelques aspects de sa thèse. Et enfin, « Sur la génétique textuelle – quelques notes sur introduction à l’étude critique et génétique des manuscrits de L’Éducation sentimentale de Gustave Flaubert »44, publié en 1993, dans lequel le chercheur complète quelques points de son ouvrage et interroge des problèmes méthodologiques rencontrés par la génétique textuelle.

Les travaux d’Éric Le Calvez (1989‑1994)

En 1990, Éric Le Calvez soutient une importante thèse pour le doctorat de Littérature française sous la direction de M. Henri Mitterand, à l’Université Paris III, intitulée Génétique et poétique de la description. L’Éducation sentimentale de Flaubert. Dans sa thèse, le critique éclaire la poétique de la description à partir de l’étude critique et génétique des descriptions topographiques de L’Éducation sentimentale45. Le second volume de sa thèse (688 p.) est entièrement consacré au classement chronologique et aux transcriptions des topographies du roman. Après avoir rejoint l’équipe Flaubert, Éric Le Calvez a travaillé avec Raymonde Debray‑Genette dans la perspective d’une application des méthodes de la poétique au champ des manuscrits. Son travail se situe donc dans la droite ligne des travaux de Gérard Genette, auxquels il ajoute les précisions méthodologiques et terminologiques indispensables lorsqu’on passe du domaine traditionnel textuel de la poétique à celui plus irrégulier, des brouillons et des documents de genèse. Le dossier manuscrit de L’Éducation sentimentale a fourni à ce chercheur un domaine d’exploration considérable dont il est vite devenu le spécialiste pour tout ce qui concerne les objets privilégiés par la poétique et la narratologie, tout spécialement, la question du descriptif et de la représentation. Depuis 1989, on doit à ce chercheur un nombre important d’articles sur la poétique du descriptif. Selon notre découpage décennal, les travaux d’Éric Le Calvez ont été répartis sur les deux dernières décennies de cet état présent. Il faut préciser qu’en 1997 et 2002, le chercheur a publié deux importants ouvrages sur la genèse de la description dans L’Éducation sentimentale46, qui, à la fois, regroupent et complètent la plupart de ses études déjà publiées en revues47.

Entre 1989 et 1994, É. Le Calvez a publié une dizaine d’articles sur le rapport entre le documentaire et la production textuelle dans L’Éducation sentimentale, sans compter plusieurs communications non publiées sur la question48. On retiendra notamment « Structurer le topos et la graphie dans L’Éducation sentimentale » paru avant la thèse, en 1989, et plusieurs études à dominante génétique sur la question de la genèse documentaire. Dans ces différents travaux, le généticien s’interroge moins sur les processus rédactionnels, aboutissant à la constitution du texte définitif, qu’aux phénomènes qui, dans les manuscrits, permettent de comprendre le passage de la note à la description. Il a ainsi pu déterminer le rôle des sources documentaires sur les mécanismes de base qui concourent dans les scénarios à l’élaboration du récit. Sur le statut de la note d’enquête, on retiendra l’article « Notes de repérage et descriptions dans L’Éducation sentimentale (Étude de genèse). II. Genèse de la forêt de Fontainebleau » publié dans la revue allemande Neuphilologische Mitteilungen. Cet article fait suite à une communication publiée, un an plus tôt, dans la même revue sous le titre « Notes de repérage et descriptions dans L’Éducation sentimentale (Étude de genèse) »49. À partir d’exemples précis de notes de repérages relevées dans les Carnets de Flaubert spécifiquement, le Carnet 14, notamment pour l’épisode de l’enterrement de Dambreuse, (I, 4) et le Carnet 12, pour l’épisode de Fontainebleau (I, 1), É. Le Calvez interroge le statut de la note de repérage qu’il propose de voir comme un « embrayeur (imaginaire et textuel) ». Il montre également comment une fois insérée dans le texte, la note perd son statut de source documentaire pour subir le même traitement que le tissu narratif où elle s’insère. D’autres articles examinent ce phénomène mais à travers l’étude de documents de nature différente. Dans « De la note documentaire à la description (quelques remarques génétiques à propos de L’Éducation sentimentale) »50, publié en 1992, É. Le Calvez analyse le statut de la « note de lecture » face au texte de fiction à partir de l’exemple des notes prises par Flaubert dans La Commune de Paris de Barthélemy pour la description du « Caveau des Tuileries » (III, 1). Dans « Visite guidée. Genèse du château de Fontainebleau dans L’Éducation sentimentale »51, publié en 1994, le chercheur pose le problème d’une exogenèse « hypothétique » : la description du château de Fontainebleau (III, 1) prendrait sa source dans des informations fournies par un guide touristique, le Guide Joanne Fontainebleau. Son palais, ses jardins, sa forêt et ses environs (1867). À partir de cet « hypotexte », Le Calvez réalise l’étude génétique des scénarios de la scène de la visite guidée du château.

Le critique s’est également penché sur la question de l’intertextualité : « Description, stéréotype, intertextualité. Une analyse génétique de L’Éducation sentimentale »52 (1993) interroge les problèmes que pose l’interférence entre le cliché et l’intertexte à partir de l’analyse génétique des descriptions du « bureau des Dambreuse » et des « salles à manger » présentes dans le roman. Dans « Génétique et hypotextes descriptifs (la forêt de Fontainebleau dans L’Éducation sentimentale »53 (1994), le chercheur pose la question de « l’intertextualité fictionnelle » à travers l’analyse des brouillons de la forêt de Fontainebleau. Notons qu’il s’agit d’une piste de recherche fructueuse et convaincante qui pourrait peut‑être s’élargir du côté d’autres sources à la fois iconographiques et littéraires54.

On retiendra également une étude à dominante génétique dans laquelle le généticien interroge la fonction diégétique de la description : « La description modalisée. Un problème de poétique génétique (à propos de L’Éducation sentimentale) »55 publié en 1994, dans le numéro 99 de la revue Poétique. Dans cet article, Le Calvez analyse les transformations de plusieurs descriptions topographiques (notamment celle du « salon » de Rosanette) et les processus de modalisation qui y sont impliqués. Toutes ses analyses sont accompagnées de nombreux extraits de scénarios et de brouillons, pour lesquels le chercheur donne le plus souvent une transcription diplomatique.

L’ensemble des travaux de Le Calvez qui ont été publiés entre 1990‑1994 constituent certainement le socle le plus solide des études génétiques sur les descriptions dans le roman, en même temps qu’une mise au point intéressante sur les croisements possibles entre poétique et étude de genèse. Mais certains commentateurs remarquent que le point de vue exclusivement poéticien de l’analyse conduit parfois à un certain rétrécissement du champ de vision interprétatif.

La « genèse » comme concept sociologique

L’Éducation sentimentale et Les Règles de l’art de Bourdieu

Au début des années 1990, la critique génétique se voit fortement attaquée par des chercheurs d’horizons critiques multiples. Mais on doit la plus virulente critique au sociologue Pierre Bourdieu, dans un ouvrage, publié en 1992 sous le titre Les Règles de l’art, genèse et structure du champ littéraire : un ouvrage dont l’objet est surtout de marquer le territoire de la « genèse » comme structurant sociologique56. Dans cet ouvrage, P. Bourdieu s’interroge sur la possibilité de fonder une « science des œuvres » culturelles c’est‑à‑dire une science de la littérature et plus généralement, une science de la création artistique. Pour le sociologue, c’est moins son origine sociale qui oriente les choix d’un écrivain (position sartrienne) que le milieu littéraire dans lequel il se trouve lorsqu’il entre en écriture. Or si P. Bourdieu a choisi Flaubert comme objet privilégié de cette étude, c’est que, selon lui, l’auteur de Madame Bovary a eu un rôle déterminant dans la structuration progressive et la genèse de cet espace littéraire ou « champ » littéraire « comme monde à part, soumis à ses propres lois ». Une partie de son ouvrage est consacrée à l’étude de la position de Flaubert dans le milieu littéraire de son temps ainsi qu’à une lecture sociologique de la trame narrative de L’Éducation sentimentale : roman dans lequel, selon Bourdieu, Flaubert a su représenter les structures de l’espace social de son temps : l’art, le pouvoir politique et économique. En voulant fonder une science des œuvres, P. Bourdieu s’attaque aux autres théories et notamment à la critique génétique. Pour le sociologue, non seulement la critique génétique actuelle effectue un retour aux formes anciennes de la génétique littéraire en revenant « au positivisme de l’historiographie la plus traditionnelle » (C. Gothot‑Mersch, M.‑J Durry, Sherrington), mais aussi n’opère pas une véritable analyse génétique en ce qu’elle ne vise pas à « reconstruire (…) la logique du travail d’écriture entendu comme une recherche accomplie sous la contrainte structurelle du champ et de l’espace des possibles qu’il propose ». Effectivement, pour le sociologue, l’analyse génétique, relevant exclusivement de la théorie littéraire, ne suffit pas à reconstruire la genèse d’une œuvre en ce qu’elle passe sous silence la question de la contrainte c’est‑à‑dire la question des conditions historiques et sociales que constituent le champ littéraire, le champ social et le champ du pouvoir. En revanche, la sociologie littéraire comme la définit Pierre Bourdieu, en s’appropriant la notion de genèse (p. 277) et en prenant en compte ces multiples contenus (à travers les concepts de champ, habitus, illusio, etc.) constituerait la véritable approche génétique de l’auteur et de l’œuvre. Les Règles de l’art ont fait l’objet de nombreux débats, et d’une vive réaction des chercheurs en génétique littéraire qui, sans contester l’intérêt du point de vue de Bourdieu, ont montré que leur propre concept de genèse, centré sur l’écriture, conservait toute sa cyclicité. Ils ont également montré que l’analyse de Bourdieu, essentiellement fondée sur une bibliographie ancienne (1910‑1960), s’étayait sur des monographies oubliées et sans doute intéressantes, mais en méconnaissant l’essentiel des vingt dernières années de recherches sur le corpus. Or, il est tout à fait remarquable que pour cette gestion de propriété intellectuelle Pierre Bourdieu ait justement jugé que L’Éducation sentimentale constituait l’objet central du débat.

Des publications ponctuelles sur le dossier manuscrit de L’Éducation sentimentale

Parallèlement aux importants travaux qui viennent d’êtres mentionnés, tout au long de la décennie, plusieurs études de genèse ont paru, ponctuellement, dans des revues et des recueils collectifs. On a recensé quatorze études de genèse que l’on a regroupé en fonction de leur orientation thématique dominante : sources livresques, personnages (spécifiquement les figures féminines), scènes narratives, et le matériau documentaire.

Retour aux « sources livresques » : Bouilhet, Laclos, Rousseau

Deux articles ont paru en 1985 et 1986 sur les sources livresques de L’Éducation sentimentale. En 1985, C. Gothot‑Mersch publie « Rousseau et Flaubert une source de L’Éducation sentimentale dans Les Confessions »57. Dans cette étude à composante génétique, C. Gothot‑Mersch se penche sur la place occupée par J.‑J Rousseau dans la vie et l’œuvre de Flaubert. Elle évoque les nombreuses allusions à l’auteur du Contrat Social dans la Correspondance et dans L’Éducation sentimentale et propose une source encore inédite, repérée dans les scénarios de L’Éducation sentimentale : deux annotations de Flaubert au sujet du Livre I des Confessions de J.‑J Rousseau qui viennent éclairer les deux amours simultanées de Frédéric58.
De son côté, Anne Green, connue jusque‑là principalement pour ses recherches sur Salammbô59, publie un article en 1986 dans la revue French Studies : « Flaubert, Bouilhet and the illegitimate daugther : a source for L’Éducation sentimentale »60 où elle entend éclairer le personnage discret de Cécile Dambreuse, la fille naturelle de M. Dambreuse. La chercheuse montre en quoi l’intrigue de la pièce de Louis Bouilhet, Hélène Peyron (1857) serait la source principale de l’histoire de Cécile Dambreuse. Elle se fonde essentiellement sur la Correspondance entre Flaubert et Bouilhet pour cette période : plusieurs lettres montrent que Flaubert, enthousiasmé par ce projet, aida Bouilhet pour la composition de la pièce. A. Green pointe avec justesse toutes les interférences de fiction, soulignant les motifs diégétiques communs aux deux œuvres ainsi que leurs différences. En revanche, on peut regretter que cette étude ne fasse aucun usage des brouillons dans lesquels A. Green aurait sans doute pu repérer la trace présente ou non d’une influence de l’œuvre de Bouilhet sur la rédaction même de Flaubert.
La même remarque pourrait être faite au sujet de Roger Bismuth pour son article : « Présence des Liaisons Dangereuses dans L’Éducation sentimentale »61 paru en 1994 dans le numéro 47 de la revue Les Lettres Romanes. Le critique pointe les correspondances entre l’œuvre romanesque et l’œuvre épistolaire et prête ainsi aux personnages de L’Éducation sentimentale quelques traits des protagonistes des Liaisons dangereuses : Mme Arnoux emprunterait ses traits à la présidente Tourvel ; Frédéric et Deslauriers au comte de Valmont ; Mme Dambreuse à la marquise de Merteuil ; Cécile à Melle de Volanges et Martinon au chevalier Danceny. R. Bismuth fait également des rapprochements thématiques (le motif des « liaisons dangereuses ») et textuels : il fait correspondre un passage de la lettre CXXXV des Liaisons dangereuses avec le passage où Frédéric, alors qu’il se trouve en compagnie de Rosanette, croit apercevoir Mme Arnoux dans un cabriolet milord. Malgré tout l’intérêt de cette étude, rien ne peut confirmer l’hypothèse d’un acte délibéré de la part de Flaubert de donner à ses personnages les traits des protagonistes des Liaisons Dangereuses. À cet égard, il est dommage que le critique n’ait pas eu la curiosité de chercher la confirmation de ses intuitions dans les brouillons de L’Éducation sentimentale : peut‑être aurait‑il trouvé une trace éventuelle du roman épistolaire de Choderlos de Laclos.

Études de genèse sur les figures féminines du roman : Mme Arnoux, La Vatnaz

Deux personnages féminins du roman ont particulièrement intéressé la critique au cours de cette décennie : Marie Arnoux et la Vatnaz. Sur le personnage de Marie Arnoux, on retiendra l’importante étude à dominante génétique (multiple microgénétique) proposée par Marie Durel en 1992 sur La Genèse d’une héroïne flaubertienne : Marie Arnoux dans les manuscrits de L’Éducation sentimentale62 (mémoire de DEA soutenu à l’Université de Mt St Aignan à Rouen). Dans ce travail, M. Durel s’est employée à déchiffrer, classer, transcrire et analyser les brouillons se rapportant aux différentes descriptions de l’héroïne et notamment du fameux passage de la scène d’apparition de Mme Arnoux (I, 1). Chaque brouillon transcrit est reproduit et accompagné d’une étude microgénétique. La chercheuse a concentré son analyse génétique sur trois segments narratifs du premier chapitre de la première partie où se trouve développé le portrait de Mme Arnoux : « Ce fut comme une apparition » ; « Elle avait un large chapeau (…) bleu » ; « Jamais il n’avait vu cette splendeur (…) extraordinaire ». Cette analyse, riche de nombreuses remarques inédites, a, entre autres, permis de mettre en évidence le caractère « composite » de Mme Arnoux en confirmant les hypothèses construites par la critique génétique sur la « procédure de focalisation dont les brouillons permettent de suivre la savante élaboration par l’auteur ». Le travail de M. Durel a également permis de montrer que le dessein de Flaubert au moment de la rédaction de ce portrait était de construire à la fois une description objective et « l’effet d’un regard où Frédéric contemple son propre désir ». Outre cette l’éclairante analyse de Marie Durel, on pourra lire la publication à composante génétique de Frideriki Iona publiée en 1989 à Athènes sous le titre « Le personnage de Madame Arnoux dans L’Éducation sentimentale »63. Dans cette étude, on s’intéressera essentiellement au chapitre consacré à la « genèse du personnage » où Frideriki Iona fait la synthèse des principales avancées de la critique flaubertienne sur le rapport à l’autobiographie dans le roman.
Quant au personnage de la Vatnaz, il a fait l’objet d’une publication en 1988 de la part de C. Gothot‑Mersch sous le titre « Méandres de la création flaubertienne : la Vatnaz dans les manuscrits de L’Éducation sentimentale »64. Dans cette étude à dominante génétique (multiple microgénétique), après avoir rappelé brièvement les différentes interventions de la Vatnaz dans le texte publié, C. Gothot‑Mersch réalise un travail de balisage de toutes les apparitions du personnage, à travers l’ensemble du dossier manuscrit de L’Éducation sentimentale. Si la chercheuse ne propose pas un classement chronologique de l’ensemble de ces documents, en revanche, on retiendra l’analyse microgénétique très focalisée du portrait physique du personnage (et plus spécifiquement, les « yeux de la Vatnaz ») pour lequel les différentes versions de brouillons ont été déchiffrées, transcrites et classées chronologiquement. Cette analyse génétique du portrait de la Vatnaz a été l’occasion pour C. Gothot‑Mersch de préciser quelques aspects du travail de Flaubert : « la métaphore qui se « démétaphorise », le passage continuel de « l’explicite à l’implicite » et l’intégration de la note dans le rédactionnel65.

Études de genèse sur des « scènes » du roman

Plusieurs travaux ont porté sur des épisodes précis du roman. La plupart de ces études sont à dominante génétique (ponctuelles microgénétiques) : l’attente vaine de Frédéric rue Tronchet (II, 6) a été étudiée par Marie‑Thérèse Mathet dans un court article publié en 1990 sous le titre « Une page de Flaubert : texte et manuscrits »66. Dans cet article, M‑T Mathet a montré, à partir d’un relevé ponctuel des corrections effectuées sur les brouillons concernant le monologue intérieur de Frédéric lors de son attente, les moyens techniques utilisés par Flaubert pour parvenir à ce qu’elle nomme : « l’impressionnisme du dialogue flaubertien » c’est‑à‑dire une tentative d’effacer la frontière qui sépare le récit et le discours des personnages. Notons qu’une approche génétique intégrale de ce passage aurait sans doute exigé bien d’autres perspectives (notamment une confrontation entre la chronologie interne de l’attente et la chronologie externe de l’événementiel) aussi bien du point de vue diégétique que du point de vue stylistique. Même si les conclusions de cette analyse sont convaincantes, on peut remarquer que le matériau manuscriptologique n’est pas pleinement exploité et reste surtout cité de façon éclectique.
De son côté, Yoko Kudo s’est intéressé à la scène d’apparition (I, 1) : « Lecture d’un manuscrit. (I) Étude de la scène d’apparition dans L’Éducation sentimentale »67. Dans cet article, paru en 1991, Yoko Kudo ne propose pas une analyse génétique de l’ensemble de la scène d’apparition, mais plutôt l’étude génétique ponctuelle de plusieurs « micro‑thèmes » significatifs (comme le « motif du pied » de Mme Arnoux ; la phrase d’introduction « Ce fut comme une apparition » ou l’image « de la figure féminine idéalisée ») repérés, au préalable, dans un des neuf brouillons qui constituent cette scène [N.a.fr. 17599, f°36v°] et, pour lequel, il donne la transcription linéarisée et son fac‑similé. Pour deux « micro‑thèmes » (le « motif du pied » et la phrase d’introduction « Ce fut comme une apparition »), il fait apparaître les versions successives des brouillons. Dans cette étude, le critique utilise des perspectives d’analyses multiples (narratologique, psychologique, thématique). Malgré tout, cette analyse paraît insuffisante dans la mesure où elle ne propose pas une lecture génétique de l’ensemble de la scène. Notons que la même année, P.‑M de Biasi a publié l’intégralité des Carnets du Voyage en Égypte de Flaubert68 et a jeté toute la lumière sur une source essentielle concernant le personnage de Marie Arnoux dans la scène d’apparition (I, 1). Au début des années 1950, la critique a montré que la célèbre formule « Ce fut comme une apparition » était un emprunt au récit de voyage Le Nil de Maxime Du Camp, publié après le voyage que Flaubert et lui avaient fait, en Égypte, en 1849‑185069. En 1991, P.‑M de Biasi revient sur cette question et montre, entre autres, que certains détails dans la description de Marie Arnoux doivent être rapprochés de ceux donnés par Flaubert dans ses Carnets pour évoquer sa rencontre avec l’almée, Kuchiouk‑Hânem :

« (…) On peut même se demander si le châle « à bande violettes » que Marie laisse glisser et que Frédéric ramasse quelques instants plus tard n’emprunte pas ses couleurs à cette « gaze d’un violet foncé » que Kuchiouk porte sur la poitrine, et qu’elle va bientôt laisser glisser pour s’offrir aux voyageurs. En réalité, il semble bien – beaucoup d’autres détails pourraient être comparés – que Flaubert, dans cet épisode de rencontre idéalisé de L’Éducation s’amuse à transposer ses souvenirs érotiques d’Égypte…et ceux de Maxime »70.

Pendant cette période, plusieurs études ont porté sur la troisième partie du roman. On lira l’analyse ponctuelle microgénétique de l’épisode du « Caveau des Tuileries » (III, 1) proposée par D. A. Williams (1993) sous le titre « From the document to the text : The « Terrasse au bord de l’eau » episode in L’Éducation sentimentale »71. Le généticien étudie le moment précis où, à la suite des journées de juin, le père Roque assassine un jeune prisonnier dans les galeries souterraines au bord de l’eau sous la terrasse des Tuileries. le critique tente de montrer la façon dont Flaubert intègre le matériau documentaire à la fiction. Ainsi analyse‑t‑il les étapes successives de cet avant‑texte du Carnet 14 à la mise au net en passant par les scénarios et les brouillons. Il donne également le classement chronologique de cet ensemble et sa transcription linéarisée. L’étude de cet avant‑texte a permis à D. A. Williams de préciser le travail rédactionnel de Flaubert et de montrer combien l’écrivain prend ses distances face au « réalisme documentaire ». On ajoutera qu’en conclusion, le chercheur propose une interprétation de cette scène qu’il tentera de développer dans des publications ultérieures72 : en quoi le meurtre du jeune adolescent par le père Roque serait en correspondance avec une scène, plus en amont dans la narration, dans laquelle Frédéric éprouve des pulsions meurtrières à l’égard de M. Arnoux. Selon le chercheur, le meurtre du jeune adolescent par le père Roque serait une revanche du père.
L’épisode de Fontainebleau a également fait l’objet de plusieurs analyses à composante génétique. Pour la période, on retiendra celles proposées par Bernard Masson. Dans « L’épisode de Fontainebleau dans L’Éducation sentimentale »73, publié en 1985, le critique propose une vision intéressante de l’épisode de Fontainebleau. B. Masson ne fait pas un usage « scientifique » des scénarios et des brouillons cités : aucun code de transcription n’a été utilisé et les références aux brouillons sont données, selon son expression, « pour bien faire », sans avoir établi au préalable un ordre chronologique. En revanche, son détour par les brouillons le conduit à observer que l’épisode de Fontainebleau serait construit sur une double temporalité : la chronologie de l’Histoire et la chronologie de l’épisode. Si l’Histoire impose un cadre référentiel précis, daté par les événements historiques, le séjour à Fontainebleau des deux amants, quant à lui, semble se perdre dans une temporalité « fluide » qui dilate indéfiniment le temps jusqu’à ressembler d’une certaine façon à l’Éden. Comme le fait remarquer le critique, ce phénomène, visible dans le texte publié, l’est d’autant plus dans les scénarios qui « opèrent une disjonction entre le séjour à Fontainebleau d’une part, et les journées de juin d’autre part » (p. 54). Et il émet l’hypothèse suivante :

« C’est probablement au moment de la rédaction définitive que Flaubert fait se rencontrer, se heurter, où plutôt fusionner, deux chronologies incompatibles (…) : je dirais qu’il y a un phénomène de fusion‑scission à la fois parfaite et explosive, incohérente et nécessaire ».

On peut regretter que l’analyse microgénétique n’ait pas été menée avec la précision qui aurait permis de déterminer comment et pourquoi ce dispositif a été construit par Flaubert. Signalons également, du même auteur, une communication donnée en 1991 lors du colloque La Naissance du texte (1987) intitulée « Encore quelques silences de Flaubert »74 où le chercheur reprend la question de l’épisode de Fontainebleau et, s’appuyant de façon ponctuelle sur les brouillons, s’interroge sur l’unité tonale du passage. Suite à ses travaux, deux ans plus tard, B. Masson publie un ouvrage Lectures de l’imaginaire qui regroupe plusieurs de ses articles et notamment une dizaine de pages consacrées à l’épisode de Fontainebleau, publiées sous le titre « Dans la forêt profonde : l’épisode de Fontainebleau dans L’Éducation sentimentale »75. Dans cette étude, on retrouve la plupart des propos tenus dans ses précédemment articles à un détail près. Le critique pointe une nouvelle source en ce qui concerne la forêt de Fontainebleau. Comme le supposait Éric Le Calvez, alors occupé par des travaux sur le même passage, B. Masson remarque que Flaubert pourrait s’être inspiré d’un guide touristique de l’époque, le Guide Joanne pour faire la description du château :

« Flaubert suit l’ordre des guides touristiques de son temps – et du nôtre. Il n’est que de comparer, pour s’en convaincre, le Guide d’Aldolphe Joanne et le roman de Flaubert entre lesquels existent de troublantes correspondances » (p. 99).

On regrette que B. Masson n’ait pas poussé plus loin ses investigations dans l’ensemble des brouillons. Pour l’analyse génétique de cette source, on se reportera donc à l’étude d’Éric Le Calvez publiée un an plus tard76.

Travaux sur le « documentaire »

Certaines études publiées pendant cette décennie nous ont semblé plus difficiles à classer. Il y a, par exemple, l’étude de Raymonde Debray‑Genette sur une lettre de travail de Flaubert. Dans « Lettre à Jules Duplan : la pot‑bouille et l’ensouple », publié en 199377, R. Debray‑Genette propose une micro‑lecture d’une lettre de travail de Flaubert : celle du 27 août 1868 où Flaubert demande à Jules Duplan des renseignements sur les canuts de Lyon pour le personnage de Rosanette (III, 1). R. D.-G examine l’« écriture » de cette lettre et la façon dont les renseignements sont demandés à Duplan : la lettre lue en tant qu’ « épitexte privé » ne laisse apparaître aucune différence de statut entre le destinateur (Flaubert) et le destinataire (Duplan). En revanche, la lettre lue en tant qu’ « avant‑texte documentaire » annonce nécessairement une différence entre les deux correspondants : le destinateur est l’écrivain. À ce stade, R. Debray‑Genette met l’accent sur le « détournement de parcours » dans l’écriture : le moment où l’écrivain se perd dans un détail ou moment de « désécriture » qui accompagne sa réflexion. Avec le détail de « l’ensouple »78, Flaubert, pris dans un « délire imaginatif », non seulement déborde son destinataire, du fait de l’abondance des questions par rapport à l’urgence qui prédomine, mais aussi décroche de son propre propos initial. C’est seulement à partir de « l’énergique « bref » » (présent dans la lettre) que le destinateur devient romancier. S’en suit une troisième et dernière phase, celle de la « réécriture » où le destinateur en tant que romancier (oubliant presque son destinataire) se met à écrire pour lui‑même et se donne ses propres « consignes d’écriture et des définitions plus strictes de son projet narratif ». Les impératifs d’une poétique prennent le dessus et le « pot‑bouille »79 l’emporte sur « l’ensouple ». Dans cet article, R. Debray‑Genette a donc tenté de montrer tout le parti que l’on pouvait tirer de la micro‑lecture d’une lettre de travail. Cette étude a également permis d’interroger quelques aspects de la poétique flaubertienne. Cette analyse, qui n’est pas une analyse génétique proprement dite, se situe donc, néanmoins, à une marge importante des études de genèse. Elle pose la question du statut complexe de l’auteur‑écrivain à la fois enquêteur et rédacteur à travers le médium spécifique de l’épistolaire. Les pistes proposées par Raymonde Debray‑Genette ont le mérite de poser la question du statut des lettres de travail et il n’est pas indifférent qu’elle soit formulée précisément dans le cadre de la genèse de L’Éducation sentimentale, mais on sent bien qu’une véritable typologie des fonctions reste à construire, en ce domaine au‑delà de l’opposition métaphorique que propose « l’ensouple/pot‑bouille ».
Entre 1987 et 1994, Kosei Ogura a publié deux articles sur la thématique socialiste dans l’univers flaubertien en centrant son analyse sur les notes de lectures prises par Flaubert pour son roman parisien : le premier article est paru en 1987 sous le titre « Notes de lecture de Flaubert sur Qu’est ce que la propriété ? Proudhon jugé par Flaubert »80 et le second en 1994 sous le titre « Le discours socialiste dans l’avant‑texte de L’Éducation sentimentale »81. En tentant de rendre compte des interprétations formulées par Flaubert sur les doctrines socialistes et ses principaux théoriciens, Kosei Ogura a permis de mieux cerner le processus de construction de la note de lecture.  Il s’est appuyé sur deux exemples précis de notes de lectures prises sur les penseurs socialistes par Flaubert et qui se trouvent pour la plupart dans le dossier rouennais (Ms. g. 2267). Au passage, on précisera que l’ensemble des feuillets concernant les penseurs socialistes est le plus important des dossiers de notes préparatoires réunis par Flaubert pour le roman parisien. Le chercheur s’intéresse précisément aux notes prises par Flaubert sur deux ouvrages, celui de Proudhon Qu’est que la propriété ? (article 1) et celui de Saint‑Simon Le Catéchisme des industriels (article 2). Dans les deux cas, à l’appui de sa démonstration, le chercheur propose la transcription diplomatique intégrale des notes. Aussi son travail ne s’inscrit‑il pas dans une perspective qui viserait à analyser le travail d’intégration des notes de lecture de Flaubert dans les portraits et (ou) les discours de certains personnages du roman : en fait, il ne dépasse pas le stade du dossier préparatoire et s’interroge principalement sur la façon dont Flaubert a effectué sa recherche documentaire. Kosei Ogura a surtout cherché à comprendre la façon dont la note de lecture s’est constituée et à donner une idée précise de son contenu en différenciant, par exemple, deux classes d’énoncés qui sont « la citation » et le « commentaire », ce dernier se divisant en deux autres ensembles « distincts et complémentaires » : « les commentaires intercalés entre les citations » et « les annotations marginales ». Il a également tenté de dégager l’image que Flaubert à des penseurs socialistes et la portée de la documentation flaubertienne en s’interrogeant sur les critères de sélection d’une source : pourquoi Flaubert a‑t‑il retenu ou éliminé telle source plutôt qu’une autre ?
On retiendra en 1985, la parution de deux études à composante génétique sur la problématique de l’Histoire dans la fiction, publiées par P.‑M Wetherill. La première est parue dans les actes du colloque de Messine, sous le titre : « Flaubert : l’histoire et la fiction »82 où P.‑M Wetherill cherche à démontrer que la réflexion littéraire de Flaubert consiste dans « un commentaire ironique de l’historiographie de son temps ». Dans la seconde « L’Histoire dans le texte »83, P.‑M Wetherill se penche plus spécifiquement sur la façon dont Flaubert insère l’Histoire dans la fiction pour tenter de montrer comment l’œuvre du romancier s’éloigne peu à peu de l’historiographie traditionnelle. D’après Wetherill, la problématisation de l’Histoire fait partie inhérente du système scriptural (récit et discours) et l’étude des avant‑textes de L’Éducation sentimentale (principalement des témoignages historiques) permet de comprendre non seulement comment l’Histoire s’intègre à la fiction mais aussi la position de Flaubert par rapport à l’Histoire. S’appuyant sur l’examen de plusieurs sources historiques utilisées par Flaubert pour la rédaction de son roman, entre autres, sur un extrait de l’ouvrage de Paul Reybaud, un extrait de l’Annuaire Lesur et, sur une lettre de M. Du Camp (source non exploitée par A. Cento) dans lequel ce dernier raconte sa vision de Paris après la révolution de 1848, P.‑M Wetherill constate que la finalité première de la source historique n’est pas d’introduire de l’Histoire dans la fiction mais plutôt de renforcer la spécificité thématique du romanesque : l’Histoire se plie aux exigences de l’invention romanesque, « ce qui est une autre manière de dire l’Histoire ». Dans sa démonstration, le chercheur souligne également que le traitement des éléments historiques dont s’empare Flaubert ne s’effectue pas de manière homogène. Le traitement de l’Histoire « varie selon l’investissement dont elle est fait l’objet ». Certains éléments deviennent la source de formules dans des dialogues : on assiste à des transformations d’ordre narratif (passage de formules abstraites à des scènes dialoguées). D’autres sont le point de départ d’épisodes relativement élaborés (comme la lettre de M. Du Camp). Notons que dans l’analyse de cette lettre par rapport au texte final, P.‑M Wetherill remarque que si aucune modification narrative n’a été effectuée (il s’agit toujours d’une description), en revanche, la vision qui résulte de la réécriture de Flaubert est radicalement différente de celle proposée par M. Du Camp, en partie à cause de la focalisation interne. Bien que cette analyse participe plus de la critique des sources que de la critique génétique, elle contient (comme l’étude précédemment citée de R. Debray‑Genette) une perspective intéressante sur le statut génétique de l’épistolaire comme document génétique, ici, sous la forme d’un « contre‑modèle ».

Bilan critique (1985‑1995)

Cette décennie marque une étape décisive dans l’histoire des travaux en critique génétique sur le roman parisien car on assiste aux premières grandes entreprises éditoriales « scientifiques » sur le dossier manuscrit de L’Éducation sentimentale. On aura retenu deux dates majeures : 1988 avec la publication d’une édition critique génétique horizontale de grande amplitude établie par P.‑M de Biasi, les Carnets de travail de Flaubert, et 1992, pour la publication simultanée de deux éditions génétiques : l’avant‑dernier chapitre par K. Matsuzawa et surtout l’édition verticale des scénarios de L’Éducation sentimentale par D. A. Williams. S’ajoutent à ces trois importantes éditions de manuscrits, les travaux d’É. Le Calvez qui fournissent des centaines de pages de transcriptions de descriptions contenues dans le roman parisien. Ces éditions de manuscrits auxquelles s’ajoute le tome III de la Correspondance établie par J. Bruneau ont ainsi rendu disponible une partie du dossier manuscrit de L’Éducation sentimentale et fourni aux généticiens des bases solides (sous formes de transcriptions désormais directement accessibles) sur lesquelles faire reposer leurs analyses. Au total, cette période 1985‑1995 est donc dominée par l’émergence d’importantes ressources en éléments transcrits. Si les éditions des manuscrits ne donnent à voir que partiellement le domaine complexe des brouillons, en revanche elles projètent une lumière neuve et précise sur les sources documentaires et la phase pré‑rédactionnelle de la genèse. Notons que la plupart de ces éditions sont accompagnées d’importantes contributions interprétatives qui, sous forme d’introduction, de notes et de dossiers, constituent des études de genèse à part entières sur certains aspects du dossier du roman. Quant aux études de genèse proprement dites, on aura remarqué pour la décennie une réelle augmentation par rapport à la décennie précédente : tandis qu’entre 1975 et 1985, on compte un peu moins d’une dizaine d’études de genèse, entre 1985 et 1995, on peut estimer que les travaux se sont trouvés triplés : plus d’une trentaine d’articles ont été publiés. Cette augmentation s’observe surtout dans les études ponctuelles microgénétiques : entre 1975 et 1985, on recense seulement deux études de ce type pour un peu plus d’une dizaine entre 1985 et 1995. Comme on a pu le voir, ces études ont soit pour objet l’évolution d’un épisode ou d’une séquence courte du roman (l’avant‑dernier chapitre ; la scène d’attente rue Tronchet, l’épisode de Fontainebleau), soit l’analyse d’un document « annexe » comme une lettre de travail (R. Debray‑Genette ; P.‑M Wetherill). Si ces études génétiques proposent généralement le classement chronologique des brouillons relatifs à la séquence étudiée du texte définitif, rares sont celles qui contiennent la transcription intégrale de tous les états du passage en question (M. Durel, K. Matsuzawa) : il s’agit le plus souvent de la transcription linéarisée d’extraits de brouillons choisis spécifiquement en fonction d’un point de vue thématique relevé dans le passage (ex : « le motif du pied » dans la scène d’apparition) ou lors d’une étude de personnage (« les yeux » dans le portrait de la Vatnaz). Du côté de la chronologie narrative, l’ensemble de l’œuvre a été balisé : il est paru au moins une étude sur chaque partie du roman. On doit beaucoup aux travaux de K. Matsuzawa pour l’étude de l’avant‑texte de la deuxième partie du roman, mais à travers une interprétation centrée exclusivement sur le thème de l’argent. La première partie a été négligée, à l’exception du premier chapitre (Yoko Kudo ; Marie Durel) : travaux principalement centrés sur le personnage de Marie Arnoux. En revanche, la troisième partie du roman est celle qui semble avoir le plus intéressé les critiques avec une préférence pour le premier et l’avant‑dernier chapitre. L’intégralité de l’avant‑texte du sixième chapitre a été déchiffré, transcrit, classé et commenté par K. Matsuzawa. Quant au premier chapitre, l’attention s’est principalement portée sur deux épisodes : le « Caveau des Tuileries » et « l’épisode de Fontainebleau ». On recense six études génétiques sur l’épisode de Fontainebleau (dont trois à composantes génétiques proposées par B. Masson ; on doit les trois autres à É. Le Calvez) Comme on a pu le voir, l’avant‑texte de l’épisode du « Caveau des Tuileries » a été étudié deux fois : une première fois par Le Calvez, puis par Williams. On aura cependant remarqué que chacune des études porte sur des segments narratifs différents et partiels. Le Calvez étudie principalement le passage descriptif qui se situe au début de l’épisode tandis que Williams propose, lui, l’analyse génétique du moment crucial de l’épisode : le meurtre du jeune adolescent par le père Roque. Pourtant, on peut rapprocher ces deux études dans la mesure où elles posent, chacune, la question du problème de l’insertion du document à la fiction. Mais au‑delà de cette question relativement formelle, on peut s’étonner que Williams, pas plus que Le Calvez avec son point de vue poétique, ne se posent la question du sens politique de la source choisie délibérément par Flaubert parmi cent autres sources possibles et fortement caractérisée par son appartenance au discours de « gauche »84. Il semblerait qu’ici la perspective génétique ne soit pas parvenue à réaliser de façon entièrement satisfaisante les liens nécessaires entre la logique de l’écriture et l’interprétation historique et idéologique. L’étude de l’intégration d’une source exige aussi qu’on s’interroge sur la causalité de cette source : pourquoi choisir telle source plutôt qu’une autre ? Au total, pendant cette décennie, plus de la moitié des études de genèse consacrée au roman parisien portent spécifiquement sur le traitement du documentaire.

1  Le 23 octobre 1987, une vente de manuscrits et lettres autographes de Flaubert eu lieu à l’Hôtel Drouot. D’importants fragments autographes relatifs à L’Éducation sentimentale furent vendus. Voir infraBibliographie Génétique de L’Éducation sentimentale : Catalogue Vente Hôtel Drouot, Manuscrits et lettres autographes de Gustave Flaubert et autographes divers, vendredi 23 octobre 1987, salle n°8, ministère de Me R. Chochon et M.‑F Chochon‑Barré.

2 FLAUBERT, Gustave, Les Carnets de travail de Gustave Flaubert, édition critique et génétique établie par Pierre‑Marc de Biasi [Introduction, transcriptions, notes, tableaux, notices, index.], Balland, Paris, 1988, 1000 p.

3 Flaubert, Gustave, L’Éducation sentimentale. Les Scénarios, édition établie par David Anthony Williams, Librairie José Corti, Paris, 1992, 378 p.

4  FLAUBERT, Gustave, Correspondance, édition établie, présentée et annotée par Jean Bruneau, tome III (1859‑1898), coll. « Bibliothèque de la Pléiade », édition Gallimard, Paris, 1991, 1727 p.

5 Flaubert e il pensiero del suo secolo, colloque international organisé à Messine, en Italie, du 17 au 19 février 1984. Actes publiés par la Faculté des Lettres et de Philosophie de l’Université de Messine, 1985.

6 La Naissance du texte Archives européennes et production intellectuelle, colloque international organisé à Paris, au CNRS, du 23 au 25 septembre 1987. Actes publiés aux éditions du CNRS dirigées par Louis Hay, Paris, 1987.

7 Manuscripts and literay History, colloque international organisé à Bellagio, en Italie, du 18 au 22 avril 1980. Actes publiés sous le titre Sur la génétique textuelle, études réunies par D. G. Bevan et P.‑M. Wetherill, Rodopi, coll. « Faux titre », Amsterdam‑Atlanta, 1990.

8  Bruneau, Jean, « Sur la genèse de L’Éducation sentimentale (avec des documents inédits)» in Flaubert e il pensiero del suo secolo, op. cit., pp. 235‑248.

9  Voir supra« L’édition de l’Imprimerie Nationale (A. Raitt, 1979) » in Premières études de genèse sur le dossier manuscrit de L’Éducation sentimentale (1975‑1985).

10  Voir supra « Du nouveau dans les lettres de travail » in Premières études de genèse sur le dossier manuscrit de L’Éducation sentimentale (1975‑1985).

11  GOTHOT‑MERSCH, Claudine, « CR : Le Tome III de la Correspondance de Flaubert (1858‑1869), établie par Jean Bruneau » in Revue d’Histoire Littéraire de la France, 1993, n° 1‑4, janvier‑juin, pp. 152‑153. Dans son compte rendu de l’édition, C. Gothot‑Mersch fait des remarques intéressantes au sujet de la rédaction du roman parisien. Une note concerne la lettre de Flaubert adressée à G. Sand datée du 5 juin 1868 dans laquelle il évoque avec G. Sand un problème d’insecte d’eau douce. Tandis que J. Bruneau pense que Flaubert aurait renoncé aux détails des insectes (libellules ou alcyons) pour l’épisode de Fontainebleau (III, 1), C. Gothot‑Mersch fait remarquer qu’il ne faut pas chercher ses détails dans l’épisode de Fontainebleau mais dans la promenade de Frédéric avec la petite Roque à Nogent (II, 5). Nous soulignons que dans la Correspondance croisée Sand‑Flaubert publié en 1981, Alphonse Jacobs fait une remarque similaire à celle de J. Bruneau au sujet des détails d’insectes mais la note porte, cette fois, sur une lettre de G. Sand datée du 29 mai 1868 : « Les alcyons patinent sur l’eau, et sont communs partout. Le nom est joli et assez connu (…) ». Il est donc vraisemblable que Bruneau ait lu l’édition d’A. Jacobs pour l’établissement des notes pour la Pléiade. Suivant la remarque de C. Gothot‑Mersch, on peut citer le passage du roman dans lequel il est question de ce détail : « (…) ; elle était plate comme un miroir ; de grands insectes patinaient sur l’eau tranquille. » (L’Éducation sentimentale (II, 5) édition de P.‑M de Biasi, 2002, p. 375). (Cité également par l’édition de P.‑M Wetherill, « Variantes », édition, 1984, p. 556). Autres remarques plus générale : en concerne l’ensemble du tome III (ainsi que le tome IV, paru en 1998), toutes les citations de J. Bruneau au texte publié renvoient expressement à l’édition de C. Gothot‑Merch parue en 1985. Principalement autour du tome III, on pourra également consulter les actes du colloque organisé en 1992 par l’équipe Flaubert de l’ITEM et l’équipe Productions textuelles, XIXe‑XXe siècles de l’Université Paris VIII, à la Bibliothèque Nationale de France, en hommage à Jean Bruneau, et dirigé par Raymonde Debray‑Genette et Jacques Neefs. Ce colloque a été publié sous le titre L’œuvre de l’œuvre. Études sur la Correspondance de Flaubert, aux P.U de Vincennes dans la collection Essais et Savoirs (voir infra l’article de R. Debray‑Genette in « Des publications ponctuelles sur le dossier manuscrit de L’Éducation sentimentale »).

12  BIASI, Pierre‑Marc (de), Gustave Flaubert, Carnets de travail, op. cit., 1000 p.

13  Voir supra « L’édition du scénario initial (1950) » ; « L’édition des Carnets de « notes de lectures » de L’Éducation sentimentale (1971) » in Premières approches du dossier manuscrit de L’Éducation sentimentale (1880‑1975).

14  À la réserve du Carnet dit Carnet n° 0 que l’auteur a dû ainsi instituer.

15  Il s’agit des lacunes matérielles qui concernent notamment les pages découpées par Flaubert. Pour L’Éducation sentimentale, P.‑M de Biasi fait apparaître que certaines pages ont été découpées par Flaubert puis recyclées pour la rédaction de Bouvard et Pécuchet.

16  Voir supra « L’affaires des Carnets » in Premières approches du dossier manuscrit de L’Éducation sentimentale (1880‑1975).

17  BIASI, Pierre‑Marc (de) : « Un grand Carnet de projets : le Carnet 19 (1862‑1863 ?) » ; « Les calepins de L’Éducation sentimentale : le Carnet 13 (1865‑1866), le Carnet 14 (1867), le Carnet 12 (1868‑1869), le Carnet 8 (1868‑1869) » in Biasi, Pierre‑Marc (de), édition critique et génétique établie par, Gustave Flaubert, Carnets de travail, op. cit., pp. 247‑304 ; pp. 305‑449.

18 Biasi, Pierre‑Marc (de), « La notion de « carnet de travail » : le cas Flaubert » in Carnets d’écrivains 1, édition du CNRS, coll., « Textes et Manuscrits », Paris, 1990, pp. 23‑56.

19 Biasi, Pierre‑Marc (de), « Les « Carnets de travail » de Flaubert : taxinomie d’un outillage littéraire » in Littérature, n° 80, Paris, 1990, pp. 42‑55.

20  BIASI, Pierre‑Marc (de), « L’esthétique référentielle. Remarques sur les Carnets de travail de Gustave Flaubert » in Flaubert, l’autre. Pour Jean Bruneau, textes réunis par F. Lecercle et S. Messina, PU de Lyon, 1989, pp. 17‑33.

21 Biasi, Pierre‑Marc (de), « La traversée de Paris de Gustave Flaubert (l’image de Paris dans les Carnets de travail) » in Écrire Paris, édition Seesam Fondation Singer Polignac, 1990, pp. 89‑105

22  FLAUBERT, Gustave, L’Éducation sentimentale, Histoire d’un jeune homme, postface, notes et chronologie de Pierre‑Marc de Biasi, édition du Seuil, coll. « L’École des Lettres », Paris, 1993, 691 p. Pour la décennie, quatre nouvelles éditions du texte de L’Éducation sentimentale ont été publiées (voir infraBibliographie Génétique de L’Éducation sentimentale) mais seule l’édition de Pierre‑Marc de Biasi donne des informations sur le dossier manuscrit du roman, principalement sur les Carnets.

23  CASTEX, Pierre‑Georges, Flaubert, L’Éducation sentimentale, nouvelle édition revue et corrigée, Société d’édition d’enseignement supérieur, coll. « Les Cours de la Sorbonne », Paris, 1989. pp. 243‑271.

24  Voir supraPremières approches du dossier manuscrit de L’Éducation sentimentale (1880‑1975).

25  CASTEX, Pierre‑Georges, « III‑Trois Carnets de notes [Transcription des Carnets 8, 12 et 14] » in Flaubert, L’Éducation sentimentale, op. cit., pp. 243‑271.

26  Outre les problèmes de transcriptions, on pourrait par exemple compléter les remarques du critique sur la visite du château de Fontainebleau (pp. 202‑203) par les recherches d’Éric Le Calvez (voir supra « Les travaux d’Éric Le Calvez (1989‑1994) »).

27 Williams, David Anthony, The Hidden Life at its Source : A Study of Flaubert's « L’Éducation sentimentale », University of Hull Publications, Hull, 1987, 257 p. (Particulièrement le chapitre II « The Planning of L’Éducation sentimentale », pp. 31‑71).

28 Williams, David Anthony, « La structuration du récit dans les scénarios de L’Éducation sentimentale » in Sur la génétique textuelle, op. cit., 1990, pp. 77–89.

29  Le critique reprend la plupart des informations déjà présentées dans sa communication de 1982 (voir supra « Premiers aperçus critiques des scénarios de la Bibliothèque Nationale » in Premières études de genèse sur le dossier de L’Éducation sentimentale (1975‑1985)). À l’aide  des scénarios et de la Correspondance de Flaubert, D. A. Williams a ainsi pu fixer la chronologie des stades de la planification du roman. Aux trois étapes de la genèse de L’Éducation sentimentale établies par J. Bruneau, Williams fait correspondre un quatrième « stade » : celui des scénarios partiels. On retiendra une autre publication du chercheur, parue en 1988, « L’Éducation sentimentale. Le classement des scénarios » (Études Normandes, n°3, pp. 47‑52) dans laquelle il reprend, de façon condensée, les propos déjà évoqués et explique principalement l’organisation chronologique des scénarios.

30  Sur ce point, voir l’article de P.‑M de Biasi publié en 1986 : « Flaubert et la poétique du non‑finito », op. cit, p. 45‑73. Sur la génétique scénarique flaubertienne, voir également les deux communications de Jacques Neefs publiées en 1992 : « L’écriture du scénarique » in Mimesis et Semiosis. Littérature et représentation (Nathan, Paris, pp.109‑21) (l’exemple pris est celui du scénario intial de L’Éducation sentimentale (Carnet 19)) et « La projection du scénario » in Études françaises, n° 28, pp. 67‑81 ; et, plus récemment, « Flaubert et la mimesis scénarique » in Flaubert et la théorie littéraire, Publications des Facultés universitaires Saint‑Louis, Bruxelles, 2005, pp. 97‑112.

31 Le Calvez, Éric, « CR : Gustave Flaubert : L’Éducation sentimentale, les scénarios édition préparée par Tony Williams, Corti, 1992 » in French Studies, XLVII, October 1993, p. 482.

32  Voir supra« Premiers aperçus critiques des scénarios de la Bibliothèque Nationale » in Premières études de genèse sur le dossier de L’Éducation sentimentale (1975‑1985).

33 Signalons que D. A. Williams n’a pas tenu compte, dans son édition, de l’ensemble des manuscrits rassemblés dans le treizième volume et conservés à la Bibliothèque Nationale de France sous la cote [N.A.Fr. 17611] : une partie des manuscrits couvrant les folios 109 à 188 a été laissée de côté par le chercheur. Du reste, depuis 2005, on peut également consulter via Internet cinq autres fragments de manuscrits dont des scénarios du roman relatifs au premier et cinquième chapitre de la deuxième partie. Ces fragments ont été mis en ligne sur le site Flaubert de Rouen grâce à l’obligeance du collectionneur (voir supra « Le manuscrit de L’Éducation sentimentale sur le WEB » in Bibliographie génétique de L’Éducation sentimentale). Il s’agit de scénarios qui ont été identifiés comme tels par Éric Le Calvez.

34  Sur ce point, nous renvoyons à l’ouvrage de P.‑M de Biasi, La Génétique des Textes, publié en 2002 (déjà cité) dans lequel le chercheur propose une définition de ces notions. Notons que la question de la terminologie des concepts en critique génétique est toujours d’actualité.

35 Matsuzawa, Kazuhiro, Introduction à l’étude critique et génétique des manuscrits de L’Éducation sentimentale de Gustave Flaubert – l’amour, l’argent, la parole‑, 2 volumes, préface de Pierre‑Marc de Biasi et postface de Jacques Neefs, Tokyo, France‑Tosho, 304 p ; 574 p. Impression de la thèse.

36  L’ordre chronologique des scénarios de l’avant‑dernier chapitre proposé par le chercheur japonais diffère  légèrement de celui déjà proposé par J. Bruneau. Voir supra « Premiers aperçus critiques des scénarios de la Bibliothèque Nationale » in Premières études de genèse sur le dossier manuscrit de L’Éducation sentimentale (1975‑1985).

37  Sur ce point, voir supra « Premiers travaux génétiques sur le dossier de rédaction de L’Éducation sentimentale (1980) » in Premières études de genèse sur le dossier manuscrit de L’Éducation sentimentale (1975‑1985).

38  Conformément au sens de « tableau statique » dans la méthode établie par P.‑M de Biasi pour l’édition des brouillons de La Légende de saint Julien l’Hospitalier, thèse de doctorat, soutenue à Paris VII en 1981, sous la direction de M. Jacques Seebacher, 5 volumes.

39  Voir supra « L’inventaire de Madeleine Cottin (1975‑1979) » in Premières études de genèse sur le dossier manuscrit de L’Éducation sentimentale (1975‑1985)).

40  On pourrait également faire se reporter chaque folio à la pagination de l’édition originale, de l’édition définitive et du Manuscrit définitif.

41  K. Matsuzawa a réalisé le relevé des variantes existantes entre les deux éditions du vivant pour l’avant-dernier chapitre. À ce relevé, il a ajouté les variantes d’une édition posthume : la réimpression de l’édition Charpentier de 1886. En effet, le critique a constaté qu’il existait entre l’édition Charpentier de 1879 et celle de 1886 une variante de ponctuation pour ce chapitre. On pouvait donc penser à une simple coquille. Or lorsqu’on examine attentivement l’édition de 1886 et qu’on la collationne avec l’édition définitive de 1879, on s’aperçoit qu’il existe, outre des coquilles typographiques, plus d’une vingtaine de modifications – et c’est sans compter les changements de signes de ponctuation‑ : il s’agit de coquilles ou de variantes non auctoriales puisqu’elles sont posthumes et dues vraisemblablement aux correcteurs de Charpentier. Mais la question est plus délicate dans la mesure où certaines de ces transformations semblent correspondre à la manière dont Flaubert corrigeait son texte… 

42 Matsuzawa, Kazuhiro, « Une note génétique sur L’Éducation sentimentale : l’ombre d’un doute » in La Naissance du texte Archives européennes et production intellectuelle (prétirages du Colloque internationale, Paris, 23‑25 septembre, 1987). La communication de K. Matsuzawa est absente du recueil collectif.

43 Matsuzawa, Kazuhiro, « Une lecture génétique des manuscrits de L’Éducation sentimentale. Autour de la dernière visite de Mme Arnoux » in Études de Langue et de Littérature françaises, n° 54, Tokyo, 1989, pp.18–34. Repris dans Quatre études génétiques sur Madame Bovary et L’Éducation sentimentale, Faculté des lettres de l’Université de Nagoya, Japon, 2000 (recueil disponible à l’ITEM).

44 Matsuzawa, Kazuhiro, « Sur la génétique textuelle  –  quelques notes sur introduction à l’étude critique et génétique des manuscrits de L’Éducation sentimentale de Gustave Flaubert » in Études de Langue et Littératures Françaises, n° 62, 1993, pp. 42‑54. Repris dans Quatre études génétiques sur Madame Bovary et L’Éducation sentimentale (voir note précédente).

45 Le Calvez, Éric, Génétique et poétique de la description. L’Éducation sentimentale de Flaubert, Tome I, Thèse pour le doctorat de Littérature Française, nouveau régime, sous la direction de M. Henri Mitterand, Université Paris III, 2 volumes, 1991, 442 p ; 688 p. Pour les transcriptions, le chercheur a fait précéder chaque ensemble de brouillons par le texte de l’édition définitive de 1880 qu’il a ensuite fait suivre des variantes de l’édition originale de 1869 et de la liste des occurrences.

46  Voir infra « Approches de la description (Éric Le Calvez) » in L’Envolée des études de genèse. Les manuscrits de L’Éducation sentimentale à l’ère du numérique (1995‑2205).

47  Pour éviter la répétition, dans cette partie, nous nous sommes bornées à ne donner qu’un bref aperçu des articles publiés durant la décennie préférant réserver une place plus importante aux travaux de ce chercheur dans la quatrième grande partie du mémoire.

48  Voir infra Base chrono‑bibliographique (1985‑1995). Certains articles de Le Calvez sont disponibles sur le site personnel du chercheur : www.ericlecalvez.com

49 Le Calvez, Éric, « Notes de repérage et descriptions dans L’Éducation sentimentale (Étude de genèse) » in Neuphilologische Mitteilungen, Bulletin de la Société Néophilologique, XCIV, 1993, pp. 359–375 ; Le Calvez, Éric, « Notes de repérage et descriptions dans L’Éducation sentimentale (Étude de genèse) II. Genèse de la forêt de Fontainebleau » in Neuphilologische Mitteilungen, Bulletin de la Société Néophilologique, XCV, n° 3‑4, pp. 363–383.

50 Le Calvez, Éric, « De la note documentaire à la description (quelques remarques génétiques à propos de L’Éducation sentimentale) » in Revue d’Histoire Littéraire de la France, 92e année, n° 2, mars/avril, 1992, pp. 210–223.

51 Le Calvez, Éric, « Visite guidée. Genèse du château de Fontainebleau dans L’Éducation sentimentale » in Genesis, manuscrit, recherche, invention, n° 5, 1994, pp. 99–116 (voir infra l’article de Bernard Masson).

52 Le Calvez, Éric, « Description, stéréotype, intertextualité. Une analyse génétique de L’Éducation sentimentale » in Romanic Review, 84, 1, january, 1993, pp. 27–42.

53 Le Calvez, Éric, « Génétique et hypotextes descriptifs (la forêt de Fontainebleau dans L’Éducation sentimentale)» in Neophilologus, 78, 1994, pp. 219–232.

54  P.‑M de Biasi signale, par exemple, l’intertexte visuel des gravures de Gustave Doré (Dante, Divine Comédie) comme source des arbres anthropomorphes dans la promenade dans la forêt de Fontainebleau.

55 Le Calvez, Éric, « La description modalisée. Un problème de poétique génétique (à propos de L’Éducation sentimentale) » in Poétique, n°99, septembre, 1994, pp. 339–68. Un autre article a paru la même année : « La description testimoniale L’Éducation sentimentale de Flaubert » (Les Lettres romanes, Louvain, XLVIII, n° 1‑2, pp. 27–41). Cet article n’est pas mentionné dans le corps du texte de cet état présent car il ne fait pas de références directes à l’avant‑texte du roman parisien.

56  BOURDIEU, Pierre, Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, coll. « Libre examen », Seuil, 1992. Réédité, coll. « Point Essais », Paris, 1998. Sur la critique des Règles de l’art, voir l’entretien de Pierre‑Marc de Biasi avec Pierre Bourdieu « Esthétique : les batailles pour l’hégémonie » in Magazine Littéraire, 1998, pp.49‑50 ; et l’article de Gisèle Séginger, « Flaubert contre Flaubert, L’Éducation sentimentale et le système Bourdieu » in Flaubert 5, Dix ans de critique, notes inédites de Flaubert sur l’esthétique de Hegel, 2005, pp. 87‑117.

57 Gothot‑Mersch, C., « Rousseau et Flaubert : une source de L’Éducation sentimentale dans les Confessions » in Mélanges de littérature en hommage à Albert Kies, textes réunis par Claudine Gothot‑Mersch et Claude Pichois, Publication des Facultés universitaires Saint‑Louis, Bruxelles, 1985, pp. 165‑176.

58  Dans le Livre 1er des Confessions, Jean‑Jacques Rousseau connaît, à l’instar de Frédéric dans L’Éducation sentimentale, deux amours simultanés : Mlle de Vulson et Mlle Goton.

59  Voir notamment l’ouvrageFlaubert and the Historical Novel. Salammbô reassessed (Cambrigde University Press, 1982, 185 p.) et l’article « Salammbô and Nineteenth‑Century French Society » (in Critical Essays on Gustave Flaubert. Laurence Porter, Boston, G. K. Hall & Co., 1986, pp. 104‑119) dans lesquels A. Green propose, entre autres, de faire correspondre la situation politique de Carthage et le personnage d’Hamilcar avec les événements révolutionnaires de 1848 dans le roman parisien.

60 Green, Anne, « Flaubert, Bouilhet and the illegitimate daughter : a Source for L’Éducation sentimentale » in French Studies, XL, n° 3, July, 1986, pp. 304‑310. 

61 Bismuth, Roger, « Présence des Liaisons dangereuses dans L’Éducation sentimentale » in Les Lettres Romanes, n°47, Université catholique de Louvain, Tome XLVII, nos 1‑2, février‑mai 1993, pp. 41‑48. Vingt ans auparavant, R. Bismuth avait déjà brièvement proposé cette piste, dans une note dans son article intitulé « Madame Bovary, c’est… Mme Arnoux » (Bulletin des Amis de Flaubert, mai 1972, n°42, pp. 14‑41). Il proposait de faire correspondre, entre autres, plusieurs passages de L’Éducation sentimentale et de Mme Bovary avec le texte des Liaisons dangereuses. Cet article recoupe également une autre étude du même critique sur le Dictionnaire des Idées Reçues et les deux œuvres majeures de Flaubert. Voir supra « L’édition des Belles Lettres (1942) » in Premières études de genèse sur le dossier manuscrit de L’Éducation sentimentale (1975‑1985).

62  DUREL, Marie, Genèse d’une héroïne flaubertienne : Marie Arnoux dans les manuscrits de L’Éducation sentimentale, Mémoire de D.E.A, Université de Rouen, 1992, 108 p. Marie Durel est également l’auteur d’une importante thèse sur le dossier manuscrit de Madame Bovary intitulé Classement et analyse des brouillons de Madame Bovary de Gustave Flaubert (thèse en 2 volumes (480 p. ; 487 p.)) soutenue à l’université de Mont St Aignan de Rouen, en janvier 2000.

63  TABAKI‑IONA, Frideriki, «La genèse du personnage » in  TABAKI‑IONA, Frideriki : Le personnage de Madame Arnoux dans L’Éducation sentimentale, Athènes, 1989, pp. 7‑17.

64 Gothot‑Mersch, Claudine, « Méandres de la création flaubertienne : La Vatnaz dans les manuscrits de L’Éducation sentimentale » in Texte, 7, 1988, pp. 81‑101.

65  Autre remarque : l’examen de la copie du Ms. définitif a permis à C. Gothot‑Merch de pointer un oubli du copiste concernant une formule de Flaubert sur l’aspect des yeux de la Vatnaz. Flaubert n’a vraisemblablement pas relevé cet oubli, au moment de la correction du manuscrit du copiste, ni même pendant celle des épreuves, vu que la formule n’apparaît ni dans l’édition définitive de 1869, ni dans  celle de 1880 : « […] ce n’est que sur le manuscrit autographe qu’il se décide pour « de gds yeux brillants et humides ». Par un hasard diabolique, le copiste saute la formule longtemps cherchée – et l’auteur, selon la coutume, laisse faire. Attitude étonnante chez un écrivain si minutieux, mais sur laquelle une lettre de Flaubert n’est pas sans jeter quelque lumière : « Quant à mon roman, L’Éducation sentimentale, je n’y pense plus, Dieu merci ! Il est recopié. D’autres mains y ont passé. Donc, la chose n’est plus mienne. Elle n’existe plus, bonsoir » Ainsi la chatte, diton, refuse de s’occuper du petit que d’autres ont touché… » ». L’examen des corrections réalisées par Flaubert sur le Manuscrit définitif et sur la copie montre que de temps à autres, le copiste a omis de recopier certains mots, adverbes, segments de phrases : pour lesquels Flaubert a, soit fait la correction, soit comme le relève C. Gothot‑Mersch, a laissé faire. Prenons un exemple. Dans la première partie du roman, on relève au chapitre 5, trois omissions du copiste dont une a été corrigée par Flaubert. Dans le Ms. définitif, à la page 66, Flaubert écrit : « Y avaitil au moins beaucoup de truffes ? » ; dans le mss. du copiste « au moins » saute et Flaubert ne fait pas la correction. À la page 101 du Ms. définitif, Flaubert écrit « mordillait qqfois son éventail » ; le copiste ne recopie pas l’adverbe « qqfois » et Flaubert ne relève pas. En revanche, lorsque le copiste oubli de transcrire sur la copie « des bourgeois, mais l’affliction » dans « avait fait les délices des bourgeois, mais l’affliction des patriotes » (Ms. définitif, p.104), Flaubert corrige dans la marge. Aussi, serait‑il judicieux de faire le relevé des omissions et des erreurs du copiste et de tenter ainsi une interprétation autour de ces corrections : on trouverait celles que Flaubert a corrigées sur la copie du copiste ; celles qu’il a laissées passer « intentionnellement » comme étant prédisposé à accepter certaines des interventions erronées du copiste (estimant qu’il serait lui‑même probablement revenu sur son manuscrit après coup) ; celles qu’il a laissées passer par inadvertance, ou encore celles sur lesquelles il est revenu au moment de la correction des épreuves de 1869.

66 Mathet, M.-T, « Une page de Flaubert : texte et manuscrits » in Sur la génétique textuelle, op. cit., 1990, pp. 65‑76. Voir aussi « Annexe I. « Étude stylistique d’un monologue de Frédéric dans L’Éducation sentimentale » in MATHET, M.‑T, Le Dialogue romanesque chez Flaubert, Aux amateurs de livres, 1988, pp. 557‑586. Impression de la thèse (656 p).

67 Kudo, Y, « Lecture d’un manuscrit (I). Étude de la scène d’apparition dans L’Éducation sentimentale » in Proceedings of the Departement of Foreign Languages and Literatures, Tokyo, 39, n°2, 1991, pp. 135‑158.

68 Flaubert, Gustave,Voyage en Égypte, édition intégrale des Carnets établie et présentée par P.‑M de Biasi, Grasset, Paris, 1991, 460 p.

69  Voir sur ce point l’article de J. Pommier et C. Digeon intitulé « Du nouveau sur Flaubert et son œuvre » in Mercure de France, 1er mai, 1952, p. 54, note 29.

70 Flaubert, Gustave,Voyage en Égypte,