Sommaire
- Premières études de genèse sur le dossier manuscrit de
- Introduction
- L’entrée des manuscrits de
- L’inventaire de Madeleine Cottin (1975‑1979)
- L’aspect des brouillons
- Le « classement »
- Treize volumes de brouillons
- Du nouveau dans la
- De nouvelles éditions
- Du nouveau dans les lettres de travail
- La dimension autobiographique revisitée
- Les premières études de genèse des années 1980
- Premiers travaux génétiques sur le dossier de rédaction de
- Les actes des colloques du Centenaire (1981‑1983)
- Premiers aperçus critiques des scénarios de la Bibliothèque Nationale (1982‑1984)
- De nouvelles éditions critiques du texte
- L’édition de l’Imprimerie Nationale (A. Raitt)
- Les premières éditions d’ « inspiration génétique »
- L’édition des Classiques Garnier (P.-M Wetherill, 1984)
- Le second volume
- L’édition Garnier‑Flammarion (C. Gothot-Mersch, 1985)
- Bilan critique (1975‑1985)
- Notes de bas de page
Premières études de genèse sur le dossier manuscrit de L’Éducation sentimentale (1975‑1985)
Introduction
Comme on a pu le voir, en 1975, c’est l’ensemble des plans, scénarios, brouillons, notes de L’Éducation sentimentale qui entre, après une longue période de privatisation, à la Bibliothèque Nationale grâce à un crédit exceptionnel accordé par l’Élysée1. Signe des temps, cette acquisition est pratiquement contemporaine de la formation, en 1978, de l’équipe Flaubert qui réunit des chercheurs de nationalités et d’horizons critiques différents, et qui va désormais disposer d’un corpus quasi‑complet. Deux ans plus tard, en 1980, on fête le centenaire de la mort de Flaubert. Ce centenaire coïncide avec une période de renouveau critique autour de son œuvre. Les publications se multiplient, et des numéros spéciaux de revues sont consacrés à l’auteur (L’Arc2; La Revue des Sciences Humaines3). De nombreux colloques, journées d’études et expositions (Bibliothèque municipale de Rouen4; Bibliothèque Nationale5) sont organisés, en France (Gustave Flaubert (La Revue d’Histoire Littéraire de la France)6 ; Flaubert, la femme, la ville7) comme à l’étranger (Flaubert and Postmodernism8 ; Flaubert et la dimension du texte9) réunissant notamment les chercheurs du CAM (J. Bellemin‑Noël ; P.‑M de Biasi ; C. Duchet ; R. Debray‑Genette ; A. Herschberg‑Pierrot ; J. Levaillant ; C. Gothot‑Mersch ; J.‑Cl Mallet ; H. Mitterand ; C. Mouchard ; J. Neefs ; P.‑M Wetherill). C’est aussi à ce moment que l’étude de la genèse des œuvres s’impose sous le nom de « critique génétique ». On voit paraître les premiers textes critiques sur le sujet (Le Texte et l’avant‑texte, 1972, Essai de critique génétique, 1979, Leçons d’écriture, 1986)10, les premières terminologies s’élaborent, et avec elles, de nouveaux travaux sur les manuscrits, notamment ceux de l’équipe Flaubert, animée par Raymonde Debray‑Genette (Flaubert à l’œuvre, 1980)11 puis par Jacques Neefs.
L’entrée des manuscrits de L’Éducation sentimentale à la Bibliothèque Nationale (1975)
L’inventaire de Madeleine Cottin (1975‑1979)
Au moment de la formation de l’équipe Flaubert, le dossier de rédaction de L’Éducation sentimentale n’est pas encore accessible : si les brouillons sont acquis par la Bibliothèque Nationale en 1975, les cinq premières années qui suivent, sont consacrées au catalogage et au « classement » de cette énorme masse de feuillets. À l’époque, c’est Madeleine Cottin conservatrice honoraire au Département des manuscrits de la Bibliothèque Nationale, qui est chargée d’identifier, inventorier et classer les six gros dossiers12 que constituent les brouillons de L’Éducation sentimentale. D’après la conservatrice, dans une communication publiée au Bulletin de la Bibliothèque Nationale, le manuscrit de L’Éducation sentimentale est arrivé « dans le plus complet désordre et la première et indispensable tâche, en vue de son étude, est un essai méthodique de classement qui s’annonce long et difficile »13. Dans la notice dactylographiée14, qui accompagne le manuscrit, M. Cottin fait état de l’aspect du manuscrit, des difficultés rencontrées et de la méthode utilisée pour le classement.
L’aspect des brouillons
À première vue, cet ensemble met en présence des brouillons :
« aux multiples aspects ébauches, projets, scénarios, rédactions successives plus ou moins élaborées allant du grimoire parfois illisible à la mise au net presque sans retouches. Outre les variantes manuscrites très nombreuses par rapport au texte de l’édition, on remarque la suppression ou le déplacement de plusieurs passages. Certains ont été découpés aux ciseaux, ou déchirés à la main afin d’être déplacés et joints à une autre partie des brouillons (…) Sur la plupart des pages figurent des numérotations diverses de la main de Flaubert : chiffres romains, chiffres arabes, lettres. Elles ne présentent pas une série continue, mais des groupes de pages sans doute en vue de la recopie au net (Ms. de la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris) »15
Mais ce qui semble poser problème, c’est surtout le fait que les brouillons soient écrits au recto et au verso. Effectivement, depuis l’édition Conard (1923), on sait que les brouillons de L’Éducation sentimentale sont écrits au recto et au verso. En revanche, ce que J. Suffel a souligné dans son article de 196916, et qui est confirmé par M. Cottin dans la notice, c’est que, contrairement à ce qui avait été dit auparavant, notamment dans l’édition Conard (p. 635) et dans la brève description donnée par l’expert Morot, lors de la vente de 193117, le recto et le verso d’un feuillet sont le plus souvent sans rapport direct de contenus :
« Chaque feuillet est utilisé recto et verso, pour des brouillons ou des recopies le plus souvent sans rapport entre eux, de sorte qu’à un ordre des rectos correspondra un désordre des versos »18
On comprend donc pourquoi le classement s’annonce « long et difficile » selon l’expression de la conservatrice. De même, rien ne permet de définir clairement dans un feuillet ce qui correspond au recto ou au verso. Pour le foliotage, M. Cottin a donc abandonné toute tentative « pour détacher de l’ensemble une version continue du texte », et a fait le choix d’adopter comme recto la face barrée d’une grande croix en X (croix de Saint André). L’entreprise de M. Cottin correspond à une règle, relativement arbitraire, qui fera l’objet d’un examen par les généticiens dans les années suivantes.
Le « classement »
Le « classement » a commencé par un premier travail de repérage qui a consisté à extraire et à examiner chaque feuillet en fonction de l’édition Garnier‑Flammarion de 195919 « choisie comme étant actuellement la plus accessible ». Chaque recto et verso du feuillet a été identifié par rapport au texte imprimé et porte le chiffre de la page correspondante à l’édition, précisant que « si le texte de la page manuscrite recouvre, dans l’ensemble, celui d’une page imprimée, on a noté sur le manuscrit le chiffre seul ; si le texte de la page manuscrite déborde celui de la page imprimée, on a fait suivre le chiffre de plusieurs points… ». Des photocopies ont été jointes à l’ensemble et « mises dos à dos à l’aide d’un trombone afin de reconstituer le feuillet original ». Des chiffres repères ont également été portés sur lesdites photocopies. Un second travail a consisté à rapprocher tous les rectos qui représentent un même passage du texte. Ils ont été réunis dans l’ordre successif des parties, puis chapitre par chapitre d’après la pagination de l’édition de poche. Au fur et à mesure de ce classement, M. Cottin a relevé tous les feuillets qui ne faisaient pas partie de la rédaction narrative proprement dite c’est‑à‑dire les plans, scénarios et notes documentaires et lettres qu’elle a classés dans un volume à part. Et lorsqu’un feuillet a été utilisé à la fois comme plan (ou scénario) et comme brouillon, la conservatrice fait le choix de le classer parmi les brouillons.
Treize volumes de brouillons
Après cette mise en ordre laborieuse les six dossiers de brouillons acquis en 1975 ont donc été montés sur onglet dans des reliures pour finir par constituer treize volumes : douze volumes de brouillons répertoriés sous la cote [N.a.fr. 17599‑17610] et un volume à part [N.a.fr. 17611] rassemblant les plans et résumés, scénarios, notes documentaires, notes et documents divers. En fin du dernier volume [17611] a été joint un petit dossier de documents regroupant des fragments autographes divers (36 feuillets contenant fragments de scénarios, de notes documentaires, de brouillons et des lettres de proches) ayant fait l’objet d’un achat postérieur de la Bibliothèque Nationale lors d’une vente à l’Hôtel Drouot datant du 15 novembre 1977. Comme on a pu le voir, plusieurs de ces autographes, particulièrement les fragments de notes documentaires sont des pièces issues du lot n°184 de la vente de 1931 (dont R. Dumesnil en avait reproduit photographiquement une partie dans son petit ouvrage de 1943, Flaubert et L’Éducation sentimentale). L’ensemble des treize volumes est présenté en 1980 lors de l’exposition du centenaire de Flaubert à la Bibliothèque Nationale, à côté d’autres manuscrits autographes de l’auteur, prêtés, pour l’occasion par de nombreuses institutions officielles et certains collectionneurs.
Du nouveau dans la Correspondance de Flaubert
De nouvelles éditions
Au cours de cette période de classement, la Correspondance de Flaubert fait l’objet de nouvelles éditions. Dès 1974, ce sont cinq volumes de lettres de Flaubert qui sont publiés au Club de l’Honnête Homme20 : les lettres y sont classées par ordre chronologique, le texte et la datation de certaines lettres ont été corrigés d’après les autographes. Et même si cette édition manque sérieusement d’annotations, on trouve, en revanche, un index qui facilite le repérage. Au même moment, pour la collection de la « Pléiade », Jean Bruneau établit les deux premiers tomes de la Correspondance de Flaubert pour la période (1830‑1858)21 dont le premier est paru en 1973 et le second en 1980. Mais, pour L’Éducation sentimentale, il faudra encore attendre un peu plus d’une dizaine d’année pour que paraisse le Tome III (1991) qui couvre la période de rédaction du roman parisien. En 1978 paraît une édition séparée des lettres inédites de Maxime Du Camp à Flaubert (lettres qui ont échappé à la destruction décidée par les deux amis), présentée et annotée par Giovanni Bonaccorso (Messine, 1978)22. Cette Correspondance s’étend de la période 1844 à 1880. On regrette cependant que Giovanni Bonnacorso n’ait pas pu pour son édition faire figurer les lettres signalées par Jacques Suffel dans son article publié un an après l’édition du chercheur italien : « Quelques remarques sur la Correspondance de Gustave Flaubert et de Maxime Du Camp ». Enfin, en 1981, c’est la publication de l’excellente correspondance croisée de Flaubert‑Sand, présentée et annotée par Alphonse Jacobs (Flammarion, 1981)23. Entre 1975 et 1980, excepté les communications de M. Cottin et celles de R. Pierrot qui offrent un premier aperçu de l’ensemble du dossier de rédaction et quelques reproductions photographiques24 des brouillons (les premières depuis celles publiées dans l’édition Conard en 1923), on n’apprend rien de plus ni sur le dossier de rédaction de L’Éducation sentimentale, ni sur le dossier documentaire. En fait, les brouillons restant à peu près inaccessibles, ce sont surtout les travaux de quelques spécialistes, entrepris sur la Correspondance de Flaubert, qui font avancer les recherches sur la genèse de L’Éducation sentimentale et la chronologie de la rédaction.
Du nouveau dans les lettres de travail
Dans deux articles, J. Suffel s’intéresse aux rapports entre M. Du Camp et Flaubert, et signale des lettres de travail donnant des informations sur la rédaction de L’Éducation sentimentale. Le premier paraît au Bulletin du Bibliophile en 1978, sous le titre « Gustave Flaubert, Maxime Du Camp et Adèle Husson »25. À l’époque chargé de la « Collection Lovenjoul », et bibliothécaire à la Bibliothèque National, J. Suffel a eu l’occasion de publier et de transcrire in extenso la lettre (déjà citée par B. F Bart en 1962)26 d’Adèle Husson dite « le mouton » adressée à Flaubert dans laquelle, comme on a pu le voir, cette dernière fait une douzaine d’observations sur le texte de L’Éducation sentimentale après sa lecture de la copie du manuscrit autographe. D’après J. Suffel, Flaubert aurait retenu une partie des corrections proposées par A. Husson. Cette lettre est un témoignage particulièrement important pour la genèse du roman et constitue ce qu’on appellerait aujourd’hui, un bon exemple de lettre de travail comme document génétique. Un an plus tard, en 1979, Suffel propose un nouvel article : « Quelques remarques sur la Correspondance de Gustave Flaubert de Maxime Du Camp »27. Il fait une mise au point sur les lettres conservées dans le fond Lovenjoul de la Bibliothèque de l’Institut : on apprend, par exemple, qu’il existe dans ce fond 51 lettres de Flaubert à M. Du Camp pour la période qui couvre la rédaction de L’Éducation sentimentale (1863‑1869). Outre les lettres conservées à l’Institut, J. Suffel signale également l’existence de quatre lettres de M. Du Camp passées entre les mains de collectionneurs lors de la vente publique Franklin‑Grout de 1931 à Drouot dans le lot 187 : la lettre du 15 juin 1865 ; celle du 19 octobre 1866 ; une lettre du 15 juin 1867 et une lettre du 23 juin 1867. Ces lettres sont particulièrement importantes en ce qui concerne la rédaction de L’Éducation sentimentale28. J. Suffel mentionne également trois autres lettres (datée du 22 septembre ; du 1er octobre ; et une « sans date ») de M. Du Camp à Flaubert, dans lequel M. Du Camp renseigne Flaubert pour la rédaction de plusieurs passages du roman, principalement sur les journées de juin 1848 (III, 3). Le critique en propose des extraits sans préciser l’origine de ces lettres, signalant simplement qu’elles ne figurent pas dans le fond Lovenjoul. En fait, ces lettres proviennent de la vente Drouot du 15 novembre 1977, et sont conservées avec le manuscrit autographe à la Bibliothèque Nationale29.
La dimension autobiographique revisitée
De son côté, la même année, Jean Bruneau à partir de lettres inédites cherche à réévaluer la place de la dimension autobiographique dans le roman de 1869. Déjà en 1962, au chapitre IX de sa thèse Les Débuts littéraires de Gustave Flaubert, le critique tentait, à partir des informations contenues dans le Carnet 19 et de la Correspondance, de nuancer la référence autobiographique en montrant un certain décalage entre la vie et l’œuvre de Flaubert30. Dans deux articles, dont le premier est paru en 1979 et le second en 1983, le critique propose une mise au point plus complète sur les rapports entre Flaubert et Élisa Schlesinger en se fondant sur une série de lettres, en partie inédites. Pour « L’Éducation sentimentale, un roman autobiographique ? »31, J. Bruneau (qui travaillait alors au second tome de la Correspondance de Flaubert) a pu examiner un dossier, en partie inédit, conservé à la Bibliothèque de l’Institut : les lettres de M. Du Camp à Flaubert, dans lesquelles, il s’entretient de ses amours avec Valentine Delessert. Comme on a pu le voir, la critique avait déjà travaillé sur ce dossier, en ne le citant et en ne l’exploitant que partiellement (M. Parturier, 1931)32. J. Bruneau propose de comparer plusieurs fragments inédits de ces lettres avec des passages du roman où il est question des amours de Mme Dambreuse et de Frédéric (III, 2). D’après le critique, il apparaît que la source principale du personnage de Frédéric serait moins Flaubert que M. Du Camp, du moins pour ce qui est des rapports entre Mme Dambreuse et Frédéric, ajoutant, plus loin, que les divergences entre les amours de Frédéric et de Mme Dambreuse et ceux de M. Du Camp et V. Delessert prouvent que Frédéric est un personnage composite et que « Flaubert ne raconte pas plus sa vie que celle de ses amis ; il s’en sert, voilà tout ». À l’analyse de ce dossier s’ajoute une tentative de relecture du scénario initial publié par M.‑J Durry. Le critique distingue deux plans complets. D’après lui, le premier plan est le plus riche en références autobiographiques, mais fait apparaître que l’écrivain retravaille déjà les éléments personnels et mélange plusieurs périodes de sa vie. Quant aux traits empruntés à des personnages réels, Flaubert semble les avoir cherchés dans son entourage auprès de différentes personnes n’ayant aucun rapport entre elles, tout en redistribuant les emprunts, à sa guise, pour l’élaboration de ses personnages fictifs. On est donc loin de la première hypothèse de M.‑J Durry qui s’orientait vers l’idée d’un roman à clé ou chaque personnage de fiction aurait recouvert un individu réel identifiable. Dans le second plan, il apparaît que Flaubert s’écarte peu à peu de son premier jet (autobiographique ou non) et pour J. Bruneau, la raison de cet éloignement est moins « personnel » qu’artistique. Dans « Sur l’avant‑dernier chapitre de L’Éducation sentimentale (avec des documents inédits) »33, publié en 1983, J. Bruneau continue son travail de démystification et tente de montrer, en se fondant sur la Correspondance, que la dernière entrevue entre Frédéric Moreau et Marie Arnoux (III, 6) n’a pas sa source dans un épisode vécu par Flaubert. J. Bruneau fait d’abord une mise au point de tous les éléments connus concernant Flaubert et Élisa Schlesinger auxquels il ajoute deux lettres inédites. Il pose ensuite le problème d’une rencontre de Flaubert et d’Élisa Schlesinger à Mantes durant la rédaction de L’Éducation sentimentale et démontre qu’elle n’a pas eu lieu comme le prouvent plusieurs lettres inédites entre Flaubert et L. Bouilhet. D’après le critique, Flaubert n’aurait revu Élisa Schlesinger qu’en 1871 (donc, après la parution de L’Éducation sentimentale) et, par conséquent, la dernière entrevue des deux protagonistes du roman « n’aurait jamais été vécue par Flaubert mais imaginée par lui en fonction à la fois de sa vie et de son roman »34. Tout à l’opposé de la thèse autobiographique, il semblerait donc que le texte de la rencontre entre Frédéric et Marie Arnoux à la fin du roman ait été pour Flaubert une façon d’anticiper sur l’expérience réelle de leur dernière entrevue qui sera vécue en 1871, trois ans après avoir été écrite, en 1869. Les deux communications de J. Bruneau ont permis de connaître un peu mieux les rapports entre Élisa Schlesinger et Flaubert, de dater certaines lettres, d’en découvrir d’autres et surtout de complexifier la place de la dimension autobiographique dans l’œuvre de 1869, et montrer l’importance de l’invention romanesque, comme moteur principal du roman.
Les premières études de genèse des années 1980
Premiers travaux génétiques sur le dossier de rédaction de L’Éducation sentimentale (1980)
En 1979, l’inventaire des manuscrits de L’Éducation sentimentale est terminé. Dès 1980, les premières recherches sur le manuscrit sont publiées. Grâce à Roger Pierrot qui s’intéressait vivement aux recherches entreprises par le CAM, quelques chercheurs ont commencé à travailler sur les brouillons au fur et à mesure du catalogage. On doit ces premiers travaux à Guy Sagnes et Peter Michael Wetherill. Entre 1980 et 1981, G. Sagnes publie deux études à dominante génétique sur la présence d’un modèle ou contre‑modèle balzacien dans les brouillons de L’Éducation sentimentale. Dans « De Balzac à Flaubert : l’enfance de Deslauriers d’après le manuscrit de L’Éducation sentimentale »35 (étude ponctuelle microgénétique), G. Sagnes s’interroge sur la brièveté de la narration flaubertienne. À partir de l’analyse des neufs états de rédaction, qui constituent l’« avant‑texte » de l’enfance de Deslauriers (I, 1) (dont il propose une partie des transcriptions), G. Sagnes montre qu’entre la brièveté du scénario et celle du texte définitif, Flaubert opère un détour par un développement de type balzacien : la brièveté et la fermeté de la phrase flaubertienne trouvent donc leur accomplissement dans une tentative consciente vis‑à‑vis du « modèle » balzacien. Dans sa seconde étude (multiple microgénétique), G. Sagnes nous plonge plus profondément au cœur des « Tentations balzaciennes dans le manuscrit de L’Éducation sentimentale »36 en élargissant son domaine d’exploration à l’ensemble des scénarios et des brouillons du roman de 1869. À partir d’un relevé des références explicites (ou non) à Balzac faites par Flaubert dans le roman et dans les manuscrits, G. Sagnes met en évidence la façon dont Flaubert, tout en s’essayant aux « manières balzaciennes » (plus spécifiquement lorsqu’il campe le portrait de ses personnages, notamment celui de Deslauriers), s’éloigne consciemment, au fur et à mesure de sa rédaction, du modèle balzacien, poussé le plus souvent par des raisons techniques, grâce à un travail de suppression et de condensation37, qui lui permet ainsi d’affirmer ce qui fait la modernité de son style : une phrase « brève et tranchante ». La modernité de Flaubert s’inventerait donc contre le roman balzacien. Les travaux génétiques de G. Sagnes, repris ensuite par d’autres chercheurs, sur les rapports entre L’Éducation sentimentale et l’œuvre balzacienne38, viennent enrichir, compléter et surtout revisiter certaines études de critiques des sources antérieures, notamment les travaux d’André Vial39. En 1980, le premier recueil collectif Flaubert à l’œuvre qui regroupe les premiers résultats des recherches entreprises sur les manuscrits flaubertiens de l’équipe Flaubert du CAM est publié. Dans cet ouvrage, on trouve notamment une étude de genèse (ponctuelle microgénétique) réalisée par le chercheur P.‑M Wetherill à partir du dossier de rédaction de L’Éducation sentimentale. « C’est là ce que nous avons eu de meilleur »40 retrace les métamorphoses rédactionnelles de la fin du roman : l’« épisode » de la Turque qui clôt la troisième partie (III, 7). Le critique propose la transcription linéarisée intégrale des treize états successifs (scénarios et brouillons) qui constituent l’« avant‑texte » de ce passage (avec un code de transcription défini) et un commentaire critique qui tente de montrer « les grandes articulations » génétiques, thématiques et linguistiques, de la méthode de composition flaubertienne. L’analyse des manuscrits de ce passage montre surtout comment dès le premier scénario ont été définis certains faits essentiels du point de vue de l’intensité thématique comme le geste des « fleurs offertes », le mode d’écriture de l’épisode « raconté à l’indirect » et comment les différents stades d’écriture révèlent un texte « en voie d’obscurcissement ». Si la « problématisation du texte » a déjà été constatée par la critique (en ce qui concerne notamment les problèmes liés à la chronologie narrative souvent ambiguë ou au rapport à l’Histoire) elle est ici revue et analysée à la lumière des brouillons. Le chercheur montre, notamment, que si Flaubert a parfois totalement effacé des informations (les mobiles, par exemple), des indications (dates, mois), des renvois, des résonances (balzaciennes surtout), des allusions trop évidentes et très souvent des enchaînements logiques, c’est non seulement par désir d’éviter les redondances (comme c’est souvent le cas chez Flaubert) mais aussi et surtout, dans une volonté de « problématiser » le texte : pousser le texte vers l’opacité, un obscurcissement progressif. D’après Wetherill et son analyse des brouillons de L’Éducation sentimentale, il y a chez Flaubert la volonté consciente de brouiller les pistes en obscurcissant le texte : le récit doit être assez indécidable pour obliger le lecteur à participer à sa signification mais aussi assez ouvert pour ne pas le condamner à « rendre cette participation tout à fait inopérante ».
Les actes des colloques du Centenaire (1981‑1983)
Le centenaire de la mort de Flaubert se traduit par des colloques et des journées d’études qui deviennent pour les études de genèse l’occasion d’importantes publications sur le dossier de rédaction de L’Éducation sentimentale. Parmi ces parutions, on retiendra la publication en 1981, par la Société des Études Romantiques, des actes d’un colloque centré principalement sur le roman parisien, Histoire et langage de Flaubert dans L’Éducation sentimentale41 ; la publication en 1982 des actes du colloque international Flaubert et la dimension du texte42, organisé par P.‑M Wetherill ; et l’année suivante, la parution aux Presses Universitaires de France, d’un ouvrage regroupant les communications d’une journée d’étude organisée par Marie Brancquart autour du thème Flaubert, la femme, la ville43.
Sur les dix travaux présentés dans Histoire et langages de Flaubert dans L’Éducation sentimentale, seulement deux se fondent exclusivement sur les brouillons du roman conservés à la Bibliothèque Nationale, il s’agit des communications de deux chercheuses : Maria‑Amália Cajueiro‑Roggero et Anne Herschberg Pierrot. Cajueiro‑Roggero propose une étude (multiple microgénétique) du « Dîner chez les Dambreuse « la réaction commerçante » »44 (III, 2). La chercheuse reprend un thème développé dans sa thèse de doctorat sur La Représentation de l’Histoire dans L’Éducation sentimentale (Nizet, 1981) : le rapport entre la fiction et l’Histoire ou comment l’Histoire est‑elle racontée « à travers des scènes à caractère plutôt fictionnel ». Dans cette perspective, elle propose une relecture de la scène du dîner chez les Dambreuse à partir des brouillons et scénarios BN. L’examen des manuscrits montre, entre autres, que Flaubert est passé d’un discours marqué par la précision historique (date, informations, précision locutoire) à un texte définitif qui intègre l’Histoire au discours romanesque. En passant par la suppression d’informations, de dates, d’indications historiques mais aussi par le glissement progressif vers le « on » de la rumeur, Flaubert réussit à lier discours historique et discours romanesque évitant ainsi que les « fonds » (l’Histoire) ne « mangent » (selon l’expression de l’écrivain) totalement les « premiers plans » (la fiction) : il donne ainsi une « re‑présentation » de l’Histoire à travers le langage et la pensée de ses personnages. Quant à l’article d’A. Herschberg Pierrot, il s’agit d’une analyse (multiple microgénétique) du rapport à l’Histoire mais, cette fois, traité sur le mode linguistique puisque l’auteure s’intéresse principalement au « Travail des stéréotypes dans les brouillons de la « Prise des Tuileries » »45 (III, 1). À partir de l’examen de l’ « avant‑texte » du début de la « prise des Tuileries » (spécifiquement, la « montée aux Tuileries » et la « scène du trône »), A. Herschberg Pierrot montre comment Flaubert s’empare des clichés idéologiques du discours social sur la Révolution de 1848 (l’image du « flot », du « prolétaire », de la « sueur », du « troupeau du peuple », du « trône ») pour ensuite les « remotiver » dans les brouillons par un travail de développement métaphorique. Elle montre comment cette métaphorisation est elle‑même suivie de modifications (allant de l’effacement de détails concrets à la condensation des images), qui transforment les clichés en « idées reçues » dont le statut devient « indécidable » dans le texte définitif, participant ainsi à une « indétermination du texte, des images et de l’énonciation ». Ce travail des clichés dans les brouillons contribue à l’ambiguïté du langage flaubertien, mais permet également de révéler le statut ironique de la citation chez Flaubert. À côté de ces deux communications substantielles, Alan Raitt publie dans le même recueil « L’Éducation sentimentale et la pyramide »46. Dans cette étude à composante génétique, il tente de déceler la structure du roman de 1869, en posant une première hypothèse qui serait que la disposition « pyramidale » (souvent évoquée par Flaubert au sujet de ses œuvres) se trouverait dans le découpage des chapitres. S’il n’a pas eu la chance d’accéder aux brouillons de la Bibliothèque Nationale pour cet article, le critique fait tout de même une remarque intéressante (p. 136) sur l’évolution des plans de L’Éducation sentimentale en ajoutant aux informations déjà présentes dans le Carnet 19, celles d’un plan du roman communiqué par M. Cottin dans le Bulletin de la Bibliothèque Nationale quelques années plus tôt. Dans ce plan, qui selon A. Raitt semble dater d’une étape intermédiaire dans la préparation du roman, certaines scènes et l’ordre d’apparition des personnages ne sont pas encore définis, mais le découpage en chapitre et en partie est bien visible même s’il reste encore assez vague. L’examen détaillé du découpage laisse apparaître que Flaubert s’intéresse moins à la nature logique de la division en chapitre qu’au phénomène et à l’impact de la scission elle‑même. D’après A. Raitt, l’apparente symétrie du texte publié (trois parties comprenant chacune six chapitres et un épilogue) n’est qu’un leurre servant à brouiller les pistes, et en ce sens, la structure de L’Éducation sentimentale doit se chercher non pas dans le découpage des chapitres, comme l’ont pensé d’autres commentateurs, mais plus spécifiquement dans les thèmes principaux et les scènes du roman. On retiendra également une autre communication du même auteur « La Décomposition des personnages dans L’Éducation sentimentale »47, publiée dans Flaubert, la dimension du texte, dans laquelle Raitt propose une étude « psychologique » des personnages du roman en notant que dès le premier scénario, Flaubert semble avoir mis son roman sous le signe de la discontinuité et de l’insaisissable. Il montre notamment que, contrairement à Madame Bovary, au lieu de doter ses personnages de traits propres qui permettraient de les cerner (comme le ferait Balzac pour ses personnages), Flaubert les présentent délibérément de façon très lacunaire et disparate créant ainsi une incertitude (physique ou sociale) autour de leur identité. On regrette toutefois que le chercheur n’ait pas développé cet aspect du texte à partir des brouillons, alors disponible, et qu’il se borne à quelques remarques liminaires sur le scénario initial. Dans le même recueil, C. Gothot‑Mersch propose une étude (multiple macrogénétique) sur les « aspects de la temporalité »48 dans quatre œuvres de Flaubert dont L’Éducation sentimentale. L’auteure remarque que dans l’« avant‑texte » du roman de 1869, le cadre temporel est nettement délimité. Tandis que le scénario initial n’offre qu’une seule date « depuis 1830 », les brouillons et les scénarios BN sont riches en repères chronologiques. Des dates ponctuent l’esquisse d’une partie ou d’une scène ; on trouve un plan chronologique en colonne et des listes de faits précis et d’événements politiques datés qui concernent particulièrement trois périodes (1842‑1843, 1847 et 1848‑1851). Cependant, si le roman apparaît totalement programmé dès les premiers scénarios BN par un cadre chronologique précis, C. Gothot‑Mersch note certaines lacunes notamment pour la période (1844‑1846). Cette période concerne précisément la durée du séjour de Frédéric à Nogent (I, 6). Dans le texte définitif, la délimitation chronologique du séjour n’est pas très claire : le retour de Frédéric date de décembre 1845, pourtant les indices chronologiques donnés par les événements romanesques obligent à avancer la date d’un an (1846). Et comme le remarque, C. Gothot‑Mersch, cette hésitation persiste dans les brouillons. Pourtant, par deux fois, Flaubert évalue la durée du séjour de Frédéric à Nogent à « trois ans », ce qui reviendrait à dater le retour de Frédéric en décembre 1846 et non plus en 1845 comme c’est écrit dans la version définitive. Cependant, d’après elle, on ne doit pas conclure à une « simple erreur » de la part de Flaubert, comme l’avaient fait jusque‑là certains commentateurs49 mais plutôt à un dysfonctionnement du processus d’écriture flaubertien : l’examen des manuscrits montre que Flaubert fixe ponctuellement les dates par « séries » indépendantes les unes des autres sans chercher à repenser le problème dans son ensemble ce qui peut, au demeurant, expliquer d’autres problèmes comme celui de la durée de la grossesse de Rosanette (près de deux ans !) (III, 3). L’examen des brouillons a également montré que Flaubert travaille constamment à modifier les dates, les durées et souvent les raisons de ces modifications sont difficilement interprétables. Selon C. Gothot‑Mersch si « l’euphonie » joue effectivement un rôle important dans la plupart des modifications, « la recherche superstitieuse de la « bonne date » » y est sans doute pour quelque chose. Au total, il y a un vrai travail sur la chronologie mais qui se fait de manière totalement segmentée sans que Flaubert cherche à recréer un « cadre temporel cohérent ». Cet article éclaire le travail narratif de Flaubert sur la chronologie intra‑diégétique et sur certaines allusions historiques, en remettant à jour les interprétations sur le temps romanesque (S. Buck, J. Pinatel, A. Cento, A. Raitt). L’examen des ébauches temporelles de L’Éducation sentimentale conduit C. Gothot‑Mersch à l’hypothèse que la structure de l’œuvre se construirait donc autour d’un vide50. De son côté, P.‑M Wetherill réalise une étude (multiple macrogénétique) sur la topographie parisienne dans L’Éducation sentimentale51. Dans cet article, le chercheur a tenté de montrer l’importance de l’histoire de Paris et de sa topographie pour le sens et la signification du roman. À travers l’examen des brouillons, il montre comment, loin d’être innocente, la ville flaubertienne et principalement la topographie parisienne à la fois suit et permet de comprendre la vie et l’état d’esprit des personnages du roman.
Premiers aperçus critiques des scénarios de la Bibliothèque Nationale (1982‑1984)
Entre‑temps, sont parues deux communications, à « dominante génétique » globales macrogénétiques, portant spécifiquement sur les plans et scénarios de la Bibliothèque Nationale. En 1982, David Anthony Williams est le premier chercheur à s’intéresser à l’ensemble de ce corpus dans une courte communication publiée dans le numéro 2 du French Studies Bulletin52. Il s’agit d’un court descriptif des plans et scénarios acquis en 1975 par la BN contenus dans le volume XIII coté [N.a.fr. 17611]. Dans cette brève étude, le critique interroge le système de planification de L’Éducation sentimentale. Il reprend la nomenclature (scénarios d’ensemble, scénarios partiels, esquisses et brouillons) déjà utilisée par les généticiens flaubertiens et notamment par C. Gothot‑Mersch pour La Genèse de Madame Bovary (1966) mais fait remarquer que, pour L’Éducation sentimentale, le système de planification paraît beaucoup plus rigide et soigné que pour Madame Bovary. À partir de la Correspondance, il souligne également le fait que les scénarios d’ensemble, les folios 105 à 108 ont été rédigés avant la rédaction proprement dite du roman (1864) et que les autres (scénarios partiels et esquisses) seulement au moment de la composition spécifique d’une partie ou d’un chapitre. L’examen attentif de ce corpus a donc permis à D. A Williams de rétablir l’ordre chronologique des scénarios et de montrer que ce qui avait été inventorié au moment de l’inventaire comme étant la première série était en fin de compte la seconde : les folios 65 à 104 ont été rédigés avant les folios 1 à 64. D’après l’auteur, les folios 65 à 104 sont les scénarios d’ensemble. Il se fonde sur la pagination autographe de Flaubert qui s’étend de 1 à 22, sur le nom de certains personnages qui devient définitif seulement dans les folios 1 à 64 et sur quelques additions faites en marge dans les folios 65 à 104 qui se retrouvent dans le texte principal des folios 1 à 64. D’après Williams, on peut également distinguer dans cet ensemble, trois grandes séquences « toutes incomplètes », ce qui signifierait soit que des plans ont été perdus, soit que l’auteur a consacré plus de temps et de documents scénariques à certaines sections du roman. Les folios 1 à 64, plus détaillés que les scénarios d’ensemble, correspondent, quant à eux, au stade de rédaction et peuvent être classés parmi les scénarios partiels puisqu’ils couvrent l’intégralité d’une partie ou d’un chapitre. Dans cet ensemble, Williams distingue au moins deux « séquences » pour chaque grande partie du roman et au moins une « séquence » pour chaque chapitre. Toutefois, il ne manque pas de rappeler que, d’après la notice du manuscrit, un certain nombre de folios utilisés par Flaubert à la fois comme plan et comme ébauches, ont été directement classés dans les brouillons : une centaine d’esquisses (rédaction de section de chapitre qui sert de base au premier brouillon) se trouveraient dans les volumes des brouillons. Ces esquisses sont généralement paginées de manière différente des brouillons (lettre capitale ou chiffre romain). Williams est donc le premier à ouvrir la voie sur ce nouveau corpus. Deux ans plus tard, en 1984, J. Bruneau propose une analyse des scénarios du début de l’avant‑dernier chapitre de L’Éducation sentimentale53 (III, 6). Dans cet article, le critique fait plusieurs remarques sur ce qu’il considère comme des changements déterminants entre le scénario initial (Carnet 19) et les plans de la Bibliothèque Nationale : l’ajout du dernier chapitre (l’entrevue entre Deslauriers et Frédéric), le passage d’une structure « bipartite » à une structure « tripartite » avec tentative de faire la « pyramide » (« les rêves », « la lutte » et « l’expérience »). Or, comme le souligne J. Bruneau, les deux derniers « titres‑thèmes » : « la lutte » et « l’expérience » ne se prêtent pas au « sens profond de l’œuvre ». Outre cet aspect, le critique examine surtout la « transition » qui existe entre le chapitre V et VI de la troisième partie. L’analyse génétique de cette « transition » permet à J. Bruneau de conclure sur le fait que « l’écriture commence au stade des scénarios » : plusieurs alinéas, certains termes et même des phrases qui apparaissent entièrement dans le scénario se retrouvent tels quels dans le Manuscrit définitif.
De nouvelles éditions critiques du texte
L’édition de l’Imprimerie Nationale (A. Raitt)54
Trois ans après l’entrée des manuscrits de L’Éducation sentimentale à la Bibliothèque Nationale, une belle édition illustrée du texte en deux volumes est publiée à l’Imprimerie Nationale dans la collection Lettres Françaises. Présentée et commentée par Alan Raitt cette édition offre l’équivalent d’un mini bilan critique des avancées sur le dossier manuscrit du roman. Dans son introduction, A. Raitt commence par poser les apports et les méfaits d’une critique traditionnelle qui a, selon lui, donné trop d’importance à l’aspect autobiographique du roman. Il propose une vision claire et nuancée des « fantômes de Trouville ». Il souligne ainsi l’importance des œuvres de jeunesse qui ont permis de réévaluer le travail de « composition » de Flaubert en mettant en évidence les métamorphoses induites par une utilisation esthétique des références personnelles. L’éditeur relativise également le problème de l’identification des personnages fictifs avec des personnes réelles en soulignant cette fois le travail de « décomposition » et de « recomposition » de l’écriture flaubertienne, et tente de renouveler les interprétations sur la chronologie de la genèse de l’œuvre : depuis le travail de M.‑J Durry sur le Carnet 19, tous les commentateurs ont daté le premier scénario de L’Éducation sentimentale de la première moitié de 186355. L’éditeur réfute l’interprétation de M.‑J Durry et souligne qu’en se fondant sur la juxtaposition des ébauches de Bouvard et Pécuchet et de L’Éducation sentimentale, elle ne tient pas compte de la chronologie des folios mais seulement de leur position matérielle dans le Carnet 19. Pour Raitt, il est important de prendre en considération le fait que Flaubert n’a pas nécessairement utilisé les pages de son Carnet dans l’ordre dans lequel elles se suivent. Puis, dans une analyse fondée sur la Correspondance et sur plusieurs extraits du Journal des Goncourt, il démontre que, pour la conception du projet, il faut anticiper d’un an environ (1862) sur la date proposée par Durry. À côté de ce changement de date, le critique fait une nouvelle lecture des initiales « la Des G » que l’on trouve au folio 30v° du Carnet 19. D’après lui, il ne s’agit pas de Mme Des Genettes comme l’a proposé M.‑J Durry mais incontestablement de Gisette Desgranges. L’édition de Raitt contient également d’importantes « Notes » (près de 450) qui abondent en informations diverses (biographiques, linguistiques, historiques, etc.) et rendent très souvent compte des avancées de la critique sur le dossier documentaire de L’Éducation sentimentale. Le critique exploite largement les découvertes et les rectifications faites par A. Cento au sujet des « sources documentaires » et confronte très souvent l’avis du chercheur italien et celui de ses prédécesseurs (Dumesnil, Buck, François, Guisan, etc.) On trouve également des renvois aux estampes ou aux peintures que Flaubert a pu consulter notamment pour les événements révolutionnaires (d’ailleurs, A. Raitt consacre une partie de son appendice à l’iconographie du roman parisien) ; à la documentation de L’Éducation sentimentale proposée dans le Tome IV du Club de l’Honnête Homme ; des extraits de notes sont transcrits de même que des extraits de lettres de Flaubert et des fragments autographes de Flaubert piochés dans les Carnets de « notes de lectures » de L’Éducation sentimentale (pour la plupart déjà cités par R. Dumesnil). Des points sensibles sont abordés : la chronologie narrative de l’œuvre, souvent embrouillée, que Raitt tente d’éclaircir. En fin du premier tome, on trouve les reproductions photographiques de trois documents : la première page du Manuscrit définitif du roman, la première page du manuscrit de Maurice Schlesinger sur les « Clubs des femmes » (transcrite in extenso par A. Cento) et le folio 35 du scénario initial (transcrit intégralement en transcription diplomatique au second tome). Si A. Raitt garde le code de transcription proposé par M.‑J Durry et renvoie au commentaire de l’éditrice, la lecture qu’il fait du scénario, quant à elle, en diffère très légèrement. Il procède à des rectifications56 et modifie la chronologie de rédaction des folios suivant la thèse énoncée dans son introduction. Quant aux principes d’édition, cette édition est la première (outre celle du Club français du livre, 1966)57 à restituer les corrections apportées par Flaubert sur l’exemplaire de Croisset (découvert par L. Andrieu 1965)58 et sur l’exemplaire de 1869 qu’il envoya à Cuvillier‑Fleury. Dans son commentaire, s’appuyant essentiellement sur les travaux de P.‑M Wetherill sur le Manuscrit définitif59, A. Raitt expose brièvement le processus de correction de Flaubert, signale que les corrections effectuées par Flaubert entre l’édition originale et l’édition définitive ne sont que la continuation des corrections effectuées par Flaubert sur le Manuscrit définitif et ajoute que ces suppressions s’expliquent moins par un désir de concision (R. Dumesnil) que pour accentuer un « effet de discontinuité, voire d’illogisme ». Par ailleurs, l’éditeur ne donne pas un relevé exhaustif de toutes les variantes. Il ne mentionne que celles qui présentent, selon son expression, une « nuance perceptible dans la signification ou dans l’expression ». Dans ces notes, il fait également quelques renvois (six, pour être exact) au Manuscrit définitif lorsqu’il apparaît une ambiguïté de lecture. Cette édition en deux volumes marque une avancée certaine par rapport aux éditions précédentes en mettant à profit, l’établissement du texte et la mise à jour des connaissances sur le dossier documentaire rapportées à l’interprétation du texte. Cependant, pour des raisons de dates, cette édition paraît au moment même où les brouillons de l’œuvre deviennent accessibles à la recherche, si bien qu’A. Raitt n’a pu avoir accès au dossier de genèse proprement dit. Cette édition se situe donc à un point historique de rupture entre les anciennes méthodes « philologiques » d’édition et les nouvelles plus proprement « génétiques » dont l’édition de P.‑M Wetherill sera le premier exemple.
Les premières éditions d’ « inspiration génétique »
L’édition des Classiques Garnier (P.-M Wetherill, 1984)60
Lorsque l’édition d’A. Raitt paraît, le projet d’une édition de L’Éducation sentimentale pour la collection des « Classiques Garnier », où les manuscrits seraient mis à l’honneur, a déjà pris forme. Cette édition, confiée à P.‑M Wetherill, est publiée en novembre 1984. Parallèlement, pour la promotion des « Classiques Jaunes », les éditions Garnier lancent les albums « Images et documents » et L’Éducation sentimentale inaugure la série61. Cet ouvrage, présenté également par P.‑M Wetherill, accorde, comme l’édition, une large place aux manuscrits. Commençons par l’édition. Dans sa préface, de près d’une centaine de pages, le critique reprend la plupart des questions sur lesquelles la critique s’était interrogée. Il aborde notamment la question des sources avec de nouveaux présupposés :
« L’Éducation sentimentale est fondée sur des principes esthétiques et non sur une biographie ». Il propose des analyses plus « modernes » en se fondant plus sur le texte lui‑même que sur l’anecdote : le personnage de « l’anti‑héros », « l’isolement », le « rôle du hasard » ou le « rôle de l’Histoire » ; d’autres thématiques, même si elles semblent relever d’un choix plus personnel comblent les lacunes des éditions antérieures : c’est le cas, par exemple de la question de la topographie parisienne : « L’espace du roman »
On s’arrêtera tout particulièrement sur le chapitre « Méthode de composition » dans lequel P.‑M Wetherill aborde en détail la question des manuscrits de L’Éducation sentimentale. Ce chapitre donne en première partie un inventaire de l’ensemble des documents qui constituent le dossier manuscrit de L’Éducation sentimentale et leurs différents lieux de conservations, puis se consacre aux aspects majeurs de la composition de L’Éducation sentimentale. Séparant la fonction des scénarios de celle des brouillons et des notes documentaires, le critique montre notamment comment l’écriture flaubertienne commence dès les scénarios (BN) et prend l’exemple de l’élaboration des noms des personnages du roman. Il fait également plusieurs remarques sur les procédés de composition de L’Éducation sentimentale en s’intéressant pour la première fois aux aspects matériels du manuscrit autant qu’au contenu interprétatif qu’ils permettent de mettre à jour : l’utilisation spécifique des marges, le phénomène de suppression, le rapport à Balzac, « l’obscurcissement du texte », la recherche du mot qui sonne juste, etc. Sur ces questions, P.‑M Wetherill accompagne très souvent ses observations d’extraits de brouillons transcrits. Les « Notes » sont également enrichies d’extraits de brouillons, de « notes documentaires » (Carnets, Cento), de références à la Correspondance ou des observations de M. Du Camp. Elles privilégient généralement l’éclaircissement de « la stratégie scripturale, narrative du roman » sans chercher à rendre « plus clair » ce qui dans le texte est incertain. Sur ce point, P.‑M Wetherill a publié un « compte rendu » où il expose les problèmes rencontrés pour cette édition :
« Or il me semble que ceci confirme et renforce l’un des thèmes essentiels du roman : le monde illogique et absurde où se meuvent les personnages. Les Notes n’ont pas pour fonction de miner la thématique de l’œuvre en la rendant bien plus lisible qu’elle n’a dû l’être pour les lecteurs de 1869 »62
Le respect de l’écriture flaubertienne conduit néanmoins quelques fois le chercheur à laisser des questions d’interprétation sans commentaire, là où les leçons du manuscrit auraient permis de renouveler la lecture du texte. Le point de vue génétique adopté par P.‑M Wetherill le conduit non seulement à apporter de nouveaux éléments pour la lecture du texte, mais aussi à réfléchir sur le sens même de son propre dispositif critique d’édition : ce qu’il y a d’indécidable dans le texte peut être signalé mais non remplacé par du décidable sous l’effet du geste interprétatif. Le texte est établi sur la dernière édition du vivant de l’auteur (Charpentier, 1879) et les « variantes » existantes entre les deux éditions du vivant de Flaubert (Lévy et Charpentier) ont été relevées (à l’exception des variantes de ponctuation). Si à l’instar de Raitt, P.‑M Wetherill incorpore au texte les corrections de l’exemplaire de Croisset (1879), en revanche, contrairement à son prédécesseur, les corrections effectuées par Flaubert sur le Manuscrit définitif tiennent une place plus importante63 et des passages du texte ont été éclairés par la transcription d’extraits de brouillons. P.‑M Wetherill s’intéresse également à un phénomène peu commenté : la structure même du texte dont il étudie la genèse en montrant la disparition de nombreux blancs, alinéas, interlignes entre les deux éditions64. En ce qui concerne l’appareil critique : en fin d’édition, cinquante pages sont consacrées à la transcription de plusieurs extraits de scénarios et brouillons. Dans le premier appendice (pp. 584‑607), l’éditeur propose une brève analyse et la transcription linéarisée in extenso des scénarios et des brouillons d’un moment stratégique du récit, dans l’ordre supposé de leur composition : la Révolution de 1848 (III, 1) (mais il ne s’agit que des deux premiers paragraphes du premier chapitre de la troisième partie). Le second appendice (pp. 615‑647) est consacré au commentaire et à la transcription de seize scénarios du roman. Par ailleurs, la même année, le chercheur a également publié un article dans la revue Neuphilologische sous le titre « Manuscript Mechanisms : Flaubert’s Education sentimentale »65. En se fondant spécifiquement sur l’avant‑texte de L’Éducation sentimentale, P.‑M Wetherill se propose de questionner la nature pratique et théorique du langage littéraire. Il fait notamment remarquer que les éléments grâce auxquels se créent le langage littéraire et la structure de l’œuvre ne sont pas, à proprement parler, littéraires : les scénarios sont généralement écrits au présent et contiennent très souvent des indications d’intentions, chronologiques ou des obscénités qui n’apparaissent pas dans le texte définitif. Après avoir donné la liste des différents lieux de conservation de l’ensemble du dossier manuscrit du roman parisien, il émet des réserves quant à l’exhaustivité du dossier, en attirant notre attention sur le fait que certaines pièces ont pu être déplacées d’un ensemble d’un corpus manuscrits à un autre (notamment dans le dossier Bouvard et Pécuchet). Il mentionne également un autre problème concernant le rôle qu’a pu jouer Louis Bouilhet dans la rédaction de L’Éducation sentimentale : d’après Wetherill, on trouverait dans le manuscrit autographe conservé à la Bibliothèque Nationale des brouillons écrits par Louis Bouilhet : « the B. N. mss. even contain draft sheets (notably for the beginning of the third part of E.S.) in Bouilhet’s handwriting… » (p. 179)… En se fondant sur plusieurs extraits des brouillons de L’Éducation sentimentale, P.‑M Wetherill propose de donner les premiers éléments d’une étude sur la méthode de travail de Flaubert. Il aborde plusieurs points difficiles : la question des transitions, l’importance de la suppression, le travail de la « musique » flaubertienne (assonance, la question de la phonétique, celle du « mot juste », etc.). Il fait notamment remarquer chez Flaubert l’absence de grands plans qui tenteraient de résumer les stratégies et les intentions présentes dans le roman car si la Correspondance contient quelques indices à ce sujet, les manuscrits en sont dépourvus : « what is singulary absent (…) is a board overall statement of strategy and aims ». Il montre également comment, comparé à Zola ou à Balzac, Flaubert commence par créer une version organisée et très détaillée, puis au fur et à mesure « déconstruit » ce travail par un processus d’élimination et de désorganisation : « Flaubert’s approach is based, quite explicitly when one looks at the manuscripts, on a deliberate reworking of traditional strategies – and this undermining affects structure as well as language ». En dernier lieu, P.‑M Wetherill aborde la problématisation entre l’Histoire et le récit ; la question de l’ironie ; le problème du mode à l’indirect que l’on trouve souvent indiqué par Flaubert dans ses brouillons ; la question de la manipulation du lecteur ; la difficulté de compréhension et de lecture du roman.
Le second volume « Images et documents »
Dans ce volume, P.‑M Wetherill fournit des informations supplémentaires sur la genèse de l’œuvre, un « mode d’emploi » des manuscrits et, à la suite, cinquante pages de transcriptions linéarisées (accompagnées du fac‑similé en regard) pour vingt‑sept extraits choisis de scénarios et de brouillons qui tentent de baliser l’ensemble du roman66. Le reste du volume est consacré à une importante iconographie qui suit la chronologie narrative. Cette documentation pertinente a été réunie par la documentaliste et archiviste Hélène Shaeffer grâce à l’examen de différents fonds publics et privés (Bibliothèque municipale de Rouen, Bibliothèque Nationale (Cabinet des Estampes, Département des manuscrits), Bibliothèque Historique de la Ville de Paris). À l’intérieur de cet ensemble, on notera la présence des reproductions photographiques de deux folios appartenant au dossier de Rouen : une note sur le « club des femmes » (ms. g 2264, f°180) et le plan de table du dîner chez les Dambreuse (ms. g 2264, f°138v°). Même si le rapport entre le domaine iconographique et l’approche génétique ne fait pas encore l’objet d’un véritable approfondissement, le second volume offre un dispositif dont la génétique des textes prouvera toute l’importance dans les années suivantes, notamment dans le champ de l’appropriation scripturale des sources visuelles et dans le domaine des échanges entre représentation visible et représentation textuelle. À cet important appareil critique réunis en deux volumes, s’ajoute une bibliographie quasiment exhaustive et qui sert de référence pour la question jusqu’au début des années 1980 : en une dizaine de pages ont été recensés un peu plus de cent cinquante ouvrages et articles critiques sur L’Éducation sentimentale.
L’édition Garnier‑Flammarion (C. Gothot-Mersch, 1985)67
Un an après l’édition de P.‑M Wetherill, C. Gothot‑Mersch est chargée d’une édition de L’Éducation sentimentale chez Garnier‑Flammarion. Un avertissement de l’éditrice annonce au lecteur que pour des raisons éditoriales, cette édition n’a pu tenir compte de celle de P.‑M Wetherill68. De ce fait, même si cette édition accorde une certaine place aux brouillons de L’Éducation sentimentale, on ne peut guère lui comparer l’édition de P.‑M Wetherill. Par ailleurs, il s’agit d’une édition format de poche qui n’a pas les mêmes caractéristiques que l’édition de Wetherill destinée à un public universitaire. Dans son introduction (37 p.), C. Gothot‑Mersch propose une synthèse des avancées de la critique « moderne » sur le texte et le dossier de rédaction de L’Éducation sentimentale en donnant plus spécifiquement des informations sur les travaux réalisés sur les « sources documentaires ». Plusieurs thématiques sont abordées comme le rapport entre le « sentimental » et la « politique » ou l’étude des sources « biographiques » et « livresques » (Balzac). Aux sources livresques, C. Gothot‑Mersch propose une nouvelle source « mentionnée dans les scénarios de la Bibliothèque Nationale » : Les Confessions de J.‑J Rousseau69. À noter que le thème de l’Histoire couvre également une grande partie de l’introduction. Si le recours au dossier de rédaction, dans l’introduction, n’est pas systématique, en revanche les notes qui accompagnent le texte font souvent référence aux Carnets, au dossier rouennais, aux travaux de critiques (Buck, Cento, Dumesnil) ainsi qu’aux scénarios et brouillons, mais sur ces derniers, elles ne sont pas très nombreuses (une quarantaine seulement). À la suite de l’introduction, on trouve cinq pages sur les différents lieux de conservation du dossier manuscrit (scénarios, manuscrit autographe, Manuscrit définitif et manuscrit du copiste, et la « documentation ») avec un relevé des principaux travaux et contributions qui, à cette date, ont donné des aperçus sur le dossier manuscrit. Si C. Gothot‑Mersch reprend le texte de 1879 (selon la règle), en revanche, l’orthographe en a été « corrigée, unifiée et modernisée ». l’éditrice a également rectifié la ponctuation à quelques endroits du texte, en revanche l’usage aléatoire des capitales a été respecté. Outre la correction de certaines coquilles présentes dans l’édition de 1879, l’éditrice a également fait quatorze modifications, dont elle donne la liste exhaustive : « Dans la plupart des cas, il suffit de remonter à une version antérieure plus ou moins éloignée (la première édition, le manuscrit autographe ou les brouillons) pour retrouver le texte correct » (p. 42). Cependant, certaines des corrections que l’on trouve dans les éditions critiques de R. Dumesnil ou de A. Raitt ont été écartées. C. Gothot‑Mersch n’a pas non plus tenu compte des corrections effectuées par Flaubert sur l’exemplaire de Croisset découvert par Lucien Andrieu en 1965. On aura également remarqué que cette édition n’offre pas de dossier génétique. Seul le scénario initial de L’Éducation sentimentale est transcrit en fin d’ouvrage70. En appendice, la spécialiste propose la transcription diplomatique du premier scénario : les folios 35 à 39 pour lesquels elle adopte la transcription de M.‑J Durry mais conserve, en revanche, les deux corrections proposées par A. Raitt (comme pour la datation du scénario)71. Au total, cette édition limitée par son format de poche fait entrer la perspective génétique dans une publication à vocation scolaire et universitaire. Si l’appareil critique reste limité quant aux notes d’éclaircissement, l’ensemble propose de rendre aux manuscrits toute leur place dans une étude de l’œuvre et des processus d’écriture de Flaubert.
Bilan critique (1975‑1985)
Les dix années qui s’étendent entre 1975 et 1985 se divisent naturellement en deux périodes sous l’effet de l’accessibilité du manuscrit qui n’intervient concrètement, on l’a vu, qu’en 1979. Comme on sait, cette période de quatre ans (1975‑1979) a été celle de l’inventaire réalisé par Madeleine Cottin et Roger Pierrot la Bibliothèque Nationale. Ce travail préliminaire a été effectué au mieux, mais avec des partis pris inévitables qui laissent entièrement ouverte la question du classement génétique proprement dit. Il s’agissait d’ une mise en ordre initiale indispensable à toute communication des documents mais un certain nombre de choix (comme celui de rassembler dans un volume (XIII), les plans, scénarios, résumés, notes, notes documentaires, etc.) peuvent être considérés comme discutables, à cette réserve près que tout autre choix l’aurait également été, si ce n’est un véritable classement chronologique. Mais ce dernier, qui n’est toujours pas réalisé, pose des problèmes considérables aussi bien du point de vue matériel que d’un point de vue logique. D’ailleurs il est vraisemblable que ce soit l’existence de ce volume XIII qui ait conduit la critique flaubertienne à commencer par s’intéresser aux aspects scénariques de la genèse, en découvrant par ailleurs que le matériel génétique des plans se trouvait aussi en partie disséminé dans les brouillons. Du reste, cette hypothèse se confirme, avec les propos tenus par M. Cottin, en 1980, dans sa notice :
« Peut‑être pourrait‑on envisager d’abord et plus modestement la publication des plans et scénarios ? Ou encore, l’étude de tel chapitre considéré tout au long de son élaboration ? »
Quoi qu’il en soit, en 1980, ce sont treize gros volumes de plans, scénarios, brouillons et notes diverses qui sont rendus accessibles à la recherche avec pour conséquence quelques premières études, moins nombreuses (une dizaine) et moins importantes qu’on n’aurait cru. Pourquoi ? En ce début des années 1980, les premières notions de génétiques commencent à peine à se mettre en place. Il s’agit d’une période expérimentale où la terminologie critique se construit et se précise. De ce fait, les premiers travaux sur les manuscrits flaubertiens s’orientent plutôt vers de petits corpus de quelques centaines de folios comme ceux des Trois Contes (P.‑M de Biasi ; G. Bonaccorso ; R. Debray‑Genette) qui présentent l’avantage de pouvoir être analysés et transcrits de manière exhaustive. L’imposant dossier de rédaction de L’Éducation sentimentale de 2500 feuillets écrits au recto et au verso (soit 5000 folios) est trop touffu pour pouvoir être au centre des recherches durant cette période.
Au cours de cette décennie, on a recensé une dizaine d’études génétiques sur le dossier de rédaction du roman parisien. Il s’agit d’études aussi bien à dominante génétique qu’à composante génétique où l’usage des brouillons est très variable. Les études multiples macrogénétiques font le plus souvent un traitement ponctuel des manuscrits (scénarios, brouillons et notes documentaires) sans règle spécifique. Il s’agit encore d’une période de tâtonnement où les principes d’analyses demeurent en partie flous avec un usage de l’avant‑texte qui reste quelquefois éclectique. On se concentre, soit de manière exclusive sur une séquence limitée du texte publié (un épisode, une scène) dont on recherche, de manière plus ou moins systématique les différentes étapes de rédaction : « Le Dîner des Dambreuse » (M.‑A Cajueiro‑Roggero), « la Prise des Tuileries » (A. Herschberg Pierrot) ; soit, même, on va jusqu’à baliser l’ensemble du roman en se servant d’éléments extraits de l’avant‑texte « Tentations balzaciennes dans le manuscrit de L’Éducation sentimentale » (G. Sagnes), « L’aspect de la temporalité dans les romans flaubertiens » (C. Gothot‑Mersch), « Paris dans L’Éducation sentimentale » (P.M Wetherill). Quelques chercheurs font l’analyse d’un segment narratif en proposant soit la transcription in extenso des états successifs (scénarios et brouillons) d’un passage (« l’épilogue », P.‑M Wetherill ; « l’enfance de Deslauriers », G. Sagnes) soit la transcription de document scénarique se rapportant à un passage précis du roman : « L’avant‑dernier chapitre dans les scénarios BN » (J. Bruneau). Mais si les critiques se sont intéressés très tôt à des fragments de scénarios dans leurs recherches, il faut attendre D. A. Williams pour avoir un aperçu global de cet ensemble. Du point de vue de la chronologie narrative, si la plupart des études se concentrent sur la troisième partie du roman et spécifiquement sur les chapitres 1, 2, 6 et 7, en revanche les approches critiques diffèrent : génétique et thématique (« C’est là ce que nous avons eu de meilleur »), sociocritique (« Dîner chez les Dambreuse »), sociocritique et linguistique (« Le Travail des stéréotypes dans les brouillons de la « Prises des Tuileries » »), narratologique et « psychologique » (A. Raitt), narratologie et histoire littéraire (« Tentations balzaciennes dans les manuscrits de L’Éducation sentimentale »), biographie (J. Bruneau). Quant aux questions abordées, les recherches de J. Bruneau et G. Sagnes ont permis de réviser et de complexifier des points importants qui ont retenu pendant longtemps une large partie de la critique traditionnelle comme les sources « biographiques » et « livresques » de L’Éducation sentimentale. D’autres chercheurs ont permis d’ouvrir de nouvelles perspectives concernant la chronologie narrative (C. Gothot‑Mersch), la structure de l’œuvre (A. Raitt) et la problématisation de l’Histoire collective et romanesque (M.‑A Cajueiro‑Roggero ; A. Herschberg Pierrot ; P.‑M Wetherill). Ces études ont su également dégager un certain nombre de phénomènes présents dans l’écriture flaubertienne : le travail de suppression, l’obscurcissement du texte (P.‑M Wetherill) et la « débalzaciénisation » (G. Sagnes). La plupart des études partent d’une question précise (biographie, le rapport à Balzac, les « clichés », l’Histoire, la topographie parisienne) et délimitent une partie du texte publié pour effectuer des prélèvements soit dans l’ensemble du dossier manuscrit, soit dans une phase particulière du processus de rédaction. D’autres, en revanche, dont l’objectif premier est l’analyse génétique d’un petit passage du texte publié (analyse ponctuelle microgénétique) ont été l’occasion de déchiffrer, classer et transcrire les états successifs d’un petit segment narratif et, en ce sens, d’« éditer » les premiers fragments du dossier de rédaction de L’Éducation sentimentale (P.‑M Wetherill). Mais cette décennie est surtout marquée par les éditions critiques du texte. L’accessibilité du manuscrit autographe a été l’occasion de remplacer les éditions aux introductions vieillissantes et aux appareils critiques souvent trop indigents (et quelquefois même inexistants)72. Après le travail éditorial d’A. Raitt qui constitue une référence, mais n’apporte que peu d’éclaircissement génétique sur les manuscrits proprement dit, les éditions de P.‑M Wetherill et de C. Gothot‑Mersch sont donc les premières éditions critiques du roman de 1869 dites d’ « inspiration génétique » pour reprendre la formule proposée par P.‑M de Biasi73. Comme on peut le constater, cette décennie n’est pas celle des grandes études de genèse bien que certaines analyses du dossier de rédaction aient permis de déchiffrer, classer et transcrire quelques passages du roman. On retiendra surtout la publication des nouvelles éditions du texte à grand tirage « d’inspiration génétique » à la fois savantes et populaires, qui à la suite d’édition plus ancienne comme celle de M.‑J Durry (1950), A. Cento (1967), des Belles Lettres (1942), du Club de l’Honnête Homme (1971), et de M. Nadeau (1964)74 ont permis d’éditer de nombreux extraits de brouillons et de fournir des introductions et des appareils critiques qui ont largement su modifier notre compréhension de l’œuvre. Après cette effervescence autour de l’œuvre de Flaubert, le dernier colloque de la décennie sur Flaubert, Flaubert e il pensiero del secolo, a été organisé en 1984 à Messine en Italie, réunissant les principaux tenants de la critique génétique. Et, avec lui, s’ouvre une nouvelle décennie, celle des grandes études de genèse sur L’Éducation sentimentale.
1 Voir supra« Introduction Générale ».
2 Gustave Flaubert, L’Arc, n° 79, Centre National des Lettres, Paris, 1980, 94 p.
3 Gustave Flaubert, Revue des Sciences Humaines, n° 181, Paris, 1981.
4 Gustave Flaubert, Des livres et des amis, exposition du centenaire mai‑juin 1980, Bibliothèque municipale de Rouen, Musée des Beaux‑Arts, 101 p.
5 Gustave Flaubert, exposition du centenaire (19 novembre 1980 – 22 février 1981), catalogue de la Bibliothèque Nationale, Paris, 1981, 150 p.
6 Actes du colloque Flaubert, Revue d’Histoire Littéraire de la France, n° 4‑5, juillet‑octobre, 81e année, Armand Colin, Paris, 1981. [Textes de B. F. Bart, J. Bem, V. Brombert, J. Bruneau, C. Burgelin, F. P. Bowman, R. Debray‑Genette, J. Derrida, A. Fairlie, J. Frey, C. Gothot‑Mersch, B. Masson, C. Mouchard, J. Neefs].
7 Actes du colloque Flaubert, la femme, la ville, P.U.F, Paris, 1982. [Textes de M.‑C Branquart, M. Crouzet, J.‑L Douchin, A. Fairlie, A. Lanoux, B. Masson, A. Michel, N. Shor, P.‑M Wetherill].
8 Actes du colloque Flaubert and Postmodernism, edited by Naomi Schor and Henry F. Majewski.‑ Lincoln and London, University of Nebraska, 1984.
9 Actes du colloque Flaubert, la dimension du texte, Manchester University Press, 1984. [Textes de M. Bal, G. Daniels, R. Debray‑Genette, C. Gothot‑Mersch, A. Green, J. Neefs, A. Raitt, P.‑M Wetherill]
10 BELLEMIN‑NOEL, Jean, Le texte et l’avant‑texte : les brouillons d’un poème de Milosz, Larousse, Paris, 1972 ; HAY, Louis, Essai de critique génétique, Flammarion, coll. Textes et Manuscrits, Paris, 1979. [Textes d’Aragon, de R. Debray‑Genette, C. Quémar, J. Bellemin‑Noël, B. Brun, H. Mitterand] ; GRESILLON, Almuth, WERNER, Michael (ed.), (textes réunis par), Leçons d’écriture. Ce que disent les manuscrits. Hommage à Louis Hay, Minard, coll. « Lettres Modernes », Paris, 1985.
11 DEBRAY‑GENETTE, Raymonde (texte présenté par), Flaubert à l’œuvre, Flammarion, coll. « Textes et Manuscrits », Paris, 1980, 217 p. [Textes de P.‑M de Biasi, R. Debray‑Genette, C. Duchet, J.‑Cl Mallet, C. Mouchard, J. Neefs, P.‑M Wetherill].
12 COTTIN, M., « Flaubert. « Le vieux manuscrit » de L’Éducation sentimentale » in Bulletin de la Bibliothèque Nationale, 1976, p. 99 : « Qu’on imagine six volumineux dossiers constitués de feuilles volantes de grands papiers vergé blanc (345 x 215 mm) (…) ».
13 Cela est dû, notamment, à la manière dont travaillait Flaubert : un même « texte » comporte très souvent plusieurs états ; et comme l’explique M. Cottin, au moment de la réception du manuscrit autographe du roman parisien, les feuillets constituant les différents états d’un même « texte » se trouvaient mélangés. Ibid., p. 99. Par ailleurs, dans sa communication, la conservatrice cite une lettre de Flaubert adressée à sa nièce, datée du 6‑7 décembre 1878, dans laquelle il écrit : « Ne t’inquiète pas du vieux manuscrit de L’Éducation. Il est écrit des deux côtés n’est‑ce pas ? Dans ce cas tu peux le brûler ». Première remarque : dans l’édition du Club de l’Honnête Homme, la lettre est datée du 20 décembre 1878 et non du 6‑7 décembre comme semble hésiter M. Cottin (nous nous référons à l’édition du Club de l’Honnête Homme vu que le Tome V de la Correspondance pour la collection de la Pléiade qui doit couvrir la période 1876‑1880 n’est pas encore achevé). Seconde remarque : M. Cottin n’est pas la seule à citer cette lettre et à renvoyer les propos de Flaubert au roman de 1869. Dans « Sur les manuscrits de L’Éducation sentimentale » (revue Europe, 1969), J. Suffel cite cette lettre qu’il date précisément du 6 décembre 1878 et renvoie, également au roman de 1869 ; de même, après lui, jusqu’à aujourd’hui, la plupart des critiques citent les propos de Flaubert contenus dans cette lettre en les attribuant au roman parisien. En fait, rien ne prouve qu’il s’agisse du manuscrit de L’Éducation sentimentale de 1869, sauf, peut‑être, la mention «écrit des deux côtés ». Mais, si effectivement le manuscrit de 1869 est écrit recto et verso, celui de L’Éducation sentimentale de 1845 l’est également. De plus, il apparaît plus vraisemblable que, sous la plume de l’écrivain, l’expression « vieux manuscrit » désigne l’ancienne version c’est‑à‑dire le manuscrit de jeunesse et non celui de la maturité.
14 COTTIN, M., « Les manuscrits de L’Éducation sentimentale : aspect et classement » (Notice dactylographiée du manuscrit), Bibliothèque Nationale (Richelieu), Département des manuscrits occidentaux, cote N.A.fr. [17599], 3 p. Cette notice n’a pas été microfilmée. On la trouve à la suite du premier volume relié, sous la cote [17599] bis.
15 Ibid., p. 2.
16 « C’est ainsi par exemple qu’une page de la première partie peut très bien porter au verso un passage de la deuxième ou de la troisième partie (…) » in SUFFEL, J. « Sur les manuscrits de L’Éducation sentimentale », op. cit., p. 5.
17 « (…) Gustave Flaubert, après avoir écrit au recto, barrait cette page par un X et se servait du verso pour écrire à nouveau une deuxième rédaction et quelquefois une troisième, parfois une quatrième, si ce n’est plus » in catalogue de la vente Paris Hôtel Drouot, 18‑19 novembre 1931.
18 Cottin, M. « Les manuscrits de L’Éducation sentimentale : aspect et classement », op. cit., p. 1.
19 M. Cottin ne fournit pas plus de précisions sur cette édition. Aucune édition du roman parisien publiée chez Garnier‑Flammarion, datée de 1959, ne figure dans le catalogue de la Bibliothèque Nationale de France. Nous supposons donc que la conservatrice se réfère à l’édition établie par J. Suffel pour Garnier‑Flammarion en 1969 (Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale, chronologie et préface de Jacques Suffel, Garnier‑Flammarion, Paris, 1969, 447 p. Réimpression en 1971. Nouvelle édition en 1985 (par C. Gothot‑Mersch).
20 Flaubert, Gustave, Correspondance in Œuvres complètes, édition établie par René Descharmes, Club de l’Honnête Homme, Paris, 1974‑1975 (5 volumes). L’Éducation sentimentale : tome XIV (1859‑1871) ; tome XV (1871‑1877) ; tome XVI (1877‑1880), 1975.
21 Flaubert, Gustave, Correspondance, édition établie, présentée et annotée par Jean Bruneau, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris : tome I (1830‑juin 1851), 1973 ; tome II (Juillet 1851‑fin 1858), 1980.
22 Du Camp, Maxime, Lettres inédites à Gustave Flaubert, publiées par Giovanni Bonacorso et Rosa Maria Di Stefano, Messina, Edas, 1978.
23 CorrespondanceFlaubert‑Sand, éditée, préfacée et annotée par Alphonse Jacobs, Paris Flammarion, 1981, 598 p.
24 Dans deux articles (déjà cités), M. Cottin propose sept reproductions photographiques de manuscrits (brouillons, scénarios et notes documentaires).
25 Suffel, Jacques, Ziegler, Jean, « Gustave Flaubert, Maxime Du Camp et Adèle Husson [Lettre d’Adèle Husson sur L’Éducation sentimentale, 1869] » in Bulletin du bibliophile, III, p. 388‑398.
26 Voir supra2. Premières approches du dossier manuscrit de L’Éducation sentimentale (1880‑1975).
27 SUFFEL, J., « Quelques remarques sur la Correspondance de Gustave Flaubert et de Maxime Du Camp » in Essais sur Flaubert en l’honneur du Professeur Don Demorest, recueil collectif publié sous la direction de par Charles Carlut, Nizet, Paris, 1979, pp. 53‑61.
28 Les lettres du 15 juin et du 23 juin 1867 ont été acquises par la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris lors de la vente publique à l’Hôtel Drouot de juin 1959. La lettre du 19 octobre 1866 est, pour l’heure, encore « inédite ». Enfin, celle du 15 juin 1865 est passée dans une vente publique à l’Hôtel Drouot le 15 mai 2001 (lot n°80) : on trouve la transcription de cette lettre dans le Bulletin n°3 du site Gustave Flaubert de l’Université de Rouen.
29 À la vente Drouot de 1977, outre d’importants fragments de plans, scénarios, brouillons et notes, le lot n° 31 contenait plusieurs lettres de proches apportant des réponses à des questions posées par Flaubert pour la rédaction de L’Éducation sentimentale. Toutes ces lettres sont datées de l’année 1868. Elles ont été classées dans le dernier volume de manuscrits de L’Éducation sentimentale conservé à la Bibliothèque Nationale de France, coté [N.a.fr. 17611] (f°171 et suiv.). Voir infra, « État actuel du corpus de L’Éducation sentimentale »
30 BRUNEAU, Jean, Les Débuts littéraires de Gustave Flaubert, Armand Colin, Paris, 1962, pp. 365‑374.
31 Bruneau, Jean « L’Éducation sentimentale, roman autobiographique ? » in Essais sur Flaubert en l’honneur du Professeur Don Demorest, recueil collectif publié sous la direction de par Charles Carlut, Nizet, Paris, 1979, pp. 313‑329.
32 Voir supra2. Premières approches du dossier manuscrit de L’Éducation sentimentale (1880‑1975).
33 Bruneau, Jean, « Sur l’avant‑dernier chapitre de L’Éducation sentimentale (avec des documents inédits) » in Revue d’Histoire Littéraire de la France, LXXXIII, mai‑juin, 1983, pp. 412‑426.
34 Ibid., p. 526 (Résumé de l’article réalisé par J. Bruneau).
35 Sagnes, Guy, « De Balzac à Flaubert : l’enfance de Deslauriers d’après le manuscrit de L’Éducation sentimentale » in Littératures, Université Toulouse‑Le‑Mirail, n° 2, automne, 1980, pp. 17‑27
36 Sagnes, Guy, « Tentations balzaciennes dans le manuscrit de L’Éducation sentimentale » in L’Année balzacienne, Paris, 1981, pp. 53‑64.
37 Sur le processus de condensation dans l’écriture flaubertienne, voir l’article de Pierre‑Marc de Biasi publié en 1986 sous le titre « Flaubert et la poétique du non‑finito » (in Le Manuscrit inachevé ‑ écriture, création, communication, éd. CNRS, « Textes et Manuscrits », pp. 45‑73). En 1981, dans son importante thèse sur l’avant‑texte de la Légende de saint Julien l’Hospitalier(Université Paris VII, 5 vol. 947 p.), Pierre‑Marc de Biasi a montré que les manuscrits suivaient deux phases de travail diamétralement opposées : une première phase qui se traduit chez Flaubert par un phénomène d’ « amplification » qui est suivie d’une seconde phase dite de « condensation » pendant laquelle, la première phase perd près de 40 % du texte manuscrit. Cette condensation du texte manuscrit est « délibérée » chez Flaubert qui, par ce moyen, donne au texte cet aspect elliptique. Pierre‑Marc de Biasi explique ce phénomène chez Flaubert, en terme de poétique du « non‑finito » : une poétique de l’inachèvement, fondée sur l’effacement des liaisons, des motivations, des explications qui pousse le lecteur à rechercher « l’ordre des raisons qui manquent au texte définitif ».
38 Sur l’influence balzacienne chez Flaubert, voir notamment l’article de G. Séginger « Théorie et critique : Balzac et la poétique flaubertienne du roman » in Flaubert et la théorie littéraire, en hommage à Claudine Gothot‑Mersch, textes réunis par Tanguy Logé et Marie‑France Renard, Facultés universitaires Saint‑Louis, Bruxelles, 2005, pp. 83‑95.
39 VIAL, André, « Flaubert, émule et disciple émancipé de Balzac » in Revue d’Histoire Littéraire de la France, 1948 ; « De « volupté » à « L’Éducation sentimentale », vie et avatars de thèmes romantiques », 1ère partie, Revue d’Histoire Littéraire de la France, janvier‑mars, 1957 et 2ème partie, Revue d’Histoire Littéraire de la France, avril‑juin, 1957.
40 Wetherill, Peter Michael, « C’est là ce que nous avons eu de meilleur » in Flaubert à l’œuvre, Flammarion, Coll. « Textes et Manuscrits », Paris, 1980, pp. 37‑68.
41 Gustave Flaubert, Histoire et langage dans L’Éducation sentimentale, colloque organisé en 1980 par la Société des Études Romantiques au Collège de France, actes publiés par la Société des Études Romantiques, avec le concours du Centre National des Lettres, 1981, 142 p.
42 Flaubert, la dimension du texte, colloque international organisé à l’Université de Manchester en mai 1980 sous la direction de P.‑M Wetherill, actes publiés aux éditions Manchester University Press, 1982, 272 p.
43 Flaubert, la femme, la ville, journée d’études organisée le 26 novembre 1980 au Grand Palais par Marie‑Claire Brancquart pour l’Institut de Français de l’Université de Paris X, actes publiés aux Presses Universitaires de France, 1982.
44 Cajueiro‑Roggero, Maria‑Amália, « Dîner chez les Dambreuse : « réaction commençante » in Gustave Flaubert, Histoire et Langage dans L’Éducation sentimentale de Flaubert, op. cit., pp. 63‑76.
45 Herschberg Pierrot, Anne, « Le travail des stéréotypes dans les brouillons de la « Prise des Tuileries » » in Gustave Flaubert, Histoire et Langage dans L’Éducation sentimentale de Flaubert, op. cit., pp. 43‑61. Voir sa thèse, La Fonction du cliché chez Flaubert : la stéréotypie flaubertienne (Tome 1 [‑2]) préparée sous la direction de M. Henri Mitterand et soutenue en 1982, à l’Université de la Sorbonne nouvelle (Paris III). Citons également son dernier ouvrage, paru en août 2005, intitulé Le Style en mouvement, Littérature et art, dans lequel, la spécialiste consacre plusieurs pages à la question du traitement des stéréotypes dans le roman parisien qu’elle étudie à partir des archives rédactionnelles. (Voir supraL’Envolée des études de genèse, les manuscrits de L’Éducation sentimentale à l’ère du numérique).
46 Raitt, Alan, « L’Éducation sentimentale et la pyramide » in Gustave Flaubert, Histoire et Langage dans L’Éducation sentimentale de Flaubert, op. cit., pp. 129‑142.
47 Raitt, Alan, « La Décomposition des personnages dans L’Éducation sentimentale » in Flaubert, la dimension du texte, op. cit., 1982, pp. 157‑174. Cet article a été traduit du français vers l’anglais par Robert Magnan sous le titre « The Art of decharacterization in L’Éducation sentimentale » in Critical Essays on Gustave Flaubert (G. K. Hall & Co., 1986, pp. 130‑139).
48 GOTHOT‑MERSCH, Claudine : « Aspects de la temporalité dans les romans de Flaubert » in Flaubert, la dimension du texte, op. cit., 1982, pp. 6‑55. Sur la question de la chronologie dans le roman parisien, voir l’article de Silvio Yeschua « Les dates dans L’Éducation sentimentale comme foyers de significations ». Yeschua propose d’examiner le sens des trois dates explicites du roman. Il montre notamment comment ces trois dates contribuent à « déshistoriser »l’Histoire et historiser la sphère privée (in La Production du sens chez Flaubert, colloque de Cerisy‑La‑Salle, actes publiés en 1975, pp. 297‑311, suivi de la « Discussion », pp. 321‑327) ; l’article de Haruyuki Kanasaki « Remarques sur la chronologie de L’Éducation sentimentale » (in Studies in Language and Culture, XII, 1986, pp. 257‑271). Kanasaki revient sur les points sensibles et les contradictions liés à la chronologie narrative (la fête de Mme Arnoux, la grossesse de Rosanette ou encore le problème de la date du 12 décembre 1845 (moment où Frédéric apprend son héritage) pour laquelle, le critique japonais penche pour l’hypothèse de Raitt (erreur de Flaubert) plutôt que pour celle de Cento (volonté de l’écrivain). Il revient également sur les multiples études réalisées sur la chronologie du roman parisien (notamment S. Buck, « The chronology of the « Education Sentimentale » in Modern Language, Notes, février, 1952 ; J. Pinatel, « Notes vétilleuses sur la chronologie de L’Éducation sentimentale » in Revue d’Histoire Littéraire de la France, janvier‑mars, 1953).
49 Voir supra les travaux de S. Buck et A. Raitt.
50 Lors de la discussion qui a suivi l’exposé de S. Yeschua au colloque de Cerisy, Jeanne Bem a évoqué ce temps d’arrêt dans la chronologie du texte publié. Pour la chercheuse, ce « vide » peut se comprendre de deux façon. Le premier niveau d’explication serait « que le séjour de Nogent marque un temp de mort dans la vie de Frédéric ; l’année de Nogent, qui va d’août 44 à décembre 45 est entourée de deux années vides, ce qui la creuse également en une espèce de vide : c’est comme un instant entre deux instant inexistants. Donc il devient atemporel (…) ». Le second niveau d’explication serait d’y voir un « effet de condensation » (p. 321). Notons que le commentaire de J. Bem rejoint celui de C. Gothot‑Mersch. Une analyse approfondie des brouillons du roman parisien dont le fil conducteur serait ce phénomène de « vide », tendrait, probablement, à confirmer la thèse de ces deux spécialistes, qui veut que la structure de l’œuvre tourne autour de ce vide.
51 Wetherill, Peter Michael, « Paris dans L’Éducation sentimentale » in Flaubert, la femme, la ville, op. cit., 1983, pp. 123‑138.
52 Williams, David Anthony, « The plans for Flaubert’s L’Éducation sentimentale » in French Studies Bulletin, 2, Spring, 1982, pp. 8‑10.
53 Bruneau, Jean, « L’avant‑dernier chapitre de L’Éducation sentimentale d’après les scénarios de la Bibliothèque Nationale » in Nineteenth‑Century French Studies, 12, n° 3, Spring, 1984, pp. 322‑328.
54 Flaubert, Gustave, L’Éducation sentimentale, Histoire d’un jeune homme, édition présentée et annotée par Alan Raitt, illustrée par Mac’Avoy, Imprimerie Nationale, coll. « Lettres Françaises », 2 volumes, [Volume 1 : Iconographie : Portraits. Estampes. Dessins. Fac‑similé du f°35 du Carnet 19. Fac‑similé de la première page du Manuscrit définitif. Fac‑similé d’une page du manuscrit de M. Schlesinger transcrit par Mme Schlesinger] Volume 2 : Notes et variantes. Documents : reproduction des plans de L’Éducation sentimentale provenant du Carnet 19. Extraits des Mémoires d’un fou. Iconographie], Paris, 343 p ; 364 p.
55 Voir supraPremières approches du dossier manuscrit de L’Éducation sentimentale (1880‑1975)
56 Je fais une légère rectification en ce qui concerne les propos de l’éditeur. A. Raitt attribue la transcription erronée du terme « force » (f° 34v°) à M.‑J Durry et la rectifie en proposant celui de « farce ». Si A. Raitt a effectivement raison de revoir la transcription, nous soulignons que l’erreur revient non pas à M.‑J Durry mais à M. Bardèche pour son édition du texte au Club de l’Honnête Homme (1971). Pour sa part, M.‑J Durry transcrit bien « farce », comme le lit, à son tour, A. Raitt.
57 Voir supra « Les éditions du vivant de l’auteur »
58 Voir supraPremières approches du dossier manuscrit de L’Éducation sentimentale (1880‑1975)
59 Ibid.
60 Flaubert, Gustave, L’Éducation sentimentale, Histoire d’un jeune homme, édition de Peter Michael Wetherill 1 volume, [1er. Appendice transcriptions des scénarios et brouillons du début de la troisième partie, 1848. 2ème. Appendice transcriptions des scénarios de L’Éducation sentimentale], coll. « Classique Garnier », Garnier, Paris, 1984, 647 p. Je remercie P.‑M Wetherill pour m’avoir accordé un entretien sur son édition du texte aux Classiques Garnier et sur son travail de généticien.
61 Flaubert, Gustave,L’Éducation sentimentale, Images et documents, [1ère partie : WETHERILL, Peter Michael. Les manuscrits : mode d’emploi. Transcriptions de brouillons] ; [2ème partie : Shaeffner, Hélène, Iconographie. Album de « L’Éducation sentimentale »], coll. « Classiques Jaunes », 1985, 220 p.
62 WETHERILL, Peter Michael, « Problèmes d’édition : L’Éducation sentimentale » in Édition et manuscrits, Problème der Prosa‑Edition, Bern, Frankfurt ; New‑York, Lang, 1987, pp. 299‑309.
63 Comme on a pu le voir, P.‑M Wetherill est l’auteur de deux importants articles sur les modifications effectuées par Flaubert sur le Manuscrit définitif : dans son édition, il reprend la plupart de ses transcriptions. Cependant, nous soulignons que le relevé de P.‑M Wetherill n’est pas exhaustif. Du reste, il faut signaler, qu’à ce jour, aucun relevé des corrections autographes de Flaubert sur le manuscrit du copiste n’a été réalisé : l’examen simultané du Manuscrit définitif et du manuscrit du copiste montre que le copiste a souvent omis de transcrire un adjectif, un groupe de mot, voir une phrase entière…
64 En revanche, le chercheur n’aborde ni la question de la ponctuation, ni celle des alinéas et des blancs présents, en amont, dans le Manuscrit définitif.
65 Wetherill, Peter Michael, « Manuscript Mechanisms : Flaubert’s L’Éducation sentimentale » in Neuphilologische Mitteilungen, 1984, pp. 178‑186.
66 Certains des folios transcrits sont donnés sans leurs fac‑similés.
67 Flaubert, Gustave, L’Éducation sentimentale, texte établi par C. Gothot‑Mersch, édition [Fin d’ouvrage : Reproduction. 1er scénario de L’Éducation sentimentale provenant du Carnet 19], Garnier Flammarion, Paris, 576 p.
68 GOTHOT‑MERSCH, C., « Introduction » in FLAUBERT, Gustave, L’Éducation sentimentale, Garnier‑Flammarion, Paris, 1985, p. 32 : « Le texte de la présente édition a dû être remis à l’éditeur, à sa demande expresse, en juillet 1984. La parution en a ensuite été différée pour des raisons éditoriales. Je n’ai donc pu tenir compte, à mon grand regret, de l’édition de P.‑M Wetherill (Classiques Garnier), sortie en novembre 1984, à un moment où la mienne était déjà sous presse. – C. G.‑M.) ».
69 Voir infra.
70 Dans son article « L’édition génétique : le domaine français » ( La Naissance du texte, Paris, José Corti, 1989, pp. 63‑76), C. Gothot‑Mersch s’explique sur ce point : « Le contrat de GF pour mon édition de L’Éducation sentimentale ne prévoyait aucun dossier génétique ; mais la maison a ajouté comme argument de vente sur la quatrième de couverture : « Pour cette nouvelle édition, Claudine Gothot‑Mersch a consulté les manuscrits originaux » » (p. 71).
71 Voir supra« l’édition de l’Imprimerie Nationale (A. Raitt, 1979) »
72 Ce qui n’est pas le cas de l’édition de René Dumesnil (Belles Lettres, 1942) qui demeure encore aujourd’hui une édition de référence, en partie, pour l’importante annotation et le relevé des « variantes » entre les deux éditions du vivant qu’il propose.
73 BIASI, P.‑M, « Vers une science de la littérature. L’analyse des manuscrits et de la genèse de l’œuvre » in Encyclopédia Universalis, Symposium, 1989, pp. 924‑937 (Mise à jour de la version de 1985).
74 On fait remarquer, qu’à partir de 1980, il est assez difficile de trouver ces deux éditions du texte, qui sont à ce jour épuisées