Pourquoi les sentiers de la création ?
De l’émotion à la création, le poète, le peintre, l’écrivain, le musicien, le savant, l’architecte ont parcouru de nombreux chemins où ils ont cherché avec inquiétude ce qui pourrait leur donner une raison de vivre. L’œuvre achevée, il ne reste plus aux créateurs que le souvenir lointain de l’inattendu qui les guettait.
Albert Skira1

Prendre un tube de vert, l’étaler sur la page,
Ce n’est pas faire un pré.
Ils naissent autrement.
Ils sourdent de la page.
Et encore faut-il que ce soit page brune.
Francis Ponge2

En prologue à ce numéro de Genesis sur l’image, un détour par les « prés parés » de Francis Ponge servira à mettre en évidence la complexité de la notion de champ dans l’opération de genèse. Théorisée par Meyer Schapiro, elle préexiste à la distinction sémiotique entre le visible et le lisible, entre le figuratif et le non-figuratif3. Tout autant que la page de papier « que la blancheur défend », selon Mallarmé, le « champ lisse préparé » est un artefact connu des historiens de l’art préhistorique mais guère pris en compte jusqu’alors par ceux de l’art contemporain alors qu’il s’est agi d’une « mutation fondamentale de l’art qui est à la base de notre propre imagerie, y compris la photographie, le cinéma et l’écran de télévision ». Chaque genèse entraîne l’artiste ou l’écrivain dans un jeu dialectique entre le champ préparé, lisse et délimité, et le fond primitif qu’offre le médium ou que suggère l’imagination matérielle, telle que Bachelard l’évoque.

« Les sentiers de la création » et La Fabrique du Pré

Onzième volume de la collection des « Sentiers de la création », paru en février 1971, La Fabrique du Pré de Francis Ponge entraîne le lecteur du côté d’un imaginaire de la terre et de la poussée végétale4. Sur la couverture, la reproduction de trois gravures d’herbes, planches botaniques tirées d’un recueil du xviiiesiècle, est intercalée entre le titre et le fac-similé d’une ligne de points manuscrite, en brun, à propos de laquelle une « bulle » de la main de Ponge, recommande de « composer ici une ligne entière de points ». Commentant, reproduisant, transcrivant les étapes de la rédaction du poème depuis le manuscrit jusqu’au tapuscrit puis à la forme finale imprimée, le livre est aussi ponctué de reproductions, dont la liste en fin de volume donne lieu à une sorte de poème: aux deux photographies de prés, l’une vue à ras du sol, et l’autre en survol (par la photographie aérienne), s’ajoutent une partition de Bach, et plusieurs œuvres d’art, introduites par autant de versets fragmentaires en italique qui tiennent lieu de titre aux états de genèse du poème comme aux sections du livre. La Fabrique du Pré, ce sont des « prés parés par Chagall Bach Courbet Dubuffet Giorgione Corot Gérôme Cézanne Littré Botticelli Picasso Balthus Seurat… et Francis Ponge », comme l’indique la bande-annonce, vert pâle, du volume. Sur la table de travail de l’écrivain, les tableaux entrent en mémoire du poème, et leur musée imaginaire fait partie de sa fabrique, tout comme la bibliothèque imaginaire est ruminée par l’artiste au travail.

L’ouvrage commence par un chapitre de réflexions présentées comme un journal de bord. Ponge analyse le titre de la collection, en citant des définitions des dictionnaires, et l’auteur fait alors part aux lecteurs de ses doutes sur la notion de « création »: « Je n’aime pas trop ce mot, car selon Démocrite et Épicure, rien ne se crée de rien dans la nature […]. » En rappelant la racine en sanscrit du mot création, « kri, faire », puis en citant la définition du verbe créer dans Littré – « action d’inventer, de fonder, de produire » –, Ponge oriente son propre « sentier » vers l’acte de faire, de produire, vers la « fabrique » d’un poème5. Voici, daté du 20 mai 1970, l’incipit qui indique sa démarche : « S’il me faut […] mettre sur table les états successifs de mon travail d’écriture à propos de telle ou telle émotion qui m’a d’abord porté à cette activité, je choisirai d’étaler mes notes sur le pré6.» Un peu plus loin, vient une note écrite pourtant trois semaines plus tôt, le 30 mars 1970 :

Par
Sur les sentiers de la création
Mettons-nous donc en chemin.
Les sentiers de la création, eh bien, ce sont évidemment les lignes de l’écriture.
Il ne tient point de chemin, il va à travers champs
7.

« Par », « sur », « en », le jeu des prépositions fait surgir une grande complexité de parcours. Ce que suggère le pré, comme métaphore des « sentiers de la création » selon Ponge, c’est l’emplacement dru et touffu d’une mise à plat sur un champ parcouru de tracés innombrables. Le pré représente à la fois le terrain d’aventure où nul sentier n’a été frayé8, et un espace sur lequel « étaler ses notes », « mettre sur table » son travail d’écriture.

La dialectique entre le champ selon Schapiro et le pré selon Ponge qui caractérise l’opération de genèse dans sa relation au médium et à l’outil transparaît dans le texte de Miro Je travaille comme un jardinier (1959)9. Au frontispice de ce livre, est reproduit Le Potager à l’âne. Peinture (1918, 64 x 70 cm, collection Shapiro, New York10)… Naïve et décorative, cette toile montre l’âne dont les sabots laissent leur empreinte dans la terre mise à nu du potager catalan, brun-rouge comme une terre de potier, tandis que les carrés de verdure cultivés plus loin, vus à vol d’oiseau, s’ajustent comme pour composer une tapisserie au cœur du tableau. On s’aperçoit vite en lisant que le potager est une métaphore de l’atelier de l’artiste :

Je considère mon atelier comme un potager. Là, il y a des artichauts. Ici, des pommes de terre. Il faut couper des feuilles pour que les fruits poussent. À un moment donné, il faut tailler.

Je travaille comme un jardinier ou comme un vigneron. Les choses viennent lentement. Mon vocabulaire de formes, par exemple, je ne l’ai pas découvert d’un coup. Il s’est formé presque malgré moi.

Les choses suivent leur cours naturel. Elles poussent. Elles mûrissent. Il faut greffer. Il faut irriguer, comme pour la salade. Ça mûrit dans mon esprit. Aussi je travaille toujours à énormément de choses à la fois. Et même dans des domaines différents : peinture, gravure, lithographie, sculpture, céramique.

La matière, l’instrument me dictent une technique, un moyen de donner vie à une chose. Si j’attaque un bois avec une gouge, cela me met dans un certain état d’esprit […]. La rencontre de l’instrument et de la matière produit un choc qui est quelque chose de vivant et dont je pense qu’il aura une répercussion sur le spectateur11.

La métaphore filée de Miro montre l’artiste-jardinier qui découpe et cultive ses carrés dans l’atelier-potager, tout comme Millet, dans ses eaux-fortes et ses pastels, use à même fin de la figure du bêcheur creusant un sillon dans la terre arable.

Ainsi, le « pré » n’offre-t-il pas seulement une métaphore génétique. Il apporte de plus la concrétisation d’un concept, celui du « champ » de toute expression graphique ou plastique, de l’iconic field décrit par Meyer Schapiro :

Il nous paraît aujourd’hui aller de soi que la forme rectangulaire de la feuille de papier et sa surface lisse, clairement définie, sur laquelle on écrit et dessine, sont un médium indispensable. Mais un tel champ ne correspond à rien dans la nature, ou dans l’imagerie mentale, où les fantômes de la mémoire visuelle apparaissent dans un vague sans limite12.

La figure du pré nous rappelle enfin la tension dialectique entre champ et médium inhérente à toute genèse. Dans certains cas, par exemple dans les carnets de croquis qui correspondent à l’étape génétique du brouillon13, les artistes s’emparent de la page comme s’il s’agissait toujours du fond sans limite de la paroi primitive sur lequel on peut tracer image sur image: c’est à cette dialectique régressive que s’arrête d’ailleurs Schapiro lorsqu’il signale que « des artistes de notre temps conservent sur le papier ou sur la toile les premières figures et touches de couleur qui ont été appliquées au cours du travail. Ils admettent certaines au moins des formes préparatoires et souvent provisoires comme des parties intégrantes et définitives de l’image : celles-ci valent comme signes de l’action du fabricateur dans la production de l’œuvre14 ». L’effet de genèse qu’expriment les « signes de l’action du fabricateur dans la production de l’œuvre » procède alors de l’esthétique de l’œuvre définitive, tout comme c’est le cas dans La Fabrique du Pré, et dans les titres de la collection « Sentiers de la création ».

Les « archives de la création » et la génétique des textes : convergences et spécificités

Les généticiens, qui travaillent sur les textes, ont mis en place des notions et une méthodologie qui permettent d’étudier « les archives de la création », pour reprendre la dénomination du séminaire de l’ITEM en 1992-199415 et d’un appel d’offres lancé en 1997 par le CNRS16 : ils rassemblent un dossier de genèse, en organisent les phases, en présentent le déroulement, soit par une édition classique à partir de tableaux, soit par l’édition électronique qui rend mieux compte de la complexité des « sentiers de la création ». La distinction entre deux modalités génétiques, le programme et le processus, qui peuvent s’opposer, se succéder et/ou se combiner, s’applique aux arts visuels dans la mesure où elle relève du niveau général de la génétique poïétique. Il en va de même pour l’élaboration du style, domaine dans lequel les recherches comparées sont fructueuses17. En revanche, la différentiation des deux moments génétiques, rédactionnel et éditorial, est strictement du ressort de la génétique des manuscrits modernes, puisqu’elle se fonde sur l’opposition entre le manuscrit et l’imprimé. On peut néanmoins dans l’art moderne et contemporain distinguer d’une façon comparable phases de conception-élaboration et phases de divulgation18 : d’un côté, l’avant-image ou l’avant-œuvre sont à la génétique artistique ce que l’avant-texte est à la génétique littéraire ; de l’autre la divulgation est tantôt directe par la présentation de l’œuvre au public (et notamment par le Salon et l’exposition) ou transmise par un médium de reproduction (gravure, lithographie, photographie ou photogravure) qui en offre une traduction. Les approches microgénétiques ont aussi leurs équivalents : l’étude de l’incipit par exemple se rapproche de celle du frontispice ou de l’œuvre inaugurale dans une carrière d’artiste. D’une façon générale, les généticiens du texte qui abordent le fait littéraire à partir d’objets matériels, s’interrogent sur les supports et les instruments de l’écriture19 et se rapprochent des historiens de l’art qui étudient la matérialité des œuvres.

Entre génétique littéraire et artistique, il existe plusieurs modalités de recouvrement. Certains corpus, comme ceux des dessins d’écrivains20, voire ceux des dessins dans les manuscrits d’écrivains21, entraînent la génétique littéraire du côté de la génétique artistique, tandis que la réciproque a lieu lorsque les artistes ont une pratique d’écriture : c’est ainsi que les éditions Textuel ont inclus dans le même format et la même série de fac-similés les manuscrits de Rimbaud (par Claude Jeancolas, 2004)22, les projets des Rougon-Macquart de Zola (par Henri Mitterand et Olivier Lumbroso, 2002)23 et les lettres illustrées de Van Gogh (par Claire Barbillon et Serge Garcin, 2003)24. La question d’une génétique des arts, introduite par celle des manuscrits d’artistes, a été abordée dans Genesis 15 (2000), à travers le cas de Kandinsky25 et de Picasso26. Elle était fortement présente dans le colloque organisé en 2002 à l’École normale supérieure et à l’abbaye d’Ardenne (IMEC) sur « Les écrits d’artistes depuis 194027 ».

Dans le cas de la génétique graphique sur laquelle portent plusieurs contributions de ce numéro, les deux domaines sont contigus, comme l’indique l’étymologie grecque du mot graphein qui signifie à la fois écrire, dessiner et graver, et suggère un continuum entre le texte et l’image qui apparaît dans les planches de Blake, comme dans les manuscrits et les albums autographiés de Töpffer. Moyen de datation du papier et donc du dessin ou du manuscrit, l’étude des filigranes par exemple importe autant à l’ITEM qu’au département des Arts graphiques du Louvre28. Ratures29, repentirs30, variantes31 existent dans toutes les formes d’espaces graphiques : manuscrit, partition, dessin ou gravure. Les notions de marginalia et d’états32 utilisées par les généticiens littéraires appartiennent aussi au vocabulaire des arts graphiques33. L’organisation spatiale de la page34 et de la double page d’écriture, dans sa visualité, n’est pas sans rapport avec la notion de champ iconique, telle que Schapiro l’a analysée35 (délimitation, latéralisation et sens de lecture), ou la « pensée de l’écran », que propose Anne-Marie Christin dans L’Image écrite, en soutenant que l’« écriture ne reproduit pas la parole, elle la rend visible36 ».

Toutefois, si les rapprochements sont nombreux et féconds, il n’en existe pas moins des spécificités propres à chaque domaine d’étude génétique. Tel est le cas, non seulement pour la génétique des arts et de l’image abordée ici, mais aussi pour la génétique de la musique traitée par Genesis en 1993 en coopération avec l’IRCAM37, ou celle du cinéma, qui servira de thème à une prochaine livraison de la revue. Il en va de même pour celle de l’architecture dans un numéro thématique de Genesis (n° 14, 2000) publié en collaboration avec le Centre canadien d’architecture de Montréal.

Si les parallèles intergénétiques mettent en évidence des ressemblances et des dissemblances, et font progresser la discipline génétique par transposition ou spécification des approches et des concepts d’un domaine à l’autre et d’un cas à un autre, ils engagent aussi l’opposition entre les arts de l’espace et les arts du temps soulevée par la tradition des paragone, et tenue pour cruciale depuis le Laocoon de Lessing, en vue de l’autonomisation des expressions artistiques38. La démarche génétique introduit une temporalité dans l’œuvre d’art, et une spatialité dans l’œuvre littéraire parce qu’elle est gouvernée par une conception de l’œuvre, quelle qu’elle soit, qui la prend en compte comme processus dynamique. Comme l’indique l’étymologie qui rattache le mot « génétique » à un verbe grec qui signifie à la fois « devenir » et « être », c’est de l’étude de l’œuvre d’art au gérondif qu’il s’agit, de l’œuvre en train de se faire, plutôt que figée dans un moment unique. La temporalité génétique engage plutôt que le temps verbal (passé, présent, avenir) la notion grammaticale d’aspect dans ses trois phases, initiale, progressive et terminative. Sans se limiter à l’étude du moment initial que présuppose, stricto sensu, le mot « genèse », c’est tout le cours de ce devenir-être qu’interroge l’approche génétique, et qui de ce fait induit une définition élargie de la notion d’œuvre d’art, tout au moins au niveau de la génétique générale.

Perspectives sur la genèse de l’image et sur la génétique de l’œuvre d’art

La question de la genèse est abordée dans ce numéro à la fois en transposant la méthodologie de l’étude des manuscrits littéraires pour l’appliquer à de nouveaux corpus, et en la comprenant sous un nouvel angle, celui d’une approche cognitive susceptible d’intégrer et de confronter différents aspects mentaux de l’activité créatrice, quels qu’en soient les modes d’énonciation. Cette approche s’intéresse tant à la complexité des processus de création et de leur interprétation qu’au travail de l’image à partir de matériaux génétiques multiples et hétérogènes. Les articles proposent aussi une extension de la notion de genèse au-delà de son domaine habituel – celui qui parcourt tous les états préliminaires de l’œuvre jusqu’à sa version définitive, autorisée. Dans le cas de l’œuvre d’art, la frontière de « l’édition définitive », qui vaut pour la littérature dans l’ère de l’imprimé, a moins de pertinence que d’autres critères, esthétiques, sociaux, économiques, qui mettent en relation l’œuvre et ses publics : la signature, le titre, l’acquisition, l’exposition dans un espace public ou dans une collection particulière. La filière génétique se trouve donc étendue au profit d’un long processus qui prend en compte l’horizon d’attente et la réception des images, et qui pose la question de l’auteur, par exemple dans le cas de la mise en circulation collective d’un signe iconique.

Les sections habituelles de Genesis – enjeux, études, entretien, inédits, chroniques –, sont reprises dans ce numéro, mais se trouvent adaptées à son thème : c’est ainsi que la rubrique « Inédits » ne comporte pas seulement des manuscrits, matériaux génétiques par excellence de la littérature, mais aussi des dessins et des documents iconiques, qui contribuent au « dessein » de l’œuvre d’art. La rubrique « Chroniques » accorde place aux expositions et à leurs catalogues.

La section « Enjeux » réunit trois articles qui posent diversement la question de la formation et du devenir de l’image, selon qu’il s’agit de l’imagerie mentale ou d’œuvres d’art matérielles, et en particulier de gravures. En rappelant l’état actuel des théories cognitives de l’imagination, Gabriel Ruget rapproche l’apprentissage (au sens des statisticiens et des automaticiens) de la création (au sens des poètes et des artistes). Cette réflexion sur l’apprentissage, déterminante dans la relation homme-machine, mais aussi dans la relation pédagogique, constitue l’originalité de son apport face à d’autres scientifiques qui ont également rapproché l’art de la science39. Il souligne d’emblée que la relation d’apprentissage créatif implique l’inachèvement et le suspens, et recourt à l’allusion ou aux métaphores. L’article se termine sur le thème du rapport entre l’art de la mémoire et celui des jardins dans la dynamique de l’imaginaire.

« C’est pourquoi il ne faut pas craindre l’inachevé, mais bien plutôt déplorer le trop achevé. Du moment que l’on sait qu’une chose est achevée, quel besoin y a-t-il de l’achever ? » Cette citation de Chang Yen-Yuan dans le premier article pourrait servir d’exergue à celui de Henri Zerner qui dénonce l’illusion du fini, et montre l’œuvre d’art en perpétuel inachèvement. Rappelant que les critères de finition varient historiquement et dépendent de la nature des œuvres, Henri Zerner conteste l’hypothèse d’un moment idéal où l’auteur pourrait déclarer son œuvre achevée, pour étendre l’idée de genèse à sa transformation, voire sa destruction, par « l’atelier du temps ». Transposant à la peinture ce que Riegl attribue à la « valeur d’ancienneté » dans Le Culte moderne des monuments (1903)40 et que celui-ci oppose à la valeur de nouveauté, il propose de prendre en compte la patine, le papier jauni et le vernis décoloré comme des altérations qui transforment la perception et la signification des œuvres. La critique génétique en littérature peut repérer plus aisément la butée de la mise en imprimé ou de l’édition ne varietur du texte – butée qui devient prémisse méthodologique en permettant de distinguer nettement un avant, celui de la genèse, de l’après, celui de la réception ; en revanche, en présence des œuvres d’art, l’approche génétique doit prendre en compte le facteur de transformation interne lié au travail du temps sur les matériaux qui entraîne toute œuvre, comme la peau de chagrin du marchand d’antiquités chez Balzac, vers sa destruction.

Cette différence étant, certaines expressions artistiques vont se prêter mieux que d’autres à l’investigation génétique. Tel est le cas de la gravure, à laquelle se réfère mon article. C’est un art exemplaire pour l’analyse du processus de genèse, puisque chacun des états – terme repris dans une acception plus large par la critique génétique littéraire –, situe et classe en les numérotant les moments successifs de la fabrique de l’image. L’étude de cas qui suit ces remarques générales, celle du signe du roi en Poire dont la métamorphose est démontrée en quatre images en 1832, détient une valeur exemplaire à cause du basculement d’un mode mimétique à un mode schématique de l’image qu’elle met visuellement en évidence, prouvant ainsi l’apport de la caricature à la théorie et à la genèse de l’abstraction.

La section « Études » aborde trois types de données dont l’analyse engage de fait la théorie de la genèse de l’image et la dialectique entre la forme et l’informe dans l’œuvre d’art, qu’il s’agisse du topos de l’enfant artiste qui découvre des images dans les nuages dans l’autobiographie de Redon, ou de la figure de la spirale chez Tatline, allégorie du processus de genèse artistique, ou encore de l’invention des titres par Dubuffet.

Le « souvenir d’enfance » d’Odilon Redon, que l’artiste place lui-même au seuil de son autobiographie et qu’analyse Dario Gamboni, entre en résonance, non seulement avec l’analyse par Freud de celui de Léonard de Vinci41, mais aussi avec la contribution d’Aragon à la collection « Sentiers de la création » de l’éditeur Skira, Je n’ai jamais appris à écrire, ou les Incipit42. Rétrospectivement présenté comme inaugural et fondateur, ce souvenir d’enfance a, pourrait-on dire, la portée d’un pacte génétique à travers lequel l’artiste explique au spectateur non seulement comment naissent ses images mais aussi comment il lui suggère de les regarder. Proposée par Redon, l’anecdote de l’enfant qui trouve des images dans la matière des nuages met en évidence l’oscillation dialectique entre la figure et l’informe, et rejoint la poétique de Baudelaire tout en annonçant les recherches de Bachelard sur l’imagination matérielle stimulée par la texture des éléments naturels. C’est une rêverie que le xixe siècle symboliste partage avec l’imaginaire de la Renaissance43. Topos aux nombreuses variantes dans les textes autobiographiques d’artistes, cette figure44 constitue enfin un condensé de la modalité de l’image potentielle mise en évidence dans son dernier livre par Dario Gamboni45.

La figure, elle aussi génétique, de la spirale, interprétée par Tatline dans la tour du Monument à la IIIe Internationale, procède d’un autre univers mental, celui de la Russie soviétique, et d’un autre registre, celui de l’œuvre monumentale construite dans l’espace. Attesté par deux dessins de 1919, ce devait être un monument qui surpasserait la tour de trois cents mètres érigée par Eiffel à l’occasion de l’Exposition universelle et du centenaire de la Révolution de 1789. Il en fut exposé deux maquettes, en 1920 et en 1925 à l’Exposition internationale des Arts décoratifs de Paris. En prenant pour point de départ dessins et maquettes de cette spirale « dynamogénique », Michael et Tania Zimmermann étudient, à partir de sources peu exploitées, la signification initiale de ce motif dans l’art constructiviste russe comme schéma de la dialectique et métaphore de la révolution, puis sa requalification dans l’art dada de Berlin, enfin dans l’art américain contemporain inspiré par le ready-made de Duchamp. Leur démonstration corrobore, en les appliquant au cas paradoxal d’un « chef-d’œuvre inconnu » de l’art contemporain resté au stade du projet et de la maquette, les propositions de Henri Zerner sur l’« éternelle genèse ». Elle met aussi en évidence, sur cet exemple d’une œuvre d’art utopique, les interactions entre la forme artistique et le débat scientifique, mathématique et philosophique, qu’abordait l’article de Gabriel Ruget.

Les fonctions du titre pour la peinture de Dubuffet, qu’aborde l’article de Marianne Jakobi, ouvrent un vaste dossier, mieux défriché en littérature par la titrologie46 que dans les arts visuels. Élément généralement adjacent à l’œuvre, bien qu’il en fasse partie intégrante, le titre propose une identification et une lecture de l’œuvre. Il relève du pôle de divulgation, et pourtant le choix du titre fait généralement partie de la phase de conception : « Je trouve mes titres au fur et à mesure que je travaille, que j’enchaîne une chose à une autre sur ma toile. Quand j’ai trouvé le titre, je vis dans son atmosphère. Le titre devient alors pour moi une réalité cent pour cent, comme pour un autre le modèle, une femme couchée par exemple. Le titre est pour moi une réalité exacte », écrit Miro, pour lequel la détermination du titre correspond à une phase du processus génétique47. Dans le cas de Dubuffet, Marianne Jakobi étudie le processus de « titraison », c’est-à-dire le travail de mise en titre qui s’opère depuis les avant-titres jusqu’au titre final. L’imagination matérielle s’y trouve à l’œuvre, tantôt par désignation de la matière et de son caractère incertain, avec des termes tels qu’« informe » ou « forme indécise », ou « en quête de forme », ou d’autres relevant d’une rêverie biologique, « germinations », tantôt au contraire par l’exercice de dénomination d’une image dans la matière picturale, sable ou boue, sur lesquels l’artiste est lui-même le premier à expérimenter la suggestivité de son image.

La section « Entretien » vise à « rendre la parole aux créateurs », c’est un « espace de dialogue et de confrontation des perspectives ». Ici, l’entretien entre Pierre Buraglio et Pierre Wat se place dans le prolongement d’une exposition préparée depuis 2002 par l’artiste au musée des Beaux-Arts de Lyon. Celui-ci était allé régulièrement visiter le musée, en dessiner les œuvres, retravailler à l’atelier de Maisons-Alfort pour composer de grandes pages assemblant des croquis, ou des peintures faites de fragments réunis et de morceaux récupérés48. Cette expérience, proposée par le conservateur, a donné lieu à l’exposition « Avec qui ? À propos de qui ? » dans laquelle Buraglio a exposé les notes, les pages de carnets et les œuvres inspirées par les tableaux et sculptures du musée de Lyon qui ont accédé à son musée imaginaire – autre modalité du recyclage sur lequel se fonde la genèse artistique.

L’inédit que commente Hélène Védrine, à partir du dossier réuni par Bernadette Bonnier, conservatrice du musée Félicien Rops de Namur, est un document très rare, parce qu’il rassemble tous les états d’un frontispice, conçu par Rops, pour La Vie Moderne, une revue que celui-ci voulait lancer et qui en définitive ne vit pas le jour. Le matériel génétique est hétérogène et mêle constamment le visuel au textuel. L’artiste, un illustrateur qui avait fourni de nombreux frontispices à Poulet-Malassis49, emmagasine une sorte de catalogue d’images et d’idées qui lui servent de réserve, et dont il utilise quelques éléments lorsque vient un projet donné. À côté du croquis, la lettre à ses proches lui permet de décrire le travail en cours et aussi de le préciser. Lorsque le projet est abandonné, l’artiste n’hésite pas à l’immerger à nouveau dans son matériel et à l’employer ailleurs, quitte à le répartir sur plusieurs œuvres.

L’inédit que présente ensuite Pierre-Marc de Biasi, endossant ici sa double identité de chercheur et d’artiste, est aussi fondé sur la notion de réserve de formes et de matériels recyclés dans la fabrique des œuvres d’art. Mais de plus, le cas présenté opère un transfert surprenant d’une pratique artistique à une autre, et, du même coup, d’un circuit de diffusion à un autre : d’un côté, le béton – les dalles sculptées d’une commande publique monumentale, Pierres d’éclipse ; de l’autre, la série de monotypes Talismans, qui est toujours en cours. D’une œuvre à l’autre, les notes de travail et leur commentaire expliquent comment les choses se sont passées : l’émergence imprévue, aléatoire, de textures et d’images sur le papier kraft utilisé au cours de l’opération du moulage des dalles a fait naître l’idée d’une série de monotypes imprimés selon cet étrange procédé d’images trouvées, d’empreintes sur un papier cuit dans le béton.

La dernière section de Genesis rassemble plusieurs « Chroniques ». Elles montrent comment la génétique visuelle existe déjà, en particulier chez les historiens de l’art, et elles introduisent un débat face à quelques publications et événements récents. La réflexion menée par Lizzie Boubli sur la variante dans le dessin italien du xvie siècle a donné lieu en 2003 à une exposition du département des Arts graphiques au Louvre dont Claire Bustarret analyse le catalogue et dont l’un des enjeux est de distinguer la variante comme pratique d’atelier de la variante d’élaboration, liée à la genèse d’une œuvre, ou de la variante comme composante stylistique du maniérisme. L’esquisse peinte du xviiie, présentée en 2003 et 2004 dans une exposition des musées de Strasbourg puis de Tours, centrait son propos sur la mise en évidence d’un goût pour le faire et pour le geste, comme l’indique le titre de l’exposition et de son catalogue, L’Apothéose du geste. L’étude d’Étienne Jollet aborde ce catalogue sous l’angle de la génétique, en rappelant le vocabulaire de l’esquisse et la distinction entre étude et esquisse, puis en soulignant l’ambivalence de l’esquisse peinte qui selon les périodes, les artistes et le public, est tantôt considérée comme une étape dans l’élaboration de l’œuvre, tantôt comme une œuvre à part entière, tantôt comme l’un et l’autre. Nicolas Wanlin présente l’ouvrage de Dario Gamboni sur les images potentielles qui entre en résonance avec plusieurs des articles de ce numéro de Genesis, y compris celui de l’auteur lui-même sur Redon50. Il signale aussi l’exposition « Aux origines de l’abstraction » organisée au musée d’Orsay par Serge Lemoine et Pascal Rousseau (2003).

Les réflexions proposées par Nicolas Chapuis sur l’art chinois, à partir de La Grande Image n’a pas de forme de François Jullien (2003), permettent d’aborder la naissance de l’abstraction à partir de la peinture chinoise classique.

Comme en épilogue à l’ensemble des contributions, Claude Imbert a choisi de s’interroger, non pas sur l’émergence de l’image, mais sur sa disparition, une problématique symétrique de celle de la genèse, abordée dans le précédent livre de Dario Gamboni sur la « destruction de l’art » et dans l’exposition de Karlsruhe « Iconoclash » (2002). Elle s’intéresse aux « images hors protocole » postduchampiennes, et donne l’exemple des sculptures monumentales de Gerz programmant leur propre disparition, qu’analyse Wajcman dans L’Objet du siècle (1999). On pourrait y ajouter les gisants de plâtre qui se délitent lentement, du vouloir même de l’artiste, au pied du Cyclop, cette construction composite, coordonnée par Tinguely et Niki de Saint-Phalle, de sculptures habitant un arbre de la forêt de Fontainebleau51.

L’enjeu de ce numéro, dont le projet initial remonte à 2001, était de proposer une problématique, bien établie dans les études littéraires, à des auteurs formés dans d’autres domaines, intéressés par les œuvres d’art ou impliqués dans leur étude. Il s’est préparé dans une institution d’enseignement supérieur où formation et recherche tentent de se croiser, et dont fait partie le laboratoire du CNRS qui a mis en place la méthode génétique ; y débutait alors une réflexion sur les arts et la cognition. La présente publication collective fait suite à plusieurs séminaires, conférences et rencontres qui ont contribué à la construire, et qui, pour certains, ont trouvé un autre lieu de publication. La grande diversité des contributions rassemblées ici peut surprendre, alors que toutes abordent la question de la genèse des formes et celle de l’émergence des images. Elles prennent en compte de nombreux thèmes d’où découlent des propositions méthodologiques adaptées à chacun des corpus analysés : le mot et l’image, la question du titre et de la titraison, celle de la légende ; les fonctions du dessin, son rôle comme dessein, mais aussi comme médiation du savoir ; le rapport entre dessin et science ; l’intermédialité ; les processus de cognition et de recognition ; de composition et de recomposition ; le rapport entre arts de mémoire et jardins imaginaires ; l’emprise du souvenir d’enfance ; l’imagination matérielle ; la réserve de formes ; les figures et métaphores de la genèse, en particulier le motif de la spirale ; les matériaux et la matière de l’œuvre ; l’apparition et la disparition… Cette hétérogénéité constitue l’une des richesses du recueil, alors que transparaissent des rappels inattendus d’un article à l’autre. Elle résulte aussi d’un principe de précaution nécessaire dans l’analyse génétique des œuvres d’art, dans la mesure où chaque genèse se joue différemment, parfois à partir d’un événement minuscule : « Je commence mes tableaux sous l’effet d’un choc que je ressens et qui me fait échapper à la réalité. La cause de ce choc peut être un petit fil qui se détache de la toile, une goutte d’eau qui tombe, cette empreinte que laisse mon doigt sur la surface brillante de cette toile. De toute façon il me faut un point de départ, ne serait-ce qu’un grain de poussière ou un éclat de lumière. Cette forme procrée une série de choses, une chose faisant naître une autre chose. Ainsi un bout de fil peut-il déclencher un monde », écrit Miro52.

Tous les articles ici rassemblés, s’ils prennent en compte les singularités de chaque corpus, visent à rapprocher la méthode génétique de l’histoire de l’art. Or, s’il est vrai que les généticiens ont abordé depuis longtemps les « archives de la création » au sens large, il est apparu aussi que les historiens de l’art, dans leur façon de gérer les œuvres d’art du patrimoine et de les interpréter, ont l’habitude de prendre en considération le « dossier d’œuvre », et qu’ils pratiquent, sans la revendiquer, une forme de génétique. Plusieurs expositions récentes en témoignent – qu’il s’agisse de la genèse d’un tableau (de La Barque de Dante de Delacroix53 à La Grande Jatte de Seurat54), ou de celle de l’art moderne occidental (dans « Aux origines de l’abstraction »), ou encore d’un genre d’œuvre, impliqué dans le processus de genèse ou dans le plaisir esthétique de l’effet génétique (dans L’Apothéose du geste). Il semble bien que l’approche génétique des œuvres d’art soit d’actualité, non seulement en histoire de l’art, mais aussi dans la fabrique de l’art actuel. Cette conception de l’œuvre d’art qui se compose comme un « pré paré », pour reprendre, à partir de la notion de « champ » mise en évidence par Meyer Schapiro, la métaphore agissante de Francis Ponge, est très répandue dans l’art actuel. La genèse est une aventure qui s’effectue dans l’interaction tripolaire entre « champ », médium et outil, et se transforme chemin faisant, entre autres par l’exposition, selon le regard des spectateurs. Il reste à s’interroger sur les origines et sur la genèse d’une telle valorisation de l’œuvre d’art au gérondif. Peut-être faudrait-il alors chercher du côté de Courbet et du cycle qu’il désigna lui-même comme la « série du grand chemin » fin 1854, peu avant d’élaborer le projet de son exposition en marge de l’Exposition universelle de 1855, où prenait place L’Atelier, allégorie réelle d’une phase de sept années de ma vie artistique.

1  Prière d’insérer de la collection « Les sentiers de la création ».

2  Version définitive du Pré, Nouveau Recueil, Paris, Gallimard NRF, 1967, imprimé sur une page brune dans La Fabrique du Pré, Genève, éditions Skira, coll. « Les sentiers de la création », 1971.

3  Meyer Schapiro, « Sur quelques problèmes de sémiotique de l’art visuel : champ et véhicule dans les signes iconiques », texte d’une conférence prononcée en Pologne en septembre 1966 et publié dans Semiotica, I, 3, 1969, p. 223-242, puis repris dans Style, Artiste et Société, Paris, Gallimard, 1982, p. 7-34.

4  Francis Ponge, La Fabrique du Pré, op. cit., p. 14.

5 Ibid., p. 13.

6  Ibid.,p. 11.

7  Ibid.,p. 14.

8  « Ouvrir le chemin », ibid.,p. 14.

9  Manifeste de poétique sur sa propre démarche génétique, ce texte réunit des propos recueillis par Yvon Taillandier et publiés en 1959 dans la revue xxe siècle avant d’être repris en volume en 1964 à l’occasion d’une exposition à Londres de l’artiste. Miro, Je travaille comme un jardinier, Paris, Société internationale d’art xxe siècle, 1964.

10  Dont j’aime à imaginer, sans l’avoir vérifié, qu’il s’agit de Meyer Schapiro (avec une coquille dans le nom du collectionneur).

11  Miro, op. cit., p. 12.

12  Schapiro, op. cit., p. 7.

13  Voir le recueil dirigé par Louis Hay, Les Manuscrits des écrivains, Paris, CNRS Éditions/Hachette, 1993 ; exp. « Brouillons d’écrivains » (dir. Marie Odile Germain et Danièle Thibault), Paris, Bibliothèque nationale de France, 2001.

14  Schapiro, op. cit., p. 11.

15  Séminaire général de l’ITEM organisé en 1992-1994 sur le thème « arts et sciences : les archives de la création », sous la responsabilité de Pierre-Marc de Biasi et d’Éric Marty.

16  Michel Blay, chef de programme : quatre orientations proposées : une exploration transversale expérimentale (1870-1930), et trois axes, « création scientifique et technique », « création littéraire et philosophique », « création artistique ».

17  Sur le rapport entre style et genèse, voir les travaux d’Anne Herschberg Pierrot.

18  Afin de ne pas alourdir cet éditorial, ces réflexions d’ordre plus général sont présentées dans la première partie de mon article.

19  Claire Bustarret, « Les manuscrits littéraires modernes et leurs supports », Histoire de l’écriture. De l’idéogramme au multimédia (dir. Anne-Marie Christin), Paris, Flammarion, 2001, p. 332-339.

20  Domaine auquel s’étaient intéressés Philippe Burty et les Goncourt, ce champ d’investigation a été abordé en histoire de l’art par Pierre Georgel, notamment dans un numéro spécial de La Revue de l’art (1979, n° 44). Les années Victor Hugo de 1985 et 2002 ont donné lieu à d’importantes expositions sur la question, qu’aborde aussi une publication toute récente : L’Œil  de Victor Hugo, Paris, Éditions des Cendres, 2004. Il en va de même en 2004 pour les expositions sur George Sand, dont les dessins ont été collectionnés entre autres par Christian Bernadac : voir exp. « Dessins d’écrivains français du xixe siècle », Paris, Maison de Balzac, 25 novembre 1983-26 février 1984 (cat. par Jacqueline Sarment et notices des œuvres de la collection Christian Bernadac par Laurence Bardury), et Christian Bernadac, George Sand. Dessins et aquarelles, Paris, Belfond, 1992.

21  Ainsi, le colloque bilatéral franco-russe de l’ITEM et de l’IMLI (Académie des sciences de Russie), « Le dessin dans les manuscrits littéraires : un défi à la critique génétique ? » (ENS, 20-22 novembre 2002), dont le propos, tel que le définissait Claire Bustarret, était d’« axer la discussion autant que possible sur les interactions du “dessin” (sous ses multiples formes) avec la genèse de l’œuvre écrite ». Voir aussi Jacqueline Sudaka-Bénazeraf, Franz Kafka. Aspects d’une poétique du regard, Liège, Peeters, 2000 et Le Regard de Franz Kafka, dessins d’un écrivain, Paris, Maisonneuve & Larose, 2001.

22  Rimbaud, l’œuvre intégrale manuscrite, nouvelle édition augmentée, établie et commentée par Claude Jeancolas, Paris, Éditions Textuel, 2004, coffret de trois cahiers dont les deux premiers sont des fac-similés, et dont le troisième, Transcriptions, caractères et cheminements des manuscrits, propose « la transcription typographique de l’œuvre et des commentaires rigoureux : localisation de chaque manuscrit, description, étude des ratures, corrections, variantes, étude des remords dans une approche intime des processus de création de Rimbaud… et enfin, l’incroyable vie clandestine de chaque feuillet, passé de mains en mains, de Rimbaud à nos jours ».

23  Les Manuscrits et les dessins de Zola. Notes préparatoires et dessins des Rougon-Macquart, édition établie et commentée par Olivier Lumbroso et Henri Mitterand, Paris, Éditions Textuel, 2002, coffret de trois cahiers, le premier de fac-similés, le second, Les Racines d’une œuvre par Henri Mitterand, et le troisième, L’Invention des lieux par Olivier Lumbroso.

24  Lettres illustrées de Vincent Van Gogh, fac-similés 1888-1890, édition établie et commentée par Claire Barbillon et Serge Garcin, Paris, Éditions Textuel, 2003, coffret de trois volumes dont le premier est composé de fac-similés, le second de Transcriptions et éclairages biographiques par Serge Garcin, et le troisième d’un essai de Claire Barbillon, Quand Van Gogh dessinait en écrivant… On trouve une démarche anthologique analogue dans le catalogue de l’exposition du musée Rops qui vise à signaler l’importance de la correspondance de Rops alors que la publication s’en prépare : exp. « Injures bohèmes. Les plus belles lettres illustrées de Félicien Rops », Namur, musée Félicien Rops et Paris, Somogy éditions d’art, 2001 (préface « La collection bizarre » par Hélène Védrine, corpus des lettres illustrées édité par Véronique Leblanc et Bernadette Bonnier).

25  Nadia Podzemskaia, « Du spirituel dans l’art : le projet d’édition russe de 1914 et l’écriture théorique de Kandinsky », Genesis 15, 2000, p. 43-66.

26  Androula Michaël, « Dans le laboratoire de l’écriture de Picasso : présentation d’un dossier génétique », Genesis 15, 2000, p. 11-28. Christine Marret, « Le primitivisme moderne : appropriations, emprunts et détournements. Les carnets des Demoiselles d’Avignon, Genesis 15, 2000, p. 29-42.

27  Lié au programme de recherche « Archives de la création », ce colloque, dont l’un des axes portait sur la part de l’écriture dans le travail d’atelier, s’est déroulé du 6 au 9 mars 2002 (comité d’organisation Yves Chèvrefils-Desbiolles, Philippe Dagen, Thierry Dufrêne, Françoise Levaillant et secrétariat scientifique Fabrice Flahutes, Marianne Jakobi). Les actes sont sous presse et la contribution de Marianne Jakobi complète le texte présenté ici. L’IMEC, Institut mémoires de l’édition contemporaine, fondé par Olivier Corpet et implanté sur deux sites, l’un à Paris et l’autre en Normandie près de Caen à l’abbaye d’Ardenne, recueille en premier lieu des archives d’éditeurs, mais des archives d’artistes y sont également déposées, comme celles de Fougeron et de Pignon.

28  Comme en témoigne l’intérêt commun à Claire Bustarret (équipe de codicologie de l’ITEM) et à Catherine Goguel (CNRS, département des Arts graphiques du Louvre) pour cette question.

29  La rature en musique était abordée dans le premier numéro de Genesis, voir Michaël Levinas, « De la rature et de l’accident dans la création musicale », Genesis 1, 1992, p. 113-116.

30  Sur le repentir et le dessin, voir exp. « Repentirs », Paris, RMN, 1991 (dir. Françoise Viatte).

31  Lizzie Boubli, L’Atelier du dessin italien à la Renaissance. Variante et variation, Paris, CNRS Éditions, 2003 (édition de la thèse Ostinato rigore. Variante et variation dans le dessin italien : modes et pratiques au xvie siècle, université de Paris I, janvier 2000, dir J.-C. Lebensztejn).

32  Par exemple Bruce Pratt, Rompre le silence : les premiers états de « La Jeune Parque », Paris, Corti, 1976.

33  Sur les marginalia, voir exp. « Félicien Rops. Le cabinet de curiosités. Caprice et fantaisie en marge d’estampes », Namur, musée Félicien Rops et Paris, Somogy éditions d’art, 2003 (cat. par Hélène Védrine). Margret Stuffmann, « “Randbemerkungen Delacroix”. Lithografien zu Goethes Faust, teil I, Marginalien zum Faust », Jenseits der Grenzen. Französische und deutsche Kunst vom Ancien Régime bis zur Gegenwart. Thomas W. Gaehtgens zum 60. Geburtstag (dir. Uwe Fleckner, Martin Schieder et Michael F. Zimmermann), vol. II, Kunst der Nationen (dir. Michael F. Zimmermann), Cologne, DuMont, 2000, p. 111-120.

34  Exp. « L’aventure des écritures. La page » (dir. Anne Zali), Paris, Bibliothèque nationale de France, 1999. Voir aussi Anne-Marie Christin, « Espaces de la page », De la lettre au livre, sémiotique des manuscrits littéraires, Paris, éditions du CNRS, 1989.

35  Schapiro, 1969, repris dans Style, Artiste et Société, op. cit.

36  Anne-Marie Christin, L’Image écrite ou la Déraison graphique, Paris, Flammarion, 1995.

37  Genesis 4, « Écritures musicales d’aujourd’hui », ITEM-IRCAM, 1993.

38  Qu’affirment à la fin du xixesiècle les textes de Fiedler et de Hildebrandt. Voir la traduction récente de Sur l’origine de l’activité artistique de Konrad Fiedler par Danièle Kohn, Paris, éditions rue d’Ulm, 2003.

39  Voir par exemple le recueil du physicien David Böhm, On Creativity, nouvelle préface de Leroy Little Bear, université de Lethbridge, Lee Nichol (éd.), Londres et New York, Routledge Classics 2004 (première édition 1996, dont les articles, outre l’essai éponyme, s’intitulent « On the Relationships of Science and Art, the Range of Imagination, The art of perceiving movement, Art, dialogue, and the implicate order »). Voir aussi Judith Wechsler (dir.), On Aesthetics in Science edited by Judith Wechsler, Cambridge, Mass. et Londres, MIT Press, 1978 (édition de poche en 1981).

40  Aloys Riegl, Le Culte moderne des monuments. Son essence, sa genèse, Paris, Seuil, 1984.

41  Sigmund Freud, Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, Gallimard, 1977 (1910).

42  Aragon, Je n’ai jamais appris à écrire ou les Incipit, Genève, éditions d’art Albert Skira, 1969.

43  Et qui n’est pas sans évoquer le principe de la fantasmagorie de Robertson, mis au point en 1798, qui consistait à utiliser la projection lumineuse pour faire apparaître des portraits des victimes de la Révolution sur des nuages artificiels.

44  Qui repose sur l’articulation du champ iconique, plutôt que sur sa délimitation, selon une procédure analogue à celle de l’art pariétal ; voir Schapiro, 1969, repris dans Style, Artiste et Société, op. cit.

45  Dario Gamboni, Potential Images Ambiguity and Indeterminacy in Modern Art, Londres, Reaktion Books, 2002.

46  Sur la sémiotique du titre, voir en particulier Leo H. Hoek, La Marque du titre. Dispositifs sémiotiques d’une pratique textuelle, Amsterdam, Mouton, coll. « Approaches to Semiotics », 1981.

47  Miro, 1964, op. cit., p. 21-22.

48  Voir aussi l’entretien avec Philippe Dagen publié dans Le Monde, 23 janvier 2004, « Il ne faut pas fuir le réel. Il faut s’y casser les yeux ».

49  Hélène Védrine, De l’encre dans l’acide. L’œuvre gravé de Félicien Rops et la littérature de la décadence, Paris, Honoré Champion, 2002. En complément de l’article publié ci-dessous, voir aussi son étude sur le frontispice des Épaves de Baudelaire dans Autour des Épaves de Charles Baudelaire, Anvers, Éditions Pandora, 1999, Namur, musée provincial Félicien Rops, cat. expo. par Bernadette Bonnier, André Guyaux et Hélène Védrine.

50  Qui y répond à l’objection selon laquelle l’accent porté à la perception de l’image implique de laisser de côté le point de vue de l’artiste, essentiel à l’approche génétique.

51  Une étude de Thierry Dufrêne sur la genèse de cette œuvre collective est sous presse.

52  Miro, op. cit., p. 21.

53  Exp. « Dante et Virgile aux enfers d’Eugène Delacroix », Paris, éditions de la Réunion des Musées nationaux, 2004 (Musée du Louvre, du 9 avril au 5 juillet 2004, cat. parSébastien Allard).

54  Robert L. Herbert, Seurat and the Making of « La Grande Jatte », with a Contribution by Neil Harris, Berkeley, University of California Press, 2004 (exp. Chicago, The Art Institute of Chicago, 16 juin-19 septembre 2004).