Sommaire
La perspective classique de la linguistique telle qu’elle s’est développée à partir de Saussure se prête mal à l’appréhension des manuscrits de genèse. En effet, ce qui, dans ces manuscrits, relève de la « linguistique au sens étroit » (J. Fourquet) est strictement du même ordre que ce qu’on peut rencontrer dans n’importe quel autre ensemble de données verbales, et on peut aller jusqu’à se demander s’il vaut la peine de compliquer à l’envi le travail de description et d’analyse linguistique en se donnant l’ensemble des contraintes supplémentaires qu’imposent les problèmes de déchiffrement et le caractère souvent fragmentaire des énoncés. Les études détaillées menées sur des corpus manuscrits ont toujours constaté que les faits de langue contenus dans les brouillons ne contreviennent pas aux règles standard de la grammaire1, et que le « bougé » introduit par la variation génétique ne place pas les énoncés dans les marges de la langue2. Même dans les données relatives à l’appareil formel de l’énonciation, qui pourraient a priori paraître les plus susceptibles de connaître un fort coefficient de variation, on constate que les repérages énonciatifs fondamentaux se mettent en place dès que le scripteur se met à écrire et ne sont plus modifiés par la suite. Ceci ne veut pas dire qu’on ne puisse pas soumettre les manuscrits à des analyses linguistiques éclairantes, y compris sur le plan énonciatif3. Mais ces analyses n’utilisent pas un appareillage linguistique différent de l’appareillage classique, et la validité de celui-ci n’est pas particulièrement remise en cause par les données génétiques.
Dès lors, l’étude des manuscrits dans ce qu’ils ont de spécifique ne pourrait concerner que la « linguistique au sens large », celle qui franchit la frontière de l’univers des signes linguistiques pour aborder ce qui se situe au-delà de la langue, qu’il s’agisse des « intentions de communication », de la variabilité des contenus par delà leur forme linguistique, ou, plus généralement, des mécanismes cognitifs sous-jacents à la production verbale. Une linguistique des manuscrits devrait donc basculer dans une psycholinguistique des processus d’écriture, ou dans une description de ce qu’on appelle depuis Hjemlslev la substance du contenu.
Pourtant, ce constat laisse le chercheur, surtout s’il est linguiste, dans une profonde insatisfaction, tant il lui donne le sentiment de passer à côté de l’essentiel. Cette impression est confortée par la puissance expressive de la substance graphique des manuscrits, qui paraît bien constituer, au sein des données génétiques, un élément beaucoup plus spécifique et plus irréductible que le fonctionnement finalement réglé de la langue. D’ailleurs, le long travail de déchiffrement, de reconstitution des strates chronologiques du brouillon et d’identification des variations est-il autre chose qu’une tentative pour transformer les données graphiques en signes interprétables, bref, pour construire une sémiotique de la trace génétique en structurant la substance de l’expression ?
Faut-il dès lors conclure que les manuscrits, en donnant à voir une mise en relation directe de la substance du contenu avec la substance de l’expression, échappent à toute investigation proprement linguistique ?
Face à ce qui paraît être une aporie irréductible, la sémiotique classique — celle de Peirce avec ses trois types de signes, symboles, indices et icônes — ouvre un certain nombre de pistes et semble promettre au chercheur qu’il ne dérapera pas d’une manière incontrôlée et définitive hors du champ de la linguistique. Ce qui, dans le manuscrit, fait à proprement parler l’objet d’une lecture — les fragments textuels — est constitué d’un assemblage de symboles au sens de Peirce, et on peut aisément rester dans l’orbite de la définition saussurienne de l’écrit comme système secondaire de signes pour rendre compte des données qui relèvent d’un traitement linguistique. Mais il est assez banal de remarquer que cette fonction symbolique s’entrecroise dans le manuscrit avec une fonction indicielle, puisque les traces graphiques sont autant trace du processus de production lui-même que transcodage d’un « message »4. Enfin, l’écriture manuscrite abonde en icônes de nature diverse, ne serait-ce que par les multiples becquets, signes de renvoi, formes tabulaires qui matérialisent des relations entre fragments textuels. On parvient de cette manière à maîtriser, au moins en partie, la substance graphique du manuscrit — même si on est encore loin de maîtriser cette autre forme de signifiance.
Sur la base de cette « domestication » de la trace graphique, l’analyse d’un brouillon peut être décrite comme impliquant deux types d’activité hétérogènes mais imbriquées d’une manière inextricable l’une dans l’autre : une activité de lecture — de compréhension des données proprement langagières — et une activité de description et d’interprétation — d’identification des éléments iconiques et indiciels qui permettent de remonter de la trace graphique au processus qui lui a donné naissance5. Ce sont en gros ces icônes et ces indices qui constituent les données proprement génétiques et qui impriment leur marque originale aux manuscrits de travail en leur conférant un caractère irremplaçable.
Ceci n’est pas sans conséquences sur le travail manuscriptologique lui-même. La séparation tranchée entre les « données » et leur « interprétation »6 dont la tradition éditoriale philologique a fait à juste titre un canon intangible, est remise en cause dès qu’on entreprend de « lire » des manuscrits de genèse, car même sans chercher à reconstituer la chronologie des états textuels attestés dans les manuscrits, des opérations réputées aussi neutres que le déchiffrement et l’établissement d’une transcription diplomatique sont toujours, en réalité, le produit d’un travail interprétatif dans lequel l’activité de lecture proprement dite et l’analyse des données graphiques sont solidaires. Bien souvent, l’identification d’un mot (en tant qu’unité graphique) associe aux critères linguistiques (cohérence syntaxique et sémantique) une pluralité d’indices graphiques : la compatibilité du tracé observé avec la manière dont le scripteur trace telle ou telle lettre particulière, la position des données graphiques dans l’ensemble de la page, et leur position relative par rapport aux autres données textuelles, les qualités du ductus et du trait, etc. En d’autres termes, on peut dire que la transparence de l’écrit comme système de signes transcodant une suite d’énoncés linéaires est fortement perturbée par la sémiotique globale de la page manuscrite, dont les composantes échappent au système de la langue conçu comme un ensemble de signes arbitraires dont le signifiant et le signifié sont les deux faces indissociables. A la différence des unités de première articulation telles qu’on les définit depuis Saussure, les signes graphiques sont fortement motivés, ils échappent à l’arbitraire des conventions d’écriture, et ne se laissent réduire ni à des suites de graphèmes en correspondance imparfaite avec des suites de phonèmes, ni même à des formes graphiques en correspondance biunivoque avec des signifiés : une même interprétation peut valoir pour plusieurs images graphiques différentes, et inversement, une même donnée graphique peut donner lieu à une pluralité d’interprétations. Les données manuscrites sont fortement contextualisées, leur valeur dépend non seulement du scripteur, mais des configurations toujours changeantes des pages.
On trouve bien dans l’écrit non manuscrit des éléments comparables, mais à un degré bien moindre. On sait maintenant que le découpage topographique du texte, sa mise en page, ses attributs typographiques, expriment un sens à l’aide de formes graphiques matérielles. C’est en voyant celles-ci en même temps qu’on lit les suites de graphèmes qu’on accède à la compréhension des macrostructures du texte. Or il est bien clair que celles-ci ne sont pas réductibles au modèle strictement linéaire du discours oral, puisqu’elles se fondent précisément sur les attributs (spatialité, simultanéité) par lesquels l’écrit se distingue radicalement de l’oral. D’où le caractère provocateur de la formule que L. Hay applique à la sémiotique des manuscrits en paraphrasant Valéry, selon laquelle « on ne peut à la fois lire un texte et le voir »7. Si on reste fidèle à l’orthodoxie linguistique post-saussurienne8, on doit admettre que Valéry a raison et ne retenir dans la substance graphique que ce qui se laisse organiser en symboles au sens de Peirce, et on ne peut pourtant que constater qu’il a tort dès qu’on prend en main un texte imprimé, si quelconque soit-il : on voit bel et bien un texte en même temps qu’on le lit. Ce constat s’impose d’une manière plus radicale encore dans le brouillon, où le voir s’impose souvent au point de rendre le lire problématique.
Cette contextualité inhérente à l’écrit9 est considérablement démultipliée dans le cas du manuscrit de travail en raison du statut très particulier des documents génétiques du point de vue de la communication. Contrairement à la communication orale, dans laquelle la production du message s’effectue in praesentia, la communication écrite est une communication différée dans laquelle la réception du message ne coïncide pas avec sa production. Dans le cas du manuscrit de travail, celle-ci relève de la sphère purement privée du scripteur, qui est normalement le seul destinataire des traces qu’il laisse sur le papier. Si l’écriture vise bien à produire un objet de communication (le texte « achevé »), la substance graphique du manuscrit n’a pas d’autre spectateur que le scripteur lui-même. La communication proprement dite commence au moment où, l’auteur ayant remis à l’éditeur une « copie au net » débarrassée de toute l’idiosyncrasie graphique du manuscrit de travail, il signe le bon à tirer et déclenche le processus de diffusion de l’œuvre.
Si la trace graphique est susceptible de « faire signe », c’est d’abord dans cette proximité relative avec le scripteur en train d’écrire. Elle change une première fois de statut dès le moment où le processus de production s’interrompt, que ce soit par achèvement de l’œuvre ou par abandon du travail. Mais ce changement est mineur par rapport à celui qu’introduit le regard d’un tiers, qui pénètre par effraction dans un univers privé qui ne lui était pas destiné, et qui ne peut que pratiquer une sémiotique de l’« après coup » en dépistant des indices à la manière d’un détective. L’intrusion d’un étranger dans les papiers privés d’un auteur a été longtemps perçue comme un acte illégitime et malsain10 ; même en faisant abstraction de ce point de vue moral, l’examen des manuscrits de travail pose un problème de principe sur le plan théorique, puisque la seule manière de retrouver la valeur originelle des traces serait de remettre en mouvement le processus d’écriture en s’identifiant totalement au scripteur afin de reproduire le processus de création lui-même. Faute de pouvoir le faire, le chercheur est définitivement condamné à une observation externe. Toute tentative d’explicitation de la sémiotique du manuscrit doit tenir compte de ce paramètre fondamental, et distinguer la sémiotique « en mouvement », privée, que le scripteur pratique pour lui-même et à son usage exclusif, de la sémiotique « figée » que le chercheur tentera de construire a posteriori à partir des traces laissées par l’écriture11.
Les manuscrits de travail posent donc un problème particulièrement épineux à la théorie de l’écrit. Si, comme le souligne R. Harris, « pour un lecteur, il n’est pas question de “recevoir” un message écrit, mais d’intégrer sa lecture dans un programme », le programme que se donne le scripteur au cours du processus de création est difficilement accessible12, et c’est nécessairement un programme différent que le chercheur construit lorsqu’il tente d’interpréter un brouillon. Que peut-il reconstituer de la sémiotique en acte du scripteur ?
A défaut d’une identification impossible avec celui-ci, on peut repérer dans l’ensemble de la substance graphique un certain nombre d’éléments auxquels on peut affecter un sens précis. Ce sont d’abord toutes les données identifiables comme des traces de l’activité d’écriture elle-même : l’ajout, le trait de biffure, le becquet d’insertion, la superposition d’un fragment biffé et d’un fragment non biffé, les flèches indiquant un déplacement, etc. Ce sont ces données qui permettent de reconstituer des opérations élémentaires : supprimer, ajouter, remplacer, déplacer. Ce sont d’ailleurs les fonctions de base présentes dans tous les logiciels de traitement de texte. A l’évidence, ces tracés ne jouent pas dans le manuscrit le rôle purement fonctionnel qui leur est dévolu dans le traitement informatique du texte : il n’est pas indifférent que l’opération effectuée laisse ou non une trace, et beaucoup d’écrivains reprochent aux ordinateurs de les priver de cette mémoire de leurs tâtonnements. Le trait de biffure effectue la suppression, mais il inscrit en même temps sur la page une trace mémorielle de ce que l’opération a été effectuée. Les formes graphiques correspondantes sont pour une bonne part conventionnelles, et malgré de fortes variations liées au contexte historique et culturel et à l’appropriation individuelle, on peut assez aisément en dresser un catalogue systématique.
Il en va de même d’un certain nombre d’éléments différentiels perceptibles dans l’appréhension d’ensemble d’une page ou d’un dossier : les variations dans le ductus, dans le rythme de l’écriture, dans l’instrument utilisé sont aussi perceptibles à l’observateur extérieur qu’au scripteur lui-même. Nombre d’écrivains en systématisent d’ailleurs l’usage en recourant par exemple à des encres de couleurs différentes. Là aussi, la trace est à la fois aide-mémoire pour le scripteur et indice de la reconstitution d’un processus pour le manuscriptologue.
En revanche, on ne peut que laisser de côté tout ce qui relève des caractères strictement individuels de l’écriture. Ils permettent d’authentifier une main, et leur familiarité facilite considérablement le déchiffrement. Mais le fait que les lignes de Flaubert soient toujours montantes ne constitue pas une donnée graphique pertinente pour l’interprétation.
En second lieu, le dessin intervient dans un grand nombre de manuscrits. Sans examiner les dessins qui paraissent ne pas faire directement corps avec le processus d’écriture lui-même (pures illustrations, griffonnages, esquisses sans relation décelable avec le texte en train de s’écrire, …), plusieurs types seraient à distinguer selon qu’il s’agit de dessins de repérage (Hugo, Zola) permettant de faire l’économie d’une description dans une phase précoce de l’écriture, de dessins complémentaires du texte avec lequel ils font corps (les dessins de Stendhal dans les manuscrits égotistes), ou d’expédients pour résoudre un problème de « mise en langue ». J’illustrerai ces fonctions du dessin dans l’écriture en partant d’un exemple qui a été étudié par ailleurs en détail13.Dans les premières phases de verbalisation de l’incipit d’Hérodias, Flaubert hésite pour la description de la citadelle entre deux points de vue, celui d’un observateur omniscient qui dresse un plan du piton rocheux et de la forteresse, et celui, subjectif, d’un voyageur découvrant devant lui une forteresse inexpugnable qui inspire l’effroi. Le conflit discursif entre ces deux points de vue est manifeste dans la surabondance de réécritures dont le passage correspondant fait l’objet. Mais il comporte aussi une traduction graphique : Flaubert dessine d’abord un plan schématique de la citadelle, représentée par un cercle. Puis (sur le feuillet suivant) il accroche littéralement par un becquet au texte qu’il ne parvient pas à écrire un griffonnage qui donne une forme visuelle au second point de vue, et qui matérialise les quatre vallées dont la citadelle est entourée. Tout se passe comme si le verbal, impuissant à donner forme au contenu, appelait la substance graphique à la rescousse pour clarifier la représentation de l’espace14. Avec des dons de dessinateur moins médiocres que ceux de Flaubert, mais dans une démarche comparable, Zola fixe volontiers dans des dessins ou des plans la topographie des lieux dans lesquels il placera l’action de ses romans. On voit donc qu’il y a une forme d’équivalence entre le texte et le dessin qui le préfigure ; l’élément graphique est le représentant du texte à venir.
La même équivalence s’impose dans les dessins de repérage, qui se substituent à un développement verbal encore à faire et servent d’aide-mémoire, mais aussi dans les dessins dont Stendhal truffe le manuscrit de la Vie de Henry Brulard, qui font corps avec les données textuelles qui les accompagnent, brouillant la frontière entre la lettre et l’image. Il s’agit évidemment d’un exemple particulièrement intéressant pour la sémiotique du manuscrit, puisqu’il illustre un cas d’autonomie totale de l’écrit par rapport à l’oral : l’ensemble des moyens graphiques utilisés sur la page sont solidaires, et interdisent tout transcodage de la forme écrite dans un discours oral. La Vie de Henry Brulard ne peut se « lire » qu’avec les yeux. Même s’il s’agit d’une forme extrême, elle ne fait qu’illustrer d’une manière particulièrement éclatante une caractéristique qui paraît bien valoir pour l’ensemble de l’écrit.
Dès lors, dans leur prégnance d’objets matériels spécifiques, les manuscrits obligent à remettre en cause la suprématie saussurienne de l’oral, dont l’écrit ne serait qu’un simple transcodage. Faut-il pour autant adopter une position extrême, et comme R. Harris, récuser globalement toute la tradition linguistique depuis ses lointaines origines aristotéliciennes au nom d’une sémiologie de l’écrit radicalement autonome ?
Faute d’une histoire des relations entre la lettre et la voix qui reste pour une bonne part à écrire, il paraît difficile d’apporter une réponse sans tomber dans la polémique. La leçon des manuscrits de genèse est peut-être à la fois plus ambitieuse et plus modeste, puisqu’elle invite à construire, entre la « substance du contenu » et la « substance de l’expression », une sémiotique de l’écrit qui tienne compte de sa double signifiance, linguistique et graphique.
1 Cf. notamment A. Grésillon, « Les brouillons allemands de la préface à Lutèce. Analyse linguistique des variantes », DRLAV 14 (I, II), 1976, et JLL, Le jeu de l’énonciation d’après les variantes manuscrites des brouillons de H. Heine, thèse de doctorat d’État, Université de Paris IV, 1987.
2 Sauf à considérer bien sûr des énoncés qui exploitent certaines formes de transgression des règles de la langue, comme c’est souvent le cas dans les jeux de mots de Heine — mais la transgression est toujours fulgurante, et les données manuscrites n’informent pas mieux sur son fonctionnement que le texte « définitif ».
3 Cf. par exemple, dans A. Grésillon, J.-L. Lebrave, C. Viollet, Proust à la lettre, Tusson, Du Lérot, 1990, l’étude de la mise en place progressive des repérages aspectuo-temporels sans lesquels la phrase inaugurale de la Recherche du temps perdu n’aurait pas son extraordinaire résonance.
4 Cf. par exemple « la prégnance symbolique du manuscrit s’efface devant sa valeur d’indice » (A. Rey, « Tracés », , L. Hay (ed), De la lettre au livre, Paris, Éd. du CNRS, 1989, p. 42).
5 Pour une analyse plus détaillée, cf. Jean-Louis Lebrave, « Lecture et analyse des brouillons », Langages 69, mars 1983, p. 11-23.
6 Cf. par exemple Gunter Martens et Hans Zeller (eds), Texte und Varianten : Probleme ihrer Edition und Interpretation , Munich, Beck ? 1971.
7 L. Hay, « Pour une sémiotique du mouvement », Genesis n° 10, Sémiotique, Paris, 1996, p. 25.
8 Mais celle-ci est profondément enracinée dans la philologie qui l’a précédée.
9 « Si le rôle du lecteur est bien celui d’un interprète, il faut admettre en même temps qu’il n’existe pas qu’une seule manière d’interpréter. Et puisque le signe n’existe qu’en fonction du contexte, l’interprétation qui convient dépendra elle aussi du contexte. Tout ce qu’on peut dire en général, c’est que le travail du lecteur consiste à donner un sens, tant bien que mal, au signe ». R. Harris, La sémiologie de l’écriture, Paris, CNRS Éditions, 1993, p. 159.
10 Cf. la remarque souvent citée de Heine dans ses Memoiren : « Es ist eine unerlaubte und unsittliche Handlung, auch nur eine Zeile von einem Schriftsteller zu veröffentlichen, die er nicht selber für das große Publikum bestimmt hat ».
11 Cette frontière est abondamment illustrée dans l’histoire des pratiques d’écriture, notamment dans les relations des auteurs à leurs secrétaires. Ainsi Saint Thomas, qui utilisait pour l’écriture de premier jet une forme d’écriture sténographique très idiosyncrasique, ne donnait pas les manuscrits correspondants à ses secrétaires pour qu’ils les mettent au net, mais les leur dictait en lisant à haute voix ce que les commentateurs appellent, d’un nom très évocateur, la « littera inintelligibilis ».
12 En revanche, on peut évidemment tenter de pratiquer l’introspection en étant soi-même scripteur, ou objectiver cette introspection en recourant à la technique des protocoles chère aux psychologues.
13 Cf. A. Grésillon, J.-L. Lebrave, C. Fuchs, « Flaubert : “Ruminer Hérodias”. Du cognitif visuel au verbal-textuel ». L. Hay (ed), L’écriture et ses doubles, Paris, Editions du CNRS, 1991, p. 27-109.
14 L’enjeu est en réalité bien plus considérable que celui d’une simple « mise en langue » d’un contenu, puisqu’à travers cette hésitation sur le point de vue, c’est la position du je écrivant par rapport à ses personnages et son histoire qui se joue.