Je suis fait […] d’éléments qui composent une infinité de combinaisons.
(C, IV, 574)

Je n’ai jamais estimé la littérature que dans la mesure où elle est comparable à quelque science constructive. […] Inspirés – veulent user du canon sans songer au  pointage.
(C, XII, 37)

Les Cahiers de Valéry apparaissent certes, tels que le scripteur lui-même les caractérisa, comme autant de « gammes » répétées « sur les mêmes notes » durant un demi-siècle : l’on se gardera néanmoins de croire aveuglément que ces exercices de la pensée demeurèrent, ainsi qu’il l’écrivait dans ces lignes de 1940, « sans lendemain ni passé » ou encore, selon l’une de ses affirmations de 1916, « sans but, sans livre jamais rêvé »1. Au moment même où La Jeune Parque était en voie de composition, Valéry s’interrogeait sur cette écriture de l’in-défini : «Sur ces cahiers […] j’écris mes formations.  Je n’arrive pas à ce que j’écris, mais j’écris ce qui conduit – où ? » (C, V, 753 (1915)).
Les travaux de notre équipe ont mis en évidence depuis plusieurs années le pouvoir germinateur de ces fragments éclatés : « toile d’araignée, « réseau », « spire hélicoïdale » selon les appellations de Valéry, le développement des formations abstraites s’était reconnu de fait une motivation structurelle dont les connexions épousaient les combinaisons internes de l’homo multiplex2.
Aussi le scripteur devait-il se placer en l’état perpétuel d’invention : « Il faut préparer un ouvrage jusqu’au point où il s’improvise et se fait tout seul.[…] La préparation consiste à construire les organes instables dont le fonctionnement répondant à un désir bien déterminé fera l’œuvre et la fera rapidement3 ». Notre propos aujourd’hui est d’observer, sur une parcelle restreinte du terrain génétique, comment le fabricateur (le terme est de Valéry) se fit poète.

Du travail  au « chant » : le fil conducteur de la fabrication

D’évidence, au cours des années 1907-1912 (correspondant grosso modo aux Tomes VIII à X de notre Édition intégrale), alors même qu’il relisait et classait, regroupait et enrichissait les éléments de SA Psychologie4, Valéry ressentait avec acuité la nécessité impérieuse d’un dialogue interne, que l’année 1906 avait vu se formuler brièvement : « Il faut se faire en soi plusieurs personnages, pour répondre à tout le monde et se répondre entre eux. ». Sous le signe de « Protée», ce dialogue à plusieurs voix, apaisant les tensions narcissiques, renouvellerait le questionnement : « N’ai-je pas vu de plusieurs façons et n’aurais-je pu me rencontrer moi-même ? Et cela n’est-il pas arrivé, n’arrive-t-il pas ? N’ai-je pas vécu plus d’un personnage ? » (1909). Ce protéimorphisme générateur suscita en 1911, à l’intention de lecteurs potentiels du « Cahier D », une mise au point catégorique : « Attendez ! Ne tenez pas compte de ce que j’ai dit jusqu’ici. Ce n’était que pour chercher ma pensée. Maintenant elle chante. Écoutez le net, le pur, le neuf, le juste ! Le mouvement irrésistible et la clarté sans défauts. Écoutez : il va y avoir un temps et un autre temps à cueillir. Puis je m’obscurcirai encore et vous me laisserez sur mon chemin, et je vous laisserai dans »5 : la phrase laissée ici en suspens semblait souligner le constat pénible d’une évolution qui déchirait encore. Il ne s’avérait pas simple en effet de détourner la pensée de son auto-alimentation en vase clos pour atteindre au "chant" qui, issu du tréfonds de Soi, se devait pour émouvoir d’apparaître aussi naturel (mais grâce à de secrets et savants artifices) que celui de l’oiseau6. Quelques mois plus tard, la thématique débarrassée de ses affects négatifs avait fait son chemin : elle s’érigeait en bilan prospectif, initiant une forme de prose poétique – qui annonçait les futurs Petits Poèmes Abstraits :

Ô mes étranges personnages, pourquoi ne seriez-vous pas une poésie ?
Toi, Présent, et vous Formes, et vous Significations, Fonctions et Phases et trames.
Toi, acuité de la netteté et point, et toi l’informe le latéral ?
Cette espèce de re-création, que ne chanterait-elle pas ?
Mais que d’exercices avant de se rompre à sa propre pensée !
Penser librement cette pensée, ces éclairs, ces moments séparés – les penser en nature même.
Et après la recherche des éléments purs, les épouser, les être, les faire enfin vivre et revivre…7

En Juillet 1917, Valéry dévoilerait publiquement ce point de vue, l’incluant dans l’allocution qui lui avait été demandée pour présenter un recueil de poésies de son ami André Lebey : on y remarque l’insistance sur le caractère d’obligation du processus et l’aveu implicite du créateur pour ainsi dire re-créé par son œuvrerécente : « Il faut que notre appareil et toutes les machines de la vie puissent composer plus d’un personnage […]. Nous sommes obligatoirement plus riche que notre conscience, plus complexe que toute suite simple d’événements […] : et nos changements inattendus, nos conversions, nos apparitions à nous-mêmes nous font connaître que notre existence observable n’est qu’une restriction à quelque secrète diversité. »8
Ce faisant, que d’ « exercices » en effet à prolonger et à canaliser vers la visée littéraire. Aussi les lois de structuration, qu’évoquait quasi poétiquement le fragment cité plus haut, continuaient-elles indéfiniment à s’affiner, au plus proche des intentions de la quête, jusqu’à constituer de véritables données de base aptes à circonscrire le fonctionnement vital : tout naturellement s’y infuserait, au moment requis, « l’idée poétique » qui satisferaità ces« conditions de multiplicité » et, revitalisant le langage commun, exprimerait « la résonance de tout l’être »9.

Des « débris du futur » à la composition

Aux tout premiers commencements de l’œuvre sans doute, comme l’écrivait Valéry en 1907, ne convient-il de chercher « aucun sens, aucun sujet » mais plutôt s’efforcer de déceler « une évolution, une distribution d’effets ». Reprenant ce thème récurrent de réflexion, il évoquera en 1928 devant la Société Française de Philosophie cette « phase » première qu’il qualifierad’« émotive » et dont il soulignera l’importance fondamentale : bien que ne s’y présente, dit-il, « aucune forme finie, déterminée et organisée », c’est lors de cet état originel que « paraissent un mot, une formule, une image, un dispositif, qui, retrouvés plus tard, viendront se loger dans une composition, servir inopinément de germe ou de solutions» : tous fragments qu’il se risqua à nommer « débris du futur »10. Ainsi, et quand bien même par ailleurs il n’ait pas nié le pouvoir initiateur de l’intuition« immédiate, soudaine, résolvante » qui, tel un Sésame, donnait accès à des richesses intimes jusqu’alors insoupçonnées, Valéry authentifia à diverses reprises le fait que Cahiers et feuillets multiples constituaient un vivier textuel en réserve d’utilisations ultérieures : « régions d’associations futures,  îles, points ou astres, sur lesquels se placera[it] le moment d’écrire »11.
Cette phase séminale, je proposerai d’en repérer quelques linéaments ayant conduit à  « Alphabet », une suite de proses poétiques qui devait voir le jour dans les années vingt : grâce à la générosité de Nicole Celeyrette-Pietri et sous sa direction, l’originalité de ce projet a fait, avec un projet connexe « Le Manuscrit trouvé dans une cervelle », l’objet de ma thèse soutenue ici même à Paris XII12.
Que l’on me permette à ce stade une brève parenthèse rappelant les circonstances génétiques d’« Alphabet » : à l’origine né d’une commande fortuite, ce projet requérait de Valéry qu’il associât des textes poétiques à vingt-quatre lettrines (le K et le W étant écartés); or si Valéry se proposa immédiatement de doubler d’une convention temporelle l’exigence alphabétique – soit 24 heures pour 24 lettres – c’est que le hasard lui offrait l’occasion de réaliser une ambition ancienne, à savoir une mise en scène de l’Homme dans la fonctionnalité temporelle d’une journée. Le maillage thématique en est de fait bien plus imbriqué dans l’ensemble de la quête psychophysiologique qu’il ne m’était apparu lors de mon approche primitive du fac-similé il y a quelque quinze ans. Les analyses dans les grands registres avaient peu à peu recentré en effet l’éventualité (perçue en 1897 comme fantaisiste) d’une telle réalisation, partant de l’intention abstraite d’élaborer le « mouvement général d’un ouvrage » selon « une période continue, complète », puis formulant l’hypothèse de « faire comme une journée d’homme » où entreraient en jeu tous les « ressorts» de l’être, pour aboutir à la suggestion d’un sujet qui par essence serait poésie : « Quel poème la journée d’un homme – quel désordre successif, limité, mélange de régulier et d’inattendu, variété sans qu’il s’en doute, traverse des formes et des informes »13.
À cela s’ajoutait un autre rêve, fort ancien lui aussi et qu’aucun lecteur valéryen n’ignore : celui d’une composition idéale disposant, à l’instar du modèle wagnérien tant admiré, de « chaînes invisibles » (1916) pour traduire, par combinaison thématique et arcanes du langage, les « changements d’état des "personnages" » (1941)14.
Il faudra attendre néanmoins le travail libératoire de La Jeune Parque pour que la trame s’en précise, avec indexation à une théorie personnalisée du Temps. Trois schèmes seront élaborés en 1916-1917. Le premier présente en son début une récapitulation des axes à explorer : « Histoire d’une journée de 24 h. Rêves, actes, instincts, souvenirs, rythmes, accidentel… dans leurs substitutions » : s’essayant à une rédaction, il porte ensuite l’accent sur le principe, fondamental pour Valéry, de transformation / conservation :« Et comment pendant ce temps l’être s’est maintenu, s’est ressemblé, s’est modifié, s’est consommé – et ce qui en a résulté dans son milieu. Il s’est toujours altéré et toujours conservé » – thème dont en 1925-26 se fera sentir l’influence sur le final de deux des poèmes pour la lettre « D »15. L’amorce concrète du deuxième fragment peut le rattacher à la contemporaine gestation de La Jeune Parque mais le place tout aussi bien en attente du besoin d’expression neuve qu’engendrera dans les années vingt la liaison avec Catherine Pozzi :

La synthèse effectuée par le troisième apparaîtra rétrospectivement à Valéry si prévisionnelle (un authentique « débris du futur ») qu’elle sera recopiée telle quelle pour le dossier des brouillons d’« Alphabet » :

La formule « La suite formera 24 h. », superposant les acceptions, laissait entendre qu’un projet poétique pouvait être méthodiquement généré – indépendamment, soulignons-le, de toute linéarité stricte : Valéry, « pour trouver la forme », reconnaîtra qu’il lui avait été indispensable (tant pour « Alph[abet] que pour la « J[eune]P[arque]» : les deux sigles marquent cette réflexion) « que tout l’être soit en jeu, le corps présent, le temps unifié c’est-à-dire les durées diverses accordées ». Aussi un tel accord, mis en œuvre à partir de 1925 au plus près du vécu, était-il référé au Système pro domo : « […] une ou plusieurs voix bien distinctes […] songer aux 3 Lois. […] représenter un état complet, avec sa perspective "esprit – monde – corps" […], son ancrage (présent), son heure vraie » : l’objectif se disantde « combin[er] » tous ces éléments« avec le "sujet" »en vue de « donner le parti de la figure et de la forme. »18. En conséquence les Cahiers faisaient entendre l’écho permanent des recherches pour « Alphabet » :  en 1938 par exemple, tandis que s’envisageait une perspective d’édition, un tableau s’efforça de tracer ce « train de vie physiol[ogique] » : hésitant encore sur la thématique et l’organisation des heures, alors que nombre de poèmes étaient rédigés et assortis pour certains de plusieurs versions, Valéry confirmait par un croquis adjacent la double concurrence langagière, algébrique et musicale, avec laquelle sa suite poétique rêvait de rivaliser19.

La mise en œuvre thématique

Je mettrai sommairement en relief, concision oblige, un seul des motifs ayant, des Cahiers aux textes, façonné la composition poétique : soit l’ensemble Sommeil-Rêve / Éveil-Veille, qui bénéficia de reprises constantes et de développements tant dans les Cahiers que sur feuilles volantes, un cahier entier (« Somnia », daté de 1911) lui étant dévolu. Le triptyque « A.B.C. »20 en recueillit principalement le fruit, mais aussi le poème « E » : quatre textes qu’un plan de 1935 déterminerait ainsi : « A – Sommeil    B – Premier Éveil   C – Ouverture sur la vue extérieure  […] E – Éveil de l’esprit »21.Repérons tout d’abord quelques-uns des fragments ayant analysé l’état de quasi dissolution de la personne dans le sommeil, lequel « réduit »  l’être « aux fonctions continuelles » (CIX, 79), par comparaison à la cristallisation, qui s’opère au réveil, d’une«foule de possibilités, d’obligations, de tentations, de développements » (C, IV, 513 ) :  à ce seuil décisif, il importe de se re-trouver en capacité de fonctionnement, car « du fond du sommeil jusqu’à l’acte, jusqu’à l’état de réponse conforme, il y a des lieues et des lieues d’un étrange mouvement aveugle, passé du rien au désordre, du désordre à l’ordre » (496). S’éveiller donc, « c’est renaître identique » (CVII, 455), la mémoire « restitu[ant]» (CVIII, 310) à l’homme son passé de manière à ce qu’il « s’enchaîne » à ses sensations présentes : ainsi, « [a]u réveil, on peut. » (CIX, 80), on est « prompt à répondre d’une sorte appropriée » (C, IV, 511).
Il est loisible ensuite de mesurer le parachèvement scriptural accompli, des idées vers leur métamorphose poétique, magnifiantla « lutte» (641) menée par le poètecontre le langage. Le poème « A » prit en charge l’évocation de l’ « Animal endormi », en lequel se manifestait sous forme dialogique le Moi en attente de résurrection : « arche close de vie qui transportes vers le jour mon histoire et mes chances, tu m’ignores, tu me conserves, tu es ma permanence inexprimable […] Mais je suis le hasard, la rupture, le signe ! Je suis ton émanation et ton ange.»22 Le poème « B » s’attacha à la reconstitution de l’unité dans et par le réveil : « Je me dépouille maintenant de mon état inconnaissable. Ô qui me dira comment au travers de l’inexistence ma personne entière s’est conservée, et quelle chose m’a porté inerte, plein de vie et chargé d’esprit d’un bord à l’autre du néant » ? Le poème « C » traduisit, ainsi que mentionné par Valéry, l’ouverture au monde extérieur : « Les volets repoussés à droite et à gauche par un acte vif de nageur, je pénètre dans l’extase de l’espace » – et l’on n’est que médiocrement surpris de constater que la métaphore du nageur avait d’instinct infiltré en 1907 l’abstraction des Cahiers : « Je me réveille comme un nageur remonte. » (CIX, 47). Le poème « E » se voulut celui de la toute-puissance de l’esprit avant le surgissement de la pensée conceptuelle : l’on connaît les entames de deux versions publiées : « Est-il espoir plus pur, plus délié du monde, affranchi de moi-même – et toutefois possession plus entière […] » ou « Esprit, attente pure. Éternel suspens, menace de tout ce que je désire […] »23. Parmi les multiples essais pour « E »24, certains étaient demeurés proches de la prospective globale des Cahiers : « Entièrement éveillé, je sens l’esprit qui s’agite. […]. Il y a donc dans la substance de l’homme une secrète vertu de recommencement. » Quant au rêve, il ne figura dans « Alphabet » que sous forme symbolique, associé à des images d’eau. Il assura à l’une des versions pour « D », évocatrice de la « chair bienheureuse baignée », une chute superbe : « L’esprit s’ouvre les veines dans un rêve. »25 : et dans le poème pour « Z » (le seul à avoir été entièrement rédigé dans les Cahiers), il sous-tendait le mystère de l’absolu : « L’eau profonde du monde à cette heure est si calme, l’eau des choses dans l’esprit si transparente comme espace-temps pur : point troublée que l’on devrait apercevoir Celui qui rêve tout cela. »26.

Sans doute n’est-il pas abusif de poser que l’obscurité, voire l’hermétisme, que l’on a parfois reproché à la poésie de Valéry se dissipe grandement pour le lecteur qui consent à s’immerger dans le foisonnement des Cahiers, soulignant au cours de ses lectures des interrogations telle que : « Concevoir entièrement une œuvre avant de l’exécuter. Quel sens a cette proposition ?» : ou encore, sous le sigle « Alphabet » : « le journal d’une journée de quelqu’un ? Ce serait cet enchaînement incohérent, et pourtant enchaînement […] – qu’il faudrait d’abord étudier abstraitement »27.
Et remarquant l’insistance de Valéry à spécifier le travail de genèse : « Il faut se mettre en l’état de besoin de faire l’ouvrage en tant que complexité…[…] ce que j’ai essayé et frôlé vers 19… et même dans La J[eune] P[arque]. Tout un système de représentation des choses pré-inventé et donnant une homogénéité nouvelle, un quasi calcul symbolique, avec substitution de définitions personnelles aux sens ordinaires des mots », intégrant le tout à « un système vivant ». Car, en tout état de cause, pour Valéry, « travailler »un poème, ce fut « se travailler» soi-même28.

1  Extraits,  respectivement, de C, XXIII, 387 (1940)  et C, VI, 108 (1916).

2  Se reporter  à Genesis 18 – 2002, Revue Internationale de critique génétique de l’ITEM,  pp. 67 à 89 : « Lieux génétiques inédits chez Paul Valéry. Des feuilles volantes et des Cahiers aux premiers brouillons de La Jeune Parque, 1907-1913 » (Robert Pickering, Françoise Haffner, Micheline Hontebeyrie).

3  C,VII, 660 (1920). Les Cahiers contiennent nombre d’autres assertions de ce type ; pour exemple: « Mon travail d’écrivain consiste uniquement à mettre en œuvre (à la lettre) des notes, des fragments écrits à propos de tout , et à toute époque de mon histoire. » (C, VI, 473 : 1917).

4  Sur « My Psychology », voir La Revue des Lettres Modernes « Paul Valéry 9 : autour des Cahiers », textes réunis par Huguette Laurenti, Lettres modernes Minard, 1999.

5  Extraits de : CVIII, 271 : 1906 ; CIX, 71 : 1909 ; C, IV, 446 : 1911.

6  « La poésie est un excitant autant qu’un produit d’excitation. L’homme excité produit l’excitation,  l’excitant, comme l’oiseau chante. L’homme se devance. La parole qui en sort semble aller plus vite… que le temps de la combiner. » (C, VIII, 451-2).

7  C, IV, 612. À propos de La Jeune Parque, Valéry écrirait a posteriori : « il y a eu dans le désir ou dessein de cette fabrication l’intention absurde – (peut-être faut-il de l’absurde dans les projets de certaines œuvres ?) de faire chanter une Idée de l’être vivant – pensant[…] » (C, XXV, 706 : 1942).

8  Le texte servira ensuite de préface à : André Lebey, Coffrets étoilés, Renaissance du Livre, 1918. Le Cahier contemporain de l’allocution  (prononcée en juillet 1917) renferme le volet secret de la réflexion : « Créateur créé. Qui vient d’achever un long ouvrage, le voit former enfin un être qu’il n’avait pas voulu […] – et ressent cette terrible  humiliation de devenir le fils de son œuvre, de lui emprunter  […] un miroir, et ce qu’il y a de pire dans le miroir – se voir limité – tel et tel. » (C, VI, 466).

9  C,V, 637 (1917).

10  CIX, 19 (1907) et Bulletin de la Société Française de Philosophie, janvier 1928, p. 10.

11  Respectivement : C, XXII, 523 (1939) sous le sigle « Alphabet » et  VII, 499 (1920) sous le sigle « Mnss » [soit « Le Manuscrit trouvé dans une cervelle »]. Voir note suivante.

12  Micheline Hontebeyrie : «  Paul Valéry et l’écriture de l’homme complet », Paris XII – Val de Marne, décembre 1994. Thèse publiée sous forme synthétique sous le titre Paul Valéry – deux projets de prose poétique : « Alphabet » « Le Manuscrit trouvé dans une cervelle », Collection Archives des Lettres Modernes n° 275, Minard, 1999.

13  CVIII : 49 (1905), 251 (1906), 448 (1907).

14  C, VI, 124 et XXV, 191.

15  C, VI, 172. L’un de ces textes pour « D » parut du vivant de l’auteur (« Reprise » I) en 1927, sous « Poésie Perdue », dans Autres Rhumbs (in Œuvres, tome I, Collection Pléiade Gallimard, 1988). Ne pas perdre de vue le paradoxe de Valéry : « Le temps est la condition de toute conservation. Dire "le temps passe", c’est dire : Je  me conserve. Je dure. Ou plutôt : Je se conserve. » (C, XXII, 620).

16  Sur les nouvelles formes de l’expression poétique, se reporter à ALM n° 275 (op. cit. ) et à Micheline Hontebeyrie : « Paul Valéry : une scénographie de l’amour », in La Revue des Lettres Modernes, Paul Valéry 10, Du théâtre – la Scène et le Symbole, lettres modernes Minard, Paris-Caen, 2003.

17  C, VI, 560. et microfilm 16972, f° 270.  Cf. aussi f°136 « Une journée ! Bilan. Somme ».

18  Microfilm 16972, f° 285 et  f° 142.

19  C, XXI, 281 (1938). Algèbre et musique étaient enviés pour leur capacité à délivrer directement un message sans l’intermédiaire de mots dévoyés par l’usage commun.

20  « A.B.C. », Commerce, numéro de l’automne 1925 ; Valéry dirigeait, avec Fargue et Larbaud, cette revue nouvellement créée. Le dossier « Alphabet » de la BnF contient le petit cahier manuscrit illustré d’aquarelles où, sous ce même titre « ABC », Valéry avait élaboré les brouillons de poèmes correspondant à des lettres-heures diverses (descriptif donné par Michel Jarrety, in Paul Valéry Alphabet, Collection Classiques de Poche, Le livre de Poche n° 9639, 1999).

21  De 1935 à 1938, plusieurs plans de ce type furent tracés dans les brouillons ; certains aussi dans les Cahiers : ainsi C, XVIII, 181 (contemporain du plan des brouillons cité) où « a » correspondait à « Sommeil », « » à « Éveil », « c » à « Le jour,  « e » laissé sans attribution ; voir aussi ci-dessus note 19.

22  Voir aussi Nicole Celeyrette-Pietri  « Au commencement sera le Sommeil » (Cahiers Paul Valéry I « Poétique et Poésie », Gallimard, 1975, pp. 207 à 223)) et Robert Pickering « "Dessiner un discours perdu" : parcours scripturaux dans l’Alphabet » (Littérature Moderne n°2, Champion-Slatkine, 1991, pp. 169 à 185).

23  « Méditation avant pensée » (Œuvres, I, Collection Pléiade, Gallimard, p. 351) et « Reprise II » (Œuvres, II, p. 662).

24  Microfilm 16971, feuillets 71 à 120.

25  « Le Bain », publié par Valéry en avril 1930 dans le n° 7 de La Revue du Médecin ; le poème est reproduit dans les notes des Œuvres, I, pp. 1727-8, ainsi que quelques autres textes d’ « Alphabet » parus du vivant de l’auteur.

26  Il n’existe, ni dans les Cahiers ni dans les brouillons, aucun autre poème abouti pour la lettre « Z » ; il est vraisemblable que Valéry pouvait se sentir assez satisfait de l’apostrophe finale de ce texte unique (« Allez donc déchiffrer »), qui invitait à décrypter l’entrelacs d’un habile encodage (se reporter à ALM n° 275, op. cit. à la note 12).

27  Respectivement : C, IX, 499 (1923) et XXVII, 364 (1943).

28  C, XXVII, 143 (fragment de 1943, raccordé à Wagner) et V, 26 (1913).