Sommaire
La plupart des encyclopédies européennes fixent l’origine du papier au IIe siècle de notre ère et ont font l’invention de Cai Lun (Lou Tsaï loun, haut fonctionnaire de la Cour des Han), vers 105‑120 après J.‑C. Comme le montre le récent ouvrage de Pan Jixing, Zhongguo zao zhi shihua (« Histoire de la fabrication du papier en Chine », Tabei, 1994), les découvertes de l’archéologie obligent à reconsidérer la question. La difficulté pour les historiens venait de certaines contradictions dans les sources chinoises. Deux traditions donnent une version différente de l'origine du papier : selon Zhang Yi, historien des Trois Royaumes, IIIe s. ap. J.‑C., et selon Fan Ye, (historien des Dynasties du Sud : Ve‑VIe s. ap. J.‑C.), le papier aurait été inventé par Cai Lun au début du IIe siècle de notre ère. Mais un autre érudit chinois, Zhang Huaiguan (historien des Tang : VIIe‑Xe s. ap. J.‑C.) prétendait que le papier existait déjà sous les Han de l'Ouest (206 av. J.‑C. ‑ 8 ap. J.‑C.) et qu'à cette époque il tendait déjà à remplacer les fiches de bambous écrites au stylet et à la laque. L'archéologie chinoise s'est chargée de donner raison à cette seconde hypothèse1. Dès 1933, Huang Wenbi avait exhumé d’une tour de guet ruinée des Han dans la région du Lobnor, un échantillon de papier de chanvre datant de 49 av. J.‑C. En 1957, à Baqiao dans les environs de Xi’an (Shexi), la trouvaille d’un papier de chanvre jaune de l'époque de Wudi des Han (140‑87 av. J.‑C.) oblige à repousser d’un siècle en amont, vers le milieu du IIe siècle av. J.‑C., la date présumée des premiers papiers chinois. En 1978, toujours dans le Shenxi, au village de Zhongyancun près de Fufeng, dans une jarre contenant un dépôt monétaire, on découvre plusieurs feuilles de papier de chanvre blanchâtre (6,8 x 7,2 cm.),de la même époque que celui du Lobnor (73‑49 av. J.‑C.) mais d’une qualité plus fine, qui prouve l’existence d’une technique de fabrication déjà très avancée, idée confirmée en 1979 par la trouvaille, dans un poste militaire de la Grande Muraille à Mazhuanwan près de Dunhuang (Touen‑Houang), de cinq nouveaux échantillons datant aussi du Ier siècle avant notre ère : quatre feuilles de papier blanc et une feuille de papier jaunâtre plus épaisse (20 x 30 cm.) intacte sur laquelle étaient visibles les traces du treillis. On en déduisit que le papier comme matière avait sans doute été inventé au IIe siècle avant J.‑C., mais qu’il avait été en quelque sorte réinventé par Cai Lun qui en avait fait un support d’écriture. Deux importantes découvertes réalisées dans le Gansu au cours des dix dernières années infirment complètement cette hypothèse. En 1986, on met à jour dans une tombe (tombe n° 5 de Fangmatan, près de Tianshui) une carte géographique datant des règnes de Wendi ou Jingdi des Han de l'Ouest (176‑141 av. J.‑C.) : un document tracé sur du papier de chanvre de bonne qualité attestant une méthode de fabrication bien maîtrisée et montrant à l’évidence que le papier dans la première moitié du IIe siècle avant notre ère était déjà utilisé comme support d’écriture et de représentations abstraites. Enfin, en 1990, l’archéologue He Shuangquan découvre à Tianshuijing près de Dunhuang, dans des ruines de l’époque des Han de l’Ouest, un sceau de fonctionnaire des Han et plus de trente feuilles de papier de chanvre blanc dont trois portant des traces d’écriture à l’encre. L'archéologie prouve donc que Cai Lun n'a pas inventé le papier et n’a pas non plus inventé son usage comme support d’écriture : il a simplement développé et perfectionné une technique déjà très ancienne en dotant le papier d’une structure plus fine et plus résistante, mieux adaptée à l’écriture. Avant lui, le papier chinois était fabriqué à partir de fibres végétales ou de bois râpé (chanvre, écorce de mûrier, bambou, paille de riz, bois de santal...). Cai Lun a amélioré la qualité de la pâte en y ajoutant des fibres tissées — fragments de chiffons, cordages et vieux filets de pêche, macérés dans de l'eau : en inventant ce que l’on appellera « le papier de chiffon »
Je remercie vivement François Thierry, Conservateur des monnaies orientales à la BnF pour toutes les informations archéologiques et remarques historiques contenues dans cette notice.
1 Je remercie vivement mon ami François Thierry, Conservateur des monnaies orientales à la BNF pour les informations archéologiques et les remarques historiques qu’il a bien voulu me communiquer en vue de cet article. Ces renseignements sont tirés de Pan Jixing, Zhongguo zao zhi shihua (« Histoire de la fabrication du papier en Chine »), Tabei, 1994.