Les évolutions didactiques des vingt dernières années ont mis au centre de l’enseignement de l’écriture l’intertextualité. C’est sur elle que s’appuie l’apprentissage, c’est dans l’intertexte qui leur est proposé que les jeunes scripteurs puisent les références pour écrire mais paradoxalement, cet intertexte - que l’approche bakhtinienne décrit comme un ensemble non clos avec lequel l’énonciateur échange spontanément - est souvent vu comme un cadre figé dans lequel l’école devrait organiser la progression des élèves. A la lecture des Instructions Officielles et des manuels les plus répandus, comme à l’observation des pratiques majoritaires de classe, on se demande si le dialogisme est perçu comme constitutif de l’énonciation écrite ordinaire ou comme un simple ornement, une coquetterie d’experts instillant dans leurs textes des références à d’autres.

L’article qui suit s’appuie sur l’observation d’écritures en constitution, recueillies dans une classe de Cours Moyen 2. L’outil de recueil, le logiciel de traitement de texte Genèse du Texte,1 enregistre toutes les opérations d’écriture et les restitue en temps réel, sous forme de film, ce qui rend possible une analyse temporelle. De ce corpus, nous allons extraire quelques faits qui témoignent du rôle que joue le dialogisme dans la progression de l’écriture, lieu de constitution du discours « dans l’atmosphère du déjà dit » (Bakhtine, 1934/78 : 103). Dans la perspective bakhtinienne, le dialogisme est le creuset du (des) texte(s) existant(s) et du (des) texte(s) à venir : constitutivement formé de déjà dit, le discours en élaboration que l’on observe lors de l’écriture est déjà une anticipation des réactions du lecteurs, elles-mêmes productrices de discours à propos de, à la suite de celui qui se constitue. C’est entre le déjà dit, qu’il s’agisse de l’intertexte ou de l’ébauche de brouillon que le scripteur a sous les yeux et sur laquelle il s’appuie pour continuer son texte, et le « à dire » débordant le cadre du texte lui-même, que prennent sens les ratures, les allers et retours dans le déjà écrit, les pauses d’écriture.

A partir d’une écriture de conte par un élève de dix ans, nous observerons les traces de « cette dimension constitutive qui tient à ce que le discours ne peut pas ne pas se réaliser dans un dialogue implicite avec d’autres discours » (Bres, 1999 : 71) : le dialogisme. Notre propos sera organisé autour de trois points principaux : le dialogisme interdiscursif, dont les manifestations sont d’autant plus importantes ici que la consigne d’écriture fait jouer l’intertextualité ;

  • le discours rapporté, dans lequel se posent des problèmes de voix manifestés par le choix des mots de l’autre ;

  • le flottement de la voix narrative, dans lequel on peut voir à la fois une incursion du scripteur en tant que sujet parlant et une fusion des voix du narrateur et du personnage.

Ces points seront traités après un bref balisage sur la notion de dialogisme et sa place dans le champ didactique après lequel sera présenté le corpus de l’étude.

1 – Le dialogisme à l’école : accep(ta)tion et déviations d’un concept.   

 Le terme de dialogisme n’apparaît pas dans les textes officiels de l’école élémentaire, même les plus récents. Pour autant, la notion elle-même n’est pas ignorée : la littérature de jeunesse, qui est entrée depuis 2002 dans les programmes de fin d’école élémentaire, est décrite comme un ensemble d’œuvres qui se répondent d’un auteur à l’autre, d’un genre à l’autre, et parfois, d’un siècle à l’autre. On spécifie que les élèves doivent être familiarisés au plus tôt avec cet ensemble composite, en particulier grâce aux réseaux et correspondances que les enseignants s’efforcent d’établir entre les œuvres qu’ils  proposent à la lecture (Devanne, 1996). Ces correspondances, évoquées dans les ouvrages de didactique sous le terme d’intertextualité, semblent même devenir un trait distinctif du littéraire : une des caractéristiques les plus fréquemment évoquées par les enseignants pour caractériser la littérature de jeunesse est en effet son inscription dans le champ des classiques, inscription qui peut prendre la forme de l’allusion ou du détournement. Un album comportant le personnage de Boucle d’Or sera dit littéraire parce qu’il s’inscrit dans le prolongement d’un conte traditionnel, une histoire de loups peut aussi être dite littéraire parce que le loup est un personnage traditionnel des contes pour enfants… Ces représentations spontanées – on en recueille de ce type dans tous les stages de formation d’enseignants du 1er degré – sont sans doute liées au caractère patrimonial de la littérature de jeunesse que mettent en valeur les Instructions Officielles actuelles (Doquet-Lacoste, 2005). Elles témoignent aussi de l’importance donnée à l’intertexte au sens de contexte à la fois linguistique et culturel dans lequel sont produites et lues des unités textuelles (Kanellos 1999).

Du dialogisme, donc, dans la lecture à l’école : l’approche actuelle de la littérature dans les programmes de l’école primaire, où le fait dialogique – intégration par un texte de la parole d’autres textes qui sert d’appui au premier – est recherché comme fil d’Ariane du réseau intertextuel, fait la part belle aux échos, réécritures et autres pastiches. Du côté de l’écriture, l’école doit aussi préparer les élèves à produire des textes où résonnent d’autres textes lus :

« Le pastiche, l’imitation, le détournement sont les bases du travail d’écriture, en référence aux textes littéraires. Le recours aux prototypes doit être permanent, soit pour dégager des caractéristiques susceptibles de guider la mise en œuvre du projet, soit pour répondre aux questions que sa réalisation ne manque pas de poser. » (Bulletin Officiel de l’Education Nationale 2002. : 72)

On peut interroger l’idée de recourir « au prototypes », révélatrice du trajet unidirectionnel pensé comme le seul possible : l’élève reprend aux textes lus, dont on veillera à ce qu’ils soient prototypiques du genre ou de l’auteur, des éléments sentis également comme prototypiques. On retrouve ici un trait essentiel de la pédagogie par imitation qui avait cours jusqu’au milieu du XX° siècle, basée sur la mémorisation de centaines de vers et la pratique de la rhétorique ancienne (Chervel 1987). Il s’agissait bien alors de travailler des prototypes : ceux de la culture classique. Pratiquement absents aujourd’hui de l’école élémentaire, ils ont été remplacés par d’autres mais c’est toujours l’élève qui doit imiter de l’existant et même, de l’existant sans lui : ce que l’on attend qu’il reprenne, ce sont des marques de genre validées par d’autres ; c’est le fameux schéma quinaire (Larivaille, 1974 / Adam, 19922) qui est devenu un a priori de l’écriture narrative scolaire ; ce sont, en poésie par exemple, des contraintes formelles repérables… L’écriture est majoritairement utilisée pour aider les élèves à prendre conscience de traits jugés caractéristiques des œuvres, sans que soit développée leur propre capacité à dialoguer avec ces œuvres et surtout à choisir les points focaux de ce dialogue : il y a une sorte de dialogisme attendu, que l’on pourrait dire didactisé, et dont les marqueurs sont le plus souvent des indices de surface, peu révélateurs d’un investissement réel de l’écriture. De fait, bien des textes d’élèves satisfont aux grilles d’évaluation qui s’appuient sur des critères intertextuels sans pour autant témoigner d’un vrai dialogue avec les textes sources. Du dialogisme bakhtinien, allers et retours entre les mots de l’autre et ceux faits siens, principe de porosité des discours et condition de leur enrichissement mutuel, restent surtout des contraintes d’écritures qui, du fait même de leur existence, nient le caractère constitutif du dialogisme : en donnant des règles d’écriture qui s’appuient sur un fonctionnement intertextuel (pasticher un conte, reprendre le vocabulaire d’un auteur…), on semble ignorer que les élèves baignent de fait dans cette intertextualité et devraient mettre en œuvre, spontanément et de façon individuelle, des modes dialogiques de production textuelle. Cette focalisation sur les marques de surface perturbe les scripteurs en rendant artificielle une attitude naturelle, celle que Bakhtine avait repérée dans la pratique langagière courante et nommée dialogisme.

C’est à une consigne intertextuelle que répond le scripteur dont nous allons analyser la production : écrire un conte comportant des éléments d’autres contes existants. Cette consigne a été choisie pour éviter les injonctions habituelles (imposition d’une structure particulière, d’épreuves, d’un modèle actantiel préexistant, etc.) tout en favorisant l’interrogation sur les caractéristiques du texte à produire : en demandant aux élèves d’instiller dans leur production des éléments de contes connus, l’enseignant espère les placer « naturellement » dans l’intertexte des contes et impulser une posture de lecteur-scripteur de contes.

L’écriture que nous examinons s’est déroulée en 2h50. Il s’agit d’une écriture très accidentée qui s’effectue en 2 laps de temps. Le premier temps, qui se termine à 48’ d’écriture, est séparé du second par un intervalle de 2 semaines. A l’issue de ce premier temps d’écriture de 48’, le texte est le suivant :

Le grand poucet et le petit ogre

 Le grand poucet ce prommenait dans les bois tout les jours et un jour il vu un petit ogre qui ceuillait des champignons et le grand poucet lui dit:

- Que fais tu petit ogre ?

Ca ne ce voie pas tête d autruche, je ceuill des champignons pour ma grand mère.

si tu veux je peux te sir un raccourci c’est par là.

et le petit ogre pris ce raccourci mais quant il eu fait cent mètre, il vi un vieille mémé qui lui barrait le chemin et qui lui dit :

Quinze jours plus tard, une fois terminé, ce texte est devenu :

Le petit poucet

En Afrique, un  poucet de petite taille, très gourmand et  maladroit mais  très rapide, avait perdu son père, il  se prommenait dans les bois tous les jours et un jour, il vit  un fou qui lui dit:    

- Vas en amerique et tu retrouveras  ton père !

Le fou lui donna une tarte à la crème chantillie.

 Le petit poucet prit la tarte, monta dans son Volsvagen et alla au port.

Quant il arriva en amérique il se trouva fasse a une boulangerie il entra, prit six chou à la crème et trois gateau au chocolat,puis repartit.Il vit pendant sa route un bonome qui rentrait, sortait,rentrait,sortait.Je  m' araita et il me  dit:

- je peux exaucer trois veux rien que pour toi ! Dit -il.

alors je lui demanda de m'ammener à mon père.

Il m'emmena à mon père mes quand j'arriva devant le chateau la lampe avait disparu  et le chateau était garder par un dragon il  combatu  fierement mais le dragon l'avala.                          

Le petit poucet fit un trou dans le ventre du dragon puis alla sauver son père, mais, à la sorti le dragon les attendait, le petit poucet donna une tarte à son père ainsi qu'a lui mais comme il étaient maladroit il chutèrent la tête la première sur leur tarte à la crème il ne voyaient plus rien donc passèrent inconnu le petit poucet et son père ne savait même pas que ses tartes  leurs avaient sauvé la vie .

Mais en route ils rencontrèrent une sorcière avec une pomme elle leurs dit:

- Voulez-vous ma pomme ?

- Non merci

- Alors gouter juste

- Bon d'accord.

il croqua dans la pomme et tomba dans les pommes.

Le petit poucet prit son père dans ses bras et rentra chez lui.  

Et oui les contes  ca ne finit  pas toujours bien.

L’écriture de la première période diffère absolument de celle de la seconde : la première est une écriture de création, la seconde une écriture de modification – souvent radicale – du déjà écrit. Peu d’éléments restent constants d’un état du texte à l’autre : le poucet demeure, mais de grand, il devient petit ; la sorcière, présente en début de texte dans l’état 1, n’apparaît qu’en fin de texte dans l’état 2. L’ogre présent à l’état 1 disparaît à l’état 2 au profit du fou, et la toute fin de la première période d’écriture a même vu le remplacement d’une sorcière par la vieille mémé qui barre la route au héros. Au contraire de ce que suggérait la consigne, c’est donc à un désengagement progressif des clichés du conte que s’est livré le scripteur, au profit d’une histoire de quête parentale – que l’on peut voir comme une autre forme de topos du conte.

L’interdiscursivité se manifeste donc de deux manières différentes : tout d’abord, le scripteur importe dans son texte des éléments précis de contes existants qui feront ensuite l’objet de modifications ; par la suite, il se coule dans un stéréotype du conte, la quête parentale, pour l’exprimer à sa manière. Au sein du discours autre, dont l’appropriation ne va pas de soi, l’écriture va cheminer d’un discours d’autres à un discours de soi.

2. Le dialogisme interdiscursif : utilisation et stylisation des mots du conte.

La stylisation est le procédé par lequel un énonciateur utilise un mot venant d’ailleurs précisément comme venant d’ailleurs : ce mot est « toujours bivocal », puisqu’y résonnent à la fois son utilisation dans le discours tenu hic et nunc et celle qu’il connaît dans un/des autre(s) discours :

« Le styliste utilise le mot d’autrui comme une matière étrangère, le teintant ainsi d’objectivation. Le mot ne devient pas tout à fait un objet, il est vrai. Ce qui importe au styliste, c’est l’ensemble des procédés du discours d’autrui, précisément en tant qu’expression d’un point de vue particulier dont il se sert comme d’un outil. » (Bakhtine 1963/70 : 262).

La consigne d’écriture imposée aux élèves indiquait d’utiliser des éléments de contes existants ; dans l’esprit de l’enseignant, il ne s’agissait pas de les styliser, de les traiter « comme une matière étrangère », mais au contraire de s’appuyer dessus pour adopter, via le bain intertextuel que la recherche de ces éléments supposait, une posture de scripteur de conte. Ce n’est donc pas comme des « mots de l’autre » que ces éléments étaient censés surgir, mais au contraire comme les bases à partir desquelles allait se constituer le conte, sorte d’appui linguistique à l’écriture. Nous allons observer, dans l’écriture décrite ici, comment les éléments venus d’ailleurs s’intègrent dans le texte, et quels sont les effets de cette intégration du point de vue de l’objectivation et de la stylisation des mots d’autrui.

On trouve dans tous les textes établis selon la consigne rappelée ci-dessus3 deux types d’indices renvoyant au genre conte :

  • des éléments stéréotypiques du genre, qu’il s’agisse de certains des topoï relevés par Propp ou  de stéréotypes lexicaux ; dans le texte ci-dessus, on peut citer les trois vœux, le dragon…

  • des éléments singuliers renvoyant à un conte particulier : ici, le poucet de petite taille (Le Petit Poucet), la pomme empoisonnée (Blanche Neige).

Avec la réutilisation d’éléments singuliers, à travers lesquels sont identifiables des contes particuliers, ce sont les œuvres elles-mêmes qui, au-delà du dialogue entre genres de discours, sont mises en résonance. Ainsi les éléments singuliers fonctionnent-ils dans un système de citation non marquée et d’allusion (Authier-Revuz) dont la porosité ne facilite pas la tâche du scripteur : privés du marquage qui caractérise les îlots textuels, ces petits bouts de discours du conte posent la question de leur frontière. Quand il évoque le petit poucet, le scripteur emmène un morceau d’un conte maintes fois entendu. Un des problèmes auxquels il va être confronté est alors de détacher le personnage du petit poucet de son conte d’origine pour le faire évoluer dans l’univers de son propre texte. Les éléments singuliers que le scripteur reprend à des contes existants ne vont pas se fondre aisément dans la voix narrative qui les réemploie mais au contraire, à la manière de ce qui se produit lors de la stylisation évoquée par Bakthine, le mot va être utilisé comme au second degré.

Notre scripteur entre de plain-pied dans l’univers du conte en utilisant l’article défini le (petit poucet), qui semble avoir une fonction d’anaphore associative à laquelle il manquerait le premier terme : puisque nous sommes dans le conte, je peux évoquer un personnage que tout le monde connaît, le petit poucet. C’est l’incipit de l’écriture4 :

Image1

Déjà, divers indices témoignent de l’activité réflexive du scripteur : les pauses, très nombreuses et dont certains sont particulièrement longues (plus de 2 minutes) ;  la gestion de l’espace de la page, avec le centrage du curseur, qui participe de la réflexion globale ; les reprises et reformulations portant sur les noms des personnages. On y observe une double hésitation :

  • sur le nom du héros : d’abord « petit poucet », il devient « grand poucet » via une modification accidentée (remplacement de « petit » par « grand », suppression de « poucet », puis rétablissement après une pause) ;

  • sur le héros lui-même : c’est « le petit ogre » qui est d’abord posé comme protagoniste de l’histoire, remplacé, après une pause, par « le grand poucet ».

Ces modifications montrent que ce début d’écriture est loin d’aller de soi, de même que ne va pas de soi l’importation dans le texte d’un héros étranger. L’élément singulier « le petit poucet », sur lequel va se bâtir ce texte, pose visiblement des problèmes qui reflètent peut-être ceux de tout discours – forcément construit sur de l’autre, mais de l’autre banalisé, comme le sont ici les stéréotypes du conte. En effet, la consigne d’insérer des éléments de contes existants rend conscient et délibéré un mécanisme déjà à l’œuvre dans toute production d’écrit, l’inscription dans l’interdiscours, et ce caractère délibéré ouvre la voie à la réflexion sur un fait qui d’ordinaire passe inaperçu. D’un point de vue bakhtinien, on est ici dans la stylisation puisque à l’énonciation du nom du personnage résonnent les deux voix du conte traditionnel et du narrateur actuel :

« La signification originelle directe (non conventionnelle) sert alors à d’autres fins qui prennent possession du mot de l’intérieur et le rendent conventionnel. C’est en cela que la stylisation se distingue de l’imitation. Cette dernière ne rend pas la forme conventionnelle, car elle prend elle-même ce qu’elle imite au sérieux, s’assimile directement le mot d’autrui. » (Bakhtine 1963/70 : 263).

Ici, c’est au contraire un effet de l’intention de l’auteur que de montrer de l’autre du conte. La stylisation ne quittera pas l’esprit du texte : elle se concrétise à plusieurs reprises lors de l’écriture, jusqu’à l’énonciation de la dernière phrase « eh oui les contes ça ne finit pas toujours bien », en passant par le renvoi à l’épisode de Blanche Neige qui fait jouer l’équivoque (Authier-Revuz 1995) : « il croqua dans la pomme et tomba dans les pommes ». Toujours émergent deux discours, l’ici et l’ailleurs, le maintenant et l’autrefois, toujours le premier sourit du second.

Mais avant d’aboutir au résultat présenté plus haut, le texte va connaître bien des remaniements. Au bout de la première session d’écriture, qui a duré 50 minutes, il est le suivant :

Le grand poucet et le petit ogre

 Le grand poucet ce prommenait dans les bois tout les jours et un jour il vu un petit ogre qui ceuillait des champignons et le grand poucet lui dit:    

- Que fais tu petit ogre ?

Ca ne ce voie pas tête d autruche, je ceuill des champignons pour ma grand mère.

si tu veux je peux te sir un raccourci c’est par là.

et le petit ogre pris ce raccourci mais quant il eu fait cent mètre, il vi sorcière qui lui barrait le chemin et qui lui dit :

Du point de vue de l’intertextualité, on repère, outre le renvoi au Petit Poucet, un renvoi possible au Petit Chaperon rouge (avec la cueillette de champignons pour la grand-mère) et un intertexte global « conte » marqué par les personnages, ogre et sorcière, ainsi que par le topos de la  rencontre.

Lorsqu’il reprend son texte, c’est d’abord à la (re)description du héros que le scripteur se consacre. La modification la plus frappante concerne le nom du personnage : ce n’est plus le petit poucet, ni son contraire (miroir inversé du conte) le grand poucet, mais « un poucet de petite taille ». Durant la première heure d’écriture, Antoine aura substitué des appellations à d’autres, alternant son propre discours et le discours autre. C’est une fois trouvé l’appellation de « poucet de petite taille » (manière de signifier la même chose que le conte sans utiliser les mêmes mots, donc de s’approprier le personnage du conte) qu’il amplifie la description du personnage. Celle-ci s’effectue sur le mode réflexif de la modification du déjà écrit. Elle va avoir pour effet d’éloigner du personnage du conte le héros de ce texte, qui devient « très gourmand et maladroit mais très rapide ». A partir de là, le personnage du conte semble devenir un prétexte au démarrage d’une histoire qui lui est étrangère : les élements stéréotypiques du conte perdent leur caractère merveilleux, l’ogre devient « un fou » et la sorcière « une vieille mémé » avant de disparaître tout à fait. Ces modifications d’éléments du discours d’autrui servent d’appui à la relance de l’écriture. Ainsi, le discours autre qui a servi, tout d’abord, à la fois d’entrée en écriture et de repoussoir (petit / grand poucet), est maintenant la base de la réécriture. A partir de sa reformulation appropriative du nom du héros (un poucet de petite taille), le scripteur va quitter l’univers du conte traditionnel pour faire basculer son récit sur un autre versant.

3. Qui parle là ? Frontières du discours rapporté direct et confusion de voix.

Le discours rapporté peut être envisagé en termes de polyphonie, entendue comme « mélange inextricable des voix » (Rosier, 2002 : 24) et souvent théorisée avec les outils de Ducrot qui s’est précisément efforcé de démêler le mélange. Bres et Verine (2003) préfèrent le terme de dialogisme en posant (à la suite de Bakhtine) la polyphonie comme mélange de voix égales, sans hiérarchisation énonciative, alors que le DR est évidemment hiérarchisé : rappelons seulement à la suite de Jespersen et Reicher-Beguelin (1997 : 101) que « l’irruption du DR n’est jamais étrangère au projet énonciatif du rapporteur » et que Bakhtine lui-même avait déjà posé le discours rapporté comme subordonné au discours premier.5 Nous reprendrons le terme de dialogisme, suivant des analyses de Bres et Vérine (2003) qui ont montré que DR et dialogisme pouvaient s’analyser de la même manière et en continuité avec les travaux d’Authier-Revuz qui, tout en préférant au terme de dialogisme celui d’hétérogénéité, traite ensemble les phénomènes dialogiques dont le DR fait partie. La question de la terminologie n’est pas cruciale ici, d’autant que concernant le discours rapporté direct, les débats portent aujourd’hui sur un autre point : son caractère autonymique.

Le discours rapporté est envisagé par Bakhtine en termes d’objectivation : le discours autre, que le locuteur principal (L1) rapporte, devient lui-même objet sans pour autant cesser de renvoyer à un objet hors discours ; subordonné au discours de L1, il est « à la fois orienté vers son objet et lui-même objet d’une orientation » (Bakhtine, 1963/70 : 259). La notion d’objectivation renvoie à l’autonymie du DD, qui continuera d’être posé ici comme énoncé autonyme répondant au critère distinctif de blocage de la synonymie (Rey-Debove 1978). Affirmer cela n’équivaut pas à dénier les propos de Tuomarla selon laquelle « tout en étant présenté comme un dire, un DD ne cesse de renvoyer au monde » (Tuomarla, 2000 : 23) : le signe autonyme ne perd pas sa portée signifiante ; c’est un signe qui renvoie à lui-même en tant que signe, c’est-à-dire en tant que renvoyant à un référent. Disons – sans doute trop rapidement, mais ce débat largement alimenté ailleurs n’est pas notre objet principal – que dans une situation où L1 rapporte directement les paroles de l2, L1 fait mention des mots dont l2 a fait usage, et que ces deux rapports coexistent.6 Bien sûr, les mots du DD de l2 continuent de renvoyer à des objets ; reste que ce sont ces mots et pas d’autres que L1 indique comme employés par l27 et ce, nonobstant le fait que « la représentation d’un discours autre n’a pas pour objet une forme de langue, objet abstrait reproductible à l’identique, sans perte, mais un acte d’énonciation, événement singulier, irreprésentable dans son intégralité, et dans le cadre duquel advient le sens du dit. » (Authier-Revuz, 2001 : 193).

Dans le cas qui nous occupe, celui de l’invention par un même scripteur d’une histoire et du discours tenu par ses personnages, le problème posé par le discours direct est le déplacement – momentané – de l’énonciateur qui doit se mettre à la place de son héros, se décentrer, pour imaginer son discours. Passée l’invention de la diégèse – invention qui repose évidemment sur la langue, mais dans une verbalisation souvent incomplète, en tout cas incomplètement énoncée, même « dans sa tête » – que la plupart des travaux sur l’écriture à l’école situent comme l’étape première de la production d’écrit,8 ce choix des mots de l’autre repose sur des critères extra-référentiels ; ce qui va poser problème dans l’élaboration du discours d’un personnage, c’est l’existence de deux objets : le discours rapporté et celui qui en est le pseudo-auteur. Il faut que l’élève interpose dans sa création le fait que son objet est l’énoncé d’un autre dans sa manière propre d’atteindre le monde : de « comment dire avec des mots du conte ? », on passe à « comment faire parler comme un personnage de conte ? ». C’est cette difficulté-là qui semble sous-tendre la première tentative de faire parler directement un personnage. Nous sommes à 25’ d’écriture, le texte est :

Le grand poucet et le petit ogre

 Le grand poucet ce prommenait dans les bois tout les jours et un jour il vu un petit ogre qui ceuillait des champignons et le grand poucet lui dit:    

- Que fais tu petit ogre

Le scripteur revient au cœur du texte pour corriger des erreurs graphiques, observe une pause de 40’’ puis ajoute un point d’interrogation après la question finale « Que fais-tu petit ogre » ; enfin, il passe à la ligne et inscrit la réponse de l’ogre : « - Ca ne ce voie pas tête d’autruche je ceuill des champignons pour ma grand mère ». Chacune à sa manière, les corrections graphiques, la ponctuation et la pause indiquent une réflexion sur le texte en train de se produire :

  • la correction graphique témoigne de la relecture du texte ; l’interaction entre graphie et lexique, souvent constatée à partir de ce corpus (Doquet-Lacoste, 2003a), laisse penser que les corrections orthographiques peuvent être des moments de « pause réflexive » où le scripteur se focalise sur un aspect peu signifiant du texte, cet allègement momentané lui permettant réfléchir à d’autres aspects moins faciles à gérer ;

  • la ponctuation manifeste également une relecture ; l’ajout d’une ponctuation de dialogue après retour à la ligne, est un indice de la réflexion du scripteur sur le dialogue qu’il est en train de constituer ;

  • la pause peut être considérée comme le lieu d’une réflexivité non marquée graphiquement : qu’il s’agisse de relecture ou d’anticipation de l’écrit à venir, ou bien des deux à la fois, elle témoigne que ce qui va suivre ne s’écrit pas simplement, dans un flux scriptural sans heurt.

C’est donc dans un moment de réflexivité marquée que se forge cette réponse d’ogre qui a de quoi surprendre : si « je cueille des champignons pour ma grand-mère » peut évoquer, par exemple, Le Petit Chaperon Rouge, il en va tout autrement du « ça ne se voit pas tête d’autruche » où résonnent davantage les altercations d’une cour de récréation que les formules du conte traditionnel. Les voix du narrateur et du personnage se trouvent ici mêlées, tant résonnent – se réfractent – dans les mots de l’autre – le personnage – ceux de l’auteur du texte lui-même. La question de la frontière du DR posée par Rosier et al. (2002) trouve ici une actualisation singulière, liée à l’inexpertise du scripteur. Les marqueurs (syntaxiques et de ponctuation) du DD ne suffisent pas à effacer la voix du scripteur du texte au profit de celle du personnage : ce sont les mots du sujet scripteur qui apparaissent ici. Ce discours direct fait émerger le « mélange de deux langages sociaux à l’intérieur d’un seul énoncé, la rencontre dans l’arène de cet énoncé de deux consciences linguistiques, séparées par une époque, par une différence sociale, ou par les deux » que Bakhtine a nommé hybridisation (1975/78 : 175-176).  

4. Personnage, narrateur : fusion de voix et indices de l’autodialogisme.

En reprenant son texte deux semaines après l’avoir entamé, le scripteur va complètement remodeler l’incipit, l’ogre sera remplacé par « un fou » qui assignera au héros une mission digne du conte : Vas en amerique et tu trouveras ton père ! Il est intéressant de savoir ici que le père du jeune garçon auteur du conte, qui vit en région parisienne, est parti travailler… aux Etats-Unis, où il aimerait que son fils le rejoigne. Cette intrication entre la vie réelle du sujet scripteur et le récit qu’il produit trouve un écho à 1h30 d’écriture dans le texte suivant :

Le petit poucet

En Afrique un  poucet de petite taille, très gourmand et  maladroit mais  très rapide, il  ce prommenait dans les bois tout les jours et un jour, il vu un fou qui lui dit:    

- Vas en amerique et tu retrouveras  ton père !

Le fou lui donna un tarte à la crème chantillie.

 Le petit poucet prit la tarte, monta dans son Volsvagen, alla au port,

quant il arriva en amérique il se trouva fasse a une boulangerie il entra prit six chou à la crème et trois gateau au chocolat,puis repartit.Il vit pendant sa route un dragon.

Les opérations qui suivent sont :

  • ajout en début de texte, après « un poucet », des mots « qui avait perdu son père » ;

  • remplacement du « dragon », élément stéréotypique du conte, par « un bonhomme qui rentrait, qui sortait, qui rentrait, qui sortait » ;

  • émergence du « je », avec la phrase « je m’araita et il me dit », dont l’inscription est extrêmement accidentée,9 ponctuée de retours en arrière, de corrections et de reformulations diverses qui en font un exemple de phrase dont l’émergence ne va pas de soi.  

Déjà présente en creux dans la réplique de l’ogre teintée de cour de récréation, la voix de l’auteur resurgit ici comme inconsciemment, et l’on ne peut que s’étonner que le je ne soit ni repris plus tard dans le texte, ni corrigé dans les deux heures d’écriture qui restent.10 Le savoir écrire que manifeste par ailleurs notre scripteur rend tout à fait intriguant le maintien de ce ratage qui semble passer inaperçu de son auteur : en écrivant “je maraita”, comme il écrira ensuite “je lui demanda” et “j’arriva”, le scripteur laisse sans doute apparaître, à travers une distorsion manifeste qui s’apparente à un lapsus,11 une autre fêlure.  

Sur le plan génétique, l’apparition de ce je est comme une clef qui va débloquer l’écriture : après son désengagement progressif des clichés du conte, que nous avons observé ci-dessus et qui a sans doute contribué à rendre possible l’émergence du je, le scripteur va se couler à nouveau dans le conte et le merveilleux, mais c’est avec ses propre mots qu’il redira ce discours autre : apparaîtront un dragon, une sorcière avec une pomme, la scène de sauvetage du père enfermé dans le ventre de la baleine… Ce je hybride est à l’intersection du sujet scripteur et du couple narrateur/personnage qui fonde la situation énonciative du récit. Ce télescopage semble nécessaire pour réamorcer une écriture de conte dans lequel est désormais fixé, par un pronom déictique, son véritable héros. A partir de ce moment, la diégèse ne sera plus modifiée.

Les généticiens du texte ont commenté en termes de polyphonie et de méta-énonciation les commentaires des auteurs à propos de leur prose : « Je ne sais pas si ce que je pense est bon », écrit Zola en marge d’une ébauche (cité in Grésillon 2002 : 27). Ce je là n’a évidemment pas la même valeur que celui qui nous occupe : le je zolien représente clairement l’auteur en position de surplomb par rapport à son écriture, pesant ce qu’il vient d’écrire et évaluant son projet. C’est la voix du premier lecteur du texte qui prend la plume pour commenter, de façon clairement métadiscursive, l’écrit en train de se produire, fruit de la voix du scripteur qui n’est autre que lui-même (ou bien : un autre lui-même ?). L’observation de ces énoncés métadiscursifs et de leur place dans l’économie de l’écriture a conduit à voir dans ce processus une trace de l’autodialogisme, dialogue intériorisé « entre un moi locuteur et un moi écouteur » (Benveniste, 1974 : 85), toujours à l’œuvre dans le texte en constitution :

« L’avant-texte constitue une sorte de dialogue de l’auteur avec lui-même, et plus précisément de l’auteur-scripteur avec l’auteur-lecteur lisant son propre écrit, le commentant, l’interrogeant, l’évaluant […], le raturant, lui posant des questions auxquelles celui-ci va devoir répondre, etc. » (Grésillon, 2002 : 23)12

Rares sont les énoncés méta-énonciatifs dans le type de corpus étudié ici : le support d’écriture, le traitement de texte, ne les favorise pas, non plus que la faible expertise des scripteurs. Peut-on identifier le je de notre scripteur à une trace de l’autodialogisme ? En ce qui concerne le je textualisé, nous parlerons de fusion de voix : celles du sujet scripteur, du narrateur et du personnage. C’est plutôt dans l’émergence de ce je que l’on entrevoit les rôles de l’auteur-lecteur et de l’auteur-scripteur, instances de l’autodialogisme : les nombreux indices de traversée de la strate méta de l’énonciation (pauses, retours en arrière dans le texte, ratures) qui accompagnent l’inscription de « je m’araita et il me dit », montrent que l’on n’est pas dans la scription « pure », que le scripteur n’est pas engagé dans un flux énonciatif continu mais au contraire qu’à tout moment, il se relit et s’évalue. Toute rature est trace de l’autodialogisme (Ferrer 2000). De même, les pauses d’écriture, invisibles sur les manuscrits mais apparaissant dans le matériau que nous avons analysé ici, constituent-elles des indices de l’activité de réflexion du scripteur, troisième rôle mis en évidence par Lebrave (1987 : 770) et point d’articulation des deux autres. Les ratures, retours en arrière et pauses sont des traces et des indices de l’atmosphère dialogique, faite à la fois de déjà dit, de à dire et de non dit, que se développe l’écriture.

On peut lire dans l’événement d’écriture que constitue l’incursion du je deux dédoublements problématiques : celui du sujet parlant et du couple narrateur/personnage, celui de l’auteur-scripteur et de l’auteur-lecteur. Encore une fois, c’est l’inexpertise du scripteur qui fait émerger ce ratage énonciatif, qu’une plus grande maîtrise aurait rendu invisible. Mais comme chez les écrivains, où la relecture sert de tremplin à l’écriture à venir (Grésillon 2002), cette expression de l’auteur et de ses doubles est ici à la fois un aboutissement et une relance de l’écriture.

Pour conclure

Dans cette écriture, que nous n’avons pu examiner que très partiellement, le dialogisme se fait jour avec force à des moments clefs de l’écriture :

  • l’incipit, où les problèmes semblent surtout causés par l’importation d’éléments singuliers de contes qui donnent lieu à des processus d’inversion et de détournement ;

  • la reprise du texte après un arrêt de deux semaines, où la mission du héros devient « Vas en Amérique et tu trouveras ton père », où le texte perd un certain nombre d’éléments prototypiques du conte merveilleux pour intégrer des éléments de la réalité quotidienne (choux à la crème, Volkswagen…) ;

  • le tournant thématique où le texte, après de multiples tâtonnements, va enfin se trouver, à partir de l’incursion du je qui s’accompagne de la réintégration d’éléments merveilleux (le dragon, la sorcière à la pomme…).

C’est par l’inversion des mots de l’autre que commence l’écriture (« le grand Poucet ») ; puis l’inversion de l’inversion, qui n’est pas un retour au même, marque l’appropriation du personnage par l’auteur (« un poucet de petite taille ») ; enfin, le flottement de la voix énonciative qui, à l’inverse de ce qui se passe très souvent dans les manuscrits d’écrivains, n’est pas réservée à la marge ou aux ébauches mais se textualise et demeure, dit quelque chose en plus de cette histoire de conte. Ces trois moments témoignent du caractère constitutif du dialogisme dans l’écriture de cet élève de Cours Moyen. Si la consigne donnée favorise évidemment l’intertextualité, les mots de l’autre sont clairement sentis comme tels et cette hétérogénéité, problématique, est un des moteurs de l’écriture. Sans doute la remarque de Delamotte-Legrand à propos de copies d’étudiants de 1ère et 2ème année, dont elle considère qu’elles sont globalement un « discours autre » (2002 : 38), est-elle appropriée aux rédactions d’élèves à l’école élémentaire : mis en demeure d’écrire selon des normes qui lui sont extérieures, l’élève rapporte du déjà lu qui fait figure d’étranger. Rares sont les cas, comme celui que nous avons observé ici, où cet étranger tend à être fait sien. Nous avons vu à quel point cette appropriation restait hybridation et n’allait pas de soi : l’élève est donc passé d’une tentative d’intégration d’éléments singuliers de contes merveilleux à une réécriture de stéréotypes du conte, suite d’allusions où l’on ne sait ce qui est contrôlé et ce qui ne l’est pas mais où se mêlent, inextricablement, plusieurs voix. Les allers et retours dans le déjà écrit, alimentant et relançant la dynamique scripturale, témoignent que malgré ses balbutiements, l’écriture débutante entre de plain-pied dans la complexité dialogique, que la langue et le texte servent aussi d’appui à la créativité enfantine, que la pluralité des voix en jeu dans l’écriture permet au scripteur de laisser émerger la sienne propre, celle qui dit « je », même si c’est un lapsus.

1  Genèse du Texte est édité par l’Association Française pour la lecture : http://www.lecture.org

2  Le schéma quinaire de Paul Larivaille : état initial / transformation (provocation + action + sanction) / état final, est repris par Adam (1992) pour caractériser la séquence narrative type : situation initiale / {complication /actions / résolution} / situation finale.

3  Un travail plus large a été mené (Doquet-Lacoste, 2003a), qui s’appuie, entre autres, sur l’écriture de contes selon la même consigne par cinq scripteurs différents ; des recueils de textes dans d’autre classes montrent par ailleurs que cette consigne induit toujours le double recours à des éléments stéréotypiques et à des éléments singuliers d’autres contes.

4  L’orthographe de l’élève n’a pas été corrigée. La description des opérations d’écriture suit la terminologie de l’Item (ajouts, suppressions, remplacements, déplacements). Les mouvements du curseur sont signalés en italiques, les pauses sont indiquées quand elles sont significatives. La spécificité du matériau étudié a conduit à créer une modalité particulière, l’opération “à suspension”, qui peut être soit un ajout, soit un remplacement dans lequel figurent une ou plusieurs corrections formelles (erreurs de frappe et orthographe). Il a été considéré que ce type de correction, qui implique une vigilance métalinguistique de surface, ne rompait pas l’opération comme le ferait le remplacement d’un mot par un autre, par exemple. Pour une information plus complète sur cette catégorisation et les problèmes posés par l’analyse en temps réel de l’écriture sur traitement de texte, voir Doquet-Lacoste 2003b.

5  C’est sur cette hiérarchisation incontestée que Rabatel (2002) s’appuie pour construire à partir de copies d’étudiants le concept de sous-énonciateur, énonciateur citant dont le discours manifeste la supériorité de l’énonciateur cité.

6  Cette brève mise au point, évidemment partielle, convient aux formes de DD syntaxiquement canonique que comporte le corpus analysé ici. Ce que Rosier (1999) a appelé les “formes mixtes” pose évidemment des problèmes typologiques plus complexes. Je crois néanmoins qu’elles entrent dans le cadre proposé par Authier-Revuz mais ce n’est pas le lieu ici de les examiner.

7  L’autonymie n’est en aucun cas confondue avec la fidélité de la restitution du DD. C’est pourtant sur l’illusion de cette fidélité à une réalité antérieure que reposent bien des modes de présentation du discours direct à l’école. C’est aussi, semble-t-il, cette confusion qui est à l’origine de bien des contestations du travail d’Authier-Revuz sur le DD comme autonyme. Le DD ne me semble pas pouvoir être rangé, comme le suggère Tuomarla (1999 : 27), dans la catégorie de la modalisation autonymique, parce que dans la MA le signe est d’abord en usage, puis en mention, alors que c’est l’inverse dans le DD. Il est néanmoins extrêmement difficile de démêler les faits, comme l’indique très explicitement Mochet (2003) évoquant le DD et le DDL : “il paraît difficile de mettre sur le même plan et d’englober sous les mêmes termes – de “fait autonymique” – des phénomènes aussi fondamentalement différents. Seuls, les faits de mention littérale seraient à considérer comme relevant de l’autonymie, toute marque de non textualité excluant la citation du fait autonyme. Cette proposition n’est pourtant pas satisfaisante. Elle introduit une partition trop rigoureuse entre des phénomènes qui par ailleurs présentent de grandes similitudes (plan syntaxique et sémiotique) et dont l’interprétation même porterait bien souvent à discussion.”

8  Cf l’ensemble des travaux cognitivistes, dont on trouvera une excellente recension in Fayol (1997) complétée utilement aujourd’hui par Piolat (2004).

9  Voici le détail des opérations :

01:35:00         ajout de je ma

ajout d’un point avant je ma

remplacement de je par Je

remplacement de ma par maraita

remplacement de maraita par m’araita

ajout de etjel

pause=00:01:28

retour en début de texte

déplacement de la virgule situé entre petite et taille, après taille

avancée après arriva en amérique

remplacement de puis par ils

remplacement de ils par il

avancée en fin de texte

ajout de et jel ui

01:40:00         remplacement de jel ui par je lui

ajout de deman

remplacement de je lui deman par il me demanda

remplacement de demanda par dit

10  On peut faire l’hypothèse que l’émergence de ce “je” est favorisée par le fait que l’identité du sujet scripteur s’est trouvée mise en jeu précédemment dans un discours direct (“Vas en Amérique”…) et que ce qui va suivre dans l’écriture est également du discours direct, d’où une possibilité de “contamination” par le système déictique (ce type de contamination est fréquent chez les élèves). Mais ceci n’explique pas que le “je” ne soit pas corrigé par la suite.

11  Irène Fenoglio (2000) a commenté des “lapsus écrits” dans le manuscrit de L’Avenir dure longtemps d’Althusser : l’auteur, évoquant son enfance, indique que sa mère l’a appelé Louis en souvenir de son premier fiancé, mort en avion, et que quand elle l’appelle, Louis, il entend lui. Fenoglio rapproche ce souvenir d’un lapsus fréquent chez Althusser, qui écrit j’était pour j’étais. Cette “erreur” sur les marques de personnes est comparable aux “je m’araita”, “je lui demanda” et “j’arriva” de notre scripteur, qui ne valent – comme l’ensemble des lapus mis au jour par Fenoglio – que par leur récurrence.

12  Dans le même article, Almuth Grésillon renvoie à Benveniste décrivant le monologue comme “une variété du dialogue, structure fondamentale. Le “monologue” est un dialogue intériorisé, formulé en “langage intérieur” entre un moi locuteur et un moi écouteur.” (Benveniste, 1974 : 85).