Sommaire
Sujets chacun par leur écriture à la lettre, lettre à omettre qui interdit le je (u) et tu(e) par son ab‑sens ou litter résiduel à soumettre, encrant toute trace d’écart dans une fiction de circularité, Joyce et Perec, que lit entre autres une commune inscription de la judéité dans son alphabet/allaphbed,1 méritent la mention valise de "lit (t)eratim," hommes de lettres visant à gommer un certain rapport d’extériorité du texte produit à sa production par l’écriture2 en infusant la variance littérale dans un canevas narratif‑thématique qui en quête la signifiance. Qu’ils nous engagent donc, à ce titre, dans "l’iter‑item," sur les chemins d’une génétique textuelle s’éclairant d’un comparatisme privilégié : Finnegans Wake de Joyce, La disparition et Les revenentes de Perec.
1. Introduction
Jalon sans cesse rencontré sur ces chemins et pierre angulaire dans l’espace d’écriture dont la pragmatique, comme nous le rappelle fort justement Almuth Grésillon, reste à élaborer,3 la variante n’en reste pas moins en manque d’études la prenant explicitement pour cible de réflection.4 Or cerner les caractéristiques de la notion de variante à un quelconque stade d’écriture, chez tout écrivain criblé par la critique génétique, permettrait peut‑être d’élaborer une typologie — ancrée à cette topologie de l’écriture que l’on devra construire — nourrie du croisement entre les variations animant une écriture individuelle et un réservoir de conditions matérielles et de pratiques qui infléchiraient toute écriture selon une combinatoire de paramètres, tels divers types d’utilisation de la page (pour la méthode de composition "classique"), l’interaction de "genres," etc.5 (l’écriture perecquienne sous contrainte lipogrammatique fournira des illustrations précises en ce domaine). Mais pour éviter par ailleurs de laisser cette notion clé mais protéiforme en jachère sous le prétexte, fondé par la réflexivité de la langue, qu’elle ne peut que "varier," il convient de la confronter à des manifestations voisines afin de tâcher d’en définir le champ propre chez nos deux auteurs.
2. De la note à la variante : découpage d’une trajectoire
La nature du chantier d’une œuvre, l’espace où se concrétisent les phases de recherches (lexicale, thématique, structurale, narrative) d’une part et les divers stades de rédaction d’autre part, ne permet pas toujours d’opérer une distinction hermétique entre ces deux versants indissociables de toute composition (terme qui vise à exclure pour notre propos le problème de l’écriture dite "automatique"). Certains "scripteurs"6 conçoivent en un espace isolable de celui des rédactions successives leurs "notes de recherches," "notes de régie,"7 scénarios, ces fragments‑sources d’écriture à l’état brut ou déjà travaillés (notes lexicales des carnets de Joyce des années 1930) pouvant être constitués rétrospectivement par le généticien comme étant en deçà de l’acte d’écriture (ou de (re)lecture d’une écriture), ce moment magique où la production écrite devient indissociable de l’œuvre produite s’élaborant (et sereinement identifiable comme totalité cloisonnée après publication, dans le meilleur des cas). On ne devrait dès lors s’attendre à repérer dans ce lieu précis que des notes préparatoires métatextuelles ou "pré-textuelles," sur le plan lexical (qui, si elles sont choisies, devront être modelées dans un environnement narratif et thématique, et peut-être retravaillées stylistiquement), d’un point de vue narratif (de la note de régie au scénario élaboré livrant l’ossature du projet, recherches d’une histoire, d’une cohérence disjointes de tout travail stylistique… En dépit, parfois, d’un caractère cryptique, telles certaines notes de régie joyciennes). Les variantes, qu’un consensus tacite au sein d’édition dites variorum situe souvent au‑delà de cet acte d’écriture ainsi défini mais en deçà de l’écrit=texte,8 se liraient alors dans le corpus des "états" de ce texte, de la série d’esquisses "micronarratives," parfois profondément remaniées (les premières unités narratives thématiques de Finnegans Wake), voire avortées (passage central des "leçons": FW II.2), à la rédaction in extenso à un quelconque stade de composition-révision. Outre la nette ségrégation chez Joyce entre ces deux temps forts de l’écriture, qui dessine une limite pragmatique entre note et variante, celle‑ci se laisse appréhender de façon simple et "dynamique" au sein des états d’un texte procédant souvent par accrétions successives et, contre nature, uniquement par nécessité, à coups d’abandon, de régression puis bifurcation (rétention éminemment analysable qu’il faudrait relier précisément à la répugnance joycienne de mélanger torchons préparatoires et serviettes publiables… Tout en gardant l’ensemble comme témoin parlant de l’arrachement du texte hors de la matière scripturale ?). Chez d’aucun "scrivain" par contre, plusieurs types d’activité coexistent librement sur un même espace défiant parfois toute classification : tapuscrit ou dactylogramme d’une séquence avortée (trace de l’infléchissement d’un projet), servant de support à de futures retouches, développements, etc., ou conservée presque intacte, "devenant" plus bas manuscrit de fragments s’essayant à la contrainte lipogrammatique, disloqués (mots isolés repris comme un écho lointain), suspendus en plein vol ou au contraire, l’inspiration aidant (?!), prenant leur essor, le tout pouvant être animé d’un commun mouvement par ces divers gribouillages (ou connecteurs spatiaux ?) contraints à nous interloquer par la manie/main du scribouillard et son "maudit Bic"… La cohabitation d’exercices de style inchoatifs et de fragments disjoints, à mi‑chemin entre la note de régie et la première trace de variante textuelle (c’est‑à‑dire se rattachant à un état, si partiel soit‑il, orienté vers un "texte"), pose donc inévitablement le problème de la démarcation : découvrir un fonctionnement qui tranche par le critère d’une écriture renvoyant à l’acte "critique" et à ses visées toute inscription dans le corpus avant‑textuel. L’exemple suivant, relatif à La disparition, texte à modalité d’écriture déterminée (contrainte lipogrammatique), permettra de commencer à formuler ce qui est en jeu en le grossissant à la loupe :
Nous avons adopté les conventions de transcription suivantes :
a) des soufflets (<…>) isolent des ajouts en marge, interlinéaires, reportés sur un autre folio, ou repentirs sur la même ligne (repérables comme tels d’après les caractéristiques de la graphie);
b) des crochets droits ([…]) encadrent un fragment raturé d’un même trait de plume (deux séries de crochets droits reliés par une flèche ([…][...]) indiquent que la substitution a également été rayée);
c) des traits verticaux incluant deux fragments reliés par une flèche (…...) indiquent une substitution par biffure (quelque soit l’endroit de la substitution, sauf en cas de "variante d’écriture"9 consignée au fil de la plume et perçue comme telle à l’analyse des critères graphiques, qui sera citée sans diacritiques après le fragment barré entre traits verticaux);
d) des accolades isolant deux fragments reliés par une flèche ({…...}) indiquent une substitution par surcharge;
e) un point souscrit souligne toute lecture conjecturale ou reconstituée grâce aux témoins contextuels (un espace vide au‑dessus d’un point souscrit indique une lettre illisible).
Les éléments les plus remarquables de l’espace graphique seront restitués dans la maigre mesure du possible.
(MS 86, 1, 59v (; transcription partielle)10
αajout interlinéaire
On s’aperçoit d’emblée que ces ébauches de narration, bien que fragmentaires et séparées par un réseau de traits horizontaux et verticaux que les contraintes d’une présentation écrite rendent mal aisé à restituer, s’organisent autour d’une même situation ayant A ou Aug (ustus) pour protagoniste (l’impression de cohésion est accrue par l’univocité du "il" anaphorique, quand ce pronom ne renvoie pas à "Haig" en discours indirect). Il est aussi intéressant de noter la reprise dans le texte publié (notamment pp.146‑149, pp.155‑156, pp.167‑16811) des divers éléments narratifs structurés autour d’une bonne partie des termes sans e du manuscrit, en particulier des substantifs. Ce qui est à première vue un canevas narratif en deçà de l’acte d’écriture se rapproche à l’analyse d’un corpus de variantes éclatées, tel l’ajout interlinéaire, soumis à la contrainte lipogrammatique, dont le statut se distingue ainsi de celui de la note purement préparatoire esquissée dans un premier temps ("que des signaux blancs"). Affinons l’examen et voyons sur un échantillon témoin comment s’effectue grâce à une règle d’écriture si repérable physiquement le glissement progressif du projet au "pré-jet," de la note "prétextuelle" à l’infime trace de ce que sera l’écrit et où pourra s’inscrire pleinement la variante. Outre l’alternance de segments plus ou moins brefs avec et sans e, au sein d’une même unité ou non, l’avant‑texte décompose son passage à l’écriture, ainsi dans "Aug tomba ds un profond malheur" où ce dernier mot est immédiatement traduit, "métaphorisé" dans l’écrit par l’écriture en "dol dam" qui s’essayent tour à tour (le dernier terme sera conservé p.152). "Plan" précisant, dans un ordre précaire que trahissent les hiatus d’écriture, les faits marquants des chapitres XIII et XIV par des notes de régie qui font place à la narration prise en charge par un "je" (la Squaw raconte les événements, y compris ceux narrés par Anton Voyl, dans le texte final) et filtrée çà et là par la contrainte, cet extrait permet de mesurer la fluidité des notions génétiques envisagées tout en opérant un cloisonnement grâce à une contrainte invariante. Ce double bind d’une critique qui doit nécessairement figer en concepts le cours de l’écriture pour mieux en cerner l’essence pourrait se représenter ainsi pour La disparition :
En deçà de la loi contraignante, de l’interdit immuable, point naturellement de variante; la production reste du côté du projet d’écriture, de la préparation pré‑textuelle, et ceci à quelque stade de composition que ce soit.
Mais de tels critères hermétiques ne peuvent jouer que pour une écriture lipogrammatique, idéale car guidée par une règle sine qua non. Il est donc plus délicat de traquer la variante avec toute autre écriture, y compris celle de Finnegans Wake puisque la règle valise n’opère pas constamment. Celle‑ci lève l’interdit qui fonderait rigoureusement le repérage des variantes textuelles au profit de l’interdit et rendrait caduque toute tentative de démarcation d’avec les notes préparatoires (unités lexicales, notes de régie) si nous ne disposions de deux chantiers d’écriture en principe clairement délimités… Mais le parasitage et le panachage restent bien sûr possibles, comme pour cette inscription verticale (où la barre oblique sépare les lignes transcrites) "SHAMROCK / H E N /E mi [suivi de sa notation musicale] / M not you (U) / SHEM US" qui vint étoffer "shamrock" (124.2112) en 124.25‑26, note de carnet plus que variante à proprement parler, bien qu’inscrite dans l’espace des brouillons, car non encore insérée dans un continuum narratif, si minime soit‑il, ce que mettent en évidence divers jeux de graphies sur le folio 47482b122v.13
L’exemple perecquien comme les notes des carnets de Joyce laissent entrevoir un critère d’appréciation supplémentaire, d’ordre quantitatif : quel degré de ressemblance, de rapport (lexical, thématique, narratif) la variante peut, doit‑elle entretenir avec cette norme qu’est le texte publié ou le dernier état du texte rédigé, avalisé par le puissant auteur, pour être identifiée comme telle ? Et à partir de quel degré d’insertion dans une séquence narrative — et en présence de quoi sommes‑nous autorisés à parler de séquence narrative ? ‑ Une note peut‑elle prétendre accéder au statut de variante ? C’est dans l’espace d’écriture perecquien, où se côtoient davantage les différents temps forts du flux créateur, que le problème se pose plus particulièrement.14
Cet état antérieur, semi‑rédigé du dénouement des Revenentes (pp.125-12615), le seul repéré dans le dossier n (113, laisse transparaître les tempi de l’écriture, des groupes de mots coordonnés aux vocables isolés, et ses reprises internes : la spatialisation indique que "mettre les gemmes dens les… poches" fut envisagé mais abandonné à mi‑parcours pour "prendre," qui ne viole pas la contrainte du récit ‑ la seule voyelle e revient sans cesse dans cette antidote à La disparition, d’abord intitulée Les lettres d’Eve, à laquelle elle s’articule par la reprise en préface des quatre citations latines de Eve’s Legend (La disparition, Métagraphes, p. 315) — et permet d’enchaîner sur "et de les mettre."16 Ces pulsations de l’écriture en quête d’une linéarité satisfaisant la contrainte, livrées au généticien puisque la phase de recherche n’est pas dissociée de la phase de composition, montrent combien la variante est, dans un tel cas, hétérogène, mise en scène par des blancs, des ratures, parfois des flèches, où s’inscrivent en creux les béances plus profondes de la composition même. Cette esquisse de la fin du roman pourrait se décomposer en micro‑unités qui, suivant leur avancement stylistique, leur degré de fusion dans une narration, et surtout leur environnement avant-textuel dans un espace à étudier, seraient autant de variantes ou de notes à elles seules. Bien que l’on esquisse ici le leurre ultime de la catégorisation et de la description d’un tout en mouvement instable, entrons plus avant dans l’espace de ce corpus manuscrit à la lueur des transformations opérées dans la version publiée. Le Ms 113, 2, 2 ne présente encore ni le dialogisme, ni le développement narratif homogène de l’état final (les accords du reste laissent également à désirer). Les blancs résultant des mouvements d’écriture isolent ce que l’écrivain pressent être diverses unités micronarratives ou mots clefs à étoffer, qu’il devra réordonner ultérieurement. Ainsi, à partir de la "section centrale" du MS éclatée en notes (de "Benef" à "chevets"), Perec élaborera-t-il ce qui suit (le bref passage sur le "strétégemme" des "Lettres Menqentes," sans antécédent sur ce folio, est volontairement omis) :
Unités isolées (qui pourraient aussi bien provenir des folios spécialement consacrés à ce type de recherche) ou "prénarratives" (amorçant la narration tout en restant proche de l’agglomérat lexical) sont tissées ensemble, mises en mouvement dans une narration logiquement structurée qui les reprend, les étire, les précise pour intégrer le tout, pièce du puzzle, dans le récit. À l’opposé, les deux segments narratifs qui décrivent la bande des quatre faisant main basse sur les bijoux avant de regagner l’hexagone sont deux variantes à part entière qui s’auto‑suffisent dans leur développement d’un élément de la narration. Variantes chronologiques ("les mesqeteres" s’imposent dans un second temps, après le détail des quatre protagonistes, et la version du bas de page reprend sans leurs hésitations les données du premier jet en les étoffant) mais aussi parallèles puisque le texte conservera, dans un autre ordre, l’énumération du premier essai en la mettant en apposition avec "tels les Mesqetères." La variante textuelle (au‑delà de l’acte d’écriture) s’articule donc à la séquence ou unité narrative, fragment mettant en scène un fait descriptif ou événementiel, si infime soit‑il, du texte ou de l’avant‑texte. La note ne peut être ici que de l’ordre du lexical et comme celle de nature préparatoire, elle se situe en amont dans la genèse de l’œuvre née d’une nébuleuse pluri‑diemnsionelle d’où pourraient surgir des œuvres parallèles (mythe bien connu du critique joycien entrant dans les multiples réseaux fictionnels non exploités des carnets) et tendant par entropie vers l’équilibre de la norme linéaire publiable, avalisable par l’écrivain.17 Mais pour ce qui s’écarte de la trace dont il est l’envers (car il retourne au néant au lieu d’être développé, même s’il s’agit comme chez Perec de passages entiers) alors qu’il s’inscrivait dans le futur écrit, qu’en est‑il ?
3. Pistes sans issue : la variante avortée
Il a été vu plus haut que la variante entretenait avec le texte publié ou avec le dernier état un lien chronologique de parenté. Comment alors considérer les fragments répudiés ou remaniés de telle façon au cours d’un seul stade qu’il semble impossible de retracer une quelconque filiation, autre chose ayant été substituée pour remplir un interstice laissé vide par cette mise à l’écart ? Avant de soumettre de tels cas radicaux à l’analyse (phénomène plutôt pérécquien) voyons ce qu’il en est dans l’œuvre en cours de Finnegans Wake (Work in Progress, nom du chantier d’écriture pendant sa gestation), dont on a rappelé la tendance à procéder par accrétions successives et à ne sacrifier que très rarement quelque développement d’écriture que ce soit.
Le cas le plus célèbre d’abandon textuel fut le chamboulement narratif que subit la première moitié du chapitre des "leçons" (II.2), démantelée, éclatée en notes résiduelles après quatre étapes de composition dans un revirement de stratégies énonciatives sans précédent.18 Sans aller jusqu’à cet extrême ni prendre en compte le type habituel de remaniement qui porte sur de simples ébauches narratives initiales que Joyce retravaille en fin de parcours ‑ et encore s’agit‑il davantage d’une restructuration, d’un recentrage thématique et d’un étoffement narratif et stylistique, telle la reprise de II.4 par exemple ‑ il existe deux autres témoins privilégiés, intimement liés entre eux et cruciaux pour la phase d’élaboration de l’œuvre, qui nous permettront d’interroger qualitativement et quantitativement la filiation de la variante, le "rapport" entre une séquence narrative et le corpus textuel constitué et constituable auquel elle se rattache. Il s’agit de "The Revered Letter," pivot dans l’élaboration du Livre I19, déplacée après expansions progressives de ses introductions d’origine (servant de base au futur I.5) au dernier Livre (615.12619.19), où elle annonce le fameux monologue d’ALP par la voix dans l’écrit (le premier brouillon de ce monologue fut d’ailleurs sans doute composé avant que Joyce ne retouche la "Lettre"20) et de "The Delivery of the Letter," qui devait lui servir d’appendice et deviendra lui‑même le canevas de départ au Livre III. Comparons d’abord dans leur contexte respectif les deux versions de "The Revered Letter," écrites à quatorze ans d’intervalle, de part et d’autre de la décision de transférer la lettre à l’autre bout de l’édifice.21 Par souci d’économie, nous nous sommes limités au tapuscrit fragmentaire ou ultime étape de la lettre originellement prévue pour I.522 et au premier jet de la nouvelle missive (4.*0) pour le fragment correspondant, accompagné des ajouts et substitutions apportés au cours de cette même étape (dans le reste de l’esquisse, et ceci sauf pour les changements consignés sur le même folio, les lieux d’ajouts et de transformations de premier niveau seront simplement notés respectivement par des soufflets vides <> et des traits verticaux de part et d’autre du segment de texte retouché).
[…] while the farther back we manage to wiggle the more we need the loan of a lens to see as much as the hen saw.
Revered
Majesty well Ive heard all those muckbirds what they are bringing up about him and they will come to no good. The Honourable Mr Earwicker, my devout husband, and he is a true gentleman who changes his two shirts a day which is what none of the sneakers ever will be because as sings the royal poet their lines must be first born like he was, my devout, and it was between Williamstown and the Ailesbury road I first saw the lovelight in your eyes like a pair of candles on the top of the longcar I think he is looking at me yet as if he would pass away in a cloud when he wake up all of a sweat beside me <and looked me in the mouth> and <he> told me his true opinion to pardon him, golden one, but he dreamt about me I had got a lovely face that day and I simply thought I was back again in paradise lost when all the world was June love where us two walked hand in hand.
Well, revered majesty, I hereafter swear never in his life did my husband send out the swags with a drop of anything in them but milk as it came from the natural cow and that is all a pure makeup by a snake in the grass and his name is Mc Grath Brothers against
[fin du tapuscrit]
(JJA 46 :288, MS 47473‑21; I.5 § 2.423, tapuscrit incomplet comprenant au début les dernières lignes de I.5 § 1, FW 111. 36‑112.02; ajouts autographes)
What has gone ? How it ends ?
Begin to forget it. It will remember itself from every sides, with all gestures, in each our word.
Forget, remember !
[…]
Forget !
Dear. And we go on to Dirtdump. Revered. May we add
majesty ? We (Well, we have frankly enjoyed more than anything those secret workings of natures (thanks even for it, we humbly pray) and <, well,> was really so denighted of this lights time. <Muckbirds which bring up about uhrweckers they will come to know good.> Yon clouds will soon disappear looking forwards at a fine day. <The honourable Master Sarmon they should be first born like he was and it was between Williamstown and the Ailesbury on the top of the longcar we think of him looking at us yet as if to pass away in a cloud. When he woke up in a sweat besides it was to pardon him, golden one, but he dreamt we had a lonely face Back we were backed in paladays last, the man what never put a drop in the swags but milk from a natural cows.> <> Whereupon our best thanks to a hundred and eleven ploose one thousand and one other blessings will now [conclu] concloose thoose epoostles [,] to your great kindest <> for all at trouble to took. We are all at home for § ourselfsake, that direst of housebonds, whool wheel be true unto loves end so long as we has a pockle full of brass. Impossible to [..] remember persons in improbable to forget position places. Who would pellow his head off to conjure up a <> particularly mean stinkerlike <> Foon Mac Crawl ?, brothers ?, mystery man of the pork martyrs ? <> <> Conan Boyle<s> will push the daylights out through him, if we (they are correctly informed. <> One must simply laugh. Fing him aging ! This ought to wake him to makeup. <> The big <bad> old sprowly <all some> uttering foon. <> His fooneral will sneak pleace by creeps o’clock, toosday. <> Don’t forget. The grand fooneral will now shortly occur. Remember. The remains must be removed before eaght hours shorp. With earnestly conceived hopes. So help us to witness to this day [,] to hand in sleep. From Of Mayasdaysed most duteoused. <>
Alma Livia Poolabella (Pollabella.
JJA 63 :183 et 189, MS 47488‑117 et 118; IV, § 4.*0. § marque la limite entre deux folios. Voir infra pour l’identification des MSS portant ajouts et substitutions)
La présentation génétique suivante (arbre et commentaire), qui illustre au passage combien l’examen de la filiation des documents est primordial pour la reconstitution des divers temps d’écriture et de la concrétisation progressive de motivations, permettra d’apprécier dans son ensemble la composition gigogne de 4.*0, l’ampleur des ajouts dilatant le canevas de base ainsi que l’utilisation de l’espace du carnet.
Commentaire :
Joyce compose sur deux rectos consécutifs du carnet (fols. 117r, 118r) une nouvelle trame narrative qu’il borne déjà aux deux extrémités (exception faite du post‑scriptum) avant les retouches. Chacun des deux folios reçoit ajouts et substitutions (dont, à plusieurs reprises, l’élément phatique "well," déjà dans la version de 1924) sur les versos leur faisant respectivement face (116v, 117v). Le dernier étoffement en 116v, "Sneaks (ers in the grass keep off !" (615.28‑29), probablement après relecture de ce
Le "P.S." (619.17‑19), qui a perdu toute sa virulence des années 1920, ne semble faire son apparition dans la structure globale que sur le tapuscrit en 4.1, signalé par le repentir manuscrit "Ps !;" JJA 63 :203; MS 47488‑134.
Les accolades relient les folios composés consécutivement; les flèches gauches () signalent les étapes d’expansion à partir des folios initiaux.
micro‑ensemble spatialement structuré (fols 116v à 118r), déclenche un processus de développement interne tel qu’il oblige l’écrivain à croiser rectos et versos : 121r (addition "A" du fol. 116v), portant au bas le commentaire métadiscursif "continuing," est annoté sur le recto opposé (120v) mais la deuxième extension est prolongée d’un "N" dont le texte, occupant tout l’espace du folio, se déroule sur le recto du fol. 122, lui‑même recevant une annotation (isolée) sur le verso de face (121v). Les deux temps dans ce relais d’écriture sont séparés, rappelons‑le, par une prise de notes relative au monologue d’ALP que la missive doit annoncer (fols. 119r à 120r), prise de notes antérieure (voir supra et note 19) ou peut‑être même imbriquée avec la composition de la lettre, contrepoint au "final" lyrique du Wake, comme le donnerait à penser la gestion spatiale du volume pour §§4 et 5. Entre "duteoused" (FW 617.29) et la signature remaniée d’Anna Livia (619.16), Joyce injectera d’autres développements étirant une lettre encore plus filandreuse qu’en 1924 au‑delà du jalon posé au fol. 118 (notons l’absence de renvoi au bas du folio); ce processus de remplissage se fera "logiquement" sur les trois rectos suivants (fols. 123‑125), les deux derniers étant annotés en vis‑à‑vis (123v et 124v respectivement). Bel exemple de l’écriture accrétive de Joyce à un stade quelconque de la composition.
Cette première ébauche de la lettre du Livre IV, insérée dans son unité de composition, permet de mieux apprécier que dans la version finale considérablement étoffée l’homogénéité de l’opposition thématique "forget/remember" autour de laquelle elle est maintenant construite. D’idiome et de but incertains, tel le "we" qui la parcourt et remplace par endroits le "I" de l’énoncé/ énonciation d’origine, la lettre, sans arrêt décentrée par sa dilatation interne et qui n’en finit pas d’annoncer prématurément sa clôture (ceci dès 1923‑1924), oublie, dans les méandres de ses arguments, de disculper sans équivoque HCE, décrit avec moins d’hypocoristiques et bénéficiant d’une affection fort douteuse (ex. "dearest of husbands" "direst of housebonds"), dans la version de 1938. Mieux, l’identité du rival Mc Grath est atténuée, prise en charge par Anna Livia ("me craw," fol. 121) ou fondue avec celle du mari à défendre ("a particularly mean stinkerlike Foon Mac Crawl," à comparer avec la version non ambiguë de la mise au net de 1924; JJA 46 :286, MS 47473‑18, I.5 § 2.*3) dont ALP rappelle les funérailles ("His fooneral will sneak pleace") qu’elle envisageait jadis, non sans satisfaction, être celles de Sneak Mc Grath (les fusillades incertaines en 616.06‑07 étaient à l’origine elles aussi dirigées contre l’ennemi à abattre). Un grand nombre de passages sont certes reconstitués mais ils sont souvent neutralisés par la réécriture, injectés hors de leur contexte initial, parfois même syntaxiquement redécoupés ("[…] all the trouble to took for self and dearest of husbands […]" est dissocié en deux tronçons incorporés dans deux phrases consécutives), et ceci à chaque étape de cette recomposition en deux temps, afin de réorienter la teneur épistolaire trop explicite de la fin 1923 dans une nouvelle trame nourrie de la polysémie et de l’indirection des quinze années intermédiaires, assurant ainsi la décontextualisation des reprises de leur trop strict cadre d’origine. Analysons par le menu sur deux échantillons succincts les principaux procédés de réécriture :
1
I wouldn’t dream of a sausage of his [for] to poison a cat and it was in all the sunday papers about Earwicker’s farfamed fatspitters that they were eaten and appreciated by over fifteen thousands of people in Dublin § this weekend. The obnoxious liar ! First he was a Scotchman at one time and then he was fired out of Clune’s where he was only one of your common floorwalkers for giving guff.
(JJA 46 :282, MS 47473‑14 et JJA 46 :283, MS 47473‑15; I.5 § 2.*3, mise au net)
First he was a [Sch] Skulksman at one time and then Cloon’s fired him through guff. Be sage about sausages. Stuttu tistics show the old firm fatspitters are most eatenly appreciated by metropolonians. While we should like to drag your attentions to the lot of floorwalkers.
(JJA 63 :187, MS 47488‑122; ajouts de premier niveau à IV § 4.*0)
On constate à l’intérieur de cette simple séquence un réagencement des éléments repris après travestissement polysémique ("Scotchman" / "Skulksman"), parfois à des fins d’ambiguité (voir plus haut), condensation narrative et stylistique ("fired out of Clune’s […] for giving guff" "Cloon’s fired him through guff," cf. aussi la version antérieure de "eatenly appreciated by metropolonians"), parfois énigmatique et lapidaire, de ton volontairement incertain (la méfiance prononcée vis‑à-vis des saucisses de Mc Grath devient un proverbe d’une prudence impersonnelle : "Be sage about sausages"). On pourrait également noter, dans une étude globale de l’ensemble de la missive et de ses ajouts en 4.*0, l’apparition d’effets de modulation ou d’opposition rythmique propres à Finnegans Wake, peaufinés avec les années, et qui viennent animer les passages volontairement loquaces, à la syntaxe serpentine ("What those slimes up the door the lies is coming out on them frecklefully had the shames to suggest can we ever ? Never !" JJA 63 :185, MS 47488‑121).
2 (
Whilst we frankly enjoyed more than anything the secret workings of nature (thank heaven for it, I humbly pray !) and was really so delighted of the nice time
(JJA 46 :286, MS 47473‑18; I.5 § 2.*3)
Certes on reconnaît ici un fragment du premier jet de la nouvelle lettre cité plus haut, qui sera transposé après un léger habillage paronymique et le passage, dans la parenthèse, à un "je" pluriel. Mais la séquence est prélevée vers la fin de la mise au net datant de décembre 1923/janvier 1924 et greffée, après ajustements syntaxiques, vers le début de la nouvelle "epoostle" par le processus de décontextualisation‑recontextualisation ou dédoublement narratif, véritable anamorphose génétique puisque la séquence est projetée, rapportée sur un autre plan narratif assurant sa distorsion et son indirection par rapport à la teneur d’origine plus tranchée. La variante, reconnaissable comme telle en qualité et quantité (cas de filiation textuelle le plus aisé à établir), est projetée dans un autre espace d’écriture et l’on mesure combien cette notion constitue un paramètre de taille dans la saisie du processus génétique.
L’exemple de "The Delivery of the Letter," qui anticipera sur la troisième partie de notre étude, laisse apparaître dans toute son ampleur la nature problématique de la variante, du rapport, impliquant un effort de superposition, entre deux temps d’écriture décalés portant sur deux espaces d’écriture, au‑delà donc des "simples" objets textuels engendrés.
and congruously enough the confusion of its composition was fitly capped by the zigzaggery of its deliver{ing (y}. [The postman mentioned on page 80] and not for the 1st time in history [for] just as, it has been more than once pointed out, the demise of one parish priest or curate is sure to be followed <sooner or later> by other parochial demises of an allied nature. Though, coming now to this postman mentioned on (hastily left on p 80, though his qualifications for that particular post (postal or office were known only to a limited circle of friends the spectacle of the Lu{..ca}lizod lettercarrier, an <a most capable> official of very superior appearance in his emptybottlegreen jerkin, at once gave doubters<full> a vouch for his bi{. (k}a{lt (n}alist zeal. <His movements showed that Both (North South> sides of the roadway were visited by him in turn in the discharge of his important duty [and] during which he got a no of stumbles which seemed (appeared to startle him very much § and, while he allowed simple & unfranked correspondence to escape automatically from the mailbag ..d.ed to him, <t>h{is (e} unerring zeal in (with which <amid a blizzard with low visibility and on [a] unevenground,> sort{ing (ed} <& secured> for special (immediate <home> delivery all [miss] packages containing bullion or eatables, made [<immediately>] <in a manner> {him (of} Shawn the Post a man, seen, pitied (felt for, {&e}nvied respected (& looked up to.
Thus, [two] was a woman’s petition, maid, wife & mother, offered (brought by two sons of wild earth <since sainted scholars>, {Shamus (Iacopus} Pennifera, and Johannes Epistolo{f (ph}orus, to their and of all the Lord, offering to him from whom all things came (had come once their gift of <her> knowledge, thereby giving him of his own, (the lion’s mouth) § It was this last alone that at last gave HCE the raspberry. Groaning of spirit, he lifted his hands & many who did not dare it, heard him say : I will give £10 <tomorrow & gladly> to the 1st fellow who will put that W in {..the} royal canal.
(JJA 46 :292‑294 ou JJA 57 :2‑4, MS 47471b fols. 35v, 34v et 30 respectivement; I.5 § 3.*0, premier brouillon rédigé aux bas de pages utilisées pour d’autres sections de I.5, dont "The Revered Letter.")
Une deuxième rédaction du paragraphe se déployant dans la partie inférieure du folio 30, immédiatement après le deuxième brouillon de la lettre (2.*1), est suivie de la série de notes que voici :
Avortée par une série de croix (que le transcripteur se doit de distinguer des biffures de (re)lecture) et révélant les coutures de sa composition sous les hiatus syntaxiques, cette longue esquisse vit donc sans doute le jour comme appendice à ce point nodal qu’est "The Revered Letter,"24 avant de se métamorphoser, à force de s’étoffer, en canevas narratif pour le futur Livre III, notamment III.1, 2, d’abord d’un seul tenant car ces deux premières veilles de Shaun reprennent en l’amplifiant le thème de la livraison de la missive d’ALP.25 On pourrait dire, pour frapper l’imagination, que cette pièce unique, prévue jadis en position stratégique avancée dans l’œuvre ‑ la rattacher précisément à I.5 ne peut être qu’une reconstruction a priori fondée sur les repères de la version achevée ‑ n’eut pour corpus de variantes successives que l’ensemble des chapitres au Livre III, qui à partir du printemps 1924 allaient en piller le programme narratif dans un lieu que la structuration de Work in Progress constituera à l’opposé de l’édifice, puisque le Livre de l’Age humain reprend dans l’ordre inverse les principaux éléments narratifs du Livre I.26 Qu’il s’agisse des notes (y compris la dernière, note de régie capitale car elle laisse entrevoir le traitement de Shaun the Post au Livre III, au style profondément humain) ou de la version caduque devenue scénario de régie, aucun élément lexical propre à "The Delivery of the Letter" ne sera réutilisé dans cet autre lieu d’écriture. Ce texte variant (narration devenue scénario) fournit pour l’œuvre en cours le questionnement le plus radical du jeu entre filiations narratives (thématique) et lexicale, de leurs enjeux respectifs dans un espace d’écriture sans cesse transformable par toute nouvelle intervention du scripteur.
On aura logiquement constaté que de tels avortons textuels, conçus (qualitativement et quantitativement) comme allant au‑delà de simples infléchissements de passages remaniés étape après étape, sont indissociables à l’analyse de toute intention structurante. Ceci est particulièrement le cas dans le dossier de La disparition où abondent des déchets textuels portant en eux les germes d’autant d’autres œuvres. C’est donc pour remonter aux sources mêmes de l’intentionnalité génétique de l’écriture qui se cherche des écrits ‑ mais aussi au mythe de l’origine et au leurre de sa reconstitution à partir de documents lacunaires, que l’on espère pourtant au complet ‑ que nos exemples perecquiens promis auparavant s’effaceront, glissement de pratiques d’écriture oblige, pour ouvrir sur…
4. Le plan variant
où il en sera question par renvois généalogiques interposés.
Même si des scripteurs tels que Joyce sont à l’affût de toute déperdition textuelle, l’écriture n’en demeure pas moins entropique par essence, qui vise à frayer un chemin linéaire dans le chaos pluridimensionnel de l’avant‑texte. L’existence de multiples ébauches de plans pour La disparition, témoins27et aubaines où affleurent plusieurs généalogies, en fait foi, tout comme les diverses esquisses narratives manuscrites ou dactylographiées s’y rattachant. À partir de cette série de plans dont nous verrons les points d’intersection, tâchons précisément d’illustrer ce fourmillement de l’écriture à laquelle s’ancre ce que le généticien classera a posteriori, une fois que le processus de création aura été retracé dans sa linéarisation, comme des variantes textuelles, voire à plus grande échelle des textes variants. Tout manuscriptologue devant nécessairement trouver un point d’entrée dans la nébuleuse de l’avant‑texte, ce qui ne peut se faire qu’arbitrairement puisque l’analyse ne peut à la fois être constituée après classification des documents et précéder cette tentative même de repérage, le MS retenu pour point de départ vaudra n’importe quel autre comme tel :28
Plan lacunaire mais en apparence orienté (réseau de flèches) où pourtant les éléments retenus et développés dans le texte publié sont restructurés dans un autre ordre; Zahir (chap. 11, p.134ff.), le Vol du Bourdon, dont nous verrons les ramifications (chap.4 et passim dans les diverses acceptions de "bourdon"), sans parler d’Ottaviani et Swann, présents jusqu’au dernier chapitre. Alors que le journal de Voyl est confiné de façon épisodique aux deux premières parties du texte (quoiqu’il soit pendant longtemps le personnage central enquêtant sur la disparition), la fin de ce journal semble cependant alimenter plusieurs scénarios laissés dans l’ombre à ce stade d’écriture, où elle est mise en parallèle avec un roman, sans doute déjà Moby Dick (combiné avec le journal au chapitre 8, pp.85‑89 mais il est fait allusion à un roman qui fournirait la solution p. 111 et celui‑ci pourrait tout aussi bien être celui, prospectif, qu’écrit Anton Voyl lui‑même). En fait, ce plan en suspens ne fait à peu près sens que si on le lit selon la chronologie à rebours de l’œuvre; l’analyste se voit donc tiraillé entre la vision d’un scénario relativement précoce (puisque le troubadour disparaîtra du canevas retenu, que Swann et Ottaviani ne peuvent être uniquement insérés entre les motifs du Zahir et du Bourdon, que l’ensemble est plus que rudimentaire, etc.) et celle d’un plan mais où est déjà élaboré le principe de la quête à rebours des origines de la damnation, que l’on peut supposer comme assez "tardif"29 dans le processus de structuration de la narration. L’avision du généticien perplexe se poursuit avec une variante à ce plan, consignée sur le recto du même folio, où le dénouement d’alors est étoffé dans une écriture toujours aussi lacunaire :
À supposer comme il a été suggéré plus haut que l’écriture, a fortiori l’écriture sous contrainte, puisse se ramener schématiquement pour les besoins de l’analyse à une logique qui orienterait la composition aveugle vers un texte‑norme linéaire, le filtrage de ce MS par la règle lipogrammatique donnerait à penser que le recto serait postérieur et préciserait en l’orientant vers la narration le réseau des quatre traits de filiation du verso.
Confrontons nos maigres hypothèses aux autres ébauches recoupant le MS 86, 1, 71 en un point quelconque, non sans avoir écarté auparavant le folio suivant, MS 86, 1, 72r (, où "Fin du Journal d’AV" précède un nombre de données trop éparses et décontextualisées pour que le tout puisse nous être d’aucun secours. Les témoins sélectionnés comme pertinents pour notre étude ont été ordonnés selon des critères rétrospectifs d’analyse qui prendront leur sens au fur et à mesure que notre enquête les dévoilera.
L’association (fin du) journal d’Anton Voyl / voilà la fin cf. "Nous y voilà" en 86, 1, 71v () est explicitement confirmée et pour la première fois ces quelques maillons dans la chaîne narrative sont fondus dans un canevas numérique et littéral, colonne de 1 à 26 à laquelle correspondent deux suites alphabétiques, l’une de A à Z, l’autre à rebours (le E et le 5 étant tacitement omis, malgré le raté signalé dans le fragment transcrit). Cette ossature lacunaire mais annonçant déjà celle du texte publié mentionne également les journaux d’Arnaud et, en "hors plan," d’Urbain, ainsi qu’un retour à la PJ en 18‑R‑J, pendant, par tentative de structuration littérale des éléments narratifs de base (?), du Journal d’AV sur Rimbaud dont la première ligne est écrite en regard de la position 10‑J‑R. Avec les deux autres notes détachées, "reconstitution de la vie de V" suivie de "on fouille chez lui" (c.‑à‑d. Voyl), ce début de grille et l’apparition de deux nouveaux personnages, sans doute personnages clés car l’esquisse prévoit une place (indéterminée dans le cas d’Urbain) pour leurs journaux, établit un lien manifeste avec une variante de plan plus étoffée :
Cette grille identique, dont on notera l’armature en caractères gras, développe les potentialités entrevues jusque‑là selon une perspective s’approchant de celle de la version finale : premier chapitre consacré à Voyl (et non plus Arnaud, voy(e)l (le) permettant une meilleure introduction), recrutement d’Ottaviani mais par Amaury (cf. p. 67), fouilles de la villa d’Anton (cf.p.59), le Harry’s Bar où se rendent Amaury et Ottaviani (p. 73), mort du barman (p. 29; contexte différent), répartition, résiduelle par rapport à cette version manuscrite, des noms des protagonistes à intervalles réguliers selon un système de correspondances entre leur initiale et le numéro du chapitre. Le post‑scriptum figure parmi les vingt‑six chapitres de base alors que l’avant‑propos reste encore à inventer dans ce carcan associatif ‑ notons la persistance du lien 18‑R‑PJ (cf.p.66 : "A la P.J.") ‑ auquel, du strict point de vue du contenu, se rattache un corpus de mises au net isolées dans un même sous‑dossier 86, 1, 67, 1r à 3v (), portant la mention "annulé" l’introduction, mise en parallèle avec Anton Voyl, ne peut donc être envisagée comme trace de l’ouverture panoramique de l’avant‑propos; voir TS 86, 1, 4r (). Ces folios révèlent que le contenu du post‑scriptum était à l’origine pris en charge par Swann, avant que celui‑ci ne supprime Ottaviani et Savorgnan coup sur coup. À ce stade de mise au point structurale, les hiérarchies intratextuelles entre Savorgnan, Ottaviani et Swann d’une part et Swann, plus tard explicitement décrit comme le bras droit du scrivain, et le "Barbu" d’autre part ne sont pas clairement mises en place (se reporter aux indirections des MSS et leur enchaînement narratif filandreux), tandis que la description apocalyptique de l’avant‑propos, servant à contextualiser l’hécatombe des personnages, puis le pendant méta narratif du post‑scriptum ne sont pas encore isolés afin de remplir leur fonction de mise en abyme de la disparition par rapport au projet d’écriture la sous‑tendant. Mais les éléments les plus significatifs sont le réagencement après reprogrammation des premiers chapitres en 86, 1, 101 par rapport à la "table" telle qu’elle nous est livrée dans La disparition ainsi que l’attribution de protagonistes différents à chaque grande partie de l’œuvre. Alors que Perec semble avoir une idée de ce que devra être la fin du roman par rapport au projet d’écriture sous contrainte (sous réserve des modifications ultérieures que l’on vient d’exposer), le premier tiers de l’œuvre, sous l’influence des prises de notes et rédactions des chapitres intermédiaires manquants (?), sera considérablement refondu, parfois selon d’autres priorités narratives faisant intervenir d’autres personnages. Il est donc intéressant de "dater" comme contemporains le dénouement narrativement proche de la version finale et les séquences (manuscrites ou dactylographiées) avortées que l’on peut relier à ce plan, notamment donc par le biais de variations de personnages prévus pour un même rôle ou sur lesquels portent certains éléments de la narration. Ceci nous amène donc à nous pencher sur les variations entre les "têtes de parties" du MS 86, 1, 101 (Arnaud, Ivan, Olga, Urbain… et aussi Augustus B. Clifford ?), celles retenues finalement (Voyl, Haig, Olga, Amaury, Savorgnan), ainsi que les généalogies des deux frères maudits, Amaury Conson et Arthur Wilburg Savorgnan, cette dernière à la lueur de la variante du MS 86, 1, 82 :
Le MS 86, 1, 101 anticipe par son schéma vocalique la filiation d’Amaury, avec laquelle elle a deux prénoms en commun (mais cf. aussi Urbain d’Agostino, p. 80), alors que la structure finalement retenue panache la descendance maudite par le Barbu (Amaury, Savorgnan) et celle de Savorgnan lui‑même, le dernier à disparaître, autour du double inceste d’Olga avec deux de ses frères (Anton, Haig; cf. p. 282). Quant à Yorick, qui avec Ulrich constituait le duo dont Savorgnan avait décidé d’assurer l’éducation, il a pour prédécesseur Arnaud Kar (amazov), lequel, cousin de deux frères Karamazov (p. 75), a muni la Fiat de Voyl d’un dispositif anti‑vol (p. 79) et se distingue du personnage plus central à l’intrigue qui apparaît dans le plan du MS 86, 1, 101 (il apparaît aussi sur le MS 86, 1, 66, 5v (avec Aubusson, Issoudun, Ornans, Urbino ‑ cf. Urbain ‑ liste de villes marquant la filiation vocalique avec les personnages; voir pp.209‑210 pour la version finale). Cette opposition se confirme dans le TS annoté 86, 1, 105, version du passage où il est précisément question de Karamazov et où Ottaviani et Swann son patron ont pour antécédents respectifs Arnaud et Ottaviani, lequel donc devient l’adjoint dans le texte final, alors qu’Arnaud sera évacué ultérieurement et qu’il n’y a encore aucune trace sur ce folio du passage évoquant Amaury Conson dans la discussion. Mais cette variante, qui fait d’Ottaviani le patron d’Arnaud est en contradiction avec le troisième chapitre du MS 86, 1, 101 et il faut donc supposer un autre plan variant, mais pas nécessairement consigné sur papier, auquel se rattacheraient, entre autres, les tapuscrits avortés suivants classés selon une chronologie diégétique : 86, 1, 1r (Voyl congédie Arnaud Balibard ‑ son identité complète nous est donc maintenant connue); 86, 1, 37 (aux courses, six ans après que Voyl eût remercié Balibard, Ottaviani lui propose un job dans son labo); 86, 1, 96r (trois jours plus tard, Voyl débarque chez Arnaud pour lui signifier d’accepter ce travail mais ni Ottaviani ni Voyl ne réapparaissent et Arnaud apprend la disparition de Voyl). L’un des nœuds invisibles de La disparition semble donc avoir été l’abandon du personnage d’Arnaud Balibard au profit de 1 (Amaury dans son rôle d’enquêteur sur la disparition de Voyl, ce qui l’amène à recruter Ottaviani, et 2 (Ottaviani lui‑même lorsque son rôle de patron est rempli par Swann, inventé sans doute assez tardivement puisque son nom à clé, le blanc signal/cygnal, structure finalement la grande lessive du roman (cf. p.113, fusion des MSS 86, 1, 46 et 68). Ainsi s’explique l’absence du passage portant sur Amaury Conson dans le TS 86, 1, 105 (voir supra).
Un examen plus poussé soulignerait plus nettement encore les contradictions des diverses génèses et généalogies possibles de manuscrits, dans lesquelles il faut voir, outre les blancs laissés par des documents‑témoins manquants, égarés, détruits, ou inexistants (toute phase d’écriture n’étant pas forcément délayée noir sur blanc), les indirections d’une écriture qui cherchait un projet capable d’élever la contrainte au‑delà d’une simple fantaisie formelle déjà utilisée par E. V. Wright dans Gadsby (cf. la clé Gadsby V. Wright, mentionnée p.59 et p.283, où l’on apprend qu’il est le patron de Savorgnan30). On aura aussi constaté combien il est illusoire même si nécessaire de poser a priori que l’écriture est une démarche linéarisante qui vise à faire sortir un écrit cohérent (mais qui ne manquera pas de garder les coutures des opérations étape après étape) de la nébuleuse compositionnelle. Citons pour compléter ce volet cet autre plan existant, isolable comme première unité manuscrite car écrit horizontalement, espacé, dans un même plan d’écriture couvrant une large partie du folio :
Il est possible de faire un repérage identique à celui effectué pour le plan précédent : au chapitre sept, Ottaviani et Swann mentionnent Karamazov (pp.75, 78‑79), peu avant qu’Ottaviani n’aille rejoindre Amaury et Olga aux courses (pp.80‑82) et qu' Amaury et lui ne se rendent, trop tard, chez Hassan Ibn Abbou, qui meurt violemment (pp.83‑84); le chapitre huit enchaîne sur le journal d’Anton Voyl, consacré à Moby Dick (le MS 86, 1, 41 prévoyait sans doute l’inclusion d’un autre thème/motif faisant pendant au roman de Melville ‑ on peut du reste se demander si "la lettre volée" n’aurait pas pu remplir cette case qui demeurera vide); le haï‑kaï posté par Voyl à Savorgnan (ch. 10, pp.114‑115). Le plan, linéaire jusque‑là, devient alors réseau de possibles interrogés; notons le balthazar offert par Augustus (p. 132), organisé par l’archiduc (p. 46, personnage du roman de Voyl) dans le TS composite 86, 1, 66, 8v (qui ainsi peut être affilié au neuvième chapitre du MS 86, 1, 101 (Ivan, l’un des fils d’Amaury dans la version finale, est‑il l’archiduc ? la virgule n’offre aucun repère syntaxique), et à nouveau la reprise du journal de Voyl. Bien qu’il détaille assez fidèlement la chronologie des événements marquants des chapitres sept et huit, le MS 86, 1, 41 reste indécis quant à l’enchaînement des disparitions conduisant au final alors que le plan du MS 86, 1, 101, qui donc s’écarte de la structure définitive du premier tiers, peut être relié à une mise au net certes annulée mais proche du dénouement. Ce réseau multidirectionnel des généalogies laisse entrevoir les indécisions du projet pérécquien qui finalement sera nourri d’une synthèse de ces diverses tentatives de structuration, tout comme la narration sera ourdie de multiples rédactions dont les éléments mi‑lexicaux mi‑narratifs seront disjoints, réorientés puis recomposés avec d’autres recherches lexicales et d’autres fragments partiellement avortés (le plan quasi définitif nous est livré aux MSS 86, 1, 61, 2 et 3). Envisageons pour "clore" ce dossier génétique, faisant en cela retour à notre point de départ arbitraire sous l’égide de "la lettre volée," les nombreuses esquisses parallèles et complémentaires des chapitres avoisinant l’exposition du thème polysémique du (vol du) bourdon dans la première partie afin de préciser notre vision de la genèse de l’ouverture dans le chantier des avant‑textes :
1 tentative de notes préparatoires à l’introduction au thème du vol du bourdon; ce folio sans doute initialement prévu pour une recherche narrative mais déjà filtrée par la contrainte sur ce thème/motif (cf. gros caractères et écriture plus appuyée de ce que l’on peut considérer comme un titre guidant la prise de notes) sera peu étoffé et il s’achèvera sur trois lignes biffées ayant trait au rapport de l’adjudant Pons (cf. p.291ff.) :
Vol du Bourdon ?
Dans la nuit du
cinq au six mars
un individu s’introduisit
y vola un pli capital
dont la disparition
provoqua ipso facto
l’inhibition du
communication
(MS 86, 1, 81; partiel)
2 ((sur le MS où sont consignés les six fils d’Arthur) amorce de l’entrevue avec Dupin, ici prise en charge par un "je," après rappel de la disparition et ajout de "corps" (cf. p. 41 où le terme apparaît seul en caractères romains dans l’extrait de journal sur "LA DISPARITION")
vol du bourdon
disparition
corps
j’allai voir Dupin
(MS 86, 1, 82; partiel)
3 (introduction au vol du bourdon et visite à Dupin combinées, précédées d’une version de la fin du ch. 2 (voir aussi MS 86, 1, 34, 1), de la mention hypothétique d’Arcimboldo (cf. début ch.3, p. 41 : "L’on dirait un Arcimboldo" et voir aussi MS 86, 1, 69), soit à nouveau un développement parallèle des embryons des chapitres 3 et 4 (ce tronçon de plan sous contrainte est du reste suivi par une ébauche de narration de la p. 41) :
tt a l’air normal mais pourtant
Arcimboldo ?
Vol du bourdon
l’on irait voir Dupin
un quidam aurait ravi un pli fort important
qu’il aurait tapi
(MS 86, 1, 78, 2r (; partiel)
4 (notes apparemment isolées et décousues reprenant à nouveau la fin du ch. 2 et la mise en place de la discussion sur le vol du bourdon, suivies d’une version des pp.54‑55, 53‑54, écrite en travers du folio (noter "proche" entre guillemets, version antérieure de "normal" (?), et l’abréviation "B" qui peut faire penser qu’il s’agit d’un thème connu à ce stade) :
tout a l’air si "proche"
Il y avait jadis un vol du B
Un individu s’approcha
vola un pli capital
On alla voir Dupin
(MS 86, 1, 77r (; partiel)
5 (mise au net retraçant dans l’ordre chronologique du texte (hormis pour "malsain"), avant la mise en forme par l’écriture, les principaux jalons narratifs‑lexicaux, de l’évocation de la vision du bourdon‑insecte jusqu’à la p. 41, conçue en parallèle avec le vol du bourdon comme on vient de le voir; de "Bourdon" à "vaquait" p. 19, "malsain" p. 41 (cf. "albinos malsain"), de "surgissant" à "apparait" p. 20, "il s’y absorba" p. 19, "il n’arrivait plus à dormir" p. 21, "trois mois durant" "huit jours durant" p. 20 (?), "il fit tout" p. 21, l’hôpital Cochin p. 22 (voir infra), de "il sortit" à "s’affaiblissait" charnière entre ch. 1 et 2, de "allangui" à "corridor" p. 27, notes autour de la disparition p. 41, dont l’une des articulations du plan MS 86, 1, 101 :
[Bourdon
l’iris malin d’un cachalot colossal
son imagination vaquait malsain
surgissant la vision
savoir
pouvoir
ainsi qu’un point alpha d’où dit on l’on pouvait voir a
foison à jamais l’infini du cosmos. panorama total ou
tout apparait]
il s’y absorba
il n’arrivait plus à dormir
trois mois durant
il fit tout
un voisin compatissant l’accompagna à la consultation à l’hopital cochin
il sortit
il souffrait moins
mais il s’affaiblissait
allangui tt au long du jour
il divagait pris d’hallucinations
il marchait dans un haut corridor
il prit un album
il inscrivit au haut du folio initial
La disparition
puis, plus bas
Imago {. (d}ans mon tapis
qui a disparu ? croquis tapis
qui ? ou quoi ?
(MS 86, 1, 78, 1v (; in extenso)
6 ébauche partielle, du plan n (5 semble‑t‑il, où l’on note les ajouts "Mourut‑il ? suicida-t‑il ?" p. 55 et "Il disparut" p. 53, encadrant à présent le vol du bourdon qui n’avait peut‑être pas été encore prévu ou inséré à ce stade; ce fragment, écrit en biais dans le sens de la longueur du folio, est postérieur au reste du matériau manuscrit du MS, qui se compose principalement d’une série de variations lexicales mises en place par croisements sémantico‑phonétiques sur les lettres de l’alphabet vocalisées (ex. "deux un;" "feux un mort;" "gueux un voyou").31
soudain il vit
s’absorba
n’arriva plus à dormir il fit tout
mais il n’y arriva pas
consultation à l’hopital st Louis
il s’affaiblissait
il divagait pris d’hallucinations
Mourut‑il ? suicida-t‑il ?….
Il disparut
(MS 86, 1, 79; partiel)
Il est intéressant de remarquer que la consultation n’a plus lieu à Cochin mais à St‑Louis, comme dans le passage du MS 86, 1, 26 où Ottaviani, souffrant, croit qu’il va partager le "fatal sort (avatar qu’un sort inhumain avait imparti à Voyl" (Cochin y est mentionné avec Broca et correspond donc à St‑Louis dans le texte final; cf. p. 23). Cette filiation plan narration ainsi établie confirme incontestablement l’antériorité de ce MS sur la mise au net étoffée en 86, 1, 78, 1v (.
Voilà donc, ancré aux diverses traces de plans d’ensemble de l’œuvre, l’éventail des folios qui mettent en place par séries de recoupements le thème/motif du bourdon en esquissant le déroulement des premiers chapitres. Ces croisements de variantes nous ont permis en outre d’accéder à l’essence de cette écriture "intégrative" (plus qu’accrétive; cas de Joyce) qui présida au remaniement du projet d’origine selon un double axe : refonte, aux relents d’encyclopédisme parodique, des littératures, sciences, langues, etc. existantes dans une réécriture sans e par laquelle la narration de la quête ‑ quête des origines mêmes de l’écrit dans l’écriture ‑ ne cesse de s’ourdir.
Au cours de ces laborieuses et progressives catégorisations, reconstitutions de genèse, chronologies avant‑textuelles ou internes aux folios dont on a maintes fois aperçu à l’horizon les limitations, nous avons fait intervenir et essayé de restituer dans la transcription tout un ensemble de caractéristiques de l’espace manuscrit dans lequel la variante, quelle qu’elle soit, doit nécessairement être lue si l’on prétend l’appréhender dans son histoire et celle de son support. Nous avons également pris le risque délibéré de livrer quelques réflexions brutes en faisant jouer plusieurs paramètres possibles sur un panachage de cas datés, datables car "espacés dans le temps" (exemples joyciens), et non encore analysés, authentifiés par techniques de laboratoire, ni ne bénéficiant d’un classement génétique (dossiers perecquiens). Nous avons enfin, par la force du sens toujours différé et du mirage de la conceptualisation, fait miroiter, outre la notion d’espace, une panoplie d’autres outils propres au généticien sans laquelle il ne pourrait "opérer," c’est‑à‑dire, dans une large mesure, surseoir l’impossible tâche de fixer l’un des termes lors même que les autres restent à définir dans une perspective d’ensemble dont nous rappelons à nouveau la carence. Ayant fait semblant de boucler la boucle il nous reste à nous abolir performativement dans l’une de ces métaphorisations conceptuelles, commune à bien d’autres sciences et objet d’un futur volume (?), ce blanc qui sans faillir traça à l’horizon la disparition, la mort qui nous dira la fin du propos*…
* En hors‑texte nous tenons à remercier le James Joyce Estate et Mme Ela Bienenfeld, qui nous ont autorisé à citer (et à reproduire, dans le cas de Finnegans Wake) les manuscrits de Joyce et de Perec respectivement, Mme Paulette Perec pour son aimable concours lors de la consultation des photocopies des dossiers 86 et 113, ainsi que les "amis de Georges" et perecquiens enthousiastes, plus particulièrement Marcel Bénabou, Bernard Magné et Eric Beaumatin, pour leurs conversations amicales et fructueuses.
1 Relevons brièvement les fictions hébraïsantes autour du nom de Perec dans l’œuvre de l’auteur ou les croisements de personnages et de lettres hébraïques, la (non -)vocalisation du tétragramme et de ses avatars dans Finnegans Wake (pratique inaugurée dans Ulysses, par exemple dans "Circé" et "Ithaque"). Voir aussi Marcel Bénabou, "Perec et la judéité," Cahiers Georges Pérec 1, Colloque de Cerisy (juillet 1984) (Paris : P.O.L., 1985) 15‑30 et Ira B. Nadel, Joyce and the Jews; Culture and Texts (Basingstoke : Macmillan Press, 1988) pour d’autres contextes.
2 Voir la brève mais stimulante présentation de La disparition par Marcel Bénabou intitulée "Autour d’une absence," Quinzaine littéraire, n (72 (1er‑15 mai 1969), 8‑9, dont plusieurs versions (manuscrit et tapuscrits), annotées par Perec lui‑même, figurent dans le dossier n (86 des avant‑textes.
3 Remarque extraite du prétirage pour le Colloque international de 1987, La Naissance du Texte : Archives européennes et production intellectuelle (Paris : C.N.R.S., 1987) 213.
4 Alors même que Bernard Beugnot lui consacre le plus long commentaire dans son "petit lexique de l’édition critique et génétique," Cahiers de textologie 2, problèmes de l’édition critique (Paris : Minard, 1988) 78‑79. Voir aussi Langages, 69 "Manuscrits-Ecriture, Production linguistique" (Paris, 1983), plus particulièrement l’avant‑propos, 5‑10; Almuth Grésillon et Jean‑Louis Lebrave, "Les manuscrits comme lieu de conflits discursifs," in : La genèse du texte : Les modèles linguistiques (Paris : C.N.R.S., 1987) 129‑175; A. Grésillon, Les brouillons allemands de la préface à "Lutèce" de H. Heine. Analyse linguistique des variantes, thèse de 3e cycle. Paris VIII‑Vincennes. DRLAV 14, 1976 et "Temps / aspect / types de discours dans les variantes de manuscrits de H. Heine," DRLAV 16, Paris VIIIVincennes 1978, 31‑48.
5 Des remarques de A. Grésillon et J.‑L. Lebrave allaient déjà dans ce sens; voir "Les manuscrits comme lieu de conflits discursifs" 138.
6 Nous reprenons à notre compte la distinction formulée par A. Grésillon et J.‑L. Lebrave dans Langages 69, 8‑9.
7 Voir Beugnot, 76, qui reprend une définition de J. Bellemin‑Noël.
8 Nous passerons sous silence les relents de "ne varieturisme" qui émanent encore de maints travaux semi‑génétiques où la variante reste cette déviation décorative à maîtriser sur papier afin d’établir le texte "définitif."
9 Voir la distinction nuancée opérée entre "variante/ correction d’écriture" et "variante/correction de lecture" par A. Grésillon et J.‑L. Lebrave dans leurs travaux conjoints mentionnés précédemment, distinction que nous reprenons implicitement ici à des fins de transcription tout en restant conscients du fait que la scription ne saurait s’accomplir sans une lecture simultanée de l’écrit ainsi tracé.
10 C’est‑à-dire le verso du 59ème folio dans le 1er sousdossier de feuillets appartenant au dossier n (86 (MS : manuscrit au sens large et TS : tapuscrit), foliotage respectant l’ordre selon lequel Pérec lui‑même avait classé ses documents. Ce système de numérotation a été adopté pour tous les dossiers manuscrits de Georges Perec, y compris donc pour le dossier n (113 des Revenentes.
11 Georges Perec, La disparition (Paris : Denoël, 1969).
12 Soit Finnegans Wake, page 124, ligne 21. Toutes les éditions ayant la même pagination, l’usage identifie les citations dans le texte de cette manière.
13 JJA 46 :341 ou 47 :429, soit les volumes 46 et 47, avec pages correspondantes, de The James Joyce Archive, reproduction fac‑similé en soixante‑trois volumes des manuscrits joyciens dirigée par Michael Groden et al. (New York et Londres, Garland publishing, Inc., 1978). La cote des folios joyciens suit la classification du British Museum, soit ici le verso du folio 122 provenant du dossier 47482b.
14 Nous laissons de côté la double vision d’une séquence textuelle à la fois, car sous une forme parfaitement identique, note de carnet et variante insérée à une unité narrative (Joyce n’est sans doute pas un cas unique à ce titre).
15 Georges Perec, Les revenentes (Paris : Julliard, 1972).
16 L’avant‑texte de ces deux romans écrits sous la contrainte permet fréquemment ce genre de reconstitutions faciles et gratifiantes pour le critique… Voir à ce sujet le concept de "variante liée" d’Almuth Grésillon, rappelé dans Grésillon et Lebrave, "Les manuscrits comme lieu de conflits discursifs," 148.
17 On trouvera des remarques similaires dans l’article de Lebrave, "Lecture et analyse des brouillons," in : Langages, 69, 11‑23.
18 Il nous a fallu le cadre d’une autre étude narrative et génétique détaillée pour mettre en évidence les raisons de ce sabordage, à la lueur notamment des circonstances dramatiques du réel qui l’entourent; voir Laurent Milesi, "Toward a Female Grammar of Sexuality : The De/Recomposition of "Storiella as she is syung,"" Modern Fiction Studies 35.3 (automne 1989), 569‑586 (ce numéro est entièrement consacré à des lectures féministes de Joyce).
19 Voir pp.xiv‑xvii de la préface de David Hayman au volume JJA 46 pour une description chronologique détaillée des imbrications de composition entre "The Revered Letter" et I.5 plus géné-ralement. Notre reconstitution sommaire des différents temps de l’utilisation du carnet pour la nouvelle version (IV § 4.*0) pro-longera donc son excellente présentation.
20 Hypothèse de Hayman; voir p.ix de sa préface à JJA 63.
21 Voir la lettre de Joyce à Harriet Shaw Weaver, datée du 16 janvier 1924 (Letters of James Joyce, vol. 1, éd. Stuart Gilbert (Londres : Faber and Faber, 1957), 208), qui expose un rudiment de structure narrative où la livraison de la lettre, d’où naîtra le Livre III, précède à présent le texte lui‑même (voir aussi p.ix de la préface de Hayman au volume JJA 63).
22 Tapuscrit incomplet à partir duquel Joyce aurait travaillé à IV § 4.*0, selon Hayman dans sa preface à JJA 46 (p.xv), opinion qu’il infléchit p.ix de l’introduction au volume 63 de l’Archive où il repousse, à notre avis à juste titre, l’existence d’un dactylogramme intégral et voit dans l’étape précédente de mise au net le texte de base à la réécriture de la "Lettre" (le lapsus paronomastique qui fait chuter "lovely" en "lonely," si un tel changement sémantique n’est pas volontaire, confirmerait que notre écrivain myope avait sous les yeux un document moins lisible qu’un tapuscrit; cf. JJA 46 :281, MS 47473‑13). Nous choisirons néanmoins de transcrire ce témoin dactylographié puisqu’il s’agit de la dernière étape connue de l’ancienne lettre.
23 Soit le 5ème état de la 2ème section du chapitre I.5 (le premier état portant le coefficient 0). Les conventions suivantes, provenant également du code établi par les éditeurs de l’Archive, ont été utilisées au cours de cette étude : un astérisque préfixé à un état manuscrit signifie que les documents de cette étape sont holographes; n+ indique une nouvelle rédaction partielle d’un état n (une nouvelle rédaction intégrale porterait le code n+1). Pour plus de précisions, voir la section intitulée "Draft Analysis : Reader’s Guide," reproduite en préface de chaque volume de l’Archive.
24 Plus que motif ou que thème, la lettre est un point nodal de première importance dans la structuration de Finnegans Wake; voir David Hayman, "Nodality and the Infra‑Structure of Finnegans Wake," James Joyce Quarterly, vol. 16, nos 1/2 (automne 1978-hiver 1979), 135‑149.
25 Hayman, JJA 57, préface p.viii.
26 Letters, vol.I, 214; lettre du 24 mai 1924 à Harriet Shaw Weaver. Voir aussi Clive Hart, Structure and Motif in "Finnegans Wake," (Londres : Faber and Faber, 1962) 66‑68.
27 Ces documents peuvent être comme pour Finnegans Wake des déclarations d’intention livrées dans la correspondance et à partir desquelles la structuration progressive de l’œuvre se laisse appréhender. Citons par exemple le chapitre I.6, intercalé après coup dans l’édifice comme le montre encore les coutures narratives de la fin de I.5 et du début de I.7 (cf. Letters, I, 208; lettre du 16 janvier 1924 à Miss Weaver, déjà mentionnée). Qu’il s’agisse de cet ajout intercapitulaire ou d’expansions à l’intérieur d’une unité narrative, d’un paragraphe, d’une parenthèse, d’une phrase, voire d’une unité lexicale retravaillée "à la lettre," on peut y voir le mécanisme de base de la "variante de qualité" chez Joyce : étoffement et enrichissement complexe d’un segment déjà existant, toujours potentiellement fertilisable par la réécriture.
28 Il vaudra surtout la classification interne opérée par Georges Perec lui‑même si l’on se réfère au scepticisme qu’il exprime face à l’arbitraire et l’éphémère de toute classification dans une série de textes publiés séparément de 1976 à 1982 et repris dans l’ouvrage posthume Penser/Classer (Paris : Hachette, 1985).
29 Jugement temporel à relativiser puisque La disparition, pari d’origine "ludique" qui conserve dans l’avant‑texte de multiples traces de ses premières esquisses non structurées et allant parfois dans des directions contradictoires, fut pourtant composée en un an et demi environ (été 1967/hiver 1968‑69).
30 Il est donc "logique" que Savorgnan, travaillant sous les ordres de l’auteur de Gadsby, soit le dernier à être supprimé par la machine à écrire de Swann, le proconsul du Barbu, alias P.r.c…
31 Ce groupe se rattache plus généralement à la recherche de pratiques de dépassement de la contrainte par réseaux associatifs, telles les variations "sans + lettre" qui donnèrent les prénoms des pp.248‑256 et alimentèrent la narration de façon imperceptible si l’on n’a pas recours aux brouillons (voir MS 86, 4, 2, 0).