PRÉSENTATION
En janvier 1854, Flaubert est en pleine rédaction de Madame Bovary. S'il a déjà beaucoup écrit, il n'a encore publié aucun livre, et il vit cet état comme une virginité. À Louise Colet, qui cherche de la copie pour Les Modes Parisiennes1, un hebdomadaire de mode dont elle s'occupe depuis peu, et où elle publiera des poèmes de Bouilhet et de Leconte de Lisle, Flaubert fait cette réponse le 23 janvier 1854:
Quant à ton Journal, je n'ai nullement défendu àB [ouilhet] d'y collaborer. Mais je crois seulement: que lui, inconnu, débutant, ayant sa réputation à ménager, son nom à faire valoir, et mousser, il aurait tort de donner maintenantdes vers à un petit journal. Cela ne lui rapporterait ni honneur, ni profit. Et je ne vois pas en quoi cela te rendrait service, puisque vous avez le droit de prendre de droite et de gauche ce qui vous plaît. – Pour ce qui est de moi: tu comprends que je n'écrirai pas plus dans celui-là que dans un autre. A quoi bon?et en quoi cela m'avancerait-il? S'il faut (quand je serai à Paris) t'expédier des articles pour t'obliger, de grand cœur. Mais quant à signer, non. Voilà vingt ans que je garde mon pucelage. – Le public l'aura tout entier et d'un seul coup, ou pas. D'ici là, je le soigne. Je suis bien décidé d'ailleurs à n'écrire par la suite dans aucun journal, fût-ce même la R [evue] des deux M [ondes],si on me le proposait. (Lettre à Louise Colet du [23 janvier 1854], Correspondance, II, 514-515)2.
On le voit, ce que Flaubert refuse absolument dans cette lettre, ce n'est pas d'écrire pour la Muse, malgré un dégoût certain pour l'écriture journalistique, c'est de signer. Début mars, Flaubert accuse réception de trois catalogues de libraires (il s'agit du libraire Perrotin, de la librairie Delahaye et de la Librairie nouvelle) et fait allusion aux articles qu'il projette :
J'ai reçu ce matin tes trois catalogues. [... ] Je ferai ces trois articles3 simultanément, afin qu'ils ne se ressemblent pas. Quel est celui qu'il faut le plus faire mousser? (Ôcritique, voilà tout ton but maintenant: faire mousser, ou bien échigner; deux très jolies métaphores et qui donnent une idée de la besogne ! ! !) Dis-moi aussi quand est-ce qu'il faut que ces articles soient faits, au plus tôt et au plus tard. (Lettre du [2 mars] 1854, II,528).
Cependant, par la suite, il n'est plus question que de l'article sur la Librairie nouvelle.
La correspondance de la seconde quinzaine d'avril en donne trace, et permet de dresser un calendrier.
La lettre du 18 avril interroge :
B [ouilhet] m'a dit que Philipon t'avait défendu (formellement) de rien recevoir. Dois-je faire néanmoins l'article pour la Librairie nouvelle? En cas qu'oui, dis-le-moi, je te l'apporterai. (II, 556).
Celle du 22 avril envisage un plan :
Je viens de rêvasser pendant une heure àton article de la Librairie nouvelle. Je crois qu'il y a moyen d'en faire un, tel quel. Je te bâclerai ça, ces jours-ci, pendant que B[ouilhet] sera là; il te l'apportera, ou je te l'apporterai peu de jours après. Le principal, et la seule chose difficile, c'est d'avoir un plan quelconque, et que ces bêtes de lignes ne se bornent pas à être unesèche nomenclature. (II, 556).
Celle du 29 avril confirme l'écriture de l'article, et le goût du pseudonyme :
Je me suis mis définitivement ce soir à ton article. Ce sera un chef-d'œuvre de mauvais goût et de chic! La Librairie nouvelle en tressaillera jusque dans les entrailles de sa mauvaise littérature. [... ] Je voudrais faire aussi une ou deux corrections àla Bovary, dont la moindre phrase me semble plus malaisée que tous les articles Pompadour du monde. [... ] Je t'embrasse et signe
EUGÈNE GUINOT4,
car je rivalise avec lui de bêtise et de gentillesse. Il se peut même que je l'enfonce. (II, 558-559).
La correspondance est ensuite muette sur l'affaire. Ce sont d'ailleurs les dernières lettres connues de Flaubert à Louise Colet pour 1854. Les amants se brouillent. Il n'en reste pas moins que paraît dans le n°585 des Modes parisiennes, de mai 1854, p. 1486-1488, une « Causerie sur la Librairie nouvelle », signée « Arthur », dont l'esthétique et le style semblent bien de Flaubert. Ce serait, en ce cas, le seul article de critique littéraire que nous ayons, en dehors de la Préface aux Dernières chansons de Louis Bouilhet (1872).
Dans la « Causerie », c'est précisément l'hommage final à Bouilhet qui attire l'attention. Les Fossiles venaient de paraître dans La Revue de Paris (éditée alors par la Librairie Nouvelle), et le panégyrique qui en est fait suppose une connaissance du poème que seul Flaubert pouvait avoir. Il en a suivi la composition, admiré l'esthétique. La présentation bouffonne (« Vous y verrez des chauve-souris grandes comme des tables, des poissons grands comme des églises… ») marque une sensibilité au gigantisme, et contient des allusions précises aux Fossiles5. Surtout, Flaubert voit dans ce poème des âges de la terre une relation nouvelle entre littérature et science. Si la littérature (et la prose pour Flaubert) peut avoir la précision de la science, c'est par la justesse de la forme, mais aussi par le pouvoir d'invention de la fiction – qui engage une esthétique du savoir.
« Les immensités où la science moderne entraîne la littérature » fait écho àun commentaire d'avril 1853, où Flaubert définit, à propos de la poésie de Bouilhet (et contre celle de Leconte de Lisle), le statut de la littérature :
Nous avons trop de choses et pas assez de formes. De là vient la torture des consciencieux. Il faut pourtant tout accepter et tout imprimer, et prendre surtout son point d'appui dans le présent. C'est pour cela que je crois Les Fossiles de B [ouilhet] une chose très forte. Il marche dans les voies de la poésie de l'avenir. La littérature prendra de plus en plus les allures de la science; elle sera surtout exposante, ce qui ne veut pas dire didactique. Il faut faire des tableaux, montrer la nature telle qu'elle est, mais des tableaux complets, peindre ledessous et ledessus. (A. Louise Colet, [6 avril 1853],II, 298).
L'admiration de Flaubert pour la dernière partie des Fossiles, qui décrit « l'homme futur », va dans le sens de cette littérature « exposante » :
Quant aux Fossiles, je trouve cela fort beau, et continue à soutenir qu'il fallait s'y prendre de cette façon. Tout le monde, après Les Fossiles, eût fait une grande tartine lyrique sur l'homme; mais l'homme a changé, et pour le prendre complètement, il faut suivre son histoire, le monsieur en habit noir étant aussi naturel que le sauvage tatoué, il faut donc présenter les deux états et tout ce qu'il y a d'intermédiaire entre eux. (À Louise Colet, [2janvier 1853], II, 496-497).
Il dira de son ami dans la Préface aux Dernières chansons :
Quant à la hauteur de son imagination, elle paraît suffisamment prouvée par Les Fossiles, cette œuvre que Théophile Gautier appelait « La plus difficile, peut-être, qu'ait tentée un poète! » j'ajoute: « le seul poème scientifique de toute la littérature française qui soit cependant de la poésie ». Les stances à la fin sur l'homme futur montrent de quelle façon il comprenait les plus transcendantes utopies. (Œuvres de Louis Bouilhet, Lemerre, s.d., p. 294).
« –Ah! béni soit-il, l'homme futur, et qu'il arrive, car pour moi j'ai assez de l'homme présent, et vous ? » Bouilhet, « alter ego », est l'homme-poésie, comme Flaubert est l'homme-prose : avec une même stratégie de la « ligne droite », hors du carriérisme àla Du Camp, un même refus de la littérature à succès, des modes et du modernisme. Il faut encore citer ce passage d'une lettre à Bouilhet, écrite un an et demi après l'article, qui lie les thèmes dans une même hiérarchie esthétique :
Il [Du Camp] a déploré devant moi Les Fossiles. Si la fin eût été consolante, tu aurais été un grand homme. Mais comme elle était amèrement sceptique, tu n'a plus été qu'un fantaisiste. Or nous n'avons plus besoin de fantaisiste. A bas les rêveurs! A l'œuvre! Fabriquons la régénération sociale! l'écrivain a charge d'âmes, etc.
Et il y a là-dedans un calcul habile. […] On est servi par les passions du jour, et par la sympathie des envieux. C'est là le secret des grands succès et des petits aussi. Arsène Houssaye a profité de la manie rococo, qui a succédé à la manie-moyen âge comme Mme [Beecher-] Stowe a exploité la manie-égalitaire. Notre ami Maxime, lui, profite des chemins de fer, de la rage industrielle, etc. […]
Je sens contre la bêtise de mon époque des flots de haine qui m'étouffent. (À Louis Bouilhet, [30septembre 1855],II, 599).
Cela nous conduit àl'éloge de Balzac. Le Traité de la vie élégante, publié dans La Modeen 1830, venait d'être édité pour la première fois àla Librairie nouvelle (1853 et 1854). Barbey d'Aurevilly avait salué cette publication6, mais il revient à Flaubert de souligner fortement le lien entre l'œuvre romanesque et l'étude analytique, qui, selon la formule de Balzac, « est en quelque sorte la métaphysique des mœurs ». On connaissait les jugements de Flaubert sur Balzac :
Oui, c'était un homme fort et qui avait crânement compris son temps. (À Louis Bouilhet, 14 novembre 1850, 1, 710).
et sur son style :
Aussi je crois que le roman ne fait que de naître, il attend son Homère. Quel homme eût été Balzac, s'il eût su écrire! Mais il ne lui a manqué que cela. (À Louise Colet, [16 décembre 1852J, II, 209).
La « Causerie » d'Arthur apporte un complément indispensable et rare, à ces formules trop brèves. Flaubert lit Balzac en écrivain, saisit l'unité de la pensée, et les ressources romanesques d'un Balzac sémiologue de la mode. Il situe en même temps sa propre poétique, définit aussi pour lui le champ du roman « qui attend son Homère »), son objet, et son ambition. Ce qui accrédite l'idée qu'Arthur est bien Flaubert c'est l'existence d'une lettre de la fin janvier 1854, où Flaubert, lecteur de Balzac, explique à Louise Colet (rédactrice, semble-t-i1, du bulletin « Modes, fashions et causeries » des Modes parisiennes)ce que devrait être un «article mode » :
Qui s'est jusqu'à présent, mêlé des articles modes? des couturières! De même que les tapissiers n'entendent rien à l'ameublement, les cuisiniers peu de choses àla cuisine, et les tailleurs rien au costume, les couturières non plus n'entendent rien à l'atour. La raison est la même, qui fait: que les peintres de portraits font de mauvais portraits (les bons sont peints par des penseurs, des créateurs, les seuls qui sachent reproduire). L'étroite spécialité dans laquelle ils vivent, leur enlève le sens mêmede cette spécialité, et ils confondent toujours l'accessoire et le principal, le galon avec la coupe. Un grand tailleur serait un artiste, comme au XVIe siècle les orfèvres étaient artistes. Mais la médiocrité s'infiltre partout, les pierres même deviennent bêtes et les grandes routes sont stupides. [... ] (II, 517).
Ceci trouve un écho dans la « Causerie », comme la suite de la lettre, qui continue par une réflexion, très baudelairienne également, contre l'industrialisme et le « bon marché » :
Élançons-nous dans l'idéal ! Puisque nous n'avons pas le moyen de loger dans le marbre et dans la pourpre, d'avoir des divans en plumes de colibris, des tapis en peaux de cygne, des fauteuils d'ébène, des parquets d'écaille, des candélabres d'or massif, ou bien des lampes creusées dans l'émeraude, gueulons donc contre les gants de bourre de soie, contre les fauteuils de bureau, contre les mackintosh, contre les caléfacteurs économiques, contre les fausses étoffes, contre le faux luxe, contre le faux orgueil! L'industrialisme a développé le Laid dans des proportions gigantesques! Combien de braves gens qui, il y a un siècle, eussent parfaitement vécu sans Beaux-Arts, et à qui il faut maintenant de petites statuettes, de petite musique et de petite littérature! (Que l'on réfléchisse seulement quelle effroyable propagation de mauvais dessin ne doit pas faire la Lithographie ! [... ]. Le bon marché, d'autre part, a rendu le vrai luxe fabuleux. — Qui est-ce qui consent maintenant àacheter une bonne montre (cela coûte 1200 fr [ancs])? (II, 517-518).
Le luxe, on le voit, est associé à l'exotisme, à l'ailleurs antique et oriental, ce qui n'est pas sans résonance avec la poétique de l'œuvre. Flaubert ajoute encore, plus loin :
je n'ai jamais vu dans ma vie rien de luxueux, si ce n'est en Orient. [... ] Voilà des gens pour qui le beau est plus utile que le bon. Ils se couvrent avec de la couleur, et non avec de l'étoffe. Ils ont plus besoin de fumer que de manger. – Belle prédominance de l'idée, quoi qu'on en dise. (II, 520-521).
Enfin, dans la lignée du Traité de la vie élégante, Flaubert fonde sa conception de l'élégance sur le constat de l'uniformisation de la société bourgeoise postrévolutionnaire :
(lequel bourgeois n'est même plus bourgeois, car depuis l'invention des omnibus la bourgeoisie est morte! oui, elle s'est assise là, sur la banquette populaire, et elle y reste, toute pareille maintenant à la canaille, d'âme, d'aspect et même d'habit !) (II, 518)
et, partant, sur la nécessité de se « distinguer ». L'objet de « l'article mode » est ainsi non pas de reproduire le connu, mais d'inventer le spécifique, un nouveau « rapport» entre la mode, l'individu et l'histoire :
Et une fois parti de ce point de vue démocratique: à savoir que tout est à tous, et que la plus grande confusion existe pour lebien du plus grand nombre, je tâcherais d'établir a posteriori qu'il n'y a pas par conséquent de modes, puisqu'il n'y a pas d'autorité, de règle. [... ] Comment donc tirer profit de tout cela, pour la Beauté? (le calembour y est, je le prends dans ce sens) : en étudiant quelle forme, quelle couleur convient à telle personne dans telle circonstance donnée. Il y a là un rapport de tons, et de lignes qu'il faut saisir. Les grandes coquettes s'y entendent, et pas plus que les vrais dandys, elles ne s'habillent d'après le journal de modes! – Eh bien, c'est de cet art-là qu'un journal de modes, pour être neuf et vrai, doit parler. (II, 518-519).
La mode est interprétée en termes d'esthétique générale (« la Beauté »). Ce qui conduit Flaubert àun parallèle des plus intéressants avec la poétique de l'œuvre :
Enfin y a-t-il rien de plus stupide que ce bulletin de modes disant les costumes que l'on a portés, la semaine dernière, afin qu'on les porte la semaine qui va suivre, sans tenir compte que chacun, pour être bien habillé, doit s'habiller quant à lui! C'est toujours la même question, celle des Poétiques. Chaque œuvre à faire à sa poétique en soi, qu'il faut trouver. (II, 519).
Il légitime ainsi le souci de ces « riens, dont un homme ne doit pas parler (car cela sort de ce type viril, d'après lequel il faut être, sous peine de passer pour un eunuque) ». Comme la main gantée des acteurs, qui nuit àl'expression des formes :
Et l'expression de la main, que devient-elle avec un gant? imaginez donc une statue gantée! – Tout doit parler dans les Formes, et il faut qu'on voie toujours le plus possible d'âme (II, 520).
Or, si l'on revient à la « Causerie » d'Arthur, on s'aperçoit que toute la construction du début repose sur une double métaphore :
ce sont des âmes aussi qui défilent (un livre est une individualité, un être) se manifestant par d'autres formes, habillées d'autres costumes.
Animation des livres, et métaphore du costume, la présentation joue aussi du double sens de « forme ». La « forme » du livre est sa couverture, et l'isotopie du costume est tenue tout au long de la description des volumes. Mais c'est aussi, implicitement, le « style », unique, de chaque œuvre. Pour parler de la Librairie nouvelle, le rédacteur adapte le ton de sa causerie au sujet traité: celui du gandin, flâneur. Jaccottet et Bourdilliat avaient en effet fondé leur librairie, 15 boulevard des Italiens, près des grands cafés. Mais la présentation du catalogue n'est visiblement qu'un prétexte à l'expression des admirations profondes (Du Camp et surtout Lamartine sont des absents remarquables).
Flaubert et Balzac. Flaubert et Michelet. La «merveilleuse faculté de vibration» reconnue chez Michelet a des accents flaubertiens. Il faut se reporter à l'admirable lettre du 26 janvier 1861 que Flaubert adresse au grand historien, à la parution de La Mer :
Au collège, je dévorais votre Histoire romaine, les premiers volumes de l'Histoire de France, les Mémoires de Luther, l'Introduction, tout ce qui sortait de votre plume. Avec un plaisir presque sensuel, tant il était vif et profond. [... ].
Devenu homme, mon admiration s'est solidifiée. Je vous ai suivi d'œuvre en œuvre, de volume en volume, dans Le Peuple, La Révolution, L'Insecte, L'Amour, La Femme, etc., et je suis resté de plus en plus béant devant cette sympathie immense qui va toujours en se développant, cet art inouï d'illuminer avec un mot toute une époque, ce sens merveilleux du Vrai qui embrasse les choses et les hommes et qui les pénètre jusqu'à la dernière fibre.
C'est ce don-là, Monsieur, parmi tous les autres, qui fait de vous un Maître et un grand Maître. Il ne sera plus permis d'écrire sur quoi que ce soit sans, auparavant, l'aimer. Vous avez inventé dans la critique la tendresse, chose féconde. [... ]
Puis voilà que vous descendez dans la nature elle-même, et que le battement de votre cœur vibre jusque dans les éléments. (À Jules Michelet, 26 janvier [1861 J, III, 141-142).
Sur Michelet, comme sur Balzac, la « causerie» développe une opinion qu'on ne trouve exprimée nulle part ailleurs avec cette liberté.
Enfin, si l'on veut bien continuer à jouer avec la « fonction auteur » selon Foucault, on reconnaîtra Flaubert dans les exclamations àla Homais qui viennent en incidentes (toujours les dames! toujours les femmes ! »), dans l'expression « Allah Kerim ! ! »7, qui accompagne l'appel au voyage, dans la dérision des « parallèles », et aussi dans la merveilleuse évocation où «des femmes àqueue de salamandre, quelque fantaisie charmante et idéale ondule langoureusement parmi des écrevisses àbarbe rouge », avec «une affreuse réalité, comme un crabe ou un mari qui lui pince le cœur ». Flaubert écrit Madame Bovary,et il est encore d'autres allusions qui font signe vers son œuvre romanesque. La « casquette de loutre » (les sucs pacifiques qui fermentent sous la casquette de loutre ») évoque la description de la casquette de Charles Bovary. « Toute l'âcre bêtise d'un gilet de velours àpalmes » figure dans L'Éducation sentimentale, quand paraît au bal de l'Alhambra un « beau jeune homme » avec « un gilet de velours azur à grandes palmes d'or, l'air orgueilleux comme un paon, bête comme un dindon ». « À quelle espèce d'orgueil appartiennent les bottes àtalons haut » trouve un écho dans une lettre de mars 1854, où Flaubert signifie son mépris du siècle :
Et il est triste de faire de la littérature au XIX" siècle! On n'a ni base, ni écho. –- On se trouve plus seul qu'un Bédouin dans le désert. Car le Bédouin, au moins, connaît les sources cachées sous le sable. Il a l'immensité autour de lui et les aigles volant au-dessus. Mais nous! nous sommes comme un homme qui tomberait dans le charnier de Montfaucon, sans bottes fortes! on est dévoré par les rats. C'est pour cela qu'il faut avoir des bottes fortes! et à talon haut, à clous pointus et à semelle de fer, pour pouvoir, rien qu'en marchant, écraser. (A Louise Colet, [19 mars 1854], II, 538-539).
Quant à« ce qu'il faut attendre des voiles verts, et des gants noirs », l'allusion renvoie àune érotique personnelle, peut-être un souvenir archaïque, qui fait retour àplusieurs reprises. Une lettre de septembre 1853 rappelle le souvenir d'un voyage, à seize ans, avec Alfred Le Poittevin, en bateau à vapeur, de Rouen aux Andelys :
Je vois, encore, un voile vert que le vent arracha d'un chapeau de paille et qui vint s'embarrasser dans mes jambes. Un monsieur en pantalon blanc le ramassa… (II, 424).
Le chapitre VI, daté « mardi 30octobre 1849 », du manuscrit de « La Cange », rédigé en février 1850, et publié par P.-M. de Biasi dans Flaubert, Le Voyage en Égypte, Grasset, 1991, pp. 143–144, évoque une autre apparition, troublante, sur un autre bateau :
Parmi les passagers du bateau de la Saône nous avons regardé avec attention une jeune et svelte créature qui portait sur sa capote de paille d'Italie un long voile vert. Sous son caraco de soie elle avait une petite redingote d'homme à collet de velours avec des poches sur les côtés dans lesquelles elle mettait ses mains. Boutonnée sur la poitrine par deux rangs de boutons, cela lui serrait au corps, en lui dessinant les hanches et de là s'en allaient ensuite les plis nombreux de sa robe qui remuaient contre ses genoux quand soufflait le vent. Elle était gantée de gants noirs8 très justes et se tenait la plupart du temps appuyée sur le bastingage à regarder les rives.
De la mode et du rêve.
CAUSERIE SUR LA LIBRAIRIE NOUVELLE
Voici le moment, ce me semble, d'aller s'accouder sur une des tables vertes du café de Paris, et là, cigare aux dents et rêveries en tête, à côté d'un sorbet au marasquin, de regarder les gens qui passent tout en faisant des paradoxes ? — Et puis quand la cohue vous ennuiera, donnez-moi le bras, traversons le boulevard, et allons ensemble, s'il vous plaît, flâner sous les vitres de la librairie nouvelle9 pour voir un peu ce qui s'écrit dans le monde et examiner le visage de toutes ces idées à la mode, avec la superbe désinvolture de celles qui ne périssent pas. Il ya foule comme sur le trottoir! elle, aussi nombreuse, aussi variée! ce sont des âmes aussi qui défilent (un livre est une individualité, un être) se manifestant par d'autres formes, habillées d'autres costumes.
En voilà qui sont timides et frais sous leur couverture de satin10, comme une jeune fille dans sa robe blanche le jour de son mariage. Voici des contes bleus, des poésies roses! Il y a des histoires à titres graves bordés d'un galon rouge comme un officier de spahis qui retrousse sa moustache. Voilà des romans jaunes de peau comme des Havanaises, et qui vous lancent à travers les vitres de silencieuses œillades toutes pleines de promesses; d'autres portent sur la poitrine des épigraphes comme des décorations étrangères; ceux-là font miroiter à la première page la splendeur simple de quelque grand nom comme des armes parlantes sur la portière d'une calèche et les utopistes, les économistes, les politiques, avec leurs petits formats ressemblant à des vestes de travail, se suivent à pas pressés, ménageant les métaphores et le papier et courant tous après la preuve. J'aperçois dans la multitude M. Émile de Girardin qui nous offre sa Politique universelleet les Décrets de l’avenir11, madame Stowe12, — honneur aux dames ! — madame Stowe qui pleure son Oncle Tom, madame Louise Colet13 qui soupire Ce qu'il y a dans le cœur des femmes, M. Alexandre Dumas fils avec sa Dame aux perles14, toujours les dames! toujours les femmes ! — M. Desnoiresterres15 qui nous raconte Un amour en diligence, — pauvres diligences, vous êtes parties, mais l'amour reste, Allah Kerim!! — et que sais-je encore ? d'autres, d'autres; des voyageurs comme MM. Yvan et Callery, qui vous apportent des nouvelles de l'insurrection de la Chine16, des poëtes comme M. Théophile Gautier laissant tomber tout un théâtre de leur poche17, des moralistes en belle humeur comme M. Hector Roqueplan18, des savants le nez en l'air pour observer les étoiles, comme M. Charles-Emmanuel19, des médecins les bras écartés pour faire tourner des tables, comme le docteur Roubaud20, et jusqu'à des prisonnières la plume en main pour écrire leurs mémoires, comme cette infortunée Marie Capelle21, comme Lafarge, victime de la chimie, de la cour d'assises et de la réaction classique.
C'est une lamentable histoire, un beau livre, et où s'étale dans toute la complexité de sa nature cet esprit corrompu, ce cœur mystique, cette âme sainte peut-être? Pour inventer quelque chose d'aussi vrai, il n'eût fallu rien moins que le génie d'un Balzac.
Vous rappelez-vous le temps peu éloigné encore où beaucoup de lecteurs sérieux,de ces braves gens qui possèdent un Montesquieu dans leur bibliothèque22, et qui dévorent en tapinois toute la collection de Paul de Kock, confondaient ce grand homme dans la tourbe des écrivains secondaires? C'était un romancier d'assez mauvais style, de mauvais ton, un simple fournisseur de cabinets de lecture. — Et maintenant que le voilà mort, il entre dans la famille des immortels. La postérité l'assoit tout juste à côté de Lesage, et elle le proclame le plus grand docteur ès sciences de l'âmeque la France ait eu.
Il n'était pas seulement passé maître en physiologie morale, très-fort en médecine et en procédure civile, versé dans les affaires de police et d'administration, il se connaissait encore mieux que qui que ce soit en curiosités, en ameublements, en ajustements; et il eût pu faire à la Sorbonne, dans des cours de soixante-douze leçons par année, à six heures la séance, des commentaires psychologiques et esthétiques sur l'art du tapissier et du tailleur. Il savait en se promenant dans une rue, comme un botaniste qui herborise dans un bois, discerner sous des écorces pareilles des différences de famille et de constitution. Il connaissait les sucs pacifiques qui fermentent sous la casquette de loutre, toute l'âcre bêtise d'un gilet de velours à palmes, le vernis de certaines cravates empesées, à quelle espèce d'orgueil appartiennent les bottes à talon haut, ce qu'il faut attendre des voiles verts, et la vertu des gants noirs.
Cette science, qui n'est écrite nulle part, Balzac l'a résumée en de petits livres, qui sont comme les coulissesde ses grandes œuvres, et dont le Traité de la vie élégante23commence la série. Un traité de la vie élégante n'est-ce pas un livre fort opportun par ce temps de bon marché qui court, dans ce joli siècle tout encombré d'omnibus, de parapluies-cannes, d'argenterie Ruolz, de daguerréotypes et de caoutchouc ?24
La librairie nouvellenous promet (et de la même plume) le Code des honnêtes gens.Titre ambigu! Est-ce le code qui convient aux honnêtes gens ou bien le code pour devenir d'honnêtes gens? Et alors ne pensez-vous qu'il y aura le premier jour de la vente furieuse presse à……? Mais ceci « tombe dans la haute comédie », comme disait feu Bilboquet, dont je vois là tout à côté les Mémoires pour faire suite à ceux de César et du docteur Véron25.
Par ce caractère de savant artiste ou plutôt d'artiste savant, Balzac se rapprochait des maîtres du seizième siècle. Il avait comme eux (et entre autres comme ce Bernard de Palissy, dont M. Alfred Dumesnil26 nous raconte avec tant d'émotion la pathétique histoire) cette indomptable persistance qui amène au jour les chefs-d'œuvre. Lui aussi, il a curieusement choisi ses terres, il a durement pétri sa pâte, il a même bien des fois brûlé sa table et le plancher de sa chambre pour alimenter la grande flamme de l'art, et puis, quand il a eu trouvé son secret, son émail, il vous a servi l'humanité dans des plats de sa façon, splendides, coloriés, contournés et où des femmes à queue de salamandre, quelque fantaisie charmante et idéale ondule langoureusement parmi des écrevisses à barbe rouge, avec des bouquets de légumes tout autour d'elle, et une affreuse réalité, comme un crabe ou un mari, qui lui pince le cœur.
Si Balzac a introduit la science dans le roman, on peut dire que M. Michelet a introduit la psychologie dans l'histoire. Une merveilleuse faculté de vibration lui a fait sentir ce que nul autre auparavant n'avait eu même le talent d'apercevoir, et jamais sa forme mouvementée, véhémente, lyrique, toute pleine de hasards naturels et de délicatesses imprévues n'a été plus profondément plaisante que dans son nouveau livre Pologne et Russie, où la vie de Kosciusko27, le dictateur polonais, est racontée de ce style que vous savez, le style de l'histoire romaine et du volume de Louis XI.
Et à ce propos, à propos de Russes et de Turcs, n'allez pas croire que le Coran de Sterne28 soit le même que le Coran de Mahomet, Sterne vivait dans le deuxième siècle après Rabelais, Mahomet dans le treizième avant le père Enfantin, l'un à York ou à Coxwold en Angleterre, l'autre à la Mecque ou à Médine en Arabie, etc., continuez le parallèle ; — et puis, comme il y a dans le Coran de Sterne un très-éloquent chapitre sur les culottes, et que les Turcs du temps de Mahomet (il était même peu question des Turcs du temps de Mahomet), et que les Turcs, dis-je, en ce temps-là portaient peu ou point de culottes, il me paraît impossible que Sterne ait parlé des Turcs ni que Mahomet ait écrit quelque chose sur les culottes. D'où je conclus qu'il faut lire la traduction de M. Hédouin pour se convaincre que le Coran de la Grande-Bretagne est infiniment plus amusant et tout aussi instructif que le Coran de l'Arabie.
Mais ni l'un ni l'autre, ni le prophète ni le romancier, ni l'illuminé ni l'humoriste n'avaient prévu davantage, quelle que fût l'étendue de leurs révélations ou de leurs rêves, les immensités où la science moderne entraîne la littérature. Les poètes maintenant arrivent sur les découvertes de l'analyse, et ils colorent, déduisent, complètent. Ainsi dans la Revue de Paris (n° du 15 avril) il y a un poème intitulé les Fossiles qui vous narre en sept cents vers l'histoire du monde depuis avant le commencement du monde jusques après la fin du monde. Vous verrez là des chauves-souris grandes comme des tables, des poissons grands comme des églises, des fourmis effrayantes comme des alligators, des feuilles qui abritent une montagne, des fleurs qui contiennent des lacs. — Et même M. Bouilhet nous promet et nous exhibe un nouvel être, l'homme futur; c'est-à-dire l'heureux animal qui nous succédera sur cette planète, après le décès du dernier croque-mort de la dernière bourgade de la dernière sous-préfecture du dernier empire. — Ah! béni soit-il, l'homme futur, et qu'il arrive, car pour moi j'ai assez de l'homme présent, et vous ?
ARTHUR29
1 Le titre complet est: Les Modes Parisiennes illustrées. Journal de la bonne compagnie. Fashions, toilettes, ameublements, théâtres, livres nouveaux, romans, poésies, causeries.
2 Les références à la Correspondance de Flaubert renvoient à l'édition de Jean Bruneau dans la Pléiade, tomes I-Ill.
3 L'édition des Œuvresde Flaubert au Club de l'Honnête Homme, tome 14, donne ce commentaire: « Il s'agit des prospectus de librairie auxquels Flaubert fait allusion dans une des lettres précédentes [ ... ]. Louise Colet inséra un de ces prospectus dans un des fascicules de mai 1854 des Modes parisiennes sous le titre de Causerie sur la Librairie nouvelle. Flaubert y collabora probablement, car ce prospectus se termine par un paragraphe consacré aux Fossiles de Louis Bouilhet. » (Tome 14, p. 471), mais il ne semble pas que les éditeurs soient allés plus loin dans l'identification de l'article.
4 Journaliste, collaborateur aux Modes parisiennes, et chroniqueur au Pays.
« Voilà un gaillard qui a six mille francs d'appointements par an pour parler au bout de la semaine de tout ce qu'on a lu dans le courant de la semaine. De temps en temps je m'en repasse la fantaisie. Je lui ai découvert ce matin, en parlant de la Suisse, des phrases textuelles; à peu de choses près, de mon monsieur et de ma dame parlant de la Suisse (dans Bovary). 0 bêtise humaine, te connais-je donc? »(Lettre à Louise Colet, du [20 juin 1853], II, 358).
5 Par exemple, dans la troisième partie: « Et les lourds papillons d'azur et de carmin,
Au bord des grandes fleurs se posant en chemin, Répandent avec bruit sur la mousse sauvage
Les calices profonds où tient l'eau d'un orage. »
6 Article paru dans Le Pays en 1853, repris dans Romanciers d'hier et d'avant-hier, Lemerre, 1904
7 Flaubert écrit à sa mère, de Jérusalem, le 25 août 1850: « La vertu des femmes est composée de résistances diverses parmi lesquelles il faut compter l'espritau premier rang. Or dans le cas ci-dessus l'obstacle donc sera médiocre. Enfin, qui sait. Dieu est grand, Allah Kerim, Allah Akbar (= Dieu est miséricordieux, Dieu est grand). Qui vivra verra. »(I, 670).
8 P.-M. de Biasi rapproche ce texte d'un fragment du Carnet 2 (f°28) intitulé « Théorie du gant)) : « Théorie du gant. C'est qu'il idéalise la main, en la privant de sa couleur, comme fait la poudre de riz pour le visage; il la rend inexpressive (voir le vilain effet des gants sur la scène), mais typique: la forme seule est conservée et plus accusée. Cette couleur factice, grise, blanche ou jaune s'harmonise avec [ ... ] la manche du vêtement [ ... ] et rapproche ainsi [ ... ] ce membre couvert, d'un membre de statue. [ ... ] Rien n'est plus troublant qu'une main gantée»(Flaubert, Carnets de travail, Balland, 1988, p. 234). Ce fragment, qui n'est pas daté (il est postérieur à 1859), rejoint la pensée esthétique de Baudelaire dans « l'Éloge du maquillage » : « qui ne voit que l'usage de la poudre de riz [ ... ] a pour but et pour résultat [ ... ] de créer une unité abstraite dans le grain et la couleur de la peau, laquelle unité, comme celle produite par le maillot, rapproche immédiatement l'être humain de la statue, c'est-à-dire d'un être humain et supérieur? », Baudelaire, Curiosités esthétiques, éd. Garnier, 1962, p. 493.
9 Jaccottet et Boudilliat avaient fondé en 1851 la « Librairie nouvelle », au 15 boulevard des Italiens, à proximité de la Maison Dorée, du glacier Tortoni, en face du Café de Paris. Après avoir commencé par le seul commerce des livres et des brochures, ils étaient passés avec succès à l'édition. La Librairie nouvelle sera rachetée en 1861par Michel Lévy. Voir Jean-Yves Mollier, Michel et Calmann Lévy ou la naissance de l'édition française, 1836-1891, Calmann-Lévy, 1984.
10 Emma Bovary manie les « belles reliures de satin » des keepsakes.
11 Émile de Girardin, LaPolitique universelle, décrets de l'avenir, 2eéd., Librairie nouvelle, septembre 1854.
12 Mrs Harriett Elizabeth Beecher Stowe, LaCase de l'Oncle Tom, trad. de Léon Pilatte, avec une préface de l'auteur, Librairie nouvelle, 1853. L'ouvrage de Mrs Beecher Stowe avait été un succès de librairie considérable: on ne compte pas moins de neuf traductions en 1853, dont celle de Louis Énault, à la « Bibliothèque des chemins de fer» chez Hachette, des traductions adaptées pour les enfants, et des adaptations dramatiques. C'est pour Flaubert l'image de la réussite commerciale et de l'ennui didactique. L'« Oncle Tom » est une des « scies» de Flaubert, classé avec « Me Lafarge » dans les « enthousiasmespopulaires » sur un feuillet du « Catalogue des idées chic» (Bouvard et Pécuchet, éd. Cl. Gothot-Mersch, « Folio », 1979, p. 557),et parmi les Choses qui m'ont embêté, alias =Scies » avec « Les feuilletons d'Eug. Guinot et du Vte de Launay» (Bouvard et Pécuchet, Rouen, ms g 226 l, f° 277, cité et reproduit par J. Neefs, dans « Les dossiers de Bouvard et Pécuchet », Penser, classer, écrire. De Pascal à Perec, PUV, 1990, pp. 87 et 88).
13 Ce qui est dans le cœur des femmes, poésies nouvelles par Mme Louise Colet. Suivies du poème sur la colonie de Mettray, Librairie nouvelle, 1852.
14 Alexandre Dumas fils, La Dame aux perles, Librairie nouvelle, 1853 (4 vol. in_8°) et 1854 (441 pp. in-12).
15 Gustave Desnoireterres, Un amour en diligence, Librairie nouvelle, 1853.
16 Yvan (Dr Melchior-Honoré) et Callery, L'Insurrection en Chine, depuis son origine jusqu'à la prise de Nankin, Librairie nouvelle, 1853. Voici le début de l'annonce des éditeurs dans le « Feuilleton» du Journal de la Librairie, du 2 juillet 1853: « En ce moment, on peut le dire sans exagération, les yeux du monde entier sont fixés sur la Chine; l'impénétrable Empire va nécessairement être ouvert à l'Europe, quel que soit le résultat de la crise sociale qui le traverse. L'histoire de cette insurrection, sans exemple, ne pouvait être faite que par des hommes spéciaux, connaissant le pays, la langue et la situation politique intérieure [ ... ]. » Flaubert écrit à L. Colet àpropos des annonces dans lecatalogue de la Librairie nouvelle: « As-tu admiré dans le catalogue de la Librairie nouvelle,les réclames qui suivent les titres des ouvrages? C'est énorme! ! Est-ce Jaccottet qui a rédigé ces belles choses? La Revue de Parisa une fière page. Quelle phalange! ! Quels lurons! Tout cela est àvomir. » (A Louise Colet, [2 mars 1854], Il, 528).
17 Le Théâtre de pochede Théophile Gautier ne paraît qu'en 1855 à la Librairie nouvelle. Ilest annoncé dans la Bibliographie de la Francedu 17 février 1855 et ilest signalé en dernière page du catalogue de la Librairie nouvelle que Flaubert pouvait avoir sous les yeux (le premier des deux que possède la Bibliothèque nationale pour 1854, cote Q10b: il présente le Code des gens honnêtescomme un ouvrage àparaître).
18 Nestor (et non Hector) Rogueplan, Regain. La Vie parisienne, 2e éd., Librairie nouvelle, 1854.
19 Astronomie nouvelle, ou Erreurs des astronomes, ouvrage adressé à l'Académie des Sciences de Paris par Charles Emmanuel, 2e éd., Librairie nouvelle, 1853.
20 . La Dame des tables— phénomènes physiologiques démontrés par le Dr Félix Roubaud, Librairie nouvelle, 1853.
21 Ce ne sont pas les Mémoires de Marie Cappelle Vve Lafarge écrits par elle-même(A. René, 1841-1842) qu'édite la Librairie nouvelle mais les Heures de prison, Librairie nouvelle, 1854. L'affaire Lafarge, assez romanesque, avait passionné l'opinion dans les années 1840, et elle a parfois été présentée, sans grande crédibilité, comme une des « sources » de Madame Bovary :Marie Lafarge avait été condamnée, sur des preuves incertaines, pour avoir empoisonné sonmari. « Me Lafarge» figure en tout cas dans la liste des « enthousiasmes populaires» de Flaubert. Celui-ci écrit à sa sœur Caroline en juin 1843 à propos de gens qu'il traite d'« épiciers stupides »: « Après Mme Lafarge et la mort du duc d'Orléans, je ne connais rien de plus embêtant» (l, 174). « Victime de la chimie, de la Cour d'assises et de la réaction classique» est un zeugme sémantique digne d'Homais ou du conseiller Lieuvain.
22 « Le bourgeois (c'est-à-dire l'humanité entière maintenant, y compris le peuple) se conduit envers les classiques comme envers la religion: il sait qu'ils sont, serait fâché qu'ils ne fussent pas, comprendqu'ils ont une certaine utilité très éloignée, mais il n'en use nullement et ça l'embête beaucoup, voilà. » (À Louise Colet, [22 novembre 1852], Il, 179).
23 Honoré de Balzac, Traité de la vie élégante, Librairie nouvelle, 1853 et 1854. Le Traité devait faire partie avec la Théorie de /a démarche, le Traité des excitants modernes et d'autres études analytiques d'une Pathologie de /a vie sociale. (Voir à ce sujet l'introduction d'A.-M. Meininger, Pléiade, tome XII, 1981, p. 185 et suiv.). Le Code des gens honnêtes, Librairie nouvelle, 1854, avait été publié antérieurement chez J.N. Barba sous le titre: Code des gens honnêtes, ou l'Art de ne pas être dupe des fripons.
24 Homais triomphant, à la fin du roman, se préoccupe «des grandes questions: problème social, moralisation des classes pauvres, pisciculture, caoutchouc, chemins de fer, etc. », et s'achète « deux statuettes chic Pompadour, pour décorer son salon" (Madame Bovary, éd. Garnier, 1971, p. 351).
25 . Mémoires de Bilboquet, recueillis par un bourgeois de Paris, Librairie nouvelle, tome 1, 1853, tomes 2 et 3, 1854, sont une parodie des Mémoires du Dr Véron. C'est une « satire dirigée surtout contre les agioteurs et les banquistes» du Second Empire, dit le Larousse du XIXe siècle. Bilboquet est un personnage des Saltimbanques, parade de Du Mersan et Varin, jouée en 1831 : directeur d'une troupe foraine, personnage haut en couleurs, débrouillard et cynique.
Le Dr Louis-Désiré Véron, auteur à grand succès des Mémoires d'un bourgeois de Paris, comprenant la fin de l'Empire, la Restauration, la Monarchie de juillet et la République jusqu'au rétablissement de l'Empire. Paris, G. de Gonet, 1853-1855. — Librairie nouvelle, 1856. « Successivement médecin, exploiteur de la pâte Regnault, journaliste, directeur de l'Opéra, administrateur, puis propriétaire du Constitutionnel, député, romancier et Mécène littéraire, le docteur Véron, admirateur de Louis-Philippe, et non moins grand admirateur de l'auteur du coup d'État du 2 décembre, devenu possesseur d'une grande fortune, agréablement gagnée, restera comme un des types de la bourgeoisie de 1830, de ce grand parti des « ventrus », des conservateurs satisfaits et égoïstes, qui ont exercé une influence si démoralisante sur notre époque ». (Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, de P. Larousse).
26 Alfred Dumesnil, Légendes françaises. Bernard Palissy, le potier de terre, Librairie nouvelle, 1851.
27 Jules Michelet, Pologne et Russie. Légende de Kosciuszko, Librairie nouvelle, 1852 (Extrait des Légendes démocratiques du nord). L' Histoire romaine est de 1833, Louis Xl et Charles Le Téméraire, de 1844. Voir à ce sujet la lettre de Flaubert à Michelet du 26 janvier 1861 (III, 141).
28 Sterne inédit, LeKoran, Œuvres posthumes complètes, trad. par Alfred Hédouin, Librairie nouvelle, 1853.
29 Le Larousse du XIXe siècle propose, parmi les « Arthur », celui-ci:
« nom mis à la mode par les romanciers, qui en ont singulièrement abusé pour désigner ces héros de salon, aux longs cheveux, aux regards langoureux, au teint affadi, aux paroles mielleuses desquels aucune vertu ne peut résister. C'est aujourd'hui un nom devenu presque ridicule.
— S'empl. comme un nom commun pour désigner un homme àbonnes fortunes, et particul. l'amant d'une lorette ».