Éditer des manuscrits, et spécialement les manuscrits de travail des écrivains, souvent très composites et laissés à des degrés d’avancement très variables, pose de nombreux problèmes qui ne se rencontrent pas dans l'édition des textes, qu'il s'agisse de publications courantes ou d'éditions savantes assorties d'apparats critiques développés. Ces difficultés expliquent pourquoi les éditions de documents autographes peuvent parfois prendre un aspect ésotérique, sans d’ailleurs que cet hermétisme soit une fatalité, beaucoup d’éditions de manuscrits n’étant pas plus « difficiles à lire » qu’une édition critique. Pourtant, même lorsqu’elle ressemble de très près à une édition textuelle, l’édition d’un manuscrit appartient à un autre univers éditorial. Elle ne donne pas à lire une œuvre, mais ce qui se trouve à son amont : un certain état, inachevé et encore virtuel, de l’écriture. Elle n’établit pas un texte, mais cherche à rendre intelligible une étape de sa genèse ou le processus qui lui a donné naissance. Bref, de l’une à l’autre, ce n’est ni tout à fait le même objectif, ni vraiment le même objet. C'est pour signaler cette spécificité que, depuis une quinzaine d’années, la critique génétique utilise la notion d'édition génétique. Mais si l’expression, maintenant admise, définit bien un domaine éditorial et une certaine communauté d’esprit, elle recouvre aussi des réalités dissemblables. Vu de l’extérieur, le paysage de l’édition génétique frappe par sa diversité : variété des corpus, inégalité dans la dimension des dossiers publiés, dissemblance des méthodes de transcription, contraste des présentations, divergence apparente des projets. Il suffit, pour s’en faire une idée, de se reporter aux principaux manuscrits de Flaubert publiés, au cours de ces quinze dernières années. À ne considérer ces publications que sous le rapport de leur présentation, on trouve des éditions critiques, d’aspect quasi textuel, pour des manuscrits aboutis comme Par les Champs et par les Grèves1 et le Voyage en Égypte2, de massives éditions diplomatiques, linéarisées et hypercodées pour les brouillons d’Un Cœur simple ou d’Hérodias3, une édition semi‑diplomatique du premier chapitre d’Hérodias4, une méticuleuse édition « à l’identique » des « comices agricoles »5, une élégante édition diplomatique avec fac-similés des « Plans et scénarios de Madame Bovary »6, et une épaisse édition semi‑diplomatique, faiblement codée et fortement annotée, celle des Carnets de travail7 ? Chacune de ces éditions, semble s’être réalisée comme un projet autonome produisant sa propre méthode, sur mesure, selon les exigences particulières du dossier étudié, et apparemment sans souci d’harmonisation. Cette disparité des éditions génétiques, qui n’est pas passée inaperçue, a quelquefois été interprétée comme le signe d’une incapacité de la critique génétique à se doter d’une doctrine éditoriale unifiée. La mise en garde est venue (c’était tout naturel) des détracteurs de la critique génétique, mais certaines désapprobations ont parfois aussi été formulées par des spécialistes de l’avant‑texte. Cette hétérogénéité appartient‑elle à la structure même de ce champ éditorial qui se trouverait par la nature même de son objet (le manuscrit toujours unique) placé sous l’empire des singularités ? Serait‑elle l’effet du travail éditorial lui‑même, d’une impuissance des éditeurs à harmoniser leurs méthodes ? Ou bien encore, cette image d’éclatement ne serait‑elle pas une illusion : le résultat d’une fausse appréciation, d’une myopie ou d’un mauvais angle de vue, bref, d’une incapacité à distinguer, par delà les différences de méthodes et d’objets, les grandes lignes qui ordonnent le territoire des éditions génétiques en domaines bien définis ? Les éditions de manuscrits se multiplient, leur diversité paraît de plus en plus difficile à interpréter. La réflexion typologique n’a peut‑être jamais été aussi urgente qu’aujourd’hui. Où en sommes‑nous ? Sans être inexistantes, les études de typologie portant spécifiquement sur la question des éditions génétiques ne sont pas nombreuses8. Un rapide tour d’horizon permettra de préciser l’état présent du problème tout en délimitant aussi précisément que possible son espace de définition.

Typologie des éditions génétiques : l’état présent du problème

Au cours de ces dix dernières années, quelques textes de synthèse ont été consacrés à  la question des éditions génétiques, mais sans aboutir à une clarification définitive, en partie parce que ces études ont sans cesse été rattrapées par de nouvelles éditions qui faisaient éclater les cadres typologiques les mieux établis, et en partie parce que la définition même du domaine génétique n’a cessé de se transformer. En dehors du premier essai typologique que j’avais fait paraître en 19859, la plus ancienne étude sur la question est celle de Claudine Gothot‑Mersch, présentée en 1987 et publiée en 198910. Cette synthèse, en grande partie fondée sur la critique de mes propositions de classement, contient beaucoup de réflexions très éclairantes qui restent toujours d’actualité, mais son système typologique proprement dit se trouve aujourd’hui sur l’essentiel invalidé par le concept même d’édition génétique, qui, en partie d’ailleurs sous l’effet de son analyse, a acquis une définition plus précise. Pour mettre de l’ordre dans l’univers polymorphe et disparate des éditions génétiques telles qu’on les concevait vers le milieu des années 1980, C. Gothot‑Mersch proposait une grande bipartition (type A, type B) opposant les éditions de manuscrits proprement dits (type A) et les éditions textuelles intégrant une part plus ou moins développée de documents de genèse (type B). À une époque où l’expression même d’ « édition génétique » commençait tout juste à être admise11, c’était là une clarification indispensable, mais qui ne constituait, on s’en aperçut bien vite, qu’une étape typologique tout à fait préliminaire. En effet, si une telle bipartition permet de définir les grandes limites qui séparent deux champs éditoriaux, elle laisse entier le problème du repérage typologique à l’intérieur de chacun de ces deux champs, et tout particulièrement à l’intérieur du champ A, qui, en réalité correspond justement à ce que nous définirions maintenant comme le champ spécifique des éditions génétiques. Pour résumer la situation telle qu’elle se présente aujourd’hui, il faut reprendre l’hypothèse typologique de C. Gothot‑Mersch, mais pour ne retenir qu’une seule des deux classes d’objets produites par son classement. La critique génétique s’est donné pour objectif d’établir des éditions génétiques et des lectures critiques portant sur l’avant‑texte des œuvres, sans exclure de son corpus les documents préparatoires des œuvres inachevées ou les notes de travail qui ne sont liées à aucune rédaction particulière. En se situant dans cette perspective, deux attitudes sont possibles : soit centrer la publication et l’analyse sur le travail de l’écriture tel qu’il se manifeste dans les manuscrits en donnant à comprendre tout ou partie d’unavant‑texte, soit proposer une nouvelle approche des œuvres qui, tout en restant centrée sur le texte, l’éclaire et l’enrichit par un choix plus ou moins développé de documents génétiques. Ces deux voies sont également légitimes, et la seconde, qui a produit de nombreuses éditions textuelles d’inspiration génétique12 contribue au moins autant que la première à diffuser les résultats de la recherche sur les manuscrits et à renouveler l’interprétation des textes à la lumière de leur genèse. Toutefois, dans ce second cas, le problème n’est plus à proprement parler l’édition des manuscrits et les modes de représentation éditoriale de la genèse, mais l’adaptation et la refonte des apparats critiques en faveur d’une nouvelle approche du texte. Les éditions textuelles d’inspiration génétique constituent un domaine particulier qui s’articule à celui des éditions génétiques, mais qui s’en distingue aussi radicalement. Voilà donc un premier résultat typologique, et substantiel puisqu’il a le grand mérite d’éliminer de notre champ une classe d’objet particulièrement abondante et diversifiée.
Reste les éditions de manuscrits proprement dites. Pour ce champ (type A), C. Gothot‑Mersch formulait des questions, souvent incisives, mais sans proposer un véritable classement typologique. Elle se bornait à évoquer, avec humour, les multiples et constantes contradictions qui semblent caractériser cet espace éditorial : disproportion entre les intentions affirmées par les éditeurs et la réalité des résultats, disparités et relative inadéquation des méthodes qui semblent souvent mal adaptées à leur objet, etc. Parmi toutes ces insuffisances, elle relevait bien sûr, l’extraordinaire diversité des présentation et des modes de transcriptions qui se rencontrent dans les éditions de manuscrits : éditions linéarisées plus ou moins codées, qui peuvent devenir plus difficile à déchiffrer que les documents qu’elles sont censées publier, édition semi‑diplomatiques ou semi‑linéarisées qui simplifient la lecture mais en donnant une image presque textuelle et parfois très réductrice du manuscrit, éditions intégralement diplomatiques, ou « à l’identique » qui vont jusqu’à reproduire les taches d’encre de l’autographe original mais en compliquant à l’extrême le travail du lecteur qui finit par se perdre dans les idiosyncrasies du document. Mais tout en distribuant des appréciations raisonnées sur chacune de ces solutions, C. Gothot‑Mersch se gardait bien de construire une typologie des éditions fondée sur les méthodes de transcription et elle ne se trompait pas.
En réalité, le critère des méthodes de transcription ne constitue pas un outil typologique suffisant pour classer les éditions génétiques, car il n’est lui‑même interprétable qu’à la lumière d’autres concepts : celui de l’objet (quel type de manuscrit ? quel ensemble de documents ? délimité comment ? correspondant à quelle phase de la genèse ?) et celui de la finalité du projet éditorial (donner à lire cet ensemble précis de manuscrits, pour quoi faire ?). La typologie par les méthodes de transcription ne constitue donc pas une voie praticable : au lieu d’aider à distinguer les tendances qui structurent l’édition génétique, ce point de vue contribue largement à produire cette impression de désordre et de disparité dont on parlait en commençant. Face à un univers de spécificités comme celui des éditions génétiques, le mode d’appréhension technique atomise ses objets et ne peut aboutir pour les éditions traditionnelles, qu’à une typologie des insuffisances. À y regarder de près, on compte presque autant de méthodes que d’éditions, chaque éditeur mettant au point, pour chaque entreprise éditoriale, la formule qu’il juge la plus adéquate à son projet13. Chaque formule a ses avantages et ses inconvénients, c’est une affaire de proportion. Toutes les méthodes ne se valent pas, mais chacune ne peut être évaluée que relativement à l’objet auquel elle s’applique, et aucune ne peut revendiquer le statut de modèle généralisable. Autant dire que, considérées sous le rapport de leur stricte technicité, les éditions génétiques d’aujourd’hui sont toujours défaillantes et approximatives. Ces insuffisances deviennent dramatiques si on leur oppose les ressources promises par l’édition électronique, cela va sans dire14.
La classification par les méthodes de transcription n’est guère praticable, et c’est ce qui conduit l’essai typologique le plus récent, celui d’A. Grésillon15 à s’orienter, pour la première partie de son étude, vers un autre principe plus synthétique : celui de la scientificité. A. Grésillon propose tout d’abord, avec raison, de distinguer entre « l’édition fac‑similé » (celle qui ne contient aucune perspective génétique et se contente de publier des reproductions de manuscrits, dans la tradition des publications pour bibliophiles16) et « les éditions génétiques proprement dites ». Mais pour cette seconde catégorie, elle suggère de commencer par isoler un ensemble intitulé « Le type livre à lire » dans laquelle elle range trois éditions qui n’ont en commun que de paraître faciles à lire, pour classer dans une autre catégorie tout le reste des éditions génétiques qui se trouvent regroupées sous la rubrique « Le type outil de recherche ». À quelle nécessité typologique répond la création de cette catégorie « livre à lire » ? À classer quelques cas éditoriaux atypiques qui, faute de précisions, n’entrent commodément dans aucune des deux catégories qui vont composer l’espèce « Outil de recherche ». Avec cette « bonne espèce », celle des éditions génétiques scientifiques, l’analyse rejoint l’espace d’une typologie fonctionnelle déjà balisée. Pour spécifier cette catégorie dite « Le type outil de recherche », A. Grésillon reprend en effet dans ses grandes lignes la distinction que j’avais proposée dans l’Encyclopédia Universalis17 : d’une part, « L’édition d’une phase particulière de la genèse »18, et d’autre part « L’édition d’un parcours génétique intégral »19. Sur cette bipartition typologique, je ne peux sur l’essentiel qu’être d’accord, moyennant toutefois quelques substantielles mises au points qui feront précisément l’objet des pages qui suivent.
L'essor des études génétiques en France s'est rapidement traduit, dès le début des années 1980, par la nécessité d'étayer les recherches théoriques sur la publication de dossiers de genèse aussi étendus et diversifiés que possible. Au départ, il s'agissait surtout de rendre disponible la matière même sur laquelle devait porter la recherche : l'édition comme tâche préliminaire, offrant à l'étude de genèse les moyens de développer des applications pour valider ses hypothèses et construire son appareil notionnel. Mais ce travail éditorial semble avoir joué un rôle beaucoup moins accessoire qu’on ne l’avait d’abord imaginé. Les manuscrits qu’il s’agissait d’éditer allaient en effet fournir du matériau inédit indispensable au développement de la théorie, mais on s’aperçut bien vite que leur édition constituait d’emblée à elle seule une part essentielle de la recherche, non seulement par les difficultés propres au déchiffrage et à la transcription des documents mais surtout par l’exigence d’un classement exhaustif qui suppose, en réalité, que le dossier publié ait été au préalable presque entièrement élucidé. Pour pouvoir, dans une édition, présenter les manuscrits de travail dans un ordre significatif qui soit conforme à leur apparition, il faut avoir étudié de très près l’ensemble des sources d’information externes (correspondances, témoignages, etc.) qui aident à dater les documents et à situer l’écriture dans ses différents contextes (biographique, social, littéraire, etc.), avoir analysé le contenu de chaque manuscrit et reconstitué pas à pas l’évolution du travail de l’écrivain, forgé les notions qui permettent d’identifier l’appartenance précise de chaque pièce à l’une des phases qui se succèdent dans la genèse de l’avant‑texte : bref, il faut avoir, de part en part, interprété le dossier en terme de processus d’écriture. Et ces conditions étant réunies, il reste encore à l’éditeur différentes tâches de grande envergure parmi lesquelles : établir et rendre accessibles, par exemple sous forme de notes ou d’annexes, un inventaire circonstancié des sources et des données intertextuelles identifiées dans les manuscrits, enregistrer les éléments de comparaison les plus significatifs entre les différents états de cetavant‑texte et le reste de l’œuvre (les œuvres précédemment publiées, les manuscrits de travail antérieurs, le texte proprement dit lorsqu’il existe, les projets, rédactions et œuvres ultérieurs qui peuvent avoir été nourris par cette genèse), sans parler des notices d’information historiques et encyclopédiques qu’une édition doit offrir à son lecteur pour rendre simplement interprétables des références devenues obscures et peu accessibles. Il faut en outre préciser que toutes ces investigations ont le plus souvent pour objet des dossiers comptant des centaines ou des milliers de pages, car en matière de manuscrits de travail, la dimension des corpus est ordinairement beaucoup plus importante que dans le domaine de l’édition textuelle. Chez un écrivain comme Flaubert, ces écarts de proportion sont environ de 5 pour 1 si l’on reste dans les limites des manuscrits de rédaction, et peuvent même atteindre le coefficient de 10 pour 1 si l’on y ajoute les dossiers de documentation et de recherche. Pour peu que l’édition porte donc sur un dossier complexe et développé, l’ensemble de ces tâches constitue un véritable programme de recherche, qui peut demander des années de travail pour être mené à bien. Mais les résultats de cette investigation pourront aussi dépasser largement ce qu’il est convenu d’attendre d’une édition. À l’issue de ces années de recherches, on ne disposera pas seulement de documents jusque là inédits mais d’un véritable dispositif pour les comprendre comme les moments successifs d’un processus, pour interpréter leur apparition et leurs métamorphoses, et pour reconstituer à travers eux l’itinéraire créatif qui, le cas échéant, conduit au texte de l’œuvre. L’édition génétique n’est donc pas isolable de la recherche sur les manuscrits ni des études de genèse : c'est dans la démarche éditoriale elle-même que se sont définies et que continuent à se créer la plupart des notions qui forment la théorie de l'approche génétique.

Les deux orientations de l’édition génétique

La critique génétique a donné sa légitimité au projet d’éditer et d’interpréter les manuscrits littéraires dans le but d'élucider, de l’intérieur, le travail de l’écrivain, le processus de l’écriture et la genèse des œuvres, sans accorder un statut privilégié au texte final dans lequel on pourra, lorsqu’il existe, ne voir qu’un dérivé ultime des précédentes métamorphoses ou une entité extérieure à la sphère de l’avant‑texte. Dans le domaine éditorial, ce projet scientifique semble pouvoir donner lieu à deux grandes orientations : d’une part, les éditions qui s’intéressent à une phase précise de la genèse, et qui se donnent donc pour objectif la publication des documents se rapportant à ce moment déterminé, sans chercher à interpréter la totalité de l’itinéraire génétique; d’autre part, les éditions qui cherchent à présenter, dans l’ordre chronologique de leur formation, tous les manuscrits se rapportant à un même entreprise littéraire, pour reconstituer un trajet génétique allant, par exemple, des toutes premières formulations du projet jusqu’au texte définitif de l’œuvre publiée. D’un côté, une édition qui se donne pour objet une liasse particulière de documents et un moment défini de la genèse ; de l’autre, une édition qui se propose de traverser toute l’épaisseur d’un dossier de genèse en donnant à lire la série séquentielle de ses transformations. Cette opposition peut assez aisément être symbolisée par deux axes : dans le premier cas on parlera d’édition horizontale, et dans le second, d’édition verticale. Mais, pour être tout à fait représentatifs, ces deux axes ne peuvent être réduits à de pures figures linéaires. Les mécanismes génétiques restent inséparables de leur inscription temporelle dans une durée complexe et de leur déploiement dans le volume qu’occupent concrètement les documents. L’édition horizontale a pour objet une strate génétique qui correspond bien à une coupe transversale dans l’épaisseur d’un dossier, mais cette couche d’écriture n’est pas réductible à un plan : elle a elle‑même une épaisseur à la fois temporelle et spatiale. Quant à l’édition verticale, elle se donne précisément pour objet la succession significative de ces différentes strates qu’il s’agit de présenter dans l’ordre où les phases de la genèse les ont fait se suivre et se recouvrir, de la couche d’écriture la plus ancienne à la couche la plus récente. Bref, un dossier de genèse se présente concrètement comme une pile de dossiers contenant différentes liasses de manuscrits rangés dans un certain ordre : cette image peut servir à construire la structure abstraite d’un modèle.

Strates et piles

Strates d’écriture et empilements

L’option horizontale et l’option verticale, à la fois complémentaires et opposées, supposent l’une et l’autre que les documents qu’il s’agit d’éditer aient préalablement fait l’objet d’un inventaire complet et d’un classement approfondi20. Pour que ce classement local puisse être établi, il faut d’abord que le corpus des manuscrits de l’écrivain étudié ait été répertorié aussi complètement que possible et ordonné en une série d’entités chronologiques et génétiques, intitulées dossiers de genèse. Ces dossiers de genèse pourront concerner, selon les cas, des notes de travail ou ébauches d’écriture n’ayant conduit directement à aucune rédaction proprement dite, les documents préparatoires d’une œuvre inachevée, les manuscrits de travail d’une œuvre aboutie mais restée inédite, ou enfin les documents de genèse des œuvres publiées. Ensuite, à l’intérieur de chacun de ces dossiers, il faudra encore avoir reconstitué les sous‑ensembles grâce auxquels les documents seront rassemblés selon leur date d’apparition, leur fonction opératoire (scénarique, documentaire, scripturale, etc.) et leur appartenance à une phase déterminée de la genèse (pré-rédactionnelle, rédactionnelle, pré-éditoriale, etc.), chacun de ces sous‑dossiers ayant son propre volume. Une fois ces classements acquis, chaque liasse de manuscrit ayant trouvé sa place, à quoi ressemble le paysage chronologique des manuscrits d’un écrivain ? À une enfilade d’empilements plus ou moins élevés, disposés de loin en loin le long du segment chronologique qui figure la carrière productive de l’écrivain.
Considéré individuellement, chaque dossier de genèse peut se représenter concrètement sous la forme d’une pile de manuscrits constituée de plusieurs sous-dossiers rangés verticalement les uns sous les autres selon l’ordre chrono‑typologique de leur apparition avec, en haut de la pile, les documents les plus anciens, en bas de la pile, les plus récents, et entre les deux, l’étagement d’un nombre variable de sous-dossiers ou fichiers intermédiaires plus ou moins volumineux. Sous cette forme, le dossier de genèse fait apparaître clairement sa structure feuilletée : c’est un empilement de liasses qui se superposent comme des strates successives d’écriture à la fois distinctes et orientées verticalement. En considérant l’empilement de profil, on pourra par exemple y repérer la présence d’une dizaine de strates : carnet d’idée et de projet, plans et scénarios, notes documentaires préparatoires, scénario développé, ébauches et brouillons, notes d’enquête documentaire rédactionnelle, mises au net, manuscrit définitif, épreuves corrigées. Ainsi conçu, le modèle de la pile permet d’unifier le dossier de genèse dans sa forme terminale, et de le représenter tel qu’il apparaît à l’issue de la genèse, c’est‑à‑dire comme un ensemble composite mais stable et téléologiquement orienté, où chaque liasse enregistre, à la place qui lui revient, une étape accomplie du travail de création. Ainsi conçue la pile offre l’image du dossier classé, aux deux sens du terme, c’est‑à‑dire du dossier remis en ordre et forclos : celui que l’écrivain méticuleux pourrait avoir rangé définitivement dans une malle une fois l’œuvre achevée et publiée, ou celui que le généticien peut avoir reconstitué bien après la mort de l’écrivain en rassemblant ses archives.

La pile comme jeu de déconstruction

Or, bien entendu, au moment de leur formation et de leur utilisation par l’écrivain, ces différentes liasses de manuscrits se sont rarement présentées sous la forme d’un empilement bien ordonné. Non seulement chaque liasse s’est écrite page à page, mais surtout, à de nombreuses reprises au cours de la genèse, et dans certains cas de manière permanente, plusieurs liasses déjà constituées ont été redéployées à plat, dans l’espace bi‑dimensionnel du bureau, afin d’être être relues et utilisées pour l’écriture d’une nouvelle strate. À chacune de ces occasions, ces couches d’écriture antérieures ont pu faire l’objet de divers remaniements. On doit donc admettre que, dans le temps réel de la genèse, plusieurs strates écrites successivement peuvent être à tout moment extraites de la pile pour interagir simultanément ou parallèlement sur la formation d’une couche d’écriture ultérieure, dans une redistribution des liasses où elles risquent, à leur tour, de se trouver modifiées par les effets en retour de cette nouvelle couche d’écriture. Ainsi, par exemple, si l’écrivain avait primitivement constitué un plan général de son projet de rédaction et s’était doté ensuite de notes documentaires pour nourrir cette rédaction, il va de soi que la strate des « brouillons » s’est certainement formée en prélevant dans ces deux liasses antérieures les éléments de forme et de contenus utiles à la textualisation du projet ; et, au cours du travail, il n’est pas douteux que la rédaction ait pu conduire l’écrivain à modifier certains éléments de son plan initial, la strate des brouillons agissant donc sur la strate antérieure du plan primitif pour le transformer. D’autre part, les besoins de la rédaction peuvent à leur niveau avoir produit l’exigence d’une nouvelle recherche documentaire dont les résultats constitueront, sous la forme d’un carnet d’enquête par exemple, une strate nouvelle, qui n’est ni antérieure ni postérieure à celle des brouillons, mais contemporaine et en quelque sorte emboîtée dans celle‑ci. Un nombre considérable de réfections, interactions et autres reconfigurations de ce type sont imaginables. Il faut donc admettre qu’en dépit de sa structure étagée, le dossier de genèse ne possède pas une structure spatio‑temporelle stable : les strates qui le compose sont des entités chronologiques qui correspondant bien à des phases successives, mais elles se forment et se transforment selon un principe causalité complexe qui n’obéit pas aux lois de la contiguïté immédiate (une couche d’écriture peut agir sur une autre couche qui ne lui est pas contiguë) et qui admet la réversibilité (ce qui est antérieur peut être modifié par ce qui postérieur). À l’état naissant, le dossier de genèse est un empilement qui, pour se construire et devenir productif, ne cesse de se défaire et de se reconstituer. Le modèle de la pile donne à voir une distribution fonctionnelle des strates qui est formellement exact, et dont la structure ne fait même que se confirmer à mesure que le projet d’écriture s’approche de sa conclusion, mais comme un espace de référence logique qui permet d’évaluer comment, tout au long de la genèse, certaines zones actives de la pile font l’objet de constants démantèlements. C’est en suivant la logique même de son travail, et en faisant jouer aux éléments de son dossier les rôles auxquels il les avait destiné, que l’écrivain est conduit tour à tour à produire, empiler et à extraire de la pile, au fur et à mesure de ses besoins, les strates d’écriture qui constituent le matériau provisionnel avec lequel se construit la rédaction. La notion de pile génétique offre donc une sorte de configuration spatiale et temporelle indispensable pour se représenter l’étagement (à la fois concret, chronologique et logique) des documents et des étapes qui constituent la genèse de l’œuvre. Mais cet espace de référence n’est qu’un espace de référence virtuelle : c’est une structure intérieurement ouverte sur une certaine liberté combinatoire, qu’il faut donc concevoir comme une structure d’accueil disponible à de nombreuses reconfigurations partielles.

La strate comme empilement

La pile génétique est constituée de strates dont le nombre et l’épaisseur sont variables selon les dossiers : d’une unique et fine strate de quelques feuillets jusqu’à l’empilement de quatre ou cinq mille pages répartis en plus de dix strates différentes, tous les cas de figure peuvent se présenter. À l’intérieur d’une même pile, les strates, définies par les phases et les fonctions opératoires auxquelles elles se rapportent, peuvent représenter des liasses d’importances très inégales. Tout dépend des techniques de l’écrivain et des caractéristiques de l’œuvre étudiée : pour un dossier très rédactionnel, par exemple, comme celui de Madame Bovary, qui compte un total 5000 pages environ, la strate des notes documentaires se limite à quelques dizaines de feuillets (d’ailleurs réinsérés par Flaubert dans la pile Bouvard et Pécuchet), celle des plans et scénarios ne dépasse pas une soixantaine de pages, celles du manuscrit définitif et de la copie corrigée comptent, chacune, moins de cinq cent pages, mais la liasse des brouillons, à elle seule, contient près de trois mille huit cent pages de manuscrits couverts de ratures, soit 76% du volume total de la pile. Est-ce que cette énorme liasse (six volumes) peut vraiment être considérée comme une entité homogène constituant une strate génétique ? Bien sûr que non. Elle couvre en fait l’intégralité de la phase rédactionnelle qui a occupé l’écrivain a peu près sans interruption pendant plus de quatre années. En réalité, pour l’écriture flaubertienne, la notion typologique de « brouillon » n’est pas suffisamment discriminante pour définir l’unité d’une strate. Pour ce que l’on en sait actuellement21, les « brouillons » de Madame Bovary semblent eux‑mêmes stratifiés en plusieurs couches rédactionnelles où l’on trouve, semble‑t‑il, la strate des scénarios développés et des ébauches d’ensemble, puis, la structure de l’œuvre se précisant, les strates de brouillon proprement dites (qui progressent partie par partie, mouvement par mouvement, secteur par secteur), et enfin la strate des mises au net corrigées et celle du manuscrit : soit au total une bonne quarantaine de strates rédactionnelles. Notons que, même subdivisée en quarante entités, la liasse des documents rédactionnels donne, en moyenne, pour chaque strate, un volume de près de cent pages et une durée supérieure à un mois de travail. Ces observations quantitatives conduisent à une conclusion formelle évidente : tout comme le dossier, chaque strate, à l’échelle qui est la sienne, possède sa durée chronologique, son volume, et sa propre structure interne qui est celle d’un empilement. La strate se présente, comme la pile dans laquelle elle s’insère, sous un aspect feuilleté dont la structure temporelle et séquentielle exige, pour se former, un libre accès aux procédures de réversibilité et de redéploiement. En d’autres termes, la strate est elle‑même une pile. La pile, formée de strates, est donc un empilement de piles.

Transferts de pile à pile

Si un écrivain, au cours de la genèse, est conduit à déranger en permanence l’ordre logique du dossier sur lequel il travaille, il peut aussi être amené, toujours pour les besoins de son travail, à introduire dans ce dossier des éléments prélevés sur d’autres piles, en allant parfois chercher ces éléments très loin en amont dans d’anciens dossiers de genèse, abandonnés ou aboutis depuis des années. Ainsi, en 1875, au moment d’écrire le premier de ses Trois Contes, La Légende de saint Julien, Flaubert s’est reporté à un dossier génétique vieux de vingt ans, et laissé à l’état de chantier, dans lequel il savait qu’il trouverait des strates d’écritures (un plan et une liasse de notes documentaires) consacrées à ce projet d’œuvre telle qu’il la concevait en 1856. De manière encore plus massive, le même processus oblige à interconnecter des dossiers génétiques de 1848‑1849, 1856 et 1869‑1872, pour les trois versions successives de La Tentation de saint Antoine. Et ce phénomène devient systématique dans la genèse inachevée du second volume de Bouvard et Pécuchet, pour laquelle, comme on le sait, Flaubert avait commencé à extraire de tous ses anciens dossiers les éléments qui pourraient trouver place dans cette époustouflante somme encyclopédique des pathologies du savoir. Bien entendu, ce prélèvement s’est parfois accompagné d’une certaine intervention sur les strates d’écriture sélectionnées : au minimum par l’adjonction de la mention « Copie », au maximum par la réécriture et l’extraction matérielle du document qui se trouve réarchivé dans un nouveau dossier. Le corpus flaubertien fourmille d’autres exemples du même type, et cette technique de travail se rencontre chez de nombreux autres écrivains. Il faut en déduire d’une part que les piles génétiques peuvent non seulement être déconstruites dans le cadre de leur propre genèse, mais encore, sous l’effet d’autres piles, et d’autre part, qu’au cours de sa formation une pile peut s’être enrichi de strates empruntées à d’anciennes configurations.

Typologie éditoriale et typologie des documents de genèse

Qu’elle s’intéresse à une phase précise de la genèse, comme dans le cas de l’édition horizontale, ou qu’elle cherche à reconstruire la séquence des différentes opérations qui forment la genèse d’une œuvre particulière comme c’est le cas dans l’édition verticale, l’édition génétique dépend, en fait, pour la détermination exacte de son objet, d’une théorie générale des processus capable de définir les « types » de manuscrits d’après leur fonction opératoire et leur appartenance à telle ou telle phase distincte de la genèse. La typologie des éditions génétiques n’est donc pas dissociable d’une typologie fonctionnelle des documents de genèse. Or cette dernière reste encore, pour l’essentiel, à construire. Sa terminologie n’est pas entièrement établie, et son modèle structural ne fait que s’esquisser22, de manière partielle. Mais le caractère approximatif de certaines notions typologiques ne peut pas être considéré comme un obstacle, car, en génétique littéraire, l’appareil conceptuel ne résulte pas de présupposés : il ne s'élabore réellement et ne peut progresser que dans l’espace des échanges permanents qui se sont établis entre théorie et expérience éditoriale. Ces échanges sont complexes. La plupart des concepts construits par la critique génétique ont pour origine des notions élaborées pour l'analyse de corpus qu'il s'agissait de pouvoir mettre en ordre en vue d'une édition raisonnée : des notions construites sur mesure pour classer chronologiquement et rendre interprétables génétiquement des documents qui ont été produits par l'écrivain à des moments précis de son travail, en vue de tâches spécifiques, et selon une logique d'écriture qui peut faire apparaître la cohérence d'un modèle génétique applicable à d'autres corpus, mais qui peut aussi dépendre, par certains de ses aspects, des usages sociaux et historiques propres à l'époque, de la culture et des techniques personnelles de l'auteur, du type particulier de recherche ou de rédaction qu'il avait en vue, et de nombreuses autres caractéristiques particulières au corpus étudié. À la théorie, ensuite, de dégager différents niveaux de spécificités. D'abord à l'échelle modeste du corpus, il s'agit d'estimer ce qui, dans l'appareil notionnel propre à un dossier, permet d'analyser d'autres dossiers manuscrits du même écrivain, dans le cadre d’un certain type d’œuvres ou indifféremment pour tous les types, localement pour une période donnée de sa carrière, ou globalement pour tout son œuvre. Puis, s'il paraît possible de passer à une spécificité de plus grande amplitude, il peut devenir possible d'identifier ce qui, dans un appareil notionnel spécifique à un corpus, recoupe des notions similaires, validées pour les corpus manuscrits d'autres écrivains contemporains, dans les limites d'une période historique qu'il faudra préciser, dans le cadre d'un genre littéraire défini, etc. Bref, la typologie des documents de genèse ne progresse qu’à pas mesurés, et les éditions génétiques, tout en dépendant de ses résultats, contribuent pour une large part à son avancée.

L’édition horizontale

L’édition horizontale a pour vocation la publication d’un ensemble de documents se rapportant à une phase précise ou à un moment délimité du travail de l’écrivain. Cet ensemble peut être sélectionné dans un dossier de manuscrits n’ayant abouti à aucune rédaction proprement dite, ou dans la pile génétique d’une œuvre (achevée ou inachevée, publiée ou inédite), ou encore dans les dossiers de plusieurs œuvres différentes. Dans quelques cas, l’édition horizontale pourra porter sur la totalité du corpus génétique d'un écrivain23. Toutefois, qu’elle concerne un document unique ou un vaste ensemble de manuscrits, l’édition horizontale s’oppose à l’édition verticale en ce qu’elle ne vise pas la reconstitution d’un processus d’écriture mais l'étude d'un moment déterminé de ce processus.
Il en résulte que, dans le cadre d'un dossier de genèse, l'édition horizontale ne portera pas sur les ensembles de manuscrits dont l'analyse ferait apparaître le caractère fortement séquentiel et diachronique : les strates de la genèse correspondant aux « Brouillons » de l'œuvre, qui ne sont interprétables, comme ensemble, qu'en termes d'enchaînement et de processus relèvent évidemment de l'édition verticale. On peut toutefois imaginer, pour un cas spécifique où l'entreprise serait significative, qu'une édition horizontale choisisse de prélever dans l'ensemble des brouillons, une strate particulière correspondant à une version, c'est-à-dire à un état rédactionnel de l'avant‑texte saisi à une étape déterminée de sa textualisation24. Mais il est rare que les documents rédactionnels permettent d'isoler des versions globalement indépendantes les unes des autres : dans la phase de textualisation, l'écriture progresse souvent segment par segment, sans qu'il soit vraiment possible d'effectuer de manière transversale le prélèvement d’une strate homogène et synchronique offrant une image intégrale de la rédaction. Cette possibilité existe en amont de la rédaction proprement dite, dans la phase pré‑rédactionnelle, au moment des plans et du scénario initial ; elle existe à nouveau en aval, vers la fin du processus rédactionnel (mise au net, manuscrit pré‑définitif), et, bien entendu, dans la dernière étape de la genèse, la phase pré‑éditoriale (celle du manuscrit définitif et des épreuves corrigées). Mais entre ces deux frontières temporelles, l'avant‑texte est sous l'empire du processus syntagmatique. Sélection partielle et concaténation séquentielle, interaction permanente entre un tout en état de formation et ses parties à l'état naissant : cet univers virtuel en perpétuel métamorphose est l'objet même de l'édition verticale. Et c'est pourquoi lorsqu'elle porte sur le dossier de genèse d'une œuvre, l'édition horizontale évite soigneusement ce qui échappe à sa compétence paradigmatique, pour se consacrer de préférence à tout ce qui se situe en amont, en aval ou en marge des brouillons : plans et scénarios initiaux, premier scénario développé ou premier jet – manuscrit définitif, épreuves corrigées – notes de lectures, notes d'enquête, dossiers documentaires.
Bien qu’en principe réservée à la présentation d'archives constituant une coupe synchronique dans l'épaisseur du dossier génétique, l’édition horizontale inclut toujours une part plus ou moins importante de verticalité, c’est‑à‑dire une certain volume et une certaine durée. Même si elle peut être dite synchronique par opposition à la diachronie qui caractérise la pile génétique, la strate d’écriture dont s’occupe l’édition horizontale possède sa propre temporalité et sa propre épaisseur. En termes concrets, la strate est constituée d’une liasse de feuillets qui ont été écrits plus ou moins séquentiellement, dans un laps de temps déterminé. Ces feuillets ont pu se trouver redistribués et modifiés plusieurs fois selon des configurations diverses au cours de cette durée, et, ultérieurement, faire encore l’objet de différents remaniements. À son propre niveau d’élément minimal, chaque feuillet porte lui-même les traces de réalisations scripturales qui correspondent généralement aux résultats d’une cession de travail continue et déterminée, dans laquelle s’exprime la séquentialité d’une durée (où il peut être indispensable de distinguer des moments successifs d’écritures et de corrections) et à laquelle peuvent s’être ajoutés ultérieurement d’autres durées sous forme de campagnes de corrections successives. Prise isolément, la strate, qui définit l’objet de l’édition horizontale, se présente donc comme un segment temporel complexe fortement articulé à ce qui le précède et à ce qui le suit, et dont la signification est essentiellement médiate.
Si, à la différence de l’édition verticale, l’édition horizontale n’a pas pour objectif de rendre intelligible l’ensemble d’un processus d’écriture donné à suivre à travers ses différentes phases, sa finalité est tout de même de présenter, à travers un moment précis de la genèse, l’image des transformations propres à ce moment du processus et le système des relations qui établissent la concaténation génétique de cette étape avec les états antérieurs ou postérieurs de l’avant‑texte. Cette dimension médiate de l’édition horizontale est particulièrement nette lorsque les manuscrits publiés appartiennent à une phase primitive et programmatique de la genèse (comme celle des plans initiaux) ou à certains composants de la phase rédactionnelle (les enquêtes documentaires, fortement liées aux besoins de la textualisation). Elle sera en revanche moins importante dans les éditions consacrées à la phase pré‑éditoriale (manuscrits quasi‑définitifs, définitifs, corrections sur épreuves) sauf, bien entendu, lorsque cette étape finale devient le théâtre d’importants bouleversements rédactionnels. Enfin, tout en constituant une entité génétique homogène, une strate d’écriture peut quelquefois correspondre à une étape complexe comprenant plusieurs réalisations successives et donnant à suivre localement le développement d’un véritable processus interne. En ne publiant, par exemple, que la « strate » des plans et scénarios préparatoires d’un roman, l’édition présente une phase préliminaire et bien délimitée de la genèse, mais qui peut elle-même contenir plusieurs versions, différentes et de plus en plus développées, de cette partie scénarique de l’avant‑texte pré‑rédactionnel. Dans ce cas, il est clair que l’édition devra faire apparaître les positions relatives de ces réalisations sur l’axe chronologique des réfections et des substitutions qui les font se succéder, de la plus ancienne à la plus récente.
Dotée d’un plus ou moins fort coefficient de verticalité interne, l’édition horizontale peut aussi, par son appareil critique, mettre en évidence la position relative de la strate dans la pile génétique en donnant au lecteur des éléments de lecture différentielle. En effet, les manuscrits d’une édition horizontale, tout en ne concernant qu’un moment déterminé de la genèse, ne prennent souvent leur relief et leur véritable signification que grâce aux dispositifs de comparaison qui permettent de mesurer, en termes de similarité (ou de dissemblance), l’écart (petit ou grand) entre leurs contenus et ceux d’une autre phase de la genèse. Si un éditeur publie, par exemple, les notes de lectures prises par un écrivain en vue d’un projet de rédaction au cours de la phase préliminaire des recherches pré‑rédactionnelles, il sera évidemment tenté, à côté de la transcription de ces notes autographes, de fournir au lecteur les éléments trouvés dans les ébauches, les brouillons et l’œuvre définitive, qui permettent d’établir la réalité d’un emprunt, l’appropriation ou le rejet d’un élément citationnel, l’élaboration d’un pastiche, etc. Toutes ces informations génétiques, apportées par l’appareil critique de l’édition, constituent une verticalisation caractérisée, mais c’est souvent cette profondeur de champ qui assure à l’édition horizontale son intensité et sa lisibilité. De la même manière, s’il s’agit d’éditer les plans primitifs d’un roman, l’édition ne manquera pas de faire apparaître aussi clairement que possible à quels segments du texte définitif se rapportent les contenus de chacun des feuillets, pour fournir au lecteur le moyen d’évaluer ce qui a transité sans transformation de ce schéma initial au texte définitif, ce qui s’est perdu dans le naufrage des rédactions, ce qui s’est conservé en se transformant, etc. Ce dispositif, qui peut s’avérer très éclairant, conduit en fait à introduire dans l’édition horizontale les principes de comparaison propres à l’édition verticale. La lecture différentielle implique cependant que l’on se place, par rapport à la représentation générale de la genèse, dans une relation critique particulière : la relation téléologique qui finalise le processus d’écriture en donnant au texte définitif le statut de telos. Or, sans être contradictoire avec le principe des études de genèse, cette relation critique n’est pas toujours possible (le manuscrit publié peut n’avoir connu aucune suite, ni aucun aboutissement génétique particulier) et ne constitue de tout façon pas le seul mode d’appréhension possible des phénomènes de genèse que donne à comprendre l’édition horizontale. On peut tout à fait concevoir, y compris pour une strate prélevée dans le dossier de genèse d’une œuvre publiée, qu’une édition horizontale s’en tienne résolument aux contenus et aux caractéristiques formelles de cette couche d’écriture, considérée en elle-même, indépendamment de son statut d’objet médiat.
Consacrées par définition à une strate déterminée de manuscrits, les éditions horizontales peuvent toujours être caractérisées par la phase ou la fonction opératoire à laquelle les documents édités se rapportent. Mais elles se distinguent aussi par la nature des dossiers sur lesquels elles portent (œuvre publiée, inédit, journal, notes de travail, etc.) et, éventuellement par le nombre de ces dossiers (éditions de grande amplitude, prélevant une même strate dans plusieurs piles génétiques)

L’édition horizontale et les manuscrits d’une œuvre publiée

Sous sa forme la plus simple, l’édition horizontale donne à lire les archives se rapportant à un moment précis de la genèse d’une œuvre déterminée. Elle pourra porter, selon les cas, sur tout ou partie des manuscrits scénariques ou des documents préparatoires de la phase pré‑rédactionnelle , sur l’ensemble ou une section des dossiers documentaires rédactionnels, ou sur l’une des dernières strates de la rédaction choisie parmi les manuscrits pré‑éditoriaux de l’œuvre. La récente collection « Manuscrits »25coéditée par les éditions Zulma et CNRS éditions, avec la collaboration de la Bibliothèque Nationale de France, compte plusieurs réalisations de ce type qui peuvent être considérées comme des modèles. Cette collection, consacrée à des manuscrits de petite ou moyenne amplitude, met en œuvre une présentation prestigieuse qui constitue probablement la formule idéale pour l’édition horizontale sous forme de livre : grand format adapté à la dimension des manuscrits, fac‑similé couleur du folio en bonne page, transcription diplomatique à gauche en vis à vis, appareil critique, introduction historique et génétique. Parmi les premiers titres parus, on trouve des exemples représentatifs des grandes orientations de l’édition horizontale : notamment, une excellente édition des « Plans et scénarios de Madame Bovary » 26 qui permet pour la première fois de reconstituer la phase de conception initiale du roman par un accès direct aux documents autographes ; un exceptionnel ensemble de documents préparatoires relatifs à la genèse pré‑rédactionnelle d’un roman de Perec27 donnant à voir, à l’état naissant, sous forme de croquis, schémas programmatiques, paradigmes verbaux, tables de calculs et autres listes, etc., la complexité des contraintes et stratégies d’écriture avec lesquelles jouait le romancier ; un remarquable manuscrit rédactionnel de Sade correspondant à une des multiples versions des Infortunes de la vertu28 qui permet d’assister en dimension réelle à la réécriture de l’œuvre sous forme de conte. D’autres volumes, consacrés à des manuscrits plus aboutis29 ont une portée génétique peut‑être moins significative : l’édition permet de relever certains phénomènes de travail rédactionnel et quelques corrections finales intéressantes, mais dans le cadre d’un texte quasi‑définitif qui se distingue peu de l’œuvre publiée. L’image du manuscrit est là, avec sa charge émotionnelle irremplaçable, mais la transcription est parfois superflue tant le fac‑similé est limpide, et le bilan génétique se rapproche de ce qu’offrirait une bonne édition critique du texte donnant les variantes du manuscrit. Ces derniers exemples démontrent qu’à l’exception des œuvres inédites, qui constituent un cas particulier, les manuscrits quasi‑définitifs de la phase pré‑éditoriale n’ont pas réellement vocation à faire l’objet d’une édition génétique. Sauf dans les cas où ce manuscrit final (ou le jeu des épreuves corrigées) devient, in extremis, pour l’écrivain l’occasion d’une importante refonte de l’œuvre (mais alors, c’est une nouvelle phase rédactionnelle qui commence), les documents pré‑éditoriaux se caractérisent par une disparition progressive puis par l’extinction totale des transformations génétiques. Assurant par définition le passage du stade génétique au stade textuel, ces documents ne contiennent ordinairement que des mises au point locales et des corrections de détails. Ces dernières transformations ont évidemment leur place dans l’étude d’un processus, c’est‑à‑dire dans une édition verticale, où elles permettront de mettre en évidence les ultimes phénomènes de textualisation interprétables à la lumière des modifications antérieures. Mais, prises isolément, ces réfections finales ne justifient pas, d’ordinaire, une édition génétique. La dernière strate de la pile génétique est souvent si peu différente du texte publié qu’elle ne constitue pas à proprement parler un objet plausible pour l’édition verticale. L’univers des manuscrits étant le règne des singularités, on ne peut jamais énoncer une hypothèse générale sans immédiatement se soucier d’y apporter des nuances : ici comme ailleurs, il y a donc toutes sortes d’exceptions. La plus évidente est, bien entendu, celle du manuscrit unique qui est à lui-même son propre plan, son propre brouillon et sa mise au net définitive. C’est le cas lorsque l’écrivain a rédigé son œuvre par un simple et exclusif premier jet. Il est bien clair alors que la moindre rature prenant une signification considérable, l’édition génétique s’impose pour étudier en détail toutes les zones du manuscrit contenant les traces d’un travail rédactionnel.  Mais on remarquera que, dans ce cas de figure exceptionnel, l’édition horizontale ne fait qu’une avec l’édition verticale : la genèse s’est concentrée dans une seule et même strate d’écriture qui constitue à elle seule la pile génétique de l’œuvre. Parmi les exemples les plus remarquables de ce type, on peut citer le cas plaisant des Champs magnétiques, d’André Breton et Philippe Soupault, dont le manuscrit a été récemment publié30. On sait que les deux surréalistes, envoyant promener le préjugé littéraire, l’idée d’œuvre et la misérable préoccupation du style, s’étaient donné pour règle un respect absolu des énoncés dictés par l’inconscient, lesquels devaient être consignés à l’état pur indépendamment de toute préoccupation esthétique ou même grammaticale. Texte culte, symbole de l’écriture automatique, expérience limite de scription immédiate, Les Champs magnétiques sont donc l’exemple même du manuscrit unique écrit à la vitesse de la foudre. On imagine avec quel amusement et quelle joie sacrilège les éditeurs ont transcrit les multiples corrections et ratures qui émaillent le manuscrit : des corrections excellentes qui témoignent assurément d’un immense talent poétique, mais qui, par leur seule existence mettent fin à l’un des grands mythes de la littérature moderne.

L’édition horizontale des œuvres inédites

Dans sa typologie des éditions génétiques, C. Gothot‑Mersch se demandait s’il ne fallait pas imaginer une catégorie particulière pour les œuvres inédites laissées à l’état de brouillon31. Je pense qu’elle avait raison, mais qu’il convient d’en créer trois, en distinguant selon le degré d’avancement du travail rédactionnel : les manuscrits d’une œuvre inédite à l’état de mise au net quasi définitive, à l’état de brouillon, à l’état de chantier. Une première catégorie serait réservée aux brouillons très avancés ou quasi aboutis qui constituent une sorte de manuscrit pré‑définitif resté inédit par la volonté de l’auteur ou pour des raisons circonstancielles : c’est, par exemple, le cas du Voyage en Égypte de Flaubert. Dans la seconde catégorie on trouverait les brouillons avancés qui ne constituent pas un manuscrit achevé ni entièrement homogène mais qui forment un ensemble significatif, rédigé et ordonné par l’écrivain jusqu’à un point qui permet de reconstituer, malgré son inachèvement, une forme hypothétique de l’œuvre, un texte « pseudo‑définitif » : C. Gothot‑Mersch proposait les exemples de Jean Santeuil et Maumort , étudiés par Florence Callu. Enfin il faut concevoir une dernière catégorie pour les brouillons ou documents inégalement avancés, inachevés et laissés intégralement à l’état de chantier, dans les cas d’une genèse interrompue où tout indique que ces manuscrits constituaient bien pour l’auteur le projet d’un ensemble cohérent, mais sans qu’aucun geste pré‑éditorial ne permette de savoir sous quelle forme précise l’œuvre devait les rassembler : on peut penser, par exemple, au Second Volume de Bouvard et Pécuchet. Les deux premières catégories relèvent de l’édition horizontale car elles impliquent des recherches ne portant que sur ou quelques strates d’écriture : leur objet est la détermination d’une « version ». En revanche, la dernière catégorie constitue un cas particulier relevant à la fois de l’édition verticale et de l’édition horizontale, ou si l’on préfère d’un troisième type d’édition qui combinerait leurs ressources : cette recherche éditoriale porte non seulement sur plusieurs strates mais aussi sur plusieurs piles génétiques.
Parmi les documents inédits de la première et de la seconde catégorie, peuvent se trouver des œuvres littéraires proprement dites laissées à des degrés divers d’inachèvement (écrits de jeunesse32, versions non abouties d’œuvres de la période de maturité) mais aussi de nombreux manuscrits relatifs à des rédactions intimes ou à des notes de remémoration privée (journaux intimes33, « choses vues » et réflexions, notes de lecture, récits de voyage, carnets de prison, etc.) que l’écrivain a consignées pour un usage strictement personnel, indépendamment (au moins en principe) de tout projet instrumental ou documentaire. Ces manuscrits, qui constituent des sources très précieuses d’information biographique et littéraire, n’ont bien souvent acquis le statut d’œuvre qu’après la disparition de l’écrivain, sous l’effet de sa notoriété. Certains de ces écrits personnels sont le résultat d’une élaboration qui comporte plusieurs phases et qui permettraient, le cas échéant, de faire apparaître un certain processus génétique, souvent assez rudimentaire mais impliquant tout de même l’existence d’une véritable pile génétique. C’est le cas d’un récit de voyage comme le Voyage en Égypte, dont le manuscrit proprement dit résulte d’une rédaction effectuée après coup par Flaubert à partir de sa propre correspondance et des notes qu’il avait prises sur place dans ses calepins de route. Mais, même dans ce cas de figure, les manuscrits privés se présentent sous des formes généralement peu adaptées à l’édition verticale : ce sont des rédactions beaucoup plus directes que celles des œuvres destinées à la publication, où les ratures et les corrections sont rares. La portée génétique de ces documents réside souvent moins dans leur propre processus d’élaboration que dans la richesse des informations qu’ils apportent sur le travail de l’écrivain, son univers intellectuel et moral, et la genèse des autres œuvres. Lorsqu’ils font l’objet d’éditions génétiques, ces manuscrits souvent rédigés et mis en page sur un mode séquentiel et suivi, dans les mêmes conditions qu’un texte (au fil d’un cahier, par exemple), n’exigent souvent aucun dispositif particulier de transcription diplomatique, une simple transposition linéarisée donnant une image fidèle du document. Dans beaucoup de cas, leur édition peut aussi bien être envisagée dans le cadre d’une édition critique textuelle d’inspiration génétique. Mais certains manuscrits privés présentent des particularités qui peuvent conduire à opter pour une édition génétique horizontale à transcription diplomatique : par exemple, lorsque la mise en page autographe joue un rôle spécifique, ou lorsque les documents contiennent d’importantes interventions graphiques (dessins, schémas, croquis, etc.).
Sans conduire à une textualisation du manuscrit, en insistant au contraire sur ses spécificités, la critique génétique a contribué à faire évoluer et à considérablement élargir notre conception même de l’œuvre. Indissociable en cela d’une curiosité propre à notre temps, l’édition horizontale a fini par constituer en œuvre d’un nouveau type, des ensembles de manuscrits que rien ne destinait à ce statut : des documents se rapportant pour l’écrivain à une expérience d’écriture ou à une recherche indépendante de toute perspective de rédaction et de publication, ou au contraire des manuscrits de travail entièrement déterminés par leur caractère instrumental ou documentaire, et dont l’existence est presque intégralement relative aux rédactions qui les ont motivés. L’un des cas éditoriaux les plus intéressants est celui des carnets d’écrivain, qui pose l’hypothèse d’une édition horizontale de grande amplitude portant simultanément sur plusieurs genèses.

L’édition horizontale de grande amplitude

L’édition horizontale de moyenne ou grande amplitude s’applique à plusieurs dossiers de genèse : son principe consiste à prélever dans plusieurs piles génétiques le même type de strate, c’est-à-dire l’ensemble des manuscrits se rapportant dans chaque genèse à la même phase ou à la même fonction opératoire (plans et scénarios, notes de recherches préliminaires, notes d’enquêtes ou de lectures rédactionnelles, etc.). Ce projet éditorial peut concerner par exemple, dans le corpus d’un écrivain, les piles génétiques de plusieurs œuvres présentant une certaine homologie générique ou formelle. Mais l’édition horizontale de grande amplitude peut aussi porter globalement sur une période déterminée de la carrière littéraire de l’écrivain, voire, dans certains cas, sur l’intégralité de ses travaux, c’est‑à‑dire sur toutes les piles génétiques qui constituent les traces de sa production écrite. Les recherches éditoriales les plus développées en ce domaine ont porté, vers la fin des années 1980, sur les « cahiers », « carnets » et « calepins » de plusieurs grands écrivains. Bien que de nature horizontale, et consacrées à quelques strates particulières de la pile génétique, ces éditions constituent un moyen d’approche irremplaçable pour s’introduire dans le laboratoire de l’écriture, et pour observer de l’intérieur les secrets de fabrication de l’œuvre, l’évolution des méthodes au fil du temps et les constantes qui caractérisent le travail de l’écrivain. Ainsi a‑t‑on vu paraître successivement les Carnets d’enquête d’Émile Zola34, les Carnets d’Henry James35, les Cahiers de Paul Valéry36, les Carnets de travail de Gustave Flaubert, et, dans le domaine scientifique, les Cahiers de Pasteurs37. De nombreux autres corpus font l’objet, parfois depuis longtemps, d’une recherche éditoriale du même type38 qui constitue une forme particulière d’édition horizontale en raison de la nature complexe de son objet. En effet, le carnet d’écrivain, tout en désignant un type de manuscrit facile à reconnaître par son apparence matérielle, ne représente pas une catégorie génétiquement homogène. Son usage peut varier considérablement d’un corpus à l’autre, ou à l’intérieur d’un même corpus. Selon les écrivains, il peut servir de support aux opérations génétiques les plus diverses : projets de rédaction, idées d’œuvre, plans, croquis, notes de travail, ébauches partielles, brouillons, enquêtes documentaire, mises au net, etc. De plus, dans sa réalité matérielle elle-même, le carnet peut prendre des formes très variables : il y a l’album sédentaire que l’écrivain garde près de lui sur son bureau, le petit calepin nomade qui se glisse dans une poche pour des enquêtes ou des interviews en extérieur, le solide carnet de voyage qui l’accompagne sur les routes, le petit registre dans lequel il consignera ses notes de lecture ou ses recherches bibliographiques en bibliothèque, le livret, le répertoire, l’agenda, le cahier, le bloc-notes, bref, il existe une variété considérable de carnets possibles. Mais l’étude génétique prouve que, dans l’usage professionnel qu’en fait l’écrivain, toutes ces dissemblances s’ordonnent autour de quelques orientations fonctionnelles précises : chaque forme a sa fonction et les carnets d’un écrivain peuvent généralement faire l’objet d’une analyse typologique assez précise39. Le corpus intégral des « carnets de travail » de Flaubert fait par exemple apparaître clairement trois types de documents, aux caractéristiques distinctes (les « carnets d’idées », les « carnets de projets » et « les calepins d’enquête »), dont l’utilisation a été constante tout au long de la carrière littéraire de l’auteur. Mais chaque type de carnet se rapporte à une strate différente de la genèse (la strate du scénario primitif, celle des recherches préliminaires et celle des enquêtes rédactionnelles), certains carnets présentant en outre des contenus composites. En d’autres termes, une édition horizontale de grande amplitude en se consacrant à une catégorie complexe de manuscrits comme les carnets peut aboutir à l’édition de deux ou trois strates, et se trouver par conséquent dotée d’un important coefficient de verticalité. Pratiquée à l’échelle de plusieurs œuvres ou pour une période assez étendue de la carrière d’un écrivain, rend possible des rapprochements qu’aucune autre procédure éditoriale ne permettrait de réaliser avec autant de systématicité. En éditant tous les dossiers documentaires ou tous les « projets » de rédaction enregistrés par un écrivain au cours de dix années de travail, le chercheur pourra, par exemple, mettre en évidence des similarités, de forme ou de contenu, qui, par delà la diversité des sujets et des travaux, permettront d’identifier, des constantes génétiques et des filiations inattendues qui traversent le temps chronologique et l’épaisseur des dossiers : comment, à plusieurs années de distance, des notes documentaires restés inexploités se trouvent prélevées de leur contexte primitif et détournées de leur fonction antérieure pour infléchir ou produire l’idée d’une nouvelle rédaction ; comment une œuvre dont on ne connaissait pas l’origine a pu naître, chez l’écrivain, à la relecture fortuite d’un ancien scénario ou d’un carnet contenant une formule, une esquisse, ou une amorce narrative qui se met brusquement à prendre la forme d’un projet. L’édition horizontale de grande amplitude temporelle, en mettant à jour et en rapprochant des « strates » d’écriture homologues prélevées dans différentes piles parfois très éloignées les unes des autres chronologiquement, conduit à des découvertes qui resteraient impossibles dans le cadre d’une édition génétique verticale.

L’édition verticale

À la différence de l’édition horizontale, qui ne porte que sur un moment déterminé de la genèse, l’édition verticale s’intéresse à l’enchaînement des phases qui traversent le dossier génétique d’une œuvre, achevée ou non, publiée ou inédite. Elle se donne pour objectif, au sujet de cette œuvre (ou d’une de ses parties), la publication chronologique des documents se rapportant à la série intégrale (ou à une séquence significative) des transformations successives qui permettent de comprendre sa genèse. L’édition verticale vise en principe à reconstituer le processus d’écriture d’un bout à l’autre de l’itinéraire génétique : au stade avant‑textuel, des premières traces écrites de la conception aux dernières corrections sur épreuves , sans s’interdire de prolonger l’examen au stade textuel, en allant des corrections de l'édition pré‑originale ou de la première édition jusqu’aux éventuelles corrections autographes prévues par l'auteur pour la dernière édition parue de son vivant.
En termes de pile et de strates, l’édition verticale consiste donc à publier dans l’ordre chronologique de leur formation la série des strates qui constituent la pile génétique, en centrant la recherche éditoriale sur l’ensemble des strates qui composent le cœur de la genèse et qui restaient réfractaires à l’édition horizontale, à savoir l’empilement des strates qui correspondent à la phase rédactionnelle de l’avant‑texte (scénarios développés, ébauches, brouillons, mises au net). Mais, ainsi défini, un tel projet éditorial se heurte à deux problèmes majeurs : un problème de dimension et un problème logique. Compte tenu des coefficients déjà évoqués (5 à 10 folios de manuscrits pour une page de texte final, 2 à 3 pages d’édition pour 1 folio transcrit : soit un coefficient allant de 10 à 30 pour 1), l’édition génétique verticale d’un roman de 500 pages se traduirait par une publication comprise entre 5000 et 15 000 pages. Mais le problème logique n’est pas moins vertigineux : si l’édition verticale consiste bien, comme on vient de le dire, à publier les manuscrits « dans l’ordre chronologique de leur formation », il ne suffira pas de les éditer strate par strate en suivant l’ordre d’un empilement chronologique, car on a vu, qu’au cours de la genèse, cet ordre ne cesse de se reconfigurer, aussi bien à l’échelle globale de la pile qu’au niveau local de chaque strate et de ses éléments premiers les folios. On a remarqué que l’ordre chronologique pouvait même faire l’objet d’une réversibilité complète puisque les contenus d’une strate antérieure (celles des scénarios primitifs) peuvent se trouver profondément transformés et redéfinis par l’effet en retour d’une strate ultérieure (un brouillon orientant la rédaction vers un développement non prévu dans le scénario). On a vu également que certaines strates se trouvent emboîtées les unes dans les autres (par exemple les enquêtes rédactionnelles ne sont pas dissociables des brouillons). Dans quel ordre faudra-t-il publier les documents ? On pourrait aisément multiplier les raisons qui conduisent à penser que l’édition verticale est tout simplement impossible, du moins dans le cadre de l’édition traditionnelle. Pourtant, des éditions verticales existent. Plusieurs formules, même, ont été conçues pour tenter de déjouer les limites qu’imposent les dimensions et la séquentialité d’une édition publiée sous la forme du livre.

Les éditions verticales intégrales

En raison des contraintes dimensionnelles qui viennent d’être évoquées, le projet de publier in extenso toutes les strates d’une pile génétique n’a été envisagé que dans le cadre d’œuvres courtes (conte, nouvelle, poème, etc.) ne possédant pas un matériel génétique trop développé. Le résultat reste en général écrasant. Deux formules d’édition peuvent être envisagées : l’édition chronologique de la pile, folio par folio, ou l’édition téléologique des strates, fragment par fragment. L’édition folio par folio est la présentation choisie par G. Bonaccorso dans ses deux grandes éditions verticales : Un Cœur simple  et Hérodias40 qui représentent à ce jour les deux seuls exemples de réalisations éditoriales de ce type. La multiplicité des signes diacritiques ne contribuent pas à rendre cette édition linéarisée très facile à utiliser, et l’évolution récente des méthodes de présentation ferait préférer aujourd’hui une édition comportant le fac-similé des manuscrits et leur transcription diplomatique en regard, sur le modèle des éditions horizontales. Quant à l’ordre chrono‑génétique adopté pour l’édition successive des folios, il constitue nécessairement un choix qui ne peut être parfait. L’édition téléologique adopte une stratégie différente : au lieu de se fonder sur la transcription des documents folio par folio, elle présente la série intégrale des contenus de la pile génétique segment par segment. Ce type d’édition articule toutes les transcriptions au texte définitif (ou, à défaut, au manuscrit le plus avancé) : en suivant l’ordre du manuscrit définitif, elle donne la série complète des états génétiques ou versions successives de chaque segment textuel, du scénario primitif au texte imprimé. Ce type d’édition41 fait donc éclater l’unité matérielle du folio pour redistribuer les transcriptions séquentiellement : son avantage est de faire clairement apparaître pour chaque segment de l’œuvre une image intégrale de l’évolution génétique. Elle constitue une formule utile pour les analyses micro‑génétiques. Mais en contrepartie, l’édition téléologique reste peu utilisable pour les recherches macro‑génétiques qui portent sur l’évolution des structures de l’avant‑texte. Quelle que soit la formule choisie, l’édition verticale suppose que le classement génétique de l’ensemble du dossier (et notamment des strates rédactionnelles) soit exprimé intégralement sous la forme d’un tableau détaillé donnant l’identité génétique et la position relative de chaque folio et de chaque strate. Ces deux types d’éditions sont évidemment complémentaires quoiqu’inconciliables sous le forme traditionnelle du livre. L’édition électronique devrait permettre de les exploiter concurrentiellement dans le cadre d’une seule et même base de données avant‑textuelles.

Les éditions verticales partielles

Les limites matérielles de l’édition traditionnelle ont conduit plusieurs chercheurs à proposer des éditions verticales partielles. Cette formule peut correspondre à deux types de situations distinctes :  l’exploitation intégrale d’un dossier génétique lacunaire, ou une sélection à l’intérieur d’un dossier génétique complet mais trop volumineux.
Les manuscrits de Zola, par exemple n’ont pas été conservés intégralement par l’écrivain. Une bonne partie des strates rédactionnelles manquent, tandis que les documents préparatoires de la phase pré‑rédactionnelle abondent : plans, esquisses, notes de régie et documents de programmation, enquêtes documentaires sur place, notes de lectures, ébauches, liste de titres, etc. En choisissant d’exploiter systématiquement l’un de ces dossiers de genèse à la fois lacunaire et surabondant, C. Becker a proposé, pour l’édition verticale de Germinal42, une formule réussie, où la transcription des manuscrits est accompagnée d’une chronologie de la genèse reconstituée grâce aux indications précises de la correspondance.
D’une manière un peu semblable, l’excellente édition génétique de Delphine, de Mme de Staël43 démontre que certaines lacunes dans la conservation des manuscrits peuvent être à l’origine d’un projet éditorial. Loin de contenir l'intégralité des documents de genèse, le dossier des manuscrits de Delphine ne présentait que des fragments importants de brouillons : deux versions des parties V et VI du roman, et plusieurs éléments se rapportant à la partie II. Si les manuscrits avaient été complets (comme c'est le cas, semble‑t‑il pour Corinne, par exemple) le dossier intégral des rédactions successives du roman aurait vraisemblablement compté entre trois et quatre mille pages manuscrites, dimension qui aurait évidemment exclu tout projet d'édition systématique. Les documents rendus accessibles ne représentent qu’un peu plus de 400 pages dans l'édition de L. Omacini, mais constituent un ensemble particulièrement significatif qui renouvelle en profondeur notre connaissance du texte.
Pour les œuvres de grande dimension dont les dossiers génétiques, conservés intégralement, atteignent des proportions considérables, certains éditeurs ont pris le parti de procéder à des choix. C’est le cas, par exemple des Comices agricoles édités par J. Goldin44 : cette édition publie l’intégralité des documents de genèse qui se rapportent à un petit segment narratif de Madame Bovary. Cette formule, qui consiste à pratiquer dans la pile génétique un prélèvement vertical correspondant à un fragment déterminé du texte définitif, pose un certain problème de méthode : comment peut‑on reconstituer de façon certaine une évolution génétique dans le cadre d’un sondage, si les strates rédactionnelles qu’il s’agit de traverser n’ont fait préalablement l’objet d’aucun classement intégral, ce qui, à ce jour, est encore le cas pour les brouillons de Madame Bovary ? Comment démontrer qu’aucun élément ne manque? Est‑il vraisemblable que l’évolution de ce segment narratif suive une logique autonome indépendante du reste de l’avant‑texte ? L’édition verticale partielle ne semble pouvoir se pratiquer que dans le cadre d’un dossier entièrement analysé
Intégrale ou partielle, l’édition verticale est inséparable de la reconstitution raisonnée d’un processus qui met en jeu des phénomènes structuraux temporalisés dans un espace à trois dimensions. Le modèle de la pile et des strates permet d’en donner une représentation logique satisfaisante, mais difficilement transposable dans le cadre des éditions traditionnelles. Nul doute qu’avec sa forme séquentielle et ses deux dimensions, le livre ne constitue plus aujourd’hui un support suffisant pour enregistrer et rendre intelligible ce type d’objet. L’édition électronique, enrichie des ressources presque illimitées de l’hypertexte et du multimédia, constitue l’horizon naturel des recherches éditoriales sur l’avant‑texte.

1 Gustave Flaubert, et Maxime Du Camp, Par les Champs et par les Grèves édition critique par Adrianne Tooke, Droz, Genève, 1987, 835 p.

2 Gustave Flaubert, Voyage en Égypte, éd. intégrale du manuscrit original, établie par P.‑M. de Biasi, Paris, Grasset, 1991, 464 p.

3 Gustave Flaubert, Un Cœur simple, Corpus flaubertianum I, édition diplomatique et génétique des manuscrits, établie par Giovanni Bonaccorso et al. Paris, Les Belles Lettres, 1983, 586 p. / Hérodias, Corpus flaubertianum II, édition diplomatique et génétique des manuscrits, t.1, établie par Giovanni Bonaccorso et al. Paris, Librairie Nizet, 1991, 398 p.

4 O Manuscrito em Gustave Flaubert. Transcriçào, classificaçào e interpretaçào de proto‑texto do 1.o capitulo do conto « Hérodias », Philippe Willemart, Universitade de Sào Paulo, 1984.

5 Gustave Flaubert, Les comices agricoles, édition diplomatique établie par Jeanne Goldin, 2 vol., Genève, Droz, 1984.

6  Gustave Flaubert, « Plans et scénarios de Madame Bovary », présentation, transcription et notes par Yvan Leclerc, coll. « Manuscrits », ZULMA‑CNRS éditions, Paris, 1995.

7 Gustave Flaubert, Carnets de travail, éd. critique et génétique établie par P.‑M. de Biasi, Paris, Balland, 1988, 1000 p.

8 Je me borne au domaine français et aux textes de réflexion typologique parus depuis dix ans. Les éditions synoptiques allemandes appartiennent‑elles au même champ éditorial ? On peut en douter. En tout cas, elles ne semblent pas avoir profondément interféré sur la conception des éditions génétiques telles qu’elles se sont définies depuis les années 1980 en France et dans les pays de culture francophone. Je ne traiterai pas non plus du problème typologique que pose l’apparition prochaine des éditions génétiques électroniques, et notamment des renouvellements attendus de l’édition hypertextuelle et multimédia. Non faute d’intérêt, mais parce qu’il me semble qu’il est un peu trop tôt (sauf pour un discours programmatique qui n’a pas vraiment sa place dans une étude typologique).

9 P.‑M. de Biasi, « L’analyse des manuscrits et la genèse de l’œuvre », Encyclopædia Universalis, Symposium, 1985. Cet essai de synthèse était l’une des toute premières études consacrées à la critique génétique. Une section de l’essai portait sur la question des éditions de manuscrits telle qu’elle pouvait être formulée au début des années 1980. Cette réflexion a vite été remise en cause par l’apparition de nouvelles éditions comme celles des Carnets de Zola et de Flaubert, des Cahiers de Valéry, etc. En 1987, lors du colloque « La Naissance du texte », C. Gothot‑Mersch s’est appuyée sur cette première étude, la seule alors disponible, pour proposer autre classement permettant de remettre un peu d’ordre dans le paysage éditorial français. La réédition de l’Encyclopædia Universalis en 1989, m’a donné l’occasion de tenir compte de cette critique pour présenter à mon tour une nouvelle typologie. Sous le même titre « L’analyse des manuscrits et la genèse de l’œuvre », ce nouvel essai aboutissait à un classement fonctionnel fondé sur l’opposition : édition horizontale, édition verticale. C’est ce modèle, schématique, que je me propose ici de compléter et de réactualiser.

10 C. Gothot‑Mersch « L’édition génétique, le domaine français », dans La naissance du texte, Louis Hay éd., Paris, Corti, 1989, p. 63‑88 (actes du colloque international de 1987).

11 L’étude de C. Gothot‑Mersch commençait précisément par une enquête, très significative, sur ce sujet.

12 En France, plusieurs collections ont donné une place importante aux documents de genèse dans l’apparat critique de leurs éditions des grands textes littéraires : des collections prestigieuses comme La Pléiade ou les Classiques Garnier, mais aussi des éditions de grande diffusion  (Folio, GF,  le livre de poche, etc.) Ce phénomène, qui n’a d’ailleurs rien de constant ni d‘irréversible, mériterait d’être étudié pour lui‑même mais ne paraît pas de même nature que l’apparition des récentes éditions génétiques.

13 En restant parfaitement cohérent avec lui‑même, un éditeur peut, dans le cadre de plusieurs éditions, ne pas adopter la même présentation, ni le même mode de transcription, pour des manuscrits qui n’exigent pas le même traitement.

14 J.‑L. Lebrave, « L’édition génétique », dans Les Manuscrits des écrivains, L. Hay éd., Paris, Hachette‑CNRS éditions, 1993, p. 206‑223. Les conclusions de cette étude sont convaincantes, mais le réquisitoire général contre la linéarisation l’est beaucoup moins : aucune des critiques formulées ne peut s’appliquer à l’exemple choisi qui constitue justement une exception.

15 A. Grésillon, « L’édition génétique » in Éléments de critique génétique, P.U.F, Paris, 1994, p. 188‑202

16 Par exemple, aux éditions Ramsay, Le Manuscrit autographe des POÉSIES de Stéphane Mallarmé, 1981, ou Manuscrits autographes des ILLUMINATIONS d’Arthur Rimbaud, 1984.

17 Voir note 8 : « L’analyse des manuscrits et la genèse de l’œuvre », op. cit., éd. revue et augmentée, 1989. A. Grésillon cite la référence en note.

18 Ce que j’avais désigné sous le nom générique d’édition horizontale : « L’édition horizontale se propose d’éditer une catégorie (ou une « strate ») particulière de documents de genèse correspondant à une phase précise du travail de  l’auteur » (op. cit. p.934)

19 Ce que j’avais désigné sous le nom générique d’édition verticale : « L’édition verticale se donne pour objectif une publication aussi exhaustive que possible des documents de genèse se rapportant à une œuvre précise de l’auteur, qu’il s’agira de suivre d’un bout à l’autre de sa genèse... » Ibid.

20 Ce travail de classement peut en partie avoir été préparé par les inventaires établis dans les bibliothèques où se trouvent les fonds étudiés, mais implique dans tous les cas, de la part de l’éditeur, la mise en œuvre d’importantes et méticuleuses recherches. P.‑M de Biasi, « La critique génétique », Introduction aux méthodes critiques pour l’analyse littéraire, op. cit. p. 20‑23.

21 Pour des raisons qui tiennent à la dimension du corpus et à la complexité du dossier, aucun classement intégral des manuscrits de Madame Bovary  n’a à ce jour été réalisé. On ne connaît donc que très approximativement les spécificités de cette phase rédactionnelle. Je me fonde, pour cet aperçu, sur les résultats des premiers travaux d’analyse entrepris sur ce corpus par M. Durel (Université de Rouen).

22 P.‑M. de Biasi : « What is a Literary Draft ? Towards a functional typology of genetic documentation ». Yale French Studies, « Draft », (M. Contat, D. Hollier, J. Neefs ed.), avril 1996.

23 On ne connaît pas encore d'exemples d’ « éditions génétiques comparées », mais on pourrait concevoir une édition horizontale donnant à lire des documents appartenant à des corpus d'auteurs différents et correspondant à une même phase de travail dans le cadre d’une comparaison générique : par exemple les plans et scénarios primitifs de trois romans d’éducation contemporains. L'équivalent dans le cadre de l'édition verticale serait plus difficile à imaginer à la fois pour des raisons de dimensions et de mise en œuvre, et parce qu'il est par définition plus aisé de comparer des états d’écriture que des processus.

24 Ce cas se présente plus fréquemment dans le cas d’œuvres réécrites plusieurs fois par leur auteur, sous des formes variantes. Voir par exemple : Sade, Les Infortunes de la vertu, préface par Michel Delon, Présentation, transcription et notes par Jean‑Christophe Abramovici, Coll. « Manuscrits », CNRS éditions ‑ Bibliothèque Nationale ‑ Zulma, Paris, 1995, 336 p.

25 Collection dirigée par Yvan Leclerc, avec la coopération scientifique de l’Institut des textes et manuscrits modernes et la collaboration de la Bibliothèque Nationale de France.

26 Op. cit. en note 6

27 Perec Georges, Cahier des charges de La Vie mode d’emploi, Georges Perec. Présentation, transcriptions et notes par Hans Hartje, Bernard Magné et Jacques Neefs, Paris, Cadeilhan, Coll. « Manuscrits », Cadeilhan ‑ CNRS éditions ‑ Zulma, 1993, 303 p.

28 Sade, Les Infortunes de la vertu, op.cit.

29 Maupassant, Guy de, Le Horla, Présentation, transcription et notes par Yvan Leclerc, Coll. « Manuscrits », CNRS éditions ‑ B.N.F. ‑ Zulma, Paris, 1993, 105 p. / Colette, Sido, Présentation, transcription et notes par Maurice Delcroix, Coll. « Manuscrits », CNRS éditions ‑ B.N.F. ‑ Zulma, Paris, 1994, 347 p.

30 André Breton, Philippe Soupault, Les Champs magnétiques, par Serge Faucereau et Lydie Lachenal, Paris, Lachenal et Ritter, 1988.

31 Op. cit. p. 70.

32 Ainsi : Jean‑Paul Sartre, Écrit de jeunesse, établis, présentés et annotés par Michel Contat et Michel Rybalka avec la collaboration de Michel Sicard pour l’Appendice II, Paris, Gallimard, 1990, 560 p. (avec transcription intégrale des manuscrits sur disquette)

33 Guillaume Apollinaire, Journal intime  1898‑1918, par Michel Décaudin, Édition du limon, 1991./ Georges Bernanos, Cahiers de Monsieur Ouine, par Daniel Pézeril, Paris, Seuil, Le don des langues, 1991.

34 Émile Zola, Carnets d’enquête. Une ethnographie inédite de la France par Emile Zola. Textes établis et présentés par Henri Mitterand, Paris, Plon, coll. « Terre humaine », 1986, 686 p.

35 Henry James, The Complete Notebooks, par L. Edel et L. H. Powers éd., Oxford, University Press, 1987.

36 Paul Valéry, Cahiers 1894‑1914, édition intégrale établie, présentée et annotée par Nicole Celeyrette‑Pietri (pour les volumes 1 à 3, Nicole Celeyrette‑Pietri et Judith Robinson‑Valéry), Paris, Gallimard, 1987 sq.

37 Pasteur, Cahiers d’un savant, éd. coordonnée par Françoise Balibar et Marie‑Laure Prévost, Coll. « Manuscrits », CNRS éditions ‑ B.N.F. ‑ Zulma, Paris, 1995, 255 p.

38 Sans chercher à être exhaustif, on peut citer, par exemple, les éditions et études en cours des cahiers ou carnets d’A. Artaud, H. de Balzac, A. Du Bouchet, S.T. Coleridge, A. Gide, V. Hugo, J.‑K. Huysmans, J. Joyce, A. Pouchkine, M. Proust, etc.

39 Pierre‑Marc de Biasi, « Les Carnets de travail de Flaubert : taxinomie d'un outillage littéraire », in Littératuren° 80 « Carnets, Cahiers », Larousse, Paris, décembre 1990, pp. 42‑55.

40 Op. cit. en note 3.

41 Pierre‑Marc de Biasi, Édition critique et génétique de « La Légende de saint Julien l'Hospitalier de G. Flaubert, Histoire, classement, transcription, interprétation des documents de rédaction, texte de l'œuvre, notes, étude de genèse (5 vol. dactylog. 940 pages; Thèse de doctorat du 3ème cycle en sémiologie. Univ. Paris VII, 1982)

42 Zola, La fabrique de Germinal. Dossier préparatoire de l’œuvre. Texte établi, présenté et annoté par Colette Becker, Lille‑Paris, P.U.L. ‑SEDES, 1986, 514 p.

43 Staël, Delphine, tome 2, L’Avant‑texte, par Lucia Omacini, Genève, Droz, Textes littéraires français, 1990.

44 Op. cit. en note 5.