Les nouveaux programmes de français au lycée proposent quatre grandes perspectives d’étude, dont l’une consiste à sensibiliser les élèves aux phénomènes de l’écriture et de la production des textes. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que la critique génétique soit mise à contribution1, à condition – et c’est loin d’être le cas – qu’elle fasse partie de la formation universitaire des futurs professeurs de français, à condition aussi de transposer ces travaux car l’objectif ici n’est pas de transformer un élève de seconde en généticien en herbe. « Entrer » avec l’élève (ou l’étudiant, du reste) dans le laboratoire de l’écrivain, c’est lui donner les moyens, en effet, de faire évoluer la représentation, souvent déréalisée voire idéalisée, qu’il peut avoir de ce dernier et de sa pratique. C’est mettre l’accent sur l’écriture comme travail et retravail plutôt que sur l’idée qu’elle serait un « don accordé mystérieusement à quelques privilégiés » au statut particulier et exceptionnel,  sur le texte en devenir (pris dans son histoire et dans l’Histoire) plutôt que sur sa clôture idéale ; bref, c’est essayer d’en finir avec « le mythe de l’immaculée conception rédactionnelle »2 que l’institution scolaire (mais pas seulement) continue à véhiculer et qui doit contribuer, chez les apprentis scripteurs, à verrouiller davantage encore certains « blocages » scripturaux.

Didactiquement parlant, il y aurait, me semble‑t‑il, deux « usages » majeurs (et qui peuvent être concomitants) des avant‑textes des œuvres littéraires :

  • Le premier, qui découle directement des remarques précédentes, est celui que l’on pourrait en faire dans le cadre d’activités d’écriture et de réécriture : la critique génétique s’est intéressée tout particulièrement à l’inventaire des possibles linguistiques et textuels présents dans un dossier de genèse, à la description minutieuse du cheminement rédactionnel et notamment à la définition et à l’étude des brouillons d’écrivains. Le numéro 105‑106 de Pratiques consacré à la réécriture témoigne à de nombreuses reprises de l’intérêt du dialogue que peuvent nouer didactique et génétique.

  • Le second usage serait d’accompagnement d’une lecture suivie (par exemple, d’un roman de Zola) : l’intérêt serait ici plus interprétatif. Le dernier état du texte est certes, à cet égard, toujours premier : c’est lui qu’il nous importe de lire et de relire avec l’élève, en insistant sur les processus internes de construction des effets de sens. Mais sur ceux‑ci joue aussi toute une série de contraintes externes : le dossier préparatoire, quand il existe, laisse à voir souvent les divers conflits d’intérêts, les hésitations et les compromis (d’ordre scriptural autant que socio‑culturel3) auxquels est confronté l’écrivain écrivant. Accepter de les lire, c’est entrer également (et indéniablement) dans une démarche interprétative, mais peut‑être plus relativisante. En effet, « relu à la lumière de ses manuscrits, le texte littéraire ne supporte plus d’être institué en configuration de sens fini »4.

C’est cette dernière expérience de lecture d’une œuvre s’élaborant aussi dans la confrontation avec son avant‑texte que je voudrais surtout décrire ici, loin de toute tentative pour construire un bilan exhaustif (et théorisé) de ce que la critique génétique pourrait apporter à la didactique du français (et vice versa). Ayant proposé, dans une étude récente5, une approche ethnocritique du Ventre de Paris de Zola, j’ai été amenée à plusieurs reprises à utiliser le dossier préparatoire du roman. Il m’apparaît que les diverses perspectives ainsi ouvertes peuvent avoir un intérêt directement pédagogique, d’autant que les romans zoliens (comme, de manière plus générale, le réalisme et le naturalisme6) sont très régulièrement étudiés au lycée (et à l’Université).7

Dossier préparatoire et problématisation du naturalisme

Les nouveaux programmes de français aux lycées insistent sur la nécessité d’inscrire les études littéraires dans l’histoire culturelle et sociale (des XIXe et XXe siècles en particulier pour les classes de seconde). De ce point de vue, il y a un intérêt non négligeable à considérer d’abord ce que peut nous apprendre, sur le naturalisme zolien et ses tensions, le va‑et‑vient entre le texte du Ventre de Paris et son dossier préparatoire.

Le « sérieux » naturaliste

Avant de poser la question du naturalisme en termes de critères esthétiques, il convient de rappeler qu’un discours littéraire s’élabore inévitablement dans un champ social : il est souvent tributaire du positionnement éthico‑politique de son auteur, lui‑même lié à la situation de ce dernier dans ce champ de forces spécifiques qu’est le champ littéraire. C’est bien le cas de Zola qui ne cesse de construire la doctrine naturaliste dans ses rapports aux autres écrivains, aux autres courants, aux instances de légitimation littéraire, à l’actualité de son temps, etc. Ainsi, les premières lignes de l’Ebauche du Ventre de Paris témoignent de ce que, chez cet écrivain, le projet d’un roman est fait conjointement d’une dimension politique et d’une dimension esthétique :

L’idée générale est : le ventre, le ventre de Paris, les Halles, où la nourriture afflue, s’entasse, pour rayonner sur les quartiers divers ; – le ventre de l’humanité et par extension la bourgeoisie digérant, ruminant, cuvant en paix ses joies et ses honnêtetés moyennes ; – le ventre dans l’empire, non pas l’éréthisme fou de Saccard lancé à la chasse des millions, les voluptés cuisantes de l’agio, de la danse formidable des écus, mais le contentement large et solide de la faim, la bête broyant le foin au râtelier, la bourgeoisie appuyant sourdement l’empire parce que l’empire lui donne la pâtée matin et soir, la bedaine pleine et heureuse se ballonnant au soleil et roulant jusqu’au charnier de Sedan.
Cet engraissement, cet entripaillement est le côté philosophique et historique de l’œuvre. Le côté artistique est les Halles modernes, les gigantesques natures mortes des huit pavillons, l’éboulement de nourriture qui se fait chaque matin au beau milieu de Paris.8

Zola programme explicitement une intention à laquelle il se tiendra grosso modo ; néanmoins la suite de l’Ebauche et le manuscrit définitif montrent que le cap fixé n’est pas toujours facile à tenir, tant s’en faut. Je vais y revenir.

Du reste, l’existence même des dossiers préparatoires en dit déjà long sur la place qu’une société accorde à l’écrivain. Zola ne comptait peut‑être pas publier ses dossiers de genèse mais il les construisait soigneusement, depuis Le Ventre de Paris justement, avec des rubriques immuables (Ebauche, notes documentaires, un premier plan, un second plan plus détaillé), les gardait précieusement et ne dédaignait pas en parler ou les montrer9. Si les manuscrits sont dignes d’être conservés (on assiste même au XIXe siècle à leur « institutionnalisation »10), c’est qu’on regarde d’un autre œil le travail de l’écriture (« Il faut attendre les Lumières, l’âge des philosophes, pour que le travail apparaisse comme une valeur liée à l’idée de progrès et d’affirmation individuelle »11) et l’auteur lui‑même, qui change de statut.
L’exemplarité des dossiers préparatoires zoliens ­– puisqu’ils prennent une forme relativement stable d’un roman à l’autre – s’explique aussi par toute une série de raisons spécifiques12. Ils sont d’abord, pour leur auteur, la caution de la « méthode » naturaliste, à vocation « scientifique », qu’ils permettent de saisir de manière privilégiée : Zola mène de front le développement d’une idée première (« l’ébauche ») et le travail de documentation (il réunit une masse d’informations en des fiches qui sont de deux sortes essentiellement : les unes sont des résumés ou des extraits de documents consultés et de témoignages envoyés à l’auteur ; les autres sont prises sur le terrain). Pour Le Ventre de Paris, on peut remarquer que Zola délimite soigneusement un secteur de la « réalité » (le quartier des Halles et sa population de petits commerçants), qu’il va ensuite « quadriller » et tenter de restituer méthodiquement. Dans le dossier préparatoire, on trouve de la main même de Zola, un plan du quartier des Halles avec notation des rues adjacentes au marché, un plan des différents pavillons Baltard, un autre précisant la géométrie interne de la poissonnerie ; toute une série de fiches remplies sur le vif, à différentes heures et à diverses saisons, dans les caves et sur les toits (ainsi la partie « Une nuit aux Halles »13, où Zola résume tout ce qu’il a pu remarquer pendant la nuit qu’il a effectivement passée aux Halles) ; des remarques qui lui ont été adressées par un chef de bureau de la Préfecture de police, un rapport relatif à l’exploitation (droits et charges) rédigé par le directeur de l’administration générale de la Ville de Paris ainsi que deux ordonnances de la Préfecture de police, concernant les porteurs et la police des marchés publics ; enfin des notes prises par l’écrivain à partir d’ouvrages publiés14.
Exhiber la méthode, insister ensuite sur son sérieux : voilà ce que doivent dire, pour Zola, les dossiers de genèse. Ce dernier motif est d’autant plus souligné que le romancier, ayant fait disparaître les brouillons rédactionnels, laisse une partie documentaire très importante (« le terrain solide des documents ») et des manuscrits quasiment lisses, sans trace ou presque de réécritures et de ratures15. Il invente donc, a posteriori, des avant‑textes modèles, sans doute pour « imposer une vulgate du naturalisme » en montrant à quel point ils mettent en avant « l’image d’une création logique et rationnelle ».16

Le naturalisme en conflits

A première vue, Le Ventre de Paris semble correspondre à cette manière de concevoir l’invention romanesque ; le roman obéit en tout cas à l’intention programmée dès la première page de l’Ebauche et au « cahier des charges », pour reprendre l’expression de P. Hamon, de l’écriture naturaliste17 : très descriptif, il met en scène de façon minutieuse la vie « moderne » des Halles, en n’oubliant pas de montrer l’égoïsme et le conformisme des petits‑bourgeois commerçants, qui prospèrent sous le régime de Napoléon III. Ainsi les charcutiers Quenu‑Gradelle n’hésitent pas à livrer à la police leur demi‑frère, le républicain Florent (aussi maigre qu’eux sont gras), pour conserver leur tranquillité. Mais cette « intrigue » ne doit pas faire de l’ombre à ce qui reste le principe premier du naturalisme : « la vérité du document » doit l’emporter sur l’imagination, donc en premier lieu, sur les pouvoirs de la fiction. Et le roman de dérouler ses innombrables « natures mortes »… au point que dans ce « gras » descriptif, l’histoire racontée apparaît au lecteur particulièrement « maigre ».
À y regarder de plus près, pourtant, on se rend compte de certaines entorses faites par la narration à la doctrine ; il est passionnant alors de se reporter au dossier préparatoire, observatoire privilégié du naturalisme en action et des tensions qui le traversent, dès le départ. En effet, l’avant‑texte se révèle finalement bien moins exemplaire que Zola ne l’aurait souhaité et certains lecteurs l’ont très tôt remarqué, comme le rappelle C. Pierre‑Gnassounou, qui a consacré un essai à cette question des rapports entre la doxa naturaliste et la fiction :

Dans Comment Zola écrivait ses romans18, le critique [Henri Massis] débusque non sans malice les infractions à la méthode. L’Ebauche de L’Assommoir apparaissait soumise à des contraintes bien autres que documentaires ou logiques : elle était composée sous l’influence de codes mélodramatiques. Les prétentions scientifiques se trouvaient de fait sérieusement concurrencées. Massis levait un premier tabou mais ne tirait pas toutes les conséquences du phénomène qu’il pointait. Henri Mitterand le désignera par le terme de « pré‑construit génétique19 », recouvrant les contraintes tant idéologiques que littéraires, « non assumées sinon refoulées » qui orientent l’invention romanesque. 20

Les scénarios

Ce qui est particulièrement intéressant dans les dossiers de genèse zoliens, c’est que l’on peut suivre l’évolution d’un projet initial (en général décliné dès les premières lignes de l’Ebauche), notamment en matière de « drame » (terme qu’emploie Zola) et de construction des personnages. Le romancier choisit d’abord le « milieu » (de « lieu » et/ou de « société »), ici le quartier des Halles, le « ventre de Paris », et ses habitants, qui digèrent heureusement. En général, l’intention politique et esthétique se double d’emblée d’une réflexion « interne » sur la place du roman à écrire dans la série des Rougon‑Macquart :

Mes Rougon et mes Macquart sont des appétits. J’ai eu dans La Fortune des Rougon toute une naissance d’appétits. Dans La Curée, branche des Rougon, appétit nerveux du million. Dans Le Ventre, branche des Macquart, appétit sanguin des beaux légumes et beaux quartiers de viande rouge. (Ms. 10.338, Ebauche, f° 48)

Une fois cela précisé, Zola réfléchit (par écrit, et son métadiscours, à la première personne du singulier, est tout à fait intéressant) à un personnage central, qui serait le représentant idéal du « milieu » qu’il va décrire.21

Mon héroïne sera dans la famille une exception à la lignée nerveuse. Elle sera un Rubens. J’aurai ainsi une honnête femme, dans la branche des Macquart. Honnête, il faut s’entendre. Je veux lui donner l’honnêteté de sa classe, et montrer quels dessous formidables de lâcheté, de cruauté il y a sous la chair calme d’une bourgeoise. C’est tout un type que je grandirai. On ne me reprochera plus mes femmes hystériques, et j’aurais fait une « honnête » femme […]. (Ibid., f°49)

À ce moment‑là, Zola « a » les Halles et veut un personnage féminin à la « belle digestion tranquille » ; on ne s’étonnera donc pas de lire quelques lignes plus loin qu’ Elisa (premier nom de la belle Lisa Quenu) est « charcutière ».

J’explique le type de la charcutière Elisa. C’est une Macquart, une fille d’Antoine […]. Seulement, elle apporte en outre une vertu plus égale, des qualités supérieures d’ordre et d’intelligence qui ne sont point dans ses parents. Elle est belle, saine, suant le bonheur. Il me la faut à trente‑deux ans dans tout l’épanouissement de sa nature. Je la place dans sa charcuterie, au milieu de ses viandes, avec un tablier blanc. Et c’est là que je place avec elle les lâchetés de la chair, les ramollissements de l’esprit, la détente de la volonté, la chute à la digestion épaisse et satisfaite. (Ibid., folios 50‑51)

Zola continue ensuite à « expliquer le type de la charcutière » dans « trois cas » : en famille (avec son mari surtout), « devant l’Etat », « enfin, devant le cercle de ses connaissances ». Mais il n’a toujours pas d’ « intrigue » ; ce qu’il note, c’est que seule la peur de perdre en confort pourrait faire trembler l’esprit « d’honnêteté moyenne » d’Elisa et la pousser à quelque « infamie ». Lui vient alors l’idée générale :

Le drame pourrait être celui‑ci. Le mari d’Elisa Macquart, que je nomme en attendant Louis Gontard, a un frère compromis et qu’on a envoyé à Cayenne. Il s’échappe, revient à Paris, prend un nom supposé, revoit son frère. En faire un type de républicain ardent, d’idéaliste démocrate, un grand type à coeur […]. Telle pourrait être la grosse charpente du drame. Il me donne Cayenne dans mon histoire de l’empire, et il me le donne de façon à opposer les souffrances atroces des proscrits à l’engraissement des bourgeois qui ont courbé la tête sous le coup d’état et qui en profitent largement. (Ibid., folios 56‑58)

On le voit ensuite compléter, affiner son scénario ; au fur et à mesure de cette élaboration lui sont « donnés » les « personnages épisodiques » et les grandes scènes du drame.
Outre cet avantage qu’elles ont de nous placer aux premières loges de l’invention romanesque, les Ebauches permettent de suivre les débats intérieurs d’un Zola scénariste confronté aux exigences du Zola théoricien (et vice versa). On y lit très régulièrement des velléités de dramatisation de l’intrigue (comportant des « dérapages feuilletonesques » et des « embardées mélodramatiques »22), suivies de procédures de dédramatisatisation naturaliste. Ainsi, la Lisa du Ventre de Paris n’est pas une « hystérique » ; néanmoins Zola, qui a besoin de faire avancer son histoire, la construit en méchante et écrit : « Il faut la faire agir » (ibid., f°54). Il veut lui faire commettre une « vilénie » pour que sa sœur Gervaise (qui devait faire une apparition dans le roman) ne vienne plus lui rappeler sa misère ; elle devait laisser accuser son beau‑frère de meurtre sur Jacques (le futur Marjolin), dont elle a fendu le crâne parce qu’il tentait de la violer, etc. Puis Zola atténue ses positions : « Mais je préfère que Jacques ne meure pas ; seulement le coup reçu sur la tête l’a rendu à moitié idiot » (ibid., f°68) ; « je ferai peut‑être bien de ne pas inventer une conspiration vraie. Le sujet se dessine mieux ainsi » (ibid.). Et finalement, il décide de « ne pas la [Lisa] faire si agissante dans le mal » (ibid., f°69) ; il tiendra ensuite ce cap jusqu’au bout. Bref, les Ebauches « présentent les personnages avant et après les opérations de naturalisation : grands méchants, puis lâches ordinaires. »23

Mais le texte définitif peut garder des traces, plus ou moins manifestes, de ces conflits. Le Zola théoricien ne cesse de s’adjoindre à lui‑même qu’il ne doit pas se répéter (à propos du couple de Lisa et de Quenu, par exemple, il écrit qu’« il faut éviter la ressemblance avec Félicité et Pierre Rougon », ibid., f°55) ni répéter les autres grands romanciers (les modèles les plus prégnants sont sans doute pour lui Balzac et Hugo). Ainsi, il note, dans un feuillet intitulé significativement Différences entre Balzac et moi : « Balzac dit qu’il veut peindre les hommes, les femmes et les choses. Moi, je soumets les hommes et les femmes aux choses. »24 Dans le cas qui nous occupe ici, c’est l’intertexte hugolien (notamment Notre‑Dame de Paris, dont le titre est très clairement convoqué, par ironie, dans Le Ventre de Paris) qui lui donne le plus de fil à retordre. Il va de soi, pour Zola, que le naturalisme doit s’élaborer d’abord contre le romantisme et son roman, du reste, le signale explicitement, par la voix notamment du jeune peintre Claude Lantier : « Puis Claude déblatéra contre le romantisme ; il préférait ses tas de choux aux guenilles du Moyen Age. »25 Seulement, le romantisme et Hugo ont la vie dure… Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, ce même personnage aime à réaliser, de temps à autre, des eaux‑fortes de la rue Pirouette, vieille rue médiévale fort « pittoresque ».
Dans d’autres passages, les rémanences de ces conflits sont beaucoup plus subtiles et révélatrices. C. Pierre‑Gnassounou revient, par exemple, sur l’élaboration et la textualisation du personnage de Marjolin. Construisant son univers fictionnel, Zola pense soudain à la nécessité de créer un personnage qui donnerait l’esprit, l’architecture secrète des Halles :

Il me faudrait dans l’œuvre un personnage épisodique, qui fût le Quasimodo de mes Halles. Je ne prendrai pas le nain romantique mais le jeune garçon réaliste, un gars de trente ans, taillé en pleine chair bien portante, fort, beau, sain, un peu brute. Il sera le Dieu de la Halle, il en connaîtra les coins les plus cachés, en aura fait son domaine, sa chose ; il y goûtera des joies particulières et profondes, fera corps avec elle, l’expliquera sans cesse par ses courses à travers les pavillons ; il y demeurera, n’en sortira jamais, en sera le génie familier. (Ms. 10.338, Ebauche, f°62)

La figure de Quasimodo, explicitement convoquée, est d’abord détournée : il convient de la naturaliser. Le gaillard de Zola est pourvu d’un nom sans mystère « Jacques Duval », d’une famille (« il est le fils d’une marchande de poissons, forte commère […] »). Puis, elle resurgit :

Jacques, le dieu de la Halle, sera décidément un orphelin, né dans la halle. Je lui ferai un bout d’histoire fantastique. Il faut que la figure se détache en pleine fantaisie sur les autres figures réelles. Il n’a donc pas de parents. C’est une création tombée des voûtes de la Halle. (Ibid., f°71)

Hugo et le romantisme finissent par l’emporter, contre le roman naturaliste qui devait pourtant marquer la fin des héros à l’origine obscure.26 Et Le Ventre de Paris racontant la naissance à la fiction de Marjolin se ressent textuellement de cette gestation ambivalente :

Marjolin fut trouvé au marché des Innocents, dans un tas de choux, sous un chou blanc, énorme, et dont une de ses feuilles rabattue cachait son visage rose d’enfant endormi. On ignora toujours quelle main misérable l’avait posé là. […] Quand une marchande de légumes le découvrit sous le grand chou blanc, elle poussa un tel cri de surprise que les voisines accoururent émerveillées et lui, il tendait les mains, encore en robe, roulé dans un morceau de couverture. Il ne put dire qui était sa mère. (VP, 762)

En effet, toute cette biographie (constituant ce que M. Riffaterre appelle une syllepse intertextuelle27) repose sur un terme à double entente, le mot « chou », relevant d’une part d’une isotopie contextuelle (puisqu’il s’inscrit tout à fait dans la réalité maraîchère des Halles) et d’autre part d’une isotopie intertextuelle (il renvoie aussi à la logique féérique, « fantaisiste », de la naissance « dans les choux »). Le nom même de Marjolin rappelle la double ascendance du personnage : nom d’exception (il suffit de le comparer à « Jacques Duval »), donné « sans qu’on sût pourquoi » par une « belle fille rousse qui vendait des plantes officinales », il convoque bien entendu, sur un plan phonique, l’univers du marché (il n’y a pas loin du Marjolin à la marjolaine).

Sur le scénario naturaliste qui s’élabore pèsent donc des motivations théoriques (le discours de la doxa naturaliste), qui interfèrent de fait avec des contraintes de type générique (la doxa s’établissant dans la confrontation aux autres « produits » littéraires – par exemple, le roman romantique ou le conte, cf. le cas du personnage de Marjolin étudié ci‑dessus)  et de type intertextuel (qu’il s’agisse d’intertextualité restreinte à l’œuvre même de Zola ou d’intertextualité élargie), sans oublier les contraintes scénariques et scripturales (le texte s’écrivant engendre aussi des possibles imprévus que le romancier peut conserver). Et si le roman dans sa version « définitive » permet de lire ces phénomènes, les Ebauches sont à cet égard comme des loupes grossissantes.

Les notes documentaires

Cette réflexion sur le naturalisme peut être évidemment poursuivie à propos de la partie documentaire du dossier de genèse, qui cautionne pour Zola, comme on l’a vu, le discours de la méthode.
Outre cet intérêt non négligeable qu’elles ont de permettre aux élèves de voir concrètement ce que sont les fameux « documents » zoliens (on peut les répertorier, faire le distinguo, par exemple, entre une prise en notes de choses vues ou de choses lues, etc.), les notes documentaires suscitent un certain nombre d’interrogations intéressantes.

a) Pourquoi et comment prendre des notes quand on écrit à la fin du XIXe siècle ?
On pourrait ici dépasser la simple question de la prétention naturaliste à la vérité en la resituant dans un contexte « scientifique » plus large : si le fait de  rappeler que cette ambition s’inscrit dans un mouvement positiviste général (dans lequel observer, classer, nommer la réalité deviennent les gestes fondamentaux de la connaissance – encyclopédique – du monde), qu’elle en est un des paradigmes, avec les paradigmes indiciaire et bio‑médical ( ce sont là des lieux communs de l’histoire littéraire) est tout à fait nécessaire, on a aussi intérêt, me semble‑t‑il, à la comparer au développement de l’ethnologie et de la sociologie, qui se constituent au même moment. Je rappelle que les « carnets d’enquête » de Zola ont été publiés, indépendamment des romans qu’ils préparent, dans une collection très importante dans l’histoire des sciences sociales, « Terre Humaine », chez Plon. Cette comparaison, moins établie par la critique, est pourtant très fructueuse dans la mesure où elle permet de reprendre autrement la question de la méthode naturaliste (enquête sur le terrain, posture de l’observateur‑narrateur en terme d’ethnocentrisme, restitution du geste et de la parole de l’autre, etc.) et de ne pas la caricaturer.28.
On peut s’interroger également sur la manière dont est effectuée la prise de notes : au‑delà du problème de son objectivité, il importe de la considérer dans sa relation avec le projet romanesque. « Elles [les notes] résultent d’une sélection thématique qui est elle‑même tributaire de la fiction. Il y a donc de fortes chances pour qu’elles soient commandées à distance, téléguidées, à partir des assises primitives de la narration. »29 Mais H. Mitterand insiste aussi sur le mouvement inverse, en soulignant que les notes peuvent peser « sur les ajustements et sur les compléments de structure qui donneront naissance au second plan détaillé. »

b) Que fait Zola de ces notes ? Autrement dit, comment les textualise‑t‑il ?

  • Une remarque pour commencer : Zola conserve une grande partie des notes qu’il a prises. Peut‑être parce qu’elles sont, pour Le Ventre de Paris en tout cas, de nature essentiellement factuelle. En effet, le romancier s’intéresse à des lieux et des décors (carreaux des Halles, devantures, rues, habitations) ; à des personnels et des activités (un exemple : il suit un charcutier au travail dans l’espace (les divers emplacements de la charcuterie) et dans le temps (il se fait préciser le calendrier des activités charcutières) ; à des événements historiques (les journées de 1848, le coup d’état de 1851, le départ des transportés à Cayenne).

  • Il peut être intéressant ensuite d’analyser la manière dont Zola effectue ce qu’on pourrait appeler la distribution globale (à l’échelle du roman) des notes. Elles nourrissent certes l’ensemble de la narration mais un certain nombre de questions se posent. Y a‑t‑il des séquences où elles sont plus « visibles » ? Lesquelles ? Pourquoi ? On peut aussi considérer un « paquet » de notes – par exemple, l’ensemble des notes concernant la charcuterie – et voir comment elles sont utilisées. On remarque ainsi que, si la description de la charcuterie occupe massivement la fin du premier chapitre et tout le second, avec des moments variés (présentation de la vitrine d’abord, puis l’intérieur de la boutique ; enfin, le « laboratoire »), elle est, en fait, continuée tout au long du roman. Sans doute pour des raisons d’équilibrage descriptif, de ponctuation narrative (les différentes descriptions de la devanture – joyeuse, malade, joyeuse à nouveau – signalent les degrés d’intensité de la crise occasionnée par l’arrivée de Florent aux Halles) ; parce que c’est également une façon pour le narrateur de la construire en lieu obsessionnel.

  • L’étude de la distribution « locale » des notes permet, quant à elle, d’observer plus finement les procédés de textualisation. Il s’agit ici de comparer une prise de notes particulière et un passage du roman qu’elle a très directement nourri. Soit l’exemple fameux de la première description de l’étalage des poissons, au début du chapitre III du Ventre de Paris.

Image1

Image2

Toute une série de pistes de travail sont envisageables. On connaît, suite aux travaux d’Hamon, d’Adam / Petitjean, de Reuter30, les principaux procédés d’insertion des notes documentaires dans un récit, en particulier sous la forme de descriptions. On rend les élèves attentifs à ces derniers : scène prétexte (prise de fonction de Florent qui justifie la description) ; personnage focalisateur qui perçoit ; tension entre focalisation interne et focalisation externe omnisciente ; esthétisation et dynamisation du « tableau » par le biais de la métaphore poisson / bijou (motivée partiellement par « le rai de soleil » qui « fait resplendir tout le poisson », et qui finit par susciter la référence au conte merveilleux : « les écrins, vidés à terre, de quelque fille des eaux »31) ; transformation des phrases nominales ou énoncées au présent en phrases complexes et à l’imparfait, etc.

On peut enfin travailler la réécriture des notes (qu’elles soient documentaires ou scénariques) en s’aidant des procédures de substitution les plus connues :

  • l’effacement : Zola prend des notes qu’il ne conserve pas dans le roman. Dans l’exemple suivant, il observe la devanture de la charcuterie réelle qu’il a choisie comme modèle pour celle des Quenu‑Gradelle :

L’enseigne : sur une glace noire, dans une baguette dorée, le nom des Quenu‑Gradelle32 en lettres d’or, avec deux étoiles, et le chiffre de la maison répété. Sur la glace de la devanture, en lettres de cristal, à fond d’or, Concours de Poissy, puis une rangée de médailles en demi‑cercle collée sur le verre. Des médailles jaunes (or), des médailles blanches (argent). Chaque médaille est ainsi : dans une couronne de laurier, le nom, puis : primé à l’exposition de… En exergue : Ministre du commerce et des travaux publics. En dessous de chaque médaille, l’année. (Carnets d’enquêtes, p. 411)

S’il décide de garder les détails de l’enseigne, les médailles (qu’il décrit pourtant très précisément) disparaissent du texte final (voir VP, 636‑37).

De la même manière, pour compléter la description de la jungle guyanaise que Florent traverse après son évasion du bagne, Zola prépare une liste des oiseaux et des plantes exotiques qui peuvent/doivent s’y trouver : « Courlis écarlates, pabirus blancs, oiseaux nymphéas…Canards du Labrador sur le marais. Caïmans les mangeant, écailles verdâtres. Autour des roseaux et des hibiscus, à fleurs carnivores de douze pieds de haut […]. La forêt, les catalpas, les magnolias, tulipiers, sassafras, palmiers, bananiers… ». (Ms. 10.338, folios 211‑213) Cette liste restera inutilisée.

  • l’adjonction : Zola ajoute des éléments qui ne se trouvent pas dans ses notes. Ainsi celles sur la charcuterie modèle ne laissent prévoir à aucun moment la présence d’un store (Zola relève simplement une « tente, à larges bandes rouges et blanches, avec un lambrequin à franges rouges »), store qui prendra pourtant un relief assez extraordinaire dans le roman :

L’après‑midi, quand la tente de la charcuterie, de coutil gris à bandes roses, se trouvait baissée, la poissonnière criait que la grosse [Lisa] avait peur […]. Il y avait aussi le store de la vitrine, qui l’exaspérait, lorsqu’il était tiré ; il représentait, au milieu d’une clairière, un déjeuner de chasse, avec des messieurs en habit noir et des dames décolletées, qui mangeaient, sur l’herbe jaune, un pâté rouge aussi grand qu’eux. (VP, 840)

  • le remplacement : les citations ci‑dessus nous en donnent déjà un exemple (le tissu rayé rouge et blanc de la tente devient, chez les Quenu‑Gradelle, du « coutil gris à bandes roses »). Ce procédé est repérable de façon plus spectaculaire dans les choix onomastiques : on l’a vu, « Jacques Duval » devient « Marjolin », « Charles Gontard » est remplacé par « David », puis, définitivement par « Florent » (le personnage finissant par porter un nom de famille sans prénom).

  • le déplacement : l’élément noté change d’attribution. Ainsi, le nom « Charvet », d’abord destiné dans l’Ebauche à un personnage de marchand de volailles (appelé par la suite « Gavard »), est donné à un autre personnage de républicain. De la même manière, Zola commence par envisager une idylle amoureuse entre Claude Lantier et une petite marchande de violettes mais ce dernier personnage (Cadine) noue, dans la réalité du roman, une relation avec Marjolin.

On pourrait multiplier les exemples. Il n’est évidemment pas question d’imaginer pouvoir comprendre toutes les motivations qui président à ces réécritures ; néanmoins certaines d’entre elles paraissent clairement obéir à des logiques signalées plus haut :

  • une logique interne (à contraintes scénariques, fictionnelles, stylistiques) : on pense par exemple à la surdétermination de l’onomastique zolienne. Quel meilleur exemple que le nom de « Gavard » attribué au marchand d’oies ? ou que, pour peupler son « univers de mangeailles », Zola finisse par préférer « Florent » (la flore) pour son personnage de « roi des Maigres » et « Quenu‑Gradelle » (« Quenelle‑Gras‑double »…) pour son charcutier mangeur de viande ?

une logique intertextuelle et générique : le récit de l’évasion de Florent en Guyane en témoigne. Voici ce qu’écrit C. Pierre‑Gnassounou (op. cit., p.170‑72) :

A preuve cette autre anomalie : le récit de Cayenne dans Le Ventre de Paris. Il donne lieu à une rupture générique là où un intertexte fictionnel prend le relais du document. Deux références, rappelons‑le, sont à l’origine de cet épisode : le document constitué par le Journal d’un transporté de C. Delescluze, la fiction constituée par Les Aventures d’Hercule Hardy en Guyane d’E. Sue. Or le texte conserve les marques de cette double origine intertextuelle. Le témoignage autobiographique sous‑tend les nombreux détails – alimentaires, climatiques – sur la vie quotidienne des forçats de Cayenne. Mais cette tendance s’infléchit curieusement lors de l’épisode de la forêt vierge qui correspond justement à l’inscription du roman d’Eugène Sue. La description du  paysage équatorial se caractérise en effet par son indétermination. Dans cette scène de cauchemar, la nomenclature et l’étiquetage naturaliste n’ont plus cours : la jungle guyanaise du Ventre de Paris n’a rien à voir avec la serre chaude de La Curée, ou encore avec le Paradou de La Faute de l’abbé Mouret. […] Le narrateur s’en tient aux termes génériques (fruits, oiseaux, serpents, singes…) et ne décline à aucun moment le détail de chaque pantonyme. Le frisson du roman d’aventures l’emporte sur l’intérêt botanique et zoologique. Certes, à aucun moment, le narrateur ne cite à proprement parler sa source romanesque, mais le décalage entre le souci ethnographique de la première partie du récit et la désinvolture descriptive de la séquence guyanaise a valeur d’indice. Il repose sur un changement de régime intertextuel. La baisse du rendement informatif correspond à la mise en texte d’une référence fictionnelle.

  • une logique culturelle : socio‑culturelle puisque le discours et le métadiscours zoliens s’inscrivent dans un champ social (et littéraire) ; ethno‑culturelle dans la mesure où ces derniers sont culturellement polyphoniques, ce qui était mon hypothèse de travail et sur laquelle je reviens en quelques mots.

Dossier préparatoire et ethnocritique33

L’ethnocritique est une approche interprétative des œuvres littéraires : en ce sens, tout ce qui peut aider à la lecture de ces dernières la concerne. De plus, il va de soi qu’une approche qui tente de faire une ethnologie de la littérature ne peut faire l’impasse sur les effets de champ décrits plus haut (procédures de légitimation, phénomènes de censure et d’auto‑censure, etc.) et que les dossiers de genèse zoliens (notamment dans le métadiscours de l’auteur) laissent appréhender concrètement. Mais la démarche ne s’arrête pas, tant s’en faut, à une ethnologie « externe » du texte littéraire, elle s’emploie essentiellement à en étudier la polyphonie culturelle, à montrer comment il textualise, en tout cas pour Le Ventre de Paris, des éléments de culture populaire (des folklorèmes) ; bref, à mettre en évidence son ethno‑culture. Pour le roman qui nous occupe ici, j’ai tenté de démontrer qu’il se construisait aussi sur une réappropriation du motif artistique et folklorique du combat de Carnaval et de Carême. Dans le « dépliage » de cette hypothèse de lecture, l’avant‑texte a pu conforter certaines de mes perspectives et en ouvrir d’autres.

« Le pré‑construit culturel »34

Ou comment un texte savant s’élabore aussi à partir des folklorèmes de la culture populaire, qu’ils soient médiatisés ou non par toute une tradition artistique et littéraire : ce que signalent également la naissance dans les « choux » de Marjolin – étudiée ci‑dessus – et tous les motifs que le roman emprunte aux contes.

Ce phénomène est suffisamment important pour que Zola le formule dans l’Ebauche du Ventre de Paris : après quelque cinquante pages dans lesquelles il projette, construit, affine ses personnages et son « drame », il se rend compte qu’il est en train de « récupérer » un modèle culturel. « En somme, au fond35, c’est la bataille des gras et des maigres que je fais. Je pourrais faire citer par Claude la série des gravures anglaises. Comme gras, j’ai le plus grand nombre de mes personnages, comme maigres, j’ai d’abord Florent, puis Claude […]. » (Ms. 10.338, Ebauche, folios 100‑101) Modèle que le jeune peintre explicite effectivement dans le roman (et l’on voit alors que ces gravures anglaises reproduisent certainement La Cuisine grasse, La Cuisine maigre, copiées d’après Bruegel l’Ancien) :

« Est‑ce que vous connaissez la bataille des Gras et des Maigres ? » demanda‑t‑il.
Florent, surpris, dit que non. Alors Claude s’enthousiasma, parla de cette série d’estampes avec beaucoup d’éloges. Il cita certains épisodes : les Gras, énormes à crever, préparant la goinfrerie du soir, tandis que les Maigres, pliés par le jeûne, regardent de la rue avec la mine d’échalas envieux ; et encore les Gras, à table, les joues débordantes, chassant un Maigre qui a eu l’audace de s’introduire humblement, et qui ressemble à une quille au milieu d’un peuple de boules. Il voyait là tout le drame humain ; il finit par classer les hommes en Maigres et en Gras, en deux groupes hostiles dont l’un dévore l’autre, s’arrondit le ventre et jouit. […].
« ‑ Nous sommes des Maigres, nous autres, vous comprenez… […] En principe, vous entendez, un Gras a l’horreur d’un Maigre, si bien qu’il éprouve le besoin de l’ôter de sa vue, à coups de dents, ou à coups de pieds. C’est pourquoi, à votre place, je prendrais mes précautions. Les Quenu sont des Gras, les Méhudin sont des Gras, enfin vous n’avez que des Gras autour de vous. » (VP, 804‑805)

Je prendrai, pour conclure sur ce point, un autre micro‑exemple. On a vu plus haut, dans la description de la poissonnerie, l’importance de la métaphore poissons / bijoux, métaphore filée, tout au long du roman, à chaque apparition de la poissonnière Louise (la belle Normande), personnage emblématique du pavillon de la Marée. Cette dernière est, elle aussi, comme un trésor des mers : « […] elle était, avec son grand corps de déesse, sa pureté et sa pâleur admirables, comme un beau marbre ancien roulé par la mer et ramené à la côte dans le coup de filet d’un pêcheur de sardines » (VP, 739) ; le texte rappelle très souvent qu’elle est couverte de bijoux, au point même qu’une écaille de hareng à son doigt « mettait là une mouche de nacre ». Sans doute pourrait‑on infléchir ce discours : ce n’est peut‑être pas tant l’association poisson / orfèvrerie qui suscite cette représentation de la poissonnière que l’inverse, dans la mesure où le fait de porter (« exhiber » serait le terme exact) des bijoux appartient au sociotype du métier au XIXe (notamment pour les harengères des Halles), caractéristique qui est devenue, dans la littérature de l’époque, un véritable lieu commun culturel. D’autant que Zola réutilise le trait pour construire l’opposition – majeure dans la vie des habitants du quartier – entre Lisa la charcutière (qui trouve un magot au fond d’un saloir…) et Louise la poissonnière (qui arbore ses bijoux en plein air) ; bref, entre rétention petite‑bourgeoise et corps ouvert de la fille du peuple. « Elles se surveillaient toutes deux. La belle Lisa se serrait davantage dans ses corsets. La belle Normande ajoutait des bagues à ses doigts et des nœuds à ses épaules. » (VP, 675) Et le dossier préparatoire montre à ce sujet que le romancier a noté d’emblée les bijoux dans la description des harengères : « Les marchandes, très diverses. Une, avec un chignon à la mode, en noir. Beaucoup de vieilles pourtant, robes noires, robes rouges. Des bijoux. Les marchandes tricotent l’après‑midi. […]. » (Ms. 10.338, f° 266)

La carnavalisation

La lutte des Gras et des Maigres est aussi l’une des actualisations possibles du motif – véhiculé par une longue tradition littéraire, picturale et rituelle – du combat de Carnaval et de Carême. J’ai fait l’hypothèse qu’on se trouve là devant un schème interprétatif véritablement structurant du Ventre de Paris : sans entrer ici dans le détail de la démonstration, je rappelle simplement que j’ai tenté de mettre en évidence comment, dans ces Halles narrativisées qui ont bien quelque chose d’un monde à l’envers, et autour de la figure du cochon et de ses rituels, le parcours de Carême‑Florent prend la forme spectaculaire d’une « cochonnisation » carnavalisante.36 La consultation du dossier préparatoire du roman peut enrichir la réflexion de données particulièrement intéressantes.
Il confirme en premier lieu l’importance du motif du cochon : ainsi Zola a d’abord imaginé Lisa en bouchère ; le mot est ensuite raturé et remplacé par « charcutière ». On comprend la substitution : cette profession et ce que symbolise le porc conviennent bien mieux à la stigmatisation de la « bourgeoisie digérant, ruminant, cuvant en paix ses joies et ses honnêtetés moyennes ». Mais le roman raconte aussi un cochon davantage populaire. Des ethnologues de la vie urbaine37 rapportent en effet que, sous le second Empire, on assiste bien à une transformation des vitrines de charcuterie – dans le sens d’un plus grand souci de décoration et de luxe –, marquant une nouvelle valorisation de la viande de porc en ville (viande aux fortes connotations paysannes) et la toute récente légitimité bourgeoise des charcutiers (face à leurs « rivaux » les bouchers). Le dossier de genèse du Ventre de Paris en témoigne, notamment dans la description minutieuse des médailles (signalée plus haut), qui indiquent à quel point la charcuterie modèle choisie par Zola tient à exhiber la consécration obtenue en participant à toute une série de concours. Or, le narrateur a fait disparaître ce « détail » dans sa description romanesque. En outre, on l’a vu, il a ajouté à la boutique un store extraordinaire (au sens propre du terme), qui représente « un déjeuner de chasse » dans lequel on lit bien sûr la volonté zolienne de fustiger les prétentions petites‑bourgeoises des Quenu, d’abord dans l’allusion ironique au Déjeuner sur l’herbe de Manet (stigmatisant par contrepoint les goûts très académiques des « braves gens »), puis dans l’affichage assez direct du porc (à travers le motif du gigantesque pâté rouge). Qu’on n’ait trouvé aucune allusion à un tel store dans les notes documentaires de Zola n’est pas étonnant : les charcutiers « réels » de la fin du XIXe siècle, lorsqu’ils commandent des panneaux peints pour leur boutique, choisissent des motifs qui euphémisent la présence de leur animal emblématique. Ils font représenter en effet des paysages champêtres ou des scènes de chasse au sanglier, double noble et sauvage du porc, « alors que [ce dernier], véritable pourvoyeur du charcutier mais animal vulgaire et repoussant, est banni du décor. »38 Il semble donc que le romancier naturaliste ait voulu, dans sa narration, forcer le trait « cochon » non pas tant peut‑être pour signifier la petite‑bourgeoisie des Quenu que pour rappeler plutôt, et constamment, leurs origines populaires et leur récent changement de « classe ».
Que le texte développe une véritable culture du cochon est loin d’être anodin, d’autant que l’animal emblématise assez parfaitement le carnaval populaire. Sans aller plus avant dans l’analyse de ce point particulier, je voudrais terminer par un autre phénomène carnavalesque : l’inversion sexuelle. Dans l’univers fictionnel zolien, nombreuses sont les femmes qui dominent des personnages masculins à la virilité problématique39. C’est là une caractéristique que la critique a souvent soulignée et qu’elle a « expliquée » de plusieurs façons (notamment sur un plan psychanalytique). J’y ajouterai simplement la raison carnavalesque. Au fur et à mesure que Zola narrativise son projet (qu’il construit le quartier des Halles et fait avancer son histoire), on voit le phénomène de « monde à l’envers » (et donc d’inversion sexuelle) s’accentuer et prendre un caractère systématique. C’est ce que nous donne à voir de manière privilégiée l’Ebauche du roman : en effet, dans leurs premières versions, les personnages masculins sont tous plus « vigoureux ». Florent (qui, à ce moment‑là, se prénomme encore Charles) est surtout un politique engagé, « un républicain ardent », un peu « illuminé » certes mais sa féminité et sa faiblesse ne sont absolument pas évoquées :  « [il] a reçu plus d’éducation que son frère ; il est l’aîné, traite un peu son cadet en galopin » ; aux yeux de Lisa, il est avant tout un « galérien » (Ms. 10.338, folios 56‑57). Claude, lui, est d’abord conçu comme une figure bien plus légère qu’il ne le sera en définitive : «Type de la jeunesse sans pain et insouciante, courant dans un éboulement de nourriture. Ce sera le rire et la fantaisie du livre. » (ibid., f° 61) Et surtout, on l’a vu, Zola veut lui faire vivre une « idylle » amoureuse, qui finit par être attribuée à Marjolin. Ce dernier connaît lui aussi une atténuation de sa virilité : Jacques Duval, la jeune « brute heureuse », devient l’abruti Marjolin.

Au fond, ces quelques exemples d’aller‑retour entre Le Ventre de Paris et son dossier préparatoire40 permettent de saisir de façon très concrète les processus complexes de la création naturaliste, dont on peut noter l’ambivalence théorique, idéologique et culturelle. Théorique, parce qu’elle est prise entre la nécessité d’imposer un nouveau discours romanesque, les tentations multiples d’autres possibles fictionnels et la conscience d’un lectorat qui ne demande peut‑être pas toujours tant de « sérieux »…41 Ambivalence idéologique également : que penser, en effet, d’un roman qui ironise en « cochonnisant » (et en le rendant par là même suspect) un personnage, Florent, qui dit (dans les mêmes termes exactement) ce que Zola prend à son compte explicitement dans l’Ebauche à propos du « Paris entripaillé » et du « ventre boutiquier » prospérant sous le second Empire ? Ambivalence culturelle enfin, dans la mesure où, comme la démarche ethnocritique l’a montré, la culture du Ventre de Paris est fortement mêlée, au point qu’on pourrait parler du naturalisme comme d’un « culturalisme ».

On a voulu souligner l’intérêt pédagogique de ces va‑et‑vient, d’autant qu’ils permettent des analyses qui rejoignent assez précisément certaines des perspectives d’étude des nouveaux programmes de français aux lycées : l’approche de l’histoire littéraire et culturelle, la réflexion sur les genres (par le biais du romanesque ici), l’étude des processus d’écriture, des conditions de production et de réception des œuvres.

1  On voit bien ce qui, dans cette démarche, peut intéresser l’enseignement du français :
La « critique génétique » se propose de renouveler la connaissance des textes à la lumière de leurs manuscrits en déplaçant l’interrogation critique de l’auteur vers l’écrivain, de l’écrit vers l’écriture, de la structure vers le processus, de l’œuvre vers sa genèse. Le principe de cette démarche repose sur un constat de fait : le texte définitif d’une œuvre littéraire est, à de très rares exceptions près, le résultat d’un travail, c’est-à-dire d’une élaboration progressive au cours de laquelle l’auteur s’est consacré, par exemple, à la recherche de documents ou d’informations, à la conception, à la préparation puis à la rédaction de son texte, à diverses campagnes de corrections et révision, etc. (P.M. de Biasi, La Génétique des textes, Paris, Nathan Université, coll. 128, 2000, p.9)

Dans cet ouvrage de synthèse, de Biasi retrace l’histoire de la critique génétique, en pose les principales problématiques et termine sur une importante bibliographie. On peut se reporter aussi à A. Grésillon, Eléments de critique génétique, Paris, P.U.F., 1994 ; à Pourquoi la critique génétique ? Méthodes, théories, M. Contat, D. Ferrer (dir.), Paris, CNRS Editions, coll. Textes et manuscrits, 1998 et à la note de lecture qu’en propose Cl. Fabre-Cols dans Pratiques, 105-106, juin 2000, p. 233-234.

2  Ces citations sont tirées de la contribution de J.M. Privat et M.C. Vinson à la Table ronde sur la réécriture, intitulée « Pratique culturelle, pratique cultivée et pratique scolaire », Pratiques, 105-106, juin 2000, p. 225-232.

3  Sur ce dernier point, voir, entre autres, la partie « Réécriture et fonctionnement du champ littéraire » de la contribution de J.M. Privat et M.C. Vinson, citée ci-dessus, p. 231-232.

4  P.M. de Biasi, op. cit., p. 86. Et ce même critique d’insister sur l’idée que « le but » de la critique génétique est bien de « mieux comprendre l’œuvre » (ibid., p.7).

5  M. Scarpa, Le Carnaval des Halles, Paris, CNRS Editions, coll. Littérature, à paraître.

6  Voir ici même l’article d’A. Pagès.

7  Il va de soi que certaines des analyses qui vont suivre ne concernent pas le seul Ventre de Paris.

8  Dossier préparatoire du Ventre de Paris, Ebauche, Ms. 10.338, folios 47-48.

9  Il montre à E. De Amicis le dossier de L’Assommoir, puis il confie à son admirateur hollandais, Van Santen Kolff, celui du Docteur Pascal.

10  Voir, pour l’histoire du manuscrit comme objet culturel, A. Grésillon, op. cit., p. 77-94.

11  P.M. de Biasi, op. cit., p.15.

12  Ces dossiers sont maintenant aisément consultables : on les trouve à la Bibliothèque Nationale de Paris, Département des manuscrits, Nouvelles acquisitions françaises. L’édition des Rougon-Macquart, dans la Bibliothèque de la Pléiade (Paris, Gallimard, 5 volumes, 1960-66) en donne de nombreux extraits, revenant surtout, pour chacun des romans du cycle, sur la méthode de travail de Zola et sur l’évolution des scénarios. Les notes documentaires prises sur le terrain sont, quant à elles, publiées pour une large part dans Carnets d’enquêtes. Une ethnographie inédite de la France, éd. H. Mitterand, Paris, Plon, coll. Terre Humaine / Poche, 1986. Pour Le Ventre de Paris  en particulier, on peut consulter également l’édition critique du roman, établie par M. Baroli (Paris, Minard, coll. Lettres modernes, 1969).

13  Ms. 10.338, folios 165-178. On trouve par exemple des notes nombreuses sur une charcuterie du quartier, une fiche sur les différents poissons (précisant leurs noms, leurs couleurs, leurs disponibilités en saison et leurs prix), une autre sur les droits à acquitter aux différentes administrations pour la vente de chaque catégories de denrées, etc.

14  Pour Le Ventre de Paris, les livres-sources principaux sont : M. Du Camp, Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie dans la seconde moitié du XIXè siècle, Paris, Hachette et cie, tome II, 1870 ; T. Delord, Histoire du second Empire, Paris, 6 vol., 1869-75 et Ch.-L. Delescluze, De Paris à Cayenne, journal d’un transporté, Paris, Le Chevalier, 1869.

15  Chez Zola, on ne peut guère faire de génétique « scriptique » (qui étudie les variantes linguistiques d’un état du texte à l’autre). On peut simplement comparer les versions des romans publiées en feuilleton (du 12 janvier 1873 au 17 mars 1873 dans le quotidien L’Etat pour Le Ventre de Paris ) et les éditions originales, postérieures dans la plupart des cas de quelques semaines : les différences sont en général minimes. On parlera donc plutôt, pour notre auteur, de génétique « scénarique » (s’employant à l’analyse de la manière dont Zola construit son projet romanesque).

16  C. Becker, La Fabrique de Germinal, Paris, CDU et SEDES réunis, 1986, p.6. Ce que nous dit aussi, d’un point de vue plus strictement génétique, la forme du dossier préparatoire zolien, c’est que Zola travaille avec un canevas relativement précis, selon le principe d’une « programmation scénarique » et non, comme d’autres écrivains qui rédigent sans plan (apparent en tout cas), leur œuvre s’élaborant progressivement, dans une sorte de « structuration rédactionnelle ». En d’autres termes (voir A. Grésillon, op. cit., p.102), on pourrait parler, pour notre auteur, d’une « écriture à programme » et non d’une « écriture à processus ».

17  Il faut noter tout de même qu’en 1872-73, le naturalisme n’est pas encore constitué en « doctrine », encore moins en mouvement ou en école (il faut attendre le succès de L’Assommoir en 1877 et la rédaction du Roman expérimental en 1879-80). Néanmoins, les principes en sont déjà bien en place et Zola emploie le mot de « naturalisme » dès la fin des années 1860. Pour l’histoire du terme et l’archéologie de la notion, on peut se reporter à la synthèse proposée par H. Mitterand dans le second chapitre de Zola et le naturalisme, Paris, P.U.F., Coll. QSJ, 1986 et à l’article d’A. Pagès dans ce n°.

18  H. Massis, Comment Zola écrivait ses romans, Paris, Charpentier, 1906.

19  H. Mitterand, « Programme et pré-construit génétique : le dossier de  L’Assommoir », Essais de critique génétique, Paris, Flammarion, 1979, p.195-229.

20  C. Pierre-Gnassounou, Zola. Les fortunes de la fiction, Paris, Nathan, Coll. Le Texte à l’œuvre, 1999, p.149-150. J’utiliserai à plusieurs reprises cet ouvrage dans les analyses qui vont suivre.

21  La manière dont Zola construit ses personnages a été particulièrement travaillée par la critique zolienne. P. Hamon écrit, dans « Le juge Denizet dans La Bête humaine » ( Mimesis et Semiosis, Littérature et représentation, Miscellanées offertes à H. Mitterand, P. Hamon et J.P. Leduc-Adine éd., Paris, Nathan, 1992, p. 139) : « Le processus est bien rôdé : le « cadre » (le milieu) à décrire impose et « donne » le personnel professionnel et les principaux « rôles thématiques » (A.J. Greimas) indispensables (que la quête du document va préciser) en cours de création, et ensuite, dans le roman, le personnage « redonnera » le document […]. » On peut se reporter également à P. Hamon, Le Personnel du roman. Le système des personnages dans Les Rougon-Macquart (Genève, Droz, 1983), et à l’article de M. Monballin et M.C. Orianne-Debray, « Système des personnages dans Le Ventre de Paris » dans Enjeux, 18, CEDOCEF, Facultés Universitaires de Namur, déc. 1989, p. 25-55.

22  Ces expressions sont de C. Pierre-Gnassounou, op. cit., p. 174.

23  Ibid., p.181.

24  Ms. 10.345, f°15.

25  Le Ventre de Paris  (VP), p. 624. Les citations du roman sont tirées de l’édition des Rougon-Macquart dans la Bibliothèque de La Pléiade (Paris, Gallimard, T. I, 1960).

26  Roman naturaliste dans lequel « l’on ne trouve plus des enfants marqués à leur naissance puis perdus, pour être retrouvés au dénouement » (Zola, Œuvres complètes, Paris, Fasquelle, Cercle du Livre précieux, H. Mitterand éd., t. X, p. 98).

27  M. Riffaterre, « La syllepse intertextuelle », Poétique, 40, novembre 1979, p. 496.

28  Je me permets de renvoyer à mon travail (op. cit.), où ces questions ont été abordées très largement.

29  H. Mitterand, Le Regard et le Signe, Paris, P.U.F. Ecriture, 1987, p. 84.

30  P. Hamon, Du Descriptif, Paris, Hachette Supérieur, 1993 (1ère édition 1981) ; J.M. Adam, A. Petitjean, Le Texte descriptif, Paris, Nathan Université, 1989 ; Y. Reuter, La Description. Des théories à l’enseignement-apprentissage, Paris, ESF, 2000.

31  P. Hamon écrit, dans une note (p. 129) de l’édition 1997 du Ventre de Paris  dans Le Livre de Poche : « La description correspondant à ce qu’est en peinture une nature morte (le terme est employé plus loin) a toujours un caractère dynamique et métaphorique, qui transforme le spectacle en un autre (ici un trésor piraté sur les mers). »

32  On voit bien ici, dans l’apparition du nom romanesque des charcutiers, comment notes « objectives » et narration s’entremêlent dès l’enquête sur le terrain.

33  L’ethnocritique se propose de lire la littérature dans son travail de réappropriation des données du culturel. Elle fait « l’hypothèse culturologique qu’il y a du lointain dans le tout proche, de l’autre dans le même, de l’exotique dans l’endotique (et vice versa) » (J.M. Privat, « A la recherche du temps (calendaire) perdu », Poétique, 123, septembre 2000, p. 301) et elle s’intéresse plus spécialement aux formes de culture populaire, folklorique, illégitime dans la littérature savante, cultivée, légitime. On peut se reporter sur cette question à l’ouvrage fondateur de J.M. Privat, Bovary Charivari, Paris, CNRS Editions, coll. Littérature, 1994 et à son article, « Introduction à la lecture ethnocritique en  3e », Pratiques, 95,  septembre 1997, p. 53-95.

34  Pour paraphraser H. Mitterand (voir plus haut).

35  Je souligne.

36  Pour faire un mauvais jeu de mots : on assiste bien ici au combat de Carême contre Carnav-halles [sic].

37  Cl. Reinharez, J. Chamarat, Boutiques du temps passé, Paris, Presses de la Connaissance, 1977.

38  Ibid., p. 56.

39  Ainsi Florent, « doux comme une fille », « dépensait en rêve trop de sa virilité » et Claude Lantier souligne le fait explicitement : « Je ne sais seulement pas à quoi ça sert, une femme ; j’ai toujours eu peur d’essayer… » (VP, 850).

40  Il va de soi que je n’ai pas évoqué ici toutes les perspectives qu’ouvrent les avant-textes zoliens. Sur cette question, on peut lire aussi, outre les ouvrages déjà cités, C. Becker, « Retour sur les dossiers préparatoires. " Ceci s’établira en écrivant "… », Les Cahiers naturalistes, 67, 1993, p. 225-234 ; H. Mitterand, « Critique génétique et histoire culturelle : les dossiers des Rougon-Macquart », La Naissance du texte, L. Hay dir., Paris, Corti, 1989, p. 147-162 ; H. Mitterand, « Le métatexte génétique dans les Ebauches de Zola », Genesis, 6, 1994, p. 47-60 ; J. Neefs, « L’écriture scénarique », Mimesis et Semiosis, op. cit., p. 109-121 ; A. Pagès, « Discours critique et production de l’œuvre littéraire chez Emile Zola », De la genèse du texte littéraire : manuscrit, texte, auteur, critique, Actes du Colloque franco-soviétique, octobre 1987, Paris, Du Lérot, 1988, p. 99-109.

41  A propos de l’image problématique qu’a Zola de son lecteur, on peut se reporter à l’article de J. Kaempfer, « Anges. La foule dans l’œuvre critique de Zola », Actes du Colloque de sociologie de la littérature Statut et fonction de l’écrivain et de la littérature au XIXe siècle, Université de Neuchâtel, Cahiers de l’ISSP, 7, mai 1986, p. 7-20.