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« Rien ne se crée, rien ne se perd. »
(James Joyce à Jacques Mercanton)
Dans son article « Genetic Criticism »1 Graham Falconer attire l’attention sur le champ de recherche virtuellement inexploré qu’est la critique génétique comparative. Se référant à Dickens, Flaubert et Zola, il suggère que la comparaison de méthodes d’écriture peut ajouter une valeur importante à l’étude de l’histoire et des poétiques de la littérature du xixe siècle. En juxtaposant différentes méthodes de composition on tentera, dans l’article qui suit, d’appliquer cette critique génétique comparative à la littérature du début du xxe siècle, plus spécifiquement à l’avant-texte de l’œuvre tardive de trois auteurs : Thomas Mann (Doktor Faustus), Marcel Proust (À la recherche du temps perdu) et James Joyce (Finnegans Wake)2. Un des aspects cruciaux du processus créatif de ces auteurs est la valeur ajoutée aux matières premières. Au lieu de se fixer sur la phase prérédactionnelle ou sur la phase rédactionnelle (selon la typologie de Pierre-Marc de Biasi3), cette étude se concentre sur la zone de transition entre ces deux phases, et particulièrement sur l’interaction entre les « carnets » et les « cahiers »4 de ces auteurs.
Les « carnets » de Marcel Proust5, les « notebooks » de James Joyce6 et le « Notizenkonvolut »7 de Thomas Mann sont des entrepôts de matériel textuel assemblé à partir de sources externes ou bien résultant de moments d’impulsion créatrice. Mais rien ne résulte de rien (comme le savait déjà le roi Lear de Shakespeare) et même ces moments d’inspiration sont souvent le résultat de stimulations externes. Les carnets de Proust montrent plusieurs passages prérédactionnels inspirés par l’écoute de musique, qui ont servi plus tard à composer la musique fictive de Vinteuil. Durant l’écriture Proust se rappelait à l’aide d’une note dans le cahier 73 qu’il n’avait pas encore fait usage de quelques passages spécifiques de ses carnets :
Se rappeler que je n’ai mis ni les fées familières, ni la composition astrale, ni bien d’au la phrase la plus jolie créature que j’aie connue, ni bien d’autres choses toutes dans les petits cahiers de bonshommes, et que peut’être je mettrai là, peut’être au pianola, peut’être à la soirée finale (Cahier 73, f° 43v°)8.
Les « fées familières » renvoient à une note du carnet 4 (fos 2v°-3r°), un des « cahiers de bonshommes », note précédée de la mention « pour musique » :
phrases habituelles, harmonies habituelles à Franck demi déesses qui bientôt de ^de moindres grandeurs^ qui lui sont familières, ses nymphes et ses sylvains qu’on reconnaît.
Proust avait cependant déjà employé l’unité des déesses familières dans son cahier 57, en combinaison avec quelques autres lexies9 :
Vinteuil avait ainsi certaines phrases qui de quoi qu’il parlât, quelque sujet qu’il traitât habitaient son œuvre dont elles étaient comme les déesses divinités familières le ^peuple^ familier, les dryades et les nymphes, belles et ^divines^ étrangères dont nous ne savons pas la langue10 et que nous comprenons si bien ! (Cahier 57, f° 3v°)11
Dans le cahier 55, Proust écrit que même dans les études de Vinteuil « on voit apparaître de ces phrases qui reviendront si souvent », ce qui est précisément l’effet que Proust crée avec cette lexie dans le même cahier :
D’ailleurs entre toutes ^toutes^ les œuvres de Vinteuil il y avait une Même même déjà dans ces études-là on voit apparaître de ces phrases qui reviendront si souvent quelque sujet qu’il veuille traiter [32r°] dans les œuvres de Vinteuil et, qui l’habitent, qui en sont comme les divinités secondaires, les dryades, les fées ^plus tard dans tout ce qu’il a écrit. Il a traité des sujets grecs, des sujets du moyen âge français, des sujets grecs, mais au f quand il les a traités sincèrement, qu’il est allé vraiment au fond de lui-même, c’est toujours une de ces phrases qui a servi d’interprète entre lui et son sujet, comme si sans qu’ sans qu’on puisse comprendre, par quelle affinité mystérieuse les les avaitappelées toujours dans un les même^s^ dans ce seulcerveau quel que soit le sujet qu’il traite, et les fasse inévitablement apparaître çà et là au cours de toute l’œuvre d’un du même musicien, de laquelle elles sont comme les divinités familières, les dryades, les fées (Cahier 55, f° 31-32r°)12.
Le souci de Proust (dans le cahier 73) de ne pas oublier la lexie des « fées familières » l’a amené finalement à leur double emploi dans La Prisonnière, une fois dans la description du Septuor (quand le narrateur entend « une de ces phrases qui […] apparaissent constamment dans son œuvre, dont elles sont les fées, les dryades, les divinités familières » [RTP III 763]) et une fois dans la scène du pianola, où le narrateur se rappelle la phrase du Septuor « mêlée aux fées familières du musicien » (RTP III 875). Ici, les « fées familières » sont combinées avec des échos d’autres lexies des carnets, comme « la joie titubante des cloches de midi » (RTP III 875-876) dérivée d’un passage du carnet 3 :
Pour Ber[gotte] Vinteuil encore fin de la sonate symphonie de Franck. Il semblait dans sa joie tirer les cloches à toutes volées. La plus par un dimanche de soleil où on s’écrase sur la place de Combray. La phrase était // boiteuse et pas belle mais elle enivrait de joie et de soleil (Carnet 3, fos 6v°-7r°).
La titubation des cloches et le caractère boiteux, « presque laid », réapparaissent également ailleurs (RTP III 755). Le recyclage du même matériel crée un effet d’écho qui stimule la mémoire du lecteur. De plus, la recherche génétique montre que la dialectique de souvenir et d’oubli s’applique non seulement au produit final mais également à l’avant-texte. Un exemple en est le fameux passage sur la métaphore, qui commence avec la phrase « Une heure n’est pas qu’une heure » (RTP IV 467). Dans le cahier 57 cette phrase était un peu différente : « Une lueur n’est pas qu’une lueur » (RTP IV 818). Analogue aux rimes internes (au niveau du texte publié) analysées par Jean Milly et Adam Piette13, la relation entre « lueur » et « heure » pourrait être désignée comme rime externe (entre deux versions différentes). L’effet est le même : le lien formel accentue un aspect important du contenu. Ainsi, la relation entre « heure » et « lueur » apparaît un peu plus loin dans le texte dans l’image que Proust choisit pour décrire le Temps, en le comparant à la projection de la lanterne magique (RTP IV 503).
Le passage suivant la phrase « Une lueur n’est pas qu’une lueur » dans le cahier 57 révèle encore un autre lien vers la fin du paragraphe :
La vérité ne commence que quand l’écrivain prend deux objets différents, pose leur rapport et les attache indestructiblement par un lien indestructible, une alliance de mots. Le rapport peut être peu intéressant, les objets médiocres, le style mauvais mais tant qu’il n’y a pas eu cela il n’y a rien (RTP IV 818 ; c’est nous qui soulignons).
En mettant « rien » à la fin du paragraphe, Proust accentue la notion du « rapport » exprimé par le mot-clé « lien ». À l’aide de cette rime, il crée la possibilité d’une « réminiscence involontaire »14. Malheureusement le « lien indestructible » a disparu dans le texte de l’édition de la Pléiade. En conséquence, la rime interne est perdue. Lorsque Proust a recopié ce passage dans ses cahiers d’écolier, il a décidé d’insérer une addition importante sur la métaphore, écrite dans la marge. La situation problématique pourrait être représentée schématiquement comme suit :
[…], la vérité ne commencera qu’au moment où l’écrivain prendra deux objets différents, posera leur rapport,
^analogue dans le monde de l’art à celui qu’est le rapport unique de la loi causale dans le monde de la science, et les enfermera dans les anneaux nécessaires d’un beau style. Même[,] ainsi que la vie[,] quand en rapprochant une qualité commune à deux sensations, il dégagera leur essence commune en les réunissant l’une et l’autre pour les soustraire aux contingences du temps, dans une métaphore. La nature ne m’avait-elle pas mis elle-même, à ce point de vue[,] sur la voie de l’art, n’était-elle pas commencement d’art elle-même, elle qui ne m’avait permis de connaître[,] souvent [longtemps après,] la beauté d’une chose que dans une autre, midi à Combray que dans le bruit de ses cloches, les matinées de Doncières que dans les hoquets de notre calorifère à eau ?^
et les enchaînera par le lien indestructible d’une alliance de mots. Le rapport peut être peu intéressant, les objets médiocres, le style mauvais, mais tant qu’il n’y a pas eu cela, il n’y a rien15.
Cette situation textuelle crée un sérieux problème pour les éditeurs : pour des raisons syntaxiques la queue de la phrase originale contenant le mot « lien » (« et les enchaînera par le lien indestructible d’une alliance de mots ») ne peut pas être collée à l’addition insérée. Par conséquent les éditeurs de l’édition Pléiade ont décidé de la supprimer, renvoyant le lecteur à une note à la fin du volume (RTP IV 1265). Dans l’édition Flammarion16 l’éditeur Bernard Brun a résolu le problème différemment : il présente deux versions, commençant toutes les deux par « la vérité ne commence… » La première se termine avec l’addition marginale et la seconde se termine avec le « lien indestructible » suivi de la phrase avec « rien »17. Ainsi la rime interne est maintenue. L’édition de la Pléiade offre au lecteur de nombreuses esquisses, beaucoup plus que l’édition Flammarion. Mais l’établissement du texte de la première semble être inspiré plutôt par une esthétique du produit final, tandis que la dernière s’accorde avec une poétique du processus. En supprimant la phrase coordonnée, l’édition de la Pléiade dissimule l’état inachevé du texte, tandis que l’édition Flammarion attire l’attention sur le problème en répétant le commencement de la phrase « la vérité ne commence… », de sorte que le lecteur devient conscient du fait que ce qu’il lit n’est pas « le » texte ne varietur.
Les répétitions de Proust, comme le double emploi des « fées familières », ont une fonction-signal similaire. Proust ne se contente pas d’une explication du principe de la « mémoire involontaire », mais il le met continuellement en pratique. Durant le processus de lecture certains fragments textuels remontent à la surface, ce qui peut provoquer chez le lecteur un éclair de reconnaissance. La lexie des « fées familières » n’est pas la seule unité qui soit recyclée ou employée plus d’une fois dans La Prisonnière. Une comparaison de la musique aux couleurs du spectre dans le carnet 3, qui a bifurqué pendant le processus créatif, a abouti à deux passages importants dans La Prisonnière (RTP III 665 et RTP III 762) :
pour Vinteuil Comme les couleurs du spectre extériorisent pour nous la composition intime des astres que nous // [6r°] ne verrons jamais, ainsi la couleur du peintre, les harmonies du musicien, nous permettent de connaître cette différence qualitative des sensations qui est la plus g[ran]de jouissance et la plus g[ran]de souffrance de la vie de chacun de nous et qui reste toujours ignorée car elle est indépendante de ce que nous pouvons raconter (les faits, les choses) qui sont les mêmes pour tous. (Carnet 3, fos 5v°-6r°)
De façon similaire la description des « thèmes insistants » de Wagner (« si pressants et si proches, si internes, si organiques, si viscéraux qu’on dirait la reprise moins d’un motif que d’une névralgie » [RTP III 665]) retentit dans celle d’une phrase du Septuor (« si interne, presque si organique et viscérale qu’on ne savait pas, à chacune de ses reprises, si c’était celle d’un thème ou d’une névralgie » [RTP III 764]). Ces deux descriptions sont le résultat du développement d’une autre lexie, qui explicitement ne se reporte pas à la musique de Wagner, mais – comme dans les lexies des « fées familières » et des « cloches » – à celle de César Franck :
Pour Franck [:] Ce n’est pas un motif qui reprend, c’est une névralgie qui recommence18.
Proust soulignait que ses personnages et ses compositions fictives n’étaient jamais basés sur un seul modèle. Mais de tous les modèles du Septuor de Vinteuil, le quatuor pour deux violons, alto et violoncelle (1889) de César Franck est certainement une des compositions les plus intéressantes. Ce quatuor est une application stricte du système cyclique de composition qu’il avait déjà employé avec succès dans son quintette de 1880, caractérisé par un thème unique qui court à travers les trois premiers mouvements pour passer en majeur dans la partie finale. La réapparition de thèmes est également une notion cruciale dans la poétique de Proust. Il a d’ailleurs souligné la structure cyclique de son œuvre dans sa correspondance, par exemple dans sa lettre à Benjamin Crémieux concernant la construction de son roman : « On ne pourra la nier quand la dernière page du Temps retrouvé se refermera exactement sur la première de Swann. »19 Cette structure globale circulaire est accentuée grâce à des mouvements circulaires internes. Avec le recyclage du matériel textuel, Proust a créé un équivalent littéraire du système cyclique de composition musicale, ne devant ainsi plus faire explicitement allusion à César Franck. La signature du compositeur est contenue implicitement dans la méthode de composition.
Une situation semblable se présente dans l’avant-texte du Docteur Faustus : La vie du compositeur allemand Adrian Leverkühn racontée par un ami20. Thomas Mann n’employait pas de « carnets » durant la genèse de son roman, mais prenait des notes préparatoires et esquissait des schémas sur des feuilles volantes qui sont conservées dans le Thomas-Mann-Archiv à Zürich. Ce dossier désigné sous le nom de Notizenkonvolut contient, entre autres, quelques pages de notes que Mann a recyclées à partir de notes prises quarante ans plus tôt dans ses Notizbücher21, notamment des préparations, dans le carnet VII, pour la nouvelle inachevée « Die Geliebten ». Pendant les deux mois précédant l’écriture du Docteur Faustus il les copia méticuleusement sur les pages 87-93 du Notizenkonvolut22. Il y a néanmoins quelques différences entre l’original et les copies. Le nom de Friedrich Nietzsche réapparaît souvent dans les notes du carnet VII ; dans le Notizenkonvolut Thomas Mann a omis systématiquement ces références explicites puisque la vie du compositeur Leverkühn s’est modelée sur la vie de Nietzsche et que son nom ne pouvait de ce fait être mentionné, comme le montre le développement de l’extrait suivant :
Sie hat Eugen (Albrecht ?) geheiratet, weil sie glaubte, so dem Leben zu entgehen. Ironie, daß nun er gerade sich als jener nietzscheanischer Typus entpuppt, der beständig für das Leben, die Schönheit, den dummen Instinkt, die Kraft eintritt (Carnet VII, p. 47).
(« Elle a épousé Eugen (Albrecht ?) parce qu’elle croyait ainsi échapper à la vie. Ironie : c’est lui précisément qui se révèle comme appartenant à ce type nietzschéen qui préconise constamment la vie, la beauté, l’instinct bête et la force. »)
Frauenschicksal : Sie hat Eugen geheiratet, weil sie glaubte, dem Leben damit zu entgehen. Ironie, daß nun gerade er sich als der Typ entpuppt, der beständig für das Leben, die Schönheit, die Kraft, den Instinkt eintritt (Notizenkonvolut 87).
(« Destin de femme : elle a épousé Eugen parce qu’elle croyait ainsi échapper à la vie. Ironie : c’est lui précisément qui se révèle comme appartenant à ce type qui préconise constamment la vie, la beauté, l’instinct bête et la force. »)
Thomas Mann a élaboré cette lexie en rapport avec la perspective du mariage entre Ines Rodde et Helmut Institoris :
[…] quant à la vie, elle cherchait précisément à se protéger contre ses assauts par un mariage bourgeois […] Ironie du sort, l’homme – ou l’homoncule – qui semblait lui offrir ce refuge était l’apôtre enthousiaste d’une belle perversité et des empoisonnements à l’italienne (GW VI 390-1 ; trad. p. 386).
Il est remarquable que Mann ait copié presque littéralement autant de notes anciennes avant de les incorporer dans le texte. La nature de ces extraits ne diffère pas des extraits que Mann a copiés des lettres de Luther et du Volksbuch de 1587 (la plus importante des premières sources publiées de l’histoire de Faust). Cette analogie semble confirmer l’hypothèse selon laquelle Mann parodiait son propre style de jeunesse à travers le narrateur Serenus Zeitblom. Cependant, certaines de ces vieilles notes avaient déjà été utilisées, comme les passages du carnet VII qui ont été employés dans Ein Glück (1904). Dans cette nouvelle la baronne Anna médite sur l’atmosphère de fête dans le casino des officiers à Hohendamm (GW VIII 357-359). À travers les extraits notés dans le Notizenkonvolut, ces passages ont été réutilisés dans le Docteur Faustus, peut-être par inadvertance, pour le récit d’une conversation entre Zeitblom et Ines Rodde (GW VI 390-391). L’aspect le plus remarquable de ce recyclage est que l’écrivain âgé était apparemment toujours satisfait du style de ses premiers écrits puisqu’il a fait peu de changements en copiant ses notes anciennes.
Outre ce genre d’éléments stylistiques, des idées clés comme l’application de l’histoire de Faust à la vie d’un artiste syphilitique sont également recyclées23 pour conceptualiser le plan général de son roman. Apparemment, les écrits précédents servaient comme encouragement pour continuer d’écrire. Une investigation plus détaillée de cette forme d’autostimulation montre une ressemblance assez remarquable avec le recyclage musical dans l’œuvre de Johann Sebastian Bach. L’intérêt de Thomas Mann pour la musique de Bach apparaît entre autres dans les traces de sa lecture d’un livre d’Ernst Krenek, Music Here and Now. Selon Krenek, Bach « introduisait une nouvelle vue sur les concepts de répétition et variation »24. Cette répétition et variation inclut le recyclage d’œuvres précédentes, une pratique courante à l’époque de Bach, qui peut expliquer pourquoi Thomas Mann copiait ses propres notes. Une de ces notes recyclées est particulièrement intéressante à cet égard parce qu’elle est signalée par des guillemets dans le texte publié du Docteur Faustus :
Il appartenait à un type, produit de ces décennies d’avant-guerre qui, selon la frappante expression de Baptiste Spengler, « pendant que la tuberculose flamme sur ses pommettes ne cesse de crier : Ah ! que la vie est forte et belle ! » (GW VI 381-382 ; trad. p. 384).
La note recyclée sur laquelle ce passage est basé est une exception parce qu’elle mentionne encore le nom de Nietzsche, ce qui s’explique parce qu’elle est précédée d’une indication explicite de l’origine de cette note, une « Remarque de 1901 » recopiée exactement par Thomas Mann :
Bemerkung von 1901 : Ein furchtbarer Typus, den Nietzsche gezüchtet hat ; er schreit, während ihm die Schwindsucht auf den Wangenknochen glüht, beständig : Wie ist das Leben so stark und schön (Notizenkonvolut 87).
(« Note de 1901 : Un type terrible engendré par Nietzsche ; tandis que la phtisie lui brûle les joues, il crie constamment : Que la vie est forte et belle. »)
Du carnet VII où la note était écrite à l’origine comme une caractérisation d’Albrecht (le mari de la protagoniste dans la nouvelle jamais terminée « Die Geliebten »), elle a servi comme description du poète Martini dans Königliche Hoheit (GW II 181), avant que Mann la réemploie dans le Docteur Faustus.
Le Volksbuch et la pratique médiévale qui consiste à employer des sources externes pour montrer son érudition ont servi de modèle et en même temps d’apologie de la technique de montage. Il n’est pas inconcevable que Thomas Mann ait considéré la pratique de recyclage musical chez Bach comme une sorte de justification pour le recyclage de ses propres textes. Un des cas les plus connus de recyclage musical dans l’œuvre de J.-S. Bach est l’Oratorio de Noël. Notamment l’Aria n° 39 dans la quatrième partie, écho de l’Aria « Treues Echo » (Cantate BWV 213), est un exemple subtil du sens de l’humour de Bach. Avec une semblable ironie envers sa propre manière d’écrire, Thomas Mann fait en sorte que Nepomuk, le petit-neveu du protagoniste Leverkühn, s’appelle « Echo » et que son biographe Zeitblom souligne les effets d’écho à la Monteverdi dans la cantate de Leverkühn Dr Fausti Weheklag (GW VI 644). Le recyclage était pour Thomas Mann une manière d’accentuer la correspondance entre la polyphonie médiévale et les méthodes modernes de composition, comme le dodécaphonisme. Alors que Schoenberg accentuait la différence entre sa méthode et celle de compositeurs plus anciens comme Bach, Mann se concentrait précisément sur le lien entre le passé et le présent. Ce lien est exprimé explicitement dans la conversation importante entre Zeitblom et Leverkühn, dans laquelle le compositeur explique son « écriture rigoureuse » (strenger Stil). Thomas Mann a raccourci ce dialogue d’une page entière dans la deuxième édition. Puisque le terme « écriture rigoureuse » se rapporte ordinairement à la musique de Bach, Zeitblom demande à son ami si son nouveau style diffère de l’écriture rigoureuse « im alten Sinn ». Tandis que la réponse de Leverkühn occupe plus d’une page dans l’édition originale, il se contente dans les éditions suivantes de quelques phrases, commençant par les mots « alt oder neu » (ancien ou nouveau) (GW VI 255), comme si cette différence importait peu. Mann s’intéressait davantage à ce qu’il appelait « Zeitentiefe » (profondeur temporelle), l’impression de simultanéité et la rencontre de différentes couches du temps, selon le principe de Marcel Proust : « Notre moi est fait de la superposition de nos états successifs. » (RTP IV 124) Mais Proust précisait immédiatement que « cette superposition n’est pas immuable comme la stratification d’une montagne. Perpétuellement des soulèvements font affleurer à la surface des couches anciennes » (RTP IV 125). Comme Proust, Thomas Mann thématisait le retour à la surface de « couches anciennes », ce qui détermine en même temps sa méthode de travail. L’entrelacement de la genèse du texte avec le sujet du texte est également frappant dans le dernier ouvrage de James Joyce.
La structure circulaire de Finnegans Wake n’est que l’extériorisation d’un recyclage à différents niveaux. D’une manière similaire au recyclage de thèmes et scènes du roman inachevé Jean Santeuil pratiqué par Proust, James Joyce a développé le thème d’un projet pour une nouvelle intitulée « Ulysses » dans l’épisode « Eumaeus » du roman Ulysse. Quelques idées de ce roman furent à leur tour recyclées dans le dernier ouvrage de Joyce. Ainsi l’idée de voyeurisme de l’épisode « Nausicaa » dans Ulysse semble être à l’origine du crime que le protagoniste H.C.E. est supposé avoir commis selon le réseau de rumeurs qu’est Finnegans Wake. Lorsque Joyce n’était pas encore fixé sur la structure et le contenu précis de Finnegans Wake, il revint à ses ouvrages précédents (auxquels il se réfère dans son carnet nommé « Scribbledehobble ») pour entamer un nouveau projet avec quelques esquisses sur des sujets divers, qu’il n’avait plus utilisés depuis une décennie et demie. À la fin de son Work in Progress (qui deviendra Finnegans Wake) Joyce se rappela qu’une quinzaine d’années plus tôt, il avait écrit ces esquisses qu’il pouvait encore incorporer à son roman. L’idée d’une redécouverte peut donner l’impression que Joyce se trouve tout à coup confronté à un ensemble de textes qu’il avait perdus de vue depuis quinze ans, mais il est tout aussi possible qu’il ne les ait pas (tous) oubliés durant toutes ces années. En 1923 Joyce avait demandé à Harriet Shaw Weaver de garder une copie de ces esquisses pour être sûr qu’elles ne se perdraient pas et, en effet, en 1938 il fit appel à elle lorsqu’il eut besoin de documents25 pour élaborer les manuscrits de la dernière partie de Finnegans Wake.
Il est rare que Joyce supprime un passage de plus de quelques lignes et il veille à ce que rien ne se perde. Les carnets « B » donnent l’impression d’être le résultat d’une créativité prodigieuse, mais en même temps Joyce était si économe de ce matériel qu’il engageait Mme France Raphael pour recycler les notes non biffées (qu’il n’avait pas encore employées dans les manuscrits) en les copiant dans des carnets nouveaux, nommés « C » dans le catalogue de Peter Spielberg26. La « valeur ajoutée » dans la transition entre ces carnets de recyclage et les unités de textes est particulièrement intéressante dans les « feuilles de notes » (notesheets) qui peuvent être comptées parmi les pièces à conviction les plus fascinantes de la gestion textuelle de Joyce.
Tandis que la transition entre carnets et cahiers correspond souvent à la transition entre la phase prérédactionnelle et la phase rédactionnelle, les « notesheets » représentent généralement une phase intermédiaire entre les notes paradigmatiques et les textes syntagmatiques au cours de la phase rédactionnelle27. Peu de temps après que Mme Raphael eut recyclé les notes non biffées d’une série de carnets « B » dans les quatre premiers carnets « C », Joyce en fit une sélection pour la révision de quatre chapitres (III.1, III.2, III.3 et III.4), qui avaient été prépubliés dans la revue transition28. Il recopia les notes sélectionnées sur des feuilles volantes qu’il semble avoir arrangées en quatre piles correspondant aux quatre chapitres, en les marquant respectivement /\a, /\b, /\c et /\d. La distribution de la première dizaine de pages du premier carnet « C » s’est déroulée comme suit :
The James Joyce Archive, l’édition fac-similé publiée par Garland29, organise les manuscrits de Finnegans Wake d’une manière téléologique, qui correspond à ce que Pierre-Marc de Biasi décrit comme principe de classement des manuscrits : « il s’agit de regrouper chaque page du brouillon par rapport au texte définitif en faisant comme si tout le brouillon ne visait que ce résultat final30. » Les feuilles de notes de Joyce dans le volume 61 de l’édition fac-similé sont reproduites selon le rangement téléologique de l’archive de la British Library (BL 47486a). Pour arriver à un classement génétique, les fac-similés des feuilles de notes doivent être réorganisés selon l’ordre de la genèse en reliant les notes des « notesheets » aux notes des cahiers « C ». À partir de cette comparaison il est possible de reconstruire la distribution des notes en quatre séries :
/\a : pages BL 47486a-6, BL 47486a-4, …
/\b : pages BL 47486a-26v, BL 47486a-11, BL 47486a-11v, …
/\c : pages BL 47486a-54, BL 47486a-41, …
/\d : pages BL 47486a-59, BL 47486a, 56, …
Une des conséquences de cette distribution est la disparition du contexte original. Le contexte musical qui unit les notes de la page 6 du premier carnet « C », par exemple, devient presque méconnaissable dans le texte publié de Finnegans Wake à cause de la répartition de ces notes sur plusieurs chapitres par l’intermédiaire des feuilles de notes. Ainsi ces « notesheets » forment une étape transitoire importante dans la « conversion de l’exogénétique en endogénétique » qui, selon Pierre-Marc de Biasi, « s’accomplit principalement sous l’effet de la textualisation »31. Il est difficile de découvrir dans quelle mesure la distribution est étudiée ou plutôt intuitive, mécanique et fortuite. Toutefois, le classement génétique des « notesheets » révèle que l’auteur hésitait régulièrement avant de décider dans quel chapitre il emploierait une certaine note, ce qui indique de toute façon un certain degré de délibération. Ainsi Joyce envisageait d’employer la note « fatiguing very fatiguing » à la page 11 du premier carnet « C » dans le chapitre III.2. Après avoir écrit « fatiguing very » sur une feuille de la pile /\b (BL 47486a-11), il biffa ces deux mots et se décida pour le chapitre III.1, en ajoutant un point d’exclamation : « Fatiguing, very fatiguing ! » (/\a : BL 47486a-4). En outre, la distribution dans les « notesheets » n’était pas encore définitive, comme le montre par exemple la note « man alive » (p. 9(i)), destinée au chapitre III.2 mais finalement incorporée dans le chapitre III.3.
Le rôle déformant de Mme Raphael dans ce système de recyclage est controversé. Dans la chaîne de transmission des notes elle a introduit plusieurs variantes, souvent simplement à cause de la mauvaise lisibilité de l’écriture de Joyce. La suggestion d’Ian MacArthur, que Joyce aurait engagé Mme Raphael délibérément pour qu’elle déforme ses notes32, est réfutée par Danis Rose, qui démontre que Joyce a souvent rétabli l’état original des notes après que Mme Raphael les eut copiées fautivement33. De temps en temps cependant, une transformation lui plaisait et il l’incorporait dans ses textes. Les noms Harold Greycloak et Olaf Goldenshield sur les pages 2 et 3 du premier carnet « C » sont copiés du carnet « VI.B.16 », où ils précèdent et suivent respectivement une liste de titres de quelques livres sur l’histoire d’Irlande (VI.B.16 p. 15-16). Mme Raphael copia correctement le nom du souverain norvégien du Xe siècle Harold, surnommé Greycloack, mais Olaf Goldenshield (VI.B.16, p. 16) devint Olaf Goldarshild. Cela stimula Joyce à poursuivre la transformation. Ainsi, Olaf devient « herald graycloak, Ulaf Goldarsh^k^ild » (BL 47486a-59) et les deux figures historiques se fondent (FW 567.18).
Selon le biographe Richard Ellmann, Joyce aurait annoncé après la publication d’Ulysse, qu’il avait l’intention d’écrire une histoire du monde34. Ellmann souligne aussi l’admiration de Joyce pour la division de l’histoire humaine en cycles récurrents35. Mais plutôt que le système viconien de cycles récurrents ou l’idée nietzschéenne de l’éternel retour, la façon dont ce recyclage fonctionne semble avoir fasciné Joyce. Une des déformations les plus intrigantes à la première page du premier carnet de recyclage est la note 1(c-d) : « I am not refering [sic] to Wars / I do not like a proposition / if paid », qui est une copie incorrecte de la note : « I am not referring to past / I do not like a repetition / of past » (VI.B.16, p. 13). Mais Mme Raphael n’était pas la transformatrice principale. Souvent elle a correctement copié des notes que Joyce a déformées après, comme la note « shorthand » (p. 11(g)), qui devient « shothand » dans les « notesheets » (BL 47486a-41) et finalement « Shotland » (FW 510.13). Ce qui apparaît comme une référence géographique (« Écosse ») dérive donc, par l’intermédiaire d’une « main de tir », de la « sténographie » qui a apparemment attiré l’attention de Joyce pendant sa lecture d’un livre d’Eugène Gallois, La Poste et les moyens de communication des peuples à travers les siècles36. Le passage auquel la note « shorthand » réfère pourrait servir comme une excellente description du Work in Progress de Joyce :
Pendant le moyen âge, la cryptographie a surtout été cultivée par les moines et les kabbalistes ; mais, comme en ces temps d’ombrageuse ignorance il était parfois dangereux de correspondre dans un langage mystérieux ou indéchiffrable, on y a surtout appliqué la sténographie, modus sine secreti suspicione scribendi, comme disaient nos pères, c’est-à-dire l’art de donner le change sur le sens des communications transmises37.
Joyce était parfaitement conscient de ces mécanismes et il essayait de les traduire en paroles. Il se rendait compte également que la transmission fait partie du processus de « donner le change » à la communication. Joyce ne jouait pas seulement le rôle de « Shem the Penman », mais aussi celui de « Shaun the Post ». Avec juste raison, les quatre chapitres du troisième livre de Finnegans Wake sont consacrés au facteur, pour qui Joyce triait le courrier dans ses « notesheets ». Cette distribution systématique donne une idée du soin que Joyce prenait de faire usage d’autant de notes recyclées que possible, tout en évitant méticuleusement leur double emploi (au moyen de biffures avec des crayons de couleur). Même si le texte final accentue la récurrence continuelle de la même chose (« the same anew »), la nuance cruciale de ce recyclage est qu’il est toujours sujet à de petits changements : « the seim anew » (FW 215), « The same renew » (FW 226), « And Sein annews » (FW 277), « This aim to you ! » (FW 510), « To flame in you » (FW 614), …
Les trois processus d’écriture examinés sont d’un caractère expansif. Si la maxime d’Aristote selon laquelle l’art imite la nature s’applique à ces œuvres d’art, l’effet de générosité et d’abondance naturelle ne pouvait paradoxalement être créé que grâce à une stratégie textuelle fort économe. La transition entre les phases prérédactionnelles et rédactionnelles montre une combinaison intéressante de ce que Thomas Mann définirait comme une tension entre « Bürger » (bourgeois) et « Künstler » (artiste). D’une part, il y a un élément de « parcimonie bourgeoise »38 dans la manière dont Mann, Proust et Joyce gaspillaient le moins possible et conservaient chaque mot écrit dans le but de le recycler tôt ou tard. Plutôt tard, car ce recyclage est probablement caractéristique des œuvres tardives et n’indique pas forcément une tendance typique de la littérature du début du XXe siècle. D’autre part, la thématisation de ce recyclage fait sens dans une préoccupation du temps caractéristique de cette période.
Ce que Proust appelle « le rapport qu’il y avait entre le présent et le passé » (RTP IV 504) est le même rapport entre « alt und neu » que Thomas Mann accentue non seulement dans le texte final, mais aussi dans sa manière de recycler (en 1943) des notes du début du siècle, selon la maxime de Goethe pour qui l’homme le plus heureux est celui qui réussit à relier la fin de sa vie au début (Über Goethes Faust, GW IX 598). Le plan vieux de quarante ans recyclé sur les premières pages du Notizenkonvolut relève de l’écriture à programme, qu’Almuth Grésillon illustre en citant un passage de Thomas Mann où il explique comment ses ébauches, esquisses et notes l’aidaient à « conserver le même plan tout au long des années nécessaires à l’écriture du roman »39. Lieselotte Voss suppose que les pages 7 à 160 du Notizenkonvolut (numérotées par Thomas Mann) sont en effet complétées pendant les deux mois de préparation qui précèdent l’écriture du Docteur Faustus. Ces notes viennent confirmer ce que Thomas Mann dit lui-même dans son récit de la genèse Die Entstehung des Doktor Faustus : qu’il avait déjà une idée assez claire de l’ensemble de son roman avant de commencer à écrire (GW XI 168). Cependant, Gunilla Bergsten remarque que Mann ne s’en tenait pas toujours à son plan initial, car il laissait modifier ses plans par toutes sortes de circonstances accidentelles (comme des articles de journaux)40. La flexibilité avec laquelle Thomas Mann savait monter ces textes dans son propre projet a été interprétée comme une confirmation de sa méthode d’écriture à programme par d’autres chercheurs comme Theodor Karst et Hans Wysling. Ce dernier attribue cette tendance à une attraction « magnétique » de « la volonté de l’œuvre »41. Mais si l’œuvre a une telle volonté, cela implique qu’elle mène sa propre vie et n’obéit plus nécessairement au programme de l’auteur. Thomas Mann constatait la même « volonté » ou autonomie de son premier livre Buddenbrooks dont il avouait après coup qu’il n’en maîtrisait pas l’ampleur42. On a alors affaire à cet « écrivain qui veut faire […] un certain livre, et que le livre lui-même, avec les ressources inattendues qu’il révèle ici, l’impasse qu’il présente là, fait dévier extrêmement du plan préconçu » (RTP IV 341), comme Marcel Proust le formulait dans un passage qu’Almuth Grésillon cite pour illustrer l’alternative de l’écriture à programme : l’écriture à processus. Ainsi, les interprétations divergentes43 indiquent la relativité de toute catégorisation – ce qui n’ôte rien à la grande valeur d’une typologie. Le recyclage chez Mann montre aussi que le processus de l’écriture dépasse les limites d’un seul ouvrage et s’applique également à l’œuvre dans sa totalité. Thomas Mann a mentionné une fois qu’il éprouvait toujours l’envie de refondre ses œuvres antérieures44.
Marcel Proust a appliqué cette pratique d’une façon plus radicale, en « refondant » Jean Santeuil et le projet Sainte-Beuve. Almuth Grésillon a montré comment des « éléments de discours achevés » pouvaient toujours être adaptés et intégrés dans un contexte différent : « Entre 1908 et 1922 son écriture est un flux ininterrompu où un projet s’enchaîne sans suture apparente avec le suivant à travers des modifications de genre et de structure45. » Grésillon propose d’autres métaphores éclairantes pour décrire cette « écriture vagabonde » et l’éclatement d’« enchaînements de motifs […] en chaînes plus petites »46. Le recyclage de plusieurs lexies des carnets a parfois abouti à des répétitions qui provoquent un effet de résonance et pourraient occasionner durant la lecture une « réminiscence involontaire » dans l’esprit du lecteur. Ainsi le contenu de ce roman se reflète dans sa forme et attire l’attention sur le fait que le texte a sa propre mémoire. Le résultat de la recherche du temps perdu est un portrait comme la petite photographie d’Odette « à l’attitude suspendue entre la marche et l’immobilité » (RTP I 607), que Swann préférait aux « nombreuses photographies de l’Odette ne varietur » (RTP II 216) ; ou comme le portrait de Miss Sacripant, peint par Elstir, dont le narrateur découvre qu’elle est en réalité Odette, mais avant qu’elle ait « discipliné » ses traits.
Marcel Proust est un des auteurs dont la préoccupation « excessive » du temps est critiquée par l’écrivain anglais Wyndham Lewis dans son livre Time and Western Man. Lewis parle d’un « culte mystique du temps » dont plusieurs auteurs contemporains, comme Gertrude Stein, Ezra Pound, Marcel Proust et James Joyce, sont des représentants. Proust, selon Lewis, s’est embaumé vif47 en vivant dans le passé. Comme tous les « auteurs historiques » il détourne l’attention de ses lecteurs du présent, et selon Lewis cet « hypnotisme » est le contraire d’une méthode créative. La « récapitulation d’une chose morte »48 lie Proust à James Joyce, que Lewis considère comme un artisan avec un sens des affaires, plutôt qu’un artiste créatif49. L’intelligence des affaires et de l’économie était également un trait distinctif de la méthode d’écrire de Thomas Mann selon l’analyse d’un autre auteur contemporain, Hermann Ungar50. La combinaison joycienne de la caractéristique économe de Mann et la préoccupation du temps chez Proust incita Wyndham Lewis à une attaque directe, non seulement dans Time and Western Man, mais également dans son livre The Art of Being Ruled. Ici, Lewis critique déjà le culte du « Great God Flux » et compte Joyce parmi les « proustites » adorant ce dieu du temps51. Joyce réagit de manière typique (mais efficace) en combinant ses caractéristiques, l’économie et l’adoration du temps : il récupère la critique de Lewis dans son Work in Progress. Ainsi par exemple l’idée d’un culte du flux est transformée en « Flu Flux Fans » (FW 464.15), basé sur la note de lecture « flux » dans le carnet VI.B. 20 (p. 69). D’autres notes dans le même carnet, comme « in the name of space » (p. 77), indiquent l’idée de Joyce que le plaidoyer de Lewis pour une mentalité plus spatiale pourrait tout aussi facilement être présenté comme un culte. Le recyclage s’avérait un outil efficace pour réfuter la critique de Lewis. Joyce montrait que le « spatialist » (FW 149.19) ne pouvait pas échapper aux mécanismes du temps qu’il contestait. La contre-offensive de Joyce (« Your genus is worldwide, your spacest sublime ! / But, Holy Saltmartin, why can’t you beat time ? » [FW 419]) est renforcée par des motifs qui accentuent le rapport entre le présent et le passé, comme la phrase d’Edgar Quinet qui revient plusieurs fois sous différentes formes et dont même la forme « originale » s’est révélée comme un recyclage52 :
Aujourd’hui comme aux temps de Pline et de Columelle la jacinthe se plaît dans les Gaules, la pervenche en Illyrie, la marguerite sur les ruines de Numance et pendant qu’autour d’elles les villes ont changé de maîtres et de noms, que plusieurs sont entrées dans le néant, que les civilisations se sont choquées et brisées, leurs paisibles générations ont traversé les âges et sont arrivées jusqu’à nous, fraîches et riantes comme aux jours des batailles (FW 281.04-13).
Jean-Paul Sartre note dans un texte à propos de la temporalité chez Faulkner que « la plupart des grands auteurs contemporains, Proust, Joyce, Dos Passos, Faulkner, Gide, V. Woolf, chacun à sa manière, ont tenté de mutiler le temps »53. Mais le temps mutile également, et c’est peut-être surtout cette mutilation que Thomas Mann, Marcel Proust et James Joyce essayaient de montrer, « chacun à sa manière » – Proust en accentuant les effets déformants de la mémoire54, Mann en racontant son histoire à travers le récit subjectif du biographe Zeitblom, Joyce en découvrant les déformations de l’histoire en général. Le « flux » du temps thématisé par ces trois auteurs et critiqué par des collègues comme Wyndham Lewis, caractérise également leurs méthodes d’écriture (aussi divergentes qu’elles soient), aboutissant même à la récupération de cette critique au moyen du recyclage. Proust, Mann et Joyce ont essayé de révéler les mécanismes déformants du temps, pleinement conscients que la genèse de leurs propres œuvres n’échappait pas à ces mécanismes. Au lieu de les camoufler, ils attirent plutôt l’attention sur les transformations textuelles et les affleurements de couches anciennes, de sorte que l’avant-texte est indissociable du texte.
1 Graham Falconer, « Genetic Criticism », Comparative Literature 45.1, 1993, p. 17.
2 Les références à ces ouvrages sont abrégées comme suit : RTP : Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, Jean-Yves Tadié (éd.), Paris, Gallimard, la Pléiade, 1989, 4 vol. ; GW :Thomas Mann, Doktor Faustus, Gesammelte Werke in dreizehn Bänden, Frankfurt am Main, Fischer Taschenbuch, 1990 ; FW : James Joyce, Finnegans Wake, London, Faber and Faber, 1975 [1939].
3 « Qu’est-ce qu’un brouillon ? Le cas Flaubert : Essai de typologie fonctionnelle des documents de genèse », Pourquoi la critique génétique ? Michel Contat et Daniel Ferrer (éds), Paris, CNRS éditions, 1998, p. 31-60.
4 Tandis que les « carnets » contiennent des notes et parfois des esquisses fragmentaires, les « cahiers » contiennent plutôt des unités de texte plus vastes. Chez Joyce, par exemple, les carnets ou « notebooks » jouent un rôle plus important dans le processus d’écriture que chez Proust. Bernard Brun, qui a étudié les méthodes de ces deux auteurs, les caractérise comme suit : « Joyce travaille essentiellement sur des unités-mots, son activité est sémantique. Proust adopte d’emblée, à partir d’un projet qu’il a dans la tête, une attitude syntaxique, son instrument de travail est l’unité de récit » (Bernard Brun, « Proust et Joyce, à leur manière », dans Genèse de Babel : Joyce et la création, Claude Jacquet (éd.), Paris, CNRS Éditions, 1985, p. 218). Voir aussi Bernard Brun, « Variante, Variations, Tissage : Point de vue d’un proustien sur les archives de Joyce », dans Writing Its Own Wrunes for Ever : Essais de génétique joycienne, Daniel Ferrer et Claude Jacquet (éds), Tusson, Du Lérot, 1998, p. 165 : « De Marcel Proust à James Joyce, on passe du syntagme au paradigme. »
5 Les quatre carnets conservés à la Bibliothèque nationale à Paris sont décrits ainsi par Florence Callu : « Les 4 carnets de toile bise, au format très allongé, apparurent d’un abord difficile en raison de leur hétérogénéité. Achetés chez Kirby Beard par Mme Straus comme cadeau d’étrennes pour 1908, ils furent aussitôt utilisés par Proust pour y consigner des notes de lecture, des esquisses fragmentaires ou des bons mots à attribuer à tel ou tel personnage. Ils constituèrent un outil parallèle aux cahiers de travail de la Recherche auquel l’écrivain renvoyait indifféremment, en leur donnant des noms spécifiques » (Florence Callu, « La construction du manuscrit en objet scientifique », Romanic Review 86.3, mai 1995, p. 459). Selon Bernard Brun, un cinquième carnet se trouve dans une collection privée. Voir Bernard Brun, « Histoire d’un texte : les cahiers de la Recherche » dans Marcel Proust, Du côté de chez Swann, Jean Milly (éd.), Paris, Flammarion (GF), 1987, p. 41.
6 Voir Daniel Ferrer, « Les carnets de Joyce : avant-textes limites d’une œuvre limite », Genesis 3, 1993, p. 45-61.
7 Une grande partie de ce « Notizenkonvolut » est transcrite par Lieselotte Voss dans son étudeDie Entstehung von Thomas Manns Roman « Doktor Faustus » dargestellt anhand von unveröffentlichten Vorarbeiten, Tübingen, Niemeyer, 1975.
8 Les transcriptions sont basées sur des fac-similés, pour lesquels je voudrais remercier Bernard Brun et Nathalie Mauriac Dyer du Centre Proust (ITEM-Paris). Malgré le plaidoyer convaincant de Jean-Louis Lebrave en faveur d’une combinaison du couplage d’une transcription diplomatique et d’un fac-similé (« L’édition génétique », dans Les Manuscrits des écrivains, Louis Hay (éd.), Paris, CNRS/Hachette, 1993, p. 214), les objectifs de cet article justifient « un assujettissement au modèle du texte » avec un minimum de signes diacritiques intimidants pour indiquer des biffures et des ^additions^.
9 La notion de « lexie », désignant des blocs de texte, est suggérée par Roland Barthes dans son analyse de Sarrasine de Balzac : « Le signifiant tuteur sera découpé en une suite de courts fragments contigus, qu’on appellera ici des lexies, puisque ce sont des unités de lecture » (Roland Barthes, S/Z, Paris, Éditions du Seuil, 1970, p. 20).
10 La lexie « langue », avec laquelle Proust a combiné la lexie des « fées familières », se trouve dans le Carnet 3, f° 4v°-5r°: « Pour Vinteuil dans / le second volume / Les notes ces belles / étrangères dont nous / ne savons pas la // [5r°] langue et que nous / comprenons si bien. »
11 La « Note » de quatre pages, dont ce fragment est un extrait, est transcrite par Jean Milly (La Phrase de Proust, Paris, Champion, 1983, p. 145-147) et par Henri Bonnet et Bernard Brun (Matinée chez la Princesse de Guermantes : Cahiers du Temps retrouvé,Henri Bonnet et Bernard Brun (éds), Paris, Gallimard, 1982, p. 292-296).
12 Une transcription plus étendue de Kazuyoschi Yoshikawa est jointe comme appendice à son article intéressant sur « Vinteuil ou la genèse du septuor », Études proustiennes III(Cahiers Marcel Proust, nouvelle série 9), Paris, Gallimard, 1979, p. 289-347.
13 Voir Jean Milly, La Phrase de Proust, Paris, Champion, 1983, p. 67-68 ; Adam Piette, Remembering and the sound of words : Mallarmé, Proust, Joyce, Beckett, Oxford, Clarendon Press, 1996, p. 82.
14 Jean Milly, La Phrase de Proust, p. 62 : « Ainsi, Proust attend du lecteur qu’il fasse également sien ce principe commun à toutes ses activités perceptives, l’intelligence des rapports. »
15 Une note à la page RTP IV 1265 de l’édition de la Pléiade fournit les informations nécessaires pour reconstruire cette situation textuelle problématique. Les mots et virgules entre crochets ne se trouvent pas dans l’édition Flammarion.
16 Marcel Proust, Le Temps retrouvé, Bernard Brun (éd.), sous la direction de Jean Milly, Paris, Flammarion, 1986, p. 282-283.
17 Proust, Le Temps retrouvé, Flammarion, p. 282-283 : « la vérité ne commencera qu’au moment où l’écrivain prendra deux objets différents, posera leur rapport, analogue […] calorifère à eau ?
La vérité ne commencera qu’au moment où l’écrivain prendra deux objets différents, posera leur rapport, et les enchaînera par le lien indestructible d’une alliance de mots. Le rapport peut être peu intéressant, les objets médiocres, le style mauvais, mais tant qu’il n’y a pas eu cela, il n’y a rien. »
18 Nathalie Mauriac Dyer a suivi cette piste avant-textuelle dans son édition de La Prisonnière suivide Albertine disparue, Paris, Librairie Générale Française (Le Livre de Poche), 1993, p. 588.
19 Voir Jean-Yves Tadié, Proust et le romanj, Paris, Gallimard, 1971, p. 245.
20 Traduit de l’allemand par Louise Servicen, Paris, Albin Michel, 1950.
21 Voir Thomas Mann,Notizbücher, Edition in zwei Bänden. Éd. Hans Wysling and Yvonne Schmidlin, Frankfurt am Main, Fischer, 1991.
22 Lieselotte Voss a transcrit plus d’une douzaine de ces notes dans l’ordre téléologique de leur apparition dans les chapitres XXIII et XXIX du texte publié.
23 Deux notes aux premières pages du Notizenkonvolut, dont Mann parle dans son récit de la genèse Die Entstehung des Doktor Faustus (GW XI 155), sont basées sur des passages figurant aux pages 138 et 155 du carnet VII de 1904.
24 Ernst Krenek, Music Here and Now(traduit par B. Fles), New York, 1939, p. 129.
25 Apparemment, Joyce ne se souvenait pas de toutes ses esquisses. Lorsque son secrétaire Paul Léon demanda à Harriet Shaw Weaver d’envoyer l’esquisse sur « St Patrick », elle lui répondit (27 juillet 1938) qu’il y en avait quatre. Le 17 août 1938 Paul Léon écrivait que Joyce ne se souvenait pas de quatre pièces ; qu’il en avait trois (« the O’Connor, Kevin and St Patrick parts »). Deux jours après, elle lui envoyait la quatrième esquisse (sur Tristan et Iseut). Voir The James Joyce – Paul Léon Papers in the National Library of Ireland : A Catalogue, Catherine Fahy (éd.), Dublin, National Library of Ireland, 1992, p. 72.
26 Peter Spielberg, James Joyce’s Manuscripts & Letters at the University of Buffalo, Buffalo, University of Buffalo, 1962.
27 Joyce a employé des feuilles de notes pour la composition du chapitre II.2, mais la plupart de ses « notesheets » sont compilées pour la révision des chapitres II.1, III.1, III.2, III.3, III.4 et plus tard pour des additions aux Livres I et III de Finnegans Wake.
28 transition 12 (March 1928) 7-27 : « Continuation of A Work in Progress » [III.1 ; FW 403-428] ; transition 13 (July 1928), p. 5-32 : « Continuation of A Work in Progress » [III.2 ; FW 429-473] ; transition 15 (early Feb. 1929), p. 195-238 : « Continuation of A Work in Progress » [III.3 ; FW 474-554] ; transition 18 (Nov. 1929), p. 211-236 : « Continuation of A Work in Progress » [III.4 ; FW 555-590].
29 The James Joyce Archive, éd. Michael Groden, Hans Walter Gabler, David Hayman, A. Walton Litz et Danis Rose, New York, Garland Publishing, 1977-1979.
30 Pierre-Marc de Biasi, Vers une science de la littérature : l’analyse des manuscrits et la genèse de l’œuvre, Encyclopædia Universalis, Symposium « Les enjeux », 1993, p. 930.
31 Pierre-Marc de Biasi, op. cit., p. 48.
32 Ian MacArthur, « Mutant Units in the C Notebooks », A Finnegans Wake Circular 2.4 (Summer 1987), p. 76-77.
33 Danis Rose, The Textual Diaries of James Joyce, Dublin, Lilliput Press, 1995, p. 176-177.
34 « Miss Weaver asked him what he would write next and he said, “I think I will write a history of the world” » (Richard Ellmann,James Joyce, Oxford, Oxford University Press, 1983 [1959], p. 536-537).
35 Ellmann, op. cit., p. 554.
36 Cette source a été découverte par Ingeborg Landuyt. Voir « Shaun and His Post : La poste et les moyens de communication dans VI.B.16 », Papers on Joyce 3 (1997), p. 21-48.
37 Eugène Gallois, La Poste et les moyens de communication des peuples à travers les siècles : messageries, chemins de fer, télégraphes, téléphones, Paris, Librairie J. B. Baillière et fils, 1894, p. 23.
38 « Es muß als ein Zug bürgerlicher Sparsamkeit angesehen werden, wenn Thomas Mann kaum je eine Notiz unter den Tisch fallen läßt » (Hans Wysling, « Die Technik der Montage », Euphorion 57.1-2, 1963, p. 170). [On doit considérer comme un trait de parcimonie bourgeoise le fait que Thomas Mann n’a pratiquement jamais perdu définitivement quelque chose qu’il avait noté.]
39 Almuth Grésillon, Éléments de critique génétique : Lire les manuscrits modernes, Paris, Presses universitaires de France, 1994, p. 103.
40 Par exemple un essai de l’American-German Review (« Hymns and Music of the Pennsylvania Seventh-day Baptists » par Hans Theodor David [juin 1943], conservé au Thomas-Mann-Archiv [Mat. 6/7]), ou un article de Martha Vogler sur Dante (Neue Zürcher Zeitung, 1er décembre 1945). Voir Gunilla Bergsten, Thomas Manns « Doktor Faustus » : Untersuchungen zu den Quellen und zur Struktur des Romans, Tübingen, Niemeyer, 1974, p. 119.
41 « [W]as « zur Sache » gehört, wird ja vom Willen des Werkes magnetisch herangezogen » [Tout ce qui concerne le « sujet », est attiré, comme par un aimant, par la volonté de l’œuvre.] (Hans Wysling, « Thomas Manns Verhältnis zu den Quellen », Quellenkritische Studien zum Werk Thomas Manns, Paul Scherrer et Hans Wysling (éds), Bern, Francke, 1967, p. 314).
42 « Geplant war ein Roman von zweihundert bis zweihunderfünfzig Seiten… Aber dann erwies sich, dass das Buch seinen eigenen Willen hatte » [Le projet, c’était un roman de 200 à 250 pages… Mais par la suite il s’avéra que le livre avait sa propre volonté.] (Thomas Mann, Über mich selbst. Autobiographische Schriften, Frankfurt am Main, Fischer Taschenbuch, 1994, p. 60).
43 Relativement à la méthode de Proust, les interprétations divergent également. Selon Claude Mauriac, par exemple, « Marcel Proust sait où il va et laisse le moins possible au hasard. Il suit sa ligne, fixée dès le début de son entreprise où le temps retrouvé faisait déjà partie de la composition » (« Une poétique des brouillons », Le Figaro, 17 mars 1973).
44 Thomas Mann, Über mich selbst, op. cit., p. 74.
45 Almuth Grésillon, « Proust ou l’écriture vagabonde : à propos de la genèse de la « matinée » dans La Prisonnière »dans Marcel Proust : Écrire sans fin, Rainer Warning et Jean Milly (éds), Paris, CNRS Éditions, 1996, p. 100.
46 Grésillon, ibid., p. 100.
47 Wyndham Lewis,Time and Western Man, Santa Rosa, Black Sparrow Press, 1993 [1927], p. 249.
48 Lewis, ibid., p. 82.
49 Lewis, ibid., 88 : « And that is what Joyce is above all things, essentially the craftsman […] I do not mean by this that he works harder or more thoroughly than other people, but that he is not so much an inventive intelligence as an executant. He is certainly very « shoppy » […]. » Voir « The Revolutionary Simpleton », The Enemy 1.1 (January 1927), p. 25-192.
50 Hermann Ungar, « Was die Manuskripte des Dichters verraten : Ein Blick in die Werkstatt Thomas Manns », Die literarische Welt (30 October 1925), p. 1 : « In Reih und Glied, sauber und korrekt, mit geregelten Abständen von den Rändern, geregelt nach den Gesetzen von Sparsamkeit und Symmetrie, stehen die Zeichen, die die Feder Thomas Manns gezogen hat, auf den Blättern. Wie ein sparsamer Hausvater seinen Garten, bestellt er das weiße Papier seines Manuskripts. »
51 Wyndham Lewis, The Art of Being Ruled, London, Chatto and Windus, 1926, p. 397.
52 Voir Ingeborg Landuyt et Geert Lernout, « Joyce’s Sources : Les grands fleuves historiques »,Joyce Studies Annual 1995, ed. Thomas F. Staley, Austin, University of Texas Press, 1995, p. 99-138.
53 Jean-Paul Sartre, Critiques littéraires, Paris, Gallimard (Folio essais), 1993 [1947], p. 71.
54 « Par le souvenir Swann reliait ces parcelles, abolissait les intervalles, coulait comme en or une Odette de bonté et de calme pour laquelle il fit plus tard (comme on le verra dans la deuxième partie de cet ouvrage) des sacrifices que l’autre Odette n’eût pas obtenus » (RTP I 309).