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On aura reconnu, sous ce titre, la fameuse question, « Combien d’enfants avait Lady Macbeth ? », qui est devenue, pour la critique moderne, le type même de la question qu’on ne peut pas se poser, qu’on ne devrait plus se pouvoir se poser, puisque Shakespeare ne nous a rien dit sur l’éventuelle progéniture de son personnage. Mais c’est précisément le type de question que Zola se pose à lui‑même dans ses ébauches — et résout dans un style très particulier. Ce qui soulève à la fois le problème, que je n’aborderai pas aujourd’hui, de la continuité et de la rupture entre la logique de l’œuvre et celle de sa genèse, et la question des particularités de la genèse telle que nous la voyons à l’œuvre dans ces ébauches. Pour repérer ces particularités, pour percevoir le style des ébauches, où plus exactement de l’invention romanesque dont les ébauches sont le théâtre, un regard extérieur peut être un atout. Je prendrai donc le parti de ne pas essayer de cacher mon ignorance et mon extériorité par rapport à ces manuscrits, pour y jeter un regard aussi naïf1, aussi étranger que possible. Cette extériorité tient notamment au fait que j’ai l’habitude de travailler sur d’autres corpus génétiques, très différents, et plus particulièrement sur les manuscrits de Joyce.
Il existe sans doute plus de points communs qu’on ne pourrait le croire entre les deux œuvres : on peut parler en effet d’un certain naturalisme de Joyce (qui frappe notamment dans Gens de Dublin, mais qui se prolonge au moins jusqu’à la moitié d’Ulysse) et d’un goût du langage certain chez Zola ; on peut noter, chez l’un et l’autre, une passion pour l’exhaustion des paradigmes (même si ces paradigmes sont déployés selon des modalités très différentes)… Les manuscrits, en revanche, sont profondément dissemblables2. Pour en venir immédiatement à la différence essentielle, il n’y a pratiquement pas, dans les manuscrits de Joyce, de discours réflexif, de métatexte, pas de scénario, rien que de la textualisation, des réécritures, très nombreuses, avec des ratures, et surtout des expansions irrépressibles. Pour qui est habitué à un tel paysage, les ébauches de Zola, avec leur caractère explicitement délibératif et auto‑prescriptif , sont tout particulièrement remarquables.
On est d’abord frappé par l’usage massif de la première personne, qui est d’ailleurs propre à surprendre non seulement l’habitué des manuscrits joyciens, mais tout lecteur des Rougon‑Macquart, dont une des caractéristiques principales est au contraire l’usage constant et virtuose qui est fait de la troisième personne. Certains pourraient voir là une certaine symétrie, une forme de compensation : Joyce, qui, on le sait, a utilisé souvent cette forme exacerbée du récit à la première personne qu’est le monologue intérieur, est entièrement impersonnel dans ses avant‑textes et Zola, qui reste impersonnel dans sa narration (pour dire les choses un peu vite), adopte un mode d’énonciation personnalisé à l’extrême dans ses avant‑textes, quelque chose qui, en définitive, s’apparente un peu à un monologue intérieur direct3 A ceci près que ce monologue n’est évidemment pas intérieur, mais extériorisé sur le papier, écrit, et non pas transcrit par une instance narratrice externe. D’autre part les pronoms de la première personne sont, dans un monologue intérieur, souvent sous‑entendus, du fait de la forme elliptique qui semble naturelle dans un discours qui ne s’adresse qu’à soi. Or ce n’est absolument pas le cas dans les ébauches de Zola :
Choisissons un passage, presque au hasard, dans l’ébauche de Germinal :
« Pour que j’ai un type bien net, il faut que mon directeur soit le directeur de la compagnie, ayant plusieurs puits sous lui. Je prends une Cie moins étendue et moins riche que la Cie d’Anzin : du reste, je laisse cela dans le vague, car il me faudrait tout un personnel nombreux pour être dans la vérité. Peut‑être même me faudra‑t‑il nommer d’une façon abstraite un secrétaire générale, des caissiers, des employés. L’important de planter mon paysage. Je mets mon directeur dans une construction en brique, une sorte de villas, à mi‑route de mon puits et de Marchiennes. » f° 458
Bien loin d’être élidés, les marqueurs de la première personne du singulier s’imposent avec insistance. Même quand une tournure passive ou impersonnelle survient, ou quand le « je » se dissimule sous un « nous », la première personne du singulier ne tarde pas, le plus souvent, à refaire surface :
« Voyons quelle sera la marche de cette intrigue. Il faut serrer le plan d’un peu plus près. Voyons comment je distribuerai les fils des diverses intrigues : » (ébauche de Nana f° 232‑233)
Ou encore, à la faveur d’une rature, d’autant plus remarquable qu’elles sont relativement rares dans les ébauches, on voit le locuteur insister pour s’approprier grammaticalement jusqu’au caprice (sexuel), c’est‑à‑dire ce qui est le plus idiosyncrasique chez le personnage :
« Donc voici les mes deux caprices de Saccard : la femme d’empereur, chère, et la petite madame Conin » (ébauche de l’Argent f° 453)
L’usage massif de la première personne n’est que l’une des caractéristiques de ces ébauches, mais il suffit déjà à les particulariser au point qu’on aurait du mal à citer des avant‑textes qui leur soient comparables. Zola lui‑même avait conscience de leur caractère extraordinaire, puisqu’il remarquait que ses « soliloques », « lus par un autre, paraîtraient étranges ». A quoi pourrait‑on essayer de rattacher néanmoins une telle forme d’énonciation ? On pourrait d’abord songer aux préfaces des écrivains, à leurs arts poétiques, quand ils sont rédigés à la première personne ‑ mais les ébauches ne sont ni un discours à portée générale traçant un programme futur, ni un discours a posteriori expliquant les intentions de l’auteur, mais bien une partie intégrante de la genèse, coïncidant avec l’élaboration de l’œuvre. C’est ce qui différencie également ces ébauches de la correspondance dans laquelle certains écrivains, comme Flaubert, expliquent très volontiers à des correspondants privilégiés (nous reviendrons sur la question du destinataire) ce qu’ils vont faire ou ce qu’ils ont l’intention de faire. C’est ce qui les différencie encore des journaux intimes dans lesquels des écrivains, par exemple Virginia Woolf, prennent du recul sur leur écriture en cours et posent des repères pour l’avenir et s’expliquent à eux‑mêmes ce qu’ils sont en train de faire. On n’est pas ici dans un espace parallèle à la genèse, on est au cœur de l’élaboration de l’œuvre4. Les ébauches sont des documents directement opératoires.
Cette valeur opératoire nous conduirait plutôt à rechercher un modèle du côté d’une pratique scolaire ou religieuse. Parmi les pratiques religieuses, on peut songer à un acte de foi, ou de contrition, dont la force illocutoire est absolument inséparable de l’emploi de la première personne, ou encore à certains exercices spirituels. On pense aussi aux opérations arithmétiques, au protocole de calcul qui s’accompagne traditionnellement, dans un contexte scolaire, mais chez certaines personnes durant toute leur vie, d’un discours à la première personne, marmonné comme une patenôtre, qui prescrit le déroulement des opérations de calcul : « je pose 6 et je retiens 3, et j’abaisse mon huit ». Le verbe « poser » revient d’ailleurs très souvent dans les ébauches5.
Sans doute une telle écriture, qui se déroulerait mécaniquement, avec l’automatisme implacable d’un calcul, est‑elle parfois en effet mimée ou fantasmée par Zola. Dans ses « Notes générales sur la nature de l’œuvre » il reconnaît l’arbitraire de ce qu’il appelle le « fait générateur » : « mais lorsque ce fait sera posé, lorsque je l’aurai accepté comme un axiome, en déduire mathématiquement le volume ». Dans cette posture énonciative s’exprime un soucis de recul, de mise à distance, un désir de contrôler étroitement le flux narratif, un refus de plonger directement au fil de l’écriture, comme le font les écrivains dits à processus qui s’abandonnent d’emblée au torrent de la textualisation. Mais on est en réalité bien loin de la position subjective de neutralité absolue qui est celle du calcul, bien loin d’un sujet vide, purement formel, d’une perspective qui se réduirait à un point géométral désincarné, en surplomb, dont Zola ne fait que rêver. Ce « je » sujet est fortement incarné ; d’ailleurs il renvoie occasionnellement à un moi qui est explicitement identifié à Zola lui‑même avec son passé individuel et les détails de sa vie domestique6. Ainsi, dans l’ébauche de L’Argent, « Voir si je ne pourrais pas prendre la Tribune où tous étaient candidat, sauf le garçon de bureau et moi. » (f° 417) ; ou encore,« [Saccard] a loué le premier étage d’un hôtel, à la dame charitable. Même arrangement que chez moi. » (f° 441)7.
Bien loin d’être neutre, ce moi omniprésent insiste pour marquer linguistiquement sa propriété et sa maîtrise sur le monde fictif qu’il engendre :
« Il me faut arranger Etienne pour qu’il travaille au fond ; je le préfèrerais mécanicien, mais je l’arrangerai, pour que je puisse obtenir ses amours avec Catherine au fond. » ébauche de Germinal f° 415
« Je prends Gervaise à Paris à vingt‑deux ans […]. Je la fais passer par toutes les hontes imaginables. Enfin, je la tue dans un drame. » ébauche de l’Assommoir
ce n’est que plus loin, dans le deuxième partie de cette ébauche, qu’un peu de recul est pris :
« Je fais mourir Gervaise tragiquement, ou plutôt je la montre mourant à quarante et un ans, épuisée de travail et de misère. »
Cette instance énonciative se trouve de fait si étroitement impliquée qu’elle est comme aspirée dans l’univers fictif dont elle est le support. Ceci se traduit dans le métatexte de l’ébauche, qui se modèle en quelque sorte sur les actions des personnages qu’il engendre. Ce mimétisme, cette contamination, me semble aller très loin : il est frappant que l’ébauche de Germinal s’ouvre sur des propos révolutionnaires tandis que celle de l’Argent est un véritable panégyrique du lucre. Tout se passe comme si, non seulement pour raconter, mais déjà pour inventer, il était nécessaire d’adopter une sorte de « vision avec ». Cela se traduit en tout cas par de curieuses interférences de vocabulaire, dont voici quelques exemples :
« Faudra‑t‑il la faire coucher avec lui plusieurs fois, faire une liaison effective, ou la lui faire tuer le jour même où elle consent à céder ? Ce dernier parti vaudrait mieux peut‑être, serait plus logique, car s’il couche avec, on ne s’explique pas bien qu’il la tue ensuite. Il faudrait donc un amour spécial entre eux, des caresses, des abandons, mais pas l’acte décisif. Pourtant, cela est à régler, lorsque j’aurai tous les éléments. Je désire en tout cas de la passion, de l’affection » ébauche de la Bête Humaine, f° 593
Le désir remonte au Je : tout se passe comme si, en réglant la circulation du désir entre ses personnage, l’instance sujet se trouvait entraînée dans la ronde. On peut constater la même chose dans l’ébauche de Nana, où intervient, en pleine discussion des pratiques sexuelles de Nana et de ses clients, cette formule, pour le moins ambiguë : « Il faut maintenant fourrer les filles et voir le rôle qu’elles peuvent jouer là‑dedans. » (f° 213) (f° 214) « Ce n’est que par les hommes que je puis fourrer les femmes. Les fourrer me donneront un chassé‑croisé. » (f° 213) On pourrait citer aussi de nombreux exemples du verbe prendre, ou du verbe avoir, appliqués à une femme, qui revêtent de curieuses résonances. Le glissement est plus explicite encore dans l’ébauche de Germinal « Il me faut maintenant Catherine, dans la 5ème partie. C’est là qu’elle pourrait s’offrir. » (f° 472).
Ces glissements de vocabulaire semblent établir une étrange continuité à rebours entre la diégèse et le processus d’invention :
« Il pourrait être au courant de l’adultère, avoir vu la femme et l’amant se voir dans la maison abandonnée. […] La femme croit qu’il en sait plus qu’il n’en sait : et il faut donc qu’il n’ait rien vu, qu’il ne l’ait pas vue avec l’amant. […] Ce n’est que lorsqu’il est son amant qu’il connaîtra le crime : à voir. » ébauche de La Bête humaine f° 592
De la question, si obsédante dans cette ébauche (mais aussi dans le roman achevé), de qui a vu ou entrevu quoi, qui a surpris quelle scène de sexe (ou de mort), on passe sans transition, avec l’usage du même verbe, au regard perplexe que le romancier jette ou se prescrit à lui‑même de jeter sur son intrigue en formation dans un futur indéterminé.
On tient peut‑être là, dans cette osmose qui s’opère au stade de l’ébauche, une des sources de la puissance des scènes qui vont en résulter dans les romans. On remarque en effet que, contrairement à ce que Zola lui‑même prétendait, les personnages ne sont en général pas une des données premières des ébauches. Ce sont les scènes qui priment. Comme dans un fantasme, comme dans « un enfant est battu » analysé par Freud, les rôles sont interchangeables. Dans l’ébauche de La Bête humaine, l’amant tue le mari, ou le mari tue l’amant, indifféremment : ce qui compte c’est le crime. Dans l’Argent, il s’agit d’opposer ceux qui ont et ceux qui n’ont pas, Zola envisage d’abord deux familles, puis deux branches d’une même famille, ce seront finalement les deux fils de Saccard, Maxime, décadent à souhait, recyclé de la Curée et, pour lui faire pendant, surgit Victor, ce cauchemar de bourgeois, cette gargouille échappée du roman gothique. Mais le cas le plus spectaculaire est celui auquel fait allusion le titre du présent article : le personnage d’Etienne Lantier se révélant incapable de porter le crime sauvage qui doit constituer le cœur du roman, Zola n’hésite pas à retoucher rétrospectivement son arbre généalogique déjà publié et à contredire la biographie de Gervaise telle qu’elle avait été racontée dans les romans publiés pour lui donner un enfant de plus, Jacques, qui sera le porteur du crime (un peu comme on parle d’un porte‑greffe).
Tout se passe comme si, dans le champ clos de l’ébauche se produisait quelque chose qui n’est ni une projection de l’auteur dans ses personnages, ni une identification de l’auteur à ses acteurs, mais une imprégnation réciproque entre l’instance énonciative et les actants des diverses scènes, à travers les figures auxquelles tel ou tel geste est délégué. On pense à ces scènes récurrentes dans les romans, par exemple au début de la Bête Humaine, ou au milieu de la Faute de l’Abbé Mouret, où un couple est enlacé devant une fenêtre et contemple un paysage, les corps sont imbriqués l’un dans l’autre, le désir de l’un imprégnant la vision de l’autre de manière indissociable. On est bien à l’opposé d’une perspective neutre, désincarnée, et c’est cette solidarité, cette imbrication très forte, qui persistera à travers le dispositif narratif en apparence très différent des romans à la troisième personne.
J’en viens maintenant à un deuxième trait qui étonne dans les manuscrits de Zola, et notamment dans les ébauches, quand on a l’habitude des manuscrits de Joyce (mais ils se distinguent tout autant sur ce point de ceux Flaubert, de Stendhal, de Proust et de la plupart des corpus sur lesquels travaillent les généticiens), c’est le caractère linéaire de ces manuscrits.
Les généticiens ont l’habitude de devoir interpréter la disposition spatiale complexe de la page manuscrite pour reconstituer la temporalité de l’écriture, les différentes couches, les différentes campagnes. Rien de tel dans les ébauches. Zola avait pour devise « nulla dies sine linea » : on a l’impression, de fait, d’une ligne énonciative qui se prolonge, ininterrompue, jour après jour, (même si, de fait, on distingue des interruptions chronologiques) sans retour en arrière. Les ratures sont assez rares et témoignent le plus souvent de corrections currente calamo. On trouve bien quelques marques de relectures ultérieures (des ajouts au crayon) mais elles sont rares, (du moins dans les ébauches dont j’ai pu voir les originaux), et il n’y a pas de corrections, ou très peu – ou du moins pas de corrections du type de celles qu’on trouve dans les manuscrits, mais bien des corrections comme celles qu’on rencontre dans le discours oral, pour lequel la linéarité est une fatalité incontournable. Comme dans la chaîne parlée, le repentir passe par une première répétition visant à annuler ce qui vient d’être posé, puis par une nouvelle version se substituant à la première, le tout mis bout à bout et non pas juxtaposé, comme c’est généralement le cas dans un manuscrit avec le mot et sa rature conjointe à une substitution interlinéaire. Nous observons donc un flux d’écriture qui s’inscrit sur la page de manière rectiligne, enregistrant fidèlement le déroulement temporel de l’écriture, évidemment linéaire, mais qui est amené pour se reprendre, s’annuler ou se nuancer, à se replier sur lui‑même comme un ruban, à s’invaginer, à se contorsionner de multiples façons pour suivre les méandres, ou les arabesques, de la pensée ; mais aussi, sur le plan narratif, à décrire des cercles concentriques, ou des spires, pour aborder successivement, l’un après l’autre, les différents nœuds de problèmes que pose inévitablement une narration un peu complexe où les déterminations sont multiples. Il faut donc revenir constamment sur ses pas pour reprendre les mêmes problèmes, les mêmes situations, sous une succession d’angles différents.
La métaphore des sentiers qui bifurquent, ou celle de l’arborescence génétique sont tout aussi valides ici qu’ailleurs, mais au lieu de s’étager sur les marges, les interlignes et les divers registres d’une page manuscrite, ou même sur des versions multiples qui se recouvrent et se chevauchent, tout est concentré sur un fil unique et monodique (mais non pas monologique au sens bakhtinien, bien au contraire). J’ai cité la résolution de la « Note générale » : A partir d’un fait « en déduire mathématiquement le volume ». A partir de quelque chose de linéaire, de plat, de squelettique, engendrer tout un espace, c’est bien le tour de magie qui s’opère sous nos yeux dans ces ébauches, où des univers sont convoqués au détour d’une phrase, prospèrent ou au contraire sont renvoyés brusquement à leur néant — ou du moins dans les limbes où les projets inaboutis attendent d’être ressuscités par les généticiens.
Quand Zola constate, dans l’Ebauche de l’Argent : « J’ai désormais […] tous les mondes dont j’ai besoin » ; ou encore dans l’Ebauche de Nana : « L’important est de savoir si j’enfermerai le roman dans le monde des filles. Ou si j’aurai un autre monde à côté. Ce monde à côté pourrait me servir à dramatiser un peu l’action. Je crois que ce bout d’intrigue est nécessaire. », monde est sans doute pris ici par Zola au sens de sphère sociale séparée, mais ce sont bien des « mondes possibles » co‑présents, des univers virtuels, aussi bien sur le plan diégétique que sur le plan textuel, je dirai inséparablement sur ces deux plans, puisque ce monde potentiel devient, sur le mode du « je crois que », un « bout d’intrigue […] nécessaire. »
Cette nécessité est, par ailleurs, toute relative, et toute rétrospective. Si, comme le veut Proust, l’art vise à enfermer les choses « dans les anneaux nécessaires d’un beau style », nous sommes ici en amont de l’art : ces boucles que trace compulsivement le discours de l’ébauche ne sont pas des anneaux nécessaires qui enferment, qui fixent, mais des cercles magiques qui font surgir un foisonnement de mondes virtuels, dans un style qui n’a pas à être beau, puisqu’il s’agit d’un document fonctionnel et qui ne revendique pas pour lui‑même le statut artistique. Ce qui ne veut pas dire, d’ailleurs, que ce style, au sens courant, ne soit pas remarquable, et je voudrais en dire un mot avant de revenir sur la question de la nécessité.
Nous avons vu que les Ebauches se rapprochaient beaucoup de l’oralité par leur caractère linéaire. Mais elles ne s’en rapprochent pas du tout sur le plan des tournures employées. Il n’y a pas d’ambiguïté, avec quelqu’un comme Zola, qui est si sensible, notamment dans l’Assommoir, aux inflexions du discours oral. C’est bien d’un style « écrit » qu’il s’agit ici. C’est même là ce qui surprend le plus : ces tâtonnements de la pensée ne s’inscrivent pas en style télégraphique, n’utilisent pas d’infinitifs ou de phrases nominales, comme le font ordinairement les écrivains, comme nous le faisons tous quand nous notons au vol nos idées, ou les consignes que nous nous donnons à nous mêmes. Les phrases ont un sujet exprimé (le plus souvent ce « je » si insistant dont nous parlions tout à l’heure), un verbe, un complément, et le plus souvent des subordonnées, avec quand il le faut des imparfaits du subjonctif. Par exemple Zola n’écrit pas « homme mûr : fin religieuse » mais « J’aimerais assez que l’homme mûr à la fin tournât à la religion ».
On observe même un certain décorum dans le choix du vocabulaire :
« J’aurai dans la mine une autre fille, une amie de Catherine, grosse fille débordante et qui au seins énormes, et qui se livrerait, qui montrerait son <se trousserait> devant les étrangers, mal embouchée, pervertissant Catherine par ses gros mots. » Ebauche de Germinal, f° 425.
On se demande aux yeux de qui Zola craint de passer pour mal embouché, qui il craint de pervertir par ses gros mots. Flaubert, dans ses scénarios, n’aurait pas hésité à écrire « montrerait son cul » et Zola lui‑même emploie le mot sans problèmes dans l’ébauche de Nana (où il aurait sans doute un peu de mal à l’éviter), mais ailleurs, il dira le « C. et le C. ».
Dans l’ébauche de l’Argent, deux amants sont surpris en flagrant délit, « tout deux, demi nu, avait la chemise remontée, retroussée sous les aisselles, et elle le s., lui étendu sur un canapé. » L’anecdote sera reprise dans le texte définitif. Bien entendu, le mot « suce » n’y apparaît pas. Sur épreuves quelques détails suggestifs, comme la bouche de la femme mouillée de salive, ou les lèvres tremblantes sont supprimés ou atténués, ce qu’on comprend parfaitement dans le contexte de l’époque, mais il est curieux de remarquer que la censure est déjà là, au plus archaïque et au plus intime de l’avant‑texte.
Se demander la raison de cette censure, ou plus généralement de ce décorum stylistique, c’est poser la question du destinataire : ces manuscrits étaient‑ils destinés à d’autres yeux que les siens ? A y regarder de près, ça ne paraît pas probable. Par exemple, il n’y a aucun soucis de corriger l’orthographe, qui est souvent mauvaise, y compris des fautes assez grossières, sur l’imparfait du subjonctif par exemple, qui seraient gênantes si les manuscrits devaient être vus par quelqu’un d’autre que leur auteur. On peut faire l’hypothèse qu’au moins dans un premier temps il n’y avait pas d’autre destinataire que Zola lui‑même – et encore… Toute écriture semble évidemment impliquer un désir de garder la trace de quelque chose, mais dans le cas des ébauches on peut se demander à la limite si Zola avait bien besoin de se relire, si son écriture n’était pas intransitive dans la mesure ou elle n’impliquait pas de destinataire ultérieur. Son mouvement même était nécessaire et suffisant pour faire progresser l’invention : quand Zola en arrive à la trentième page de son ébauche, il est souvent déjà assez loin des prémisses qu’il mettait en place dans les premières pages (à l’exception des toutes premières lignes, qui posaient des principes très généraux, qu’il avait à l’évidence présent à l’esprit et qu’il n’avait pas besoin non plus de relire). Je ne veux pas dire qu’il ne s’est pas relu, de fait, pour alimenter son plan détaillé, mais à la limite, c’est secondaire. Comme l’invention verbale de Flaubert avait besoin de passer par la mise en bouche du gueuloir, l’invention du récit chez Zola aurait besoin de passer par la plume : l’élan de la phrase construite donne l’impulsion à la syntaxe narrative, et cette posture d’écriture, ce gueuloir scénarique, cet engrammage de l’invention narrative serait inséparable pour lui d’un certain décorum grammatical, un peu comparable au décorum vestimentaire dont s’entourait Buffon pour écrire. On retrouve par un autre biais le rituel évoqué tout à l’heure.
Un des grands plaisir que trouve le généticien à consulter ces manuscrits, c’est qu’il y trouve une confirmation de ses idées les plus chères, là où il ne s’y attendait pas. En effet, les généticiens aiment à penser que, quand un écrivain se met à écrire il ne sait pas à l’avance où il va aboutir, sans quoi l’intérêt du travail génétique se réduirait à peu de chose. C’est en effet ce dont témoignent les avant‑texte de tous les grands écrivains, sur des plans différents et à une échelle variable, et c’est donc une des choses que nos analyses s’efforcent de mettre en évidence, avec toutefois une certaine mauvaise conscience, tellement cela va contre l’idée reçue qu’on écrit parce qu’on a quelque chose de précis à dire. Nous nous faisons d’ailleurs sévèrement rabrouer par certains, qui nous reprochent de voir la genèse des œuvres du 19ème à la lumière de celle des œuvres du 20ème, d’interpréter les dossiers de Zola comme s’il s’agissait de ceux de Perec ou de Robbe‑Grillet, de refuser de voir que des œuvres comme celles de Zola, sont conduites par une volonté morale présente dès le départ (« moralité profonde et souvent dogmatique, […] le désir et le besoin de démonstration qu’on observe chez les auteurs du XIXe siècle… S’ils tâtonnent, c’est pour formuler ce qu’ils ont déjà dans la tête sinon au bout de la plume. »), ce qui fait qu’on exagèrerait considérablement la part de l’incertitude. Le stéréotype d’un Zola doctrinaire appliquant dogmatiquement ses théories scientistes – et même la classification couramment utilisée par la critique génétique, qui répartit les auteurs entre écrivains « à processus » et écrivains « à programme », Zola constituant ordinairement le paradigme de cette dernière catégorie, tout contribuerait à laisser penser que, s’il y avait une exception , ce serait celle‑là.
Je suis donc particulièrement heureux d’avoir pu constater que les manuscrits démentaient totalement cette idée, dans l’ensemble et dans le détail. Dès le départ, dans les « Notes générales sur la nature de l’œuvre », une sorte d’archi‑ébauche, Zola explique que le choix des hypothèses scientifiques sur lesquelles il va s’appuyer est totalement arbitraire. On le voit, dans ses « notes sur la Détermination générale », explorer les différentes combinaisons possibles et imaginables de l’hérédité et de l’inéité, de l’élection du père ou de la mère, du mélange avec prédominance du père ou de la mère avec une systématicité et une allégresse jubilatoire qui vaut bien celle de Perec face au problème du bi‑carré latin ou de la polygraphie du cavalier, ou d’ailleurs celle de n’importe quel rhéteur face aux topiques qui s’offrent à lui pour stimuler l’inventio, jubilatoires et non pas répressives, parce qu’elles libèrent sa fantaisie sans le contraindre véritablement à quoi que ce soit de décisif.
Dans l’autre note liminaire intitulée « Différence entre Balzac et moi » Zola proclame explicitement son refus de la politique, de la philosophie et de la morale8. Et donc ,de deux choses l’une, où bien il a tenu parole, et il est faux de parler de la profonde moralité qui orienterait inexorablement le développement du texte, ou bien il a changé d’avis, mais cela prouve bien la fragilité des intentions initiales et leur peu de pouvoir directeur.
Sur ce plan, l’étude des ébauches de chaque roman est encore plus révélatrice, elle prouve bien à quel point l’élaboration du programme est processuelle9 et elle montre toute la souplesse de l’invention de Zola. Bien loin que l’œuvre n’illustre une philosophie préexistante, c’est au contraire une philosophie ad hoc qui est créée pour que l’œuvre s’adosse à elle :
« Je veux dans Au Bonheur des Dames faire le poème de l’activité moderne. Donc, changement complet de philosophie : plus de pessimisme d’abord, ne pas conclure à la bêtise et à la mélancolie de la vie, conclure au contraire à son continuel labeur, à la puissance et à la gaieté de son enfantement. En un mot, aller avec le siècle, exprimer le siècle, qui est un siècle d’action et de conquête, d’efforts dans tous les sens. – Ensuite, par comme conséquence, montrer la joie de l’action et le plaisir dude triomph de l’existence ; »
On ne sait pas ce qui est la conséquence de quoi, si le plaisir de l’existence est la conséquence de l’action, de la conquête et de l’effort, ou si c’est la nécessité de montrer ce plaisir qui découle de la décision d’aller avec le siècle, en d’autres termes, si la consécution a lieu dans la diégèse ou dans la construction rhétorique. Dans les deux cas, il est clair que la « conséquence » découle en fait de la conclusion qui vient d’être prédéterminée.
Dans la Bête humaine, les choses sont encore plus complexes, à cause de ce juge d’instruction qui est une sorte de double de Zola, son complice, qui parvient à une certaine vérité, comme lui, de manière arbitraire, au‑delà du détail des faits :
« Maintenant, quand le juge d’instruction sait l’affaire du mari et de la femme, il complique, il s’imagine que le chef de gare s’est servi du carrier pour hériter plus vite : pas par jalousie, on ne tue pas pour ça, parce qu’un vieux protecteur a couché avec votre femme ; on tue pour de l’argent. Donc la femme hérite de la maison, et d’une forte somme (procès avec la fille). » Ébauche de la Bête Humaine, f° 609
Ce « donc » très elliptique traduit une triple causalité entremêlée, celle de l’histoire, celle du récit, et celle du récit second (erroné) que le juge d’instruction doit produire sur l’histoire, et qui est esquissé ici au style indirect libre – on voit que Zola, comme un policier malhonnête, n’hésite pas à forger des preuves pour piéger ses personnages, le juge comme l’assassin, mais sans doute aussi, de la même manière, son lecteur implicite.
Revenons à la première page de l’ébauche du Bonheur des Dames :
« comme conséquence, montrer la joie de l’action et le plaisir dude triomph de l’existence ; il y a certainement des gens heureux de vivre, qui dont les jouissances ne ratent pas et qui se gorgent de bonheur et de succès ».
On peut y lire, sous‑entendu : et si ces gens‑là n’existent pas, je vais les inventer (au sens faible ou au sens fort) pour peupler mon roman ; il y aura toujours bien un réel pour s’adapter à mes exigences littéraires. On est aussi loin de la méthode expérimentale à la Claude Bernard, de la soumission aux faits, que de la simple mise en œuvre d’une philosophie préexistante.
Au‑delà de cette instabilité des prémisses, on s’aperçoit que chaque bifurcation, chaque choix, traduit une liberté considérable et un certain arbitraire – un arbitraire qui prend la forme d’une série d’arbitrages. On peut se demander comment cette liberté est compatible avec un univers romanesque qui se veut réaliste, donc contraint par un certain nombre de lois de vraisemblance et dont la cohérence d’ensemble est grande, comme n’importe quel lecteur des Rougon‑Macquart peut en témoigner. La composition se fait selon une logique rigoureuse, qui n’est pas celle d’une partie d’échec, ou chaque coup entraîne en aval une série presque infinie de conséquences que le joueur s’efforce de maîtriser pour atteindre son but, sans jamais pouvoir y parvenir totalement, mais plutôt celle de la composition d’un problème d’échec, pour lequel on part d’une situation qui paraît intéressante pour explorer à reculons les moyens qui permettraient d’aboutir à cette situation, quitte à changer s’il le faut la situation d’arrivée si elle n’engendre pas en amont un parcours intéressant, c’est‑à‑dire qui est beau selon une esthétique échiquéenne particulière dont les critères sont notamment l’économie, l’imprévisibilité, la nouveauté. De la même manière, partant d’un élément donné, Zola va explorer à la fois l’amont et l’aval, les conséquences et les causes possibles. Si le fait est souhaitable et ses conséquences acceptables, il va en mettre en place délibérément les causes. Chaque élément engendrant plusieurs conséquences et pouvant résulter d’un faisceau de causes, la complexité est importante, et le travail d’ajustement nécessaire est extrêmement minutieux, mais la liberté n’en est pratiquement pas restreinte dans la mesure où Zola ne s’interdit aucune modification sur l’amont, au point de transgresser ce qu’on aurait pu croire constituer l’interdit fondamental et de modifier rétrospectivement ce qui est déjà publié en faisant un enfant en quelque sorte posthume à la malheureuse Gervaise. (La main de Zola tremble d’ailleurs bien un peu au moment de commettre cette transgression majeure, puisqu’il écrit en fait : « Cela fait que Gervaise aurait eu trois fils de Gervaise »(f° 582), sans se corriger. Comme s’il voulait dénier ses responsabilités dans cette naissance doublement adultérine et presque monstrueuse, il en fait, l’espace d’un lapsus, une parthénogenèse).
On peut donc dire que les choix ne sont pas contraints par la structure et relèvent, sinon d’un arbitraire, du moins d’une forme de libre arbitre. Ils sont le reflet d’un certain nombre de valeurs, clairement revendiquées ou non. Mais ces valeurs sont souvent contradictoires (par exemple le désir d’unité et de simplicité, par opposition au désir de richesse et de densité – la cohérence de la série, qui veut que Gervaise n’ait que trois enfants en tout, ou la cohérence du personnage, qui veut que le héros de Germinal ne soit pas le même que le meurtrier de la Bête humaine), et il est nécessaire de choisir, c’est‑à‑dire d’arbitrer entre elles. Mais contrairement à ce qui se passe à l’intérieur d’une œuvre achevée, il ne s’agit pas de transmettre ces normes, de les confronter, en aboutissant finalement à une hiérarchisation au nom d’une super‑norme implicite, d’un étalon fondamental préexistant. La norme est in progress, fluctuante, l’arbitrage a une validité exclusivement locale et purement opératoire. Le rôle du généticien est bien de relever ces arbitrages et de tâcher d’en comprendre les causes et d’en expliciter les conséquences. En les mettant ensuite bout à bout, on peut en extrapoler une esthétique, une éthique, une politique, mais cette extrapolation n’aura pas d’autre valeur que statistique. L’esthétique n’est pas une résultante des différents choix, la seule résultante, c’est l’œuvre elle‑même.
On peut se souvenir que Zola avait noté soigneusement, dans la Physiologie des Passions de Letourneau, que le libre‑arbitre n’existe pas, et que l’homme penche seulement du côté du plus fort des différents désirs qui le sollicitent. On peut voir les choses ainsi, et remplacer dans ce qui précède le mot de valeurs par le mot de désirs. On peut également considérer, comme le faisait Barbey d’Aurevilly, que « le désir de produire de l’effet […] doit être le grand et peut‑être le seul désir de Mr. Zola ». Dans ce cas, toute la hiérarchie s’ordonnerait autour de cette valeur, ou de ce désir suprême…
Mais la dimension personnelle, le bon plaisir, le caprice ou même la compulsion, ne sont pas absents. Ils se font jour ouvertement à travers la personnalisation extrême du discours qui a été mise en évidence tout à l’heure, et affleurent notamment dans certains modes d’expressions, qui sonnent assez étrangement, relevant par exemple d’un goût que je qualifierais plutôt de gothique que de mélodramatique, d’un certain sadisme peut‑être. Je terminerai sur quelques exemples qui me semblent mettre en évidence cet aspect :
« trouver une mort. un accident peut‑être <morte de misère excellent>.» (Ebauche de Germinal, f° 417 – c’est Zola qui souligne…)
« J’aimerai assez que ma Catherine meure enceinte, par suite du travail et de la misère. » (Ebauche de Germinal, f° 424‑23)
« Dans la première partie, destinée à peindre le travail des mineurs et leur misère, il faut que je mette un accident. Dans la première partie ou ailleurs. J’aimerais bien l’éboulement du puits, avec tout coulant à l’abîme » (Ebauche de Germinal, f° 264)
« il serait bon que l’enfant naturel violât ou tuât la fille noble à la fin. Puis, se tua [sic]. Non, il veut la violer, elle le pousse, il meurt. A arranger. » (Ebauche de l’Argent ‑ on sent que Zola se dit qu’avec un petit effort, il pourra « s’arranger » pour que l’infortunée aristocrate soit à la fois violée et meurtrière malgré elle…)
Pour conclure, je dirai simplement que les caractéristiques que je viens de relever dans les ébauches se retrouvent en fait dans tout manuscrit d’écrivain, mais sous une forme beaucoup moins ouverte, beaucoup moins lisible. On peut dire que les ébauches de Zola manifestent à découvert un statut propre à tout avant‑texte : tout manuscrit d’écrivain est, en profondeur, écrit à la première personne ; même s’il prend la forme extérieure de la narration, il est en fait toujours un protocole opératoire en vue de la confection ou de l’achèvement du texte futur ; même s’il reste ostensiblement neutre, il est l’expression d’une multitude de choix individuels, et le rôle du généticien est précisément de reconstituer à partir du fouillis des ratures et des réécritures, les choix, dans leur séquence temporelle, les partis pris dont ces choix témoignent et le jeu dynamique des causes et des conséquences, d’où le plaisir extrême qu’il prend à la lecture de ces ébauches où le travail est en quelque sorte déjà fait. La véritable question n’est peut‑être donc pas : pourquoi Zola procède‑t‑il ainsi ?, mais : pourquoi tous les autres procèdent‑ils autrement ?
1 Moins naïf cependant grâce à quelques remarquables travaux zoliens que j’ai pu consulter : Colette Becker, La Fabrique de Germinal‑ Paris, SEDES, 1986; Philippe Hamon, « Echos et reflets », Poétique 109 Février 1997; Jean‑Pierre Leduc‑Adine, L'Assommoir d'Emile Zola, Paris, Gallimard, 1997 ; « présentation de l’ébauche de La Bête humaine‑ » in E. Zola, La Bête humaine ‑ Paris, Babel, 1992 ; Henri Mitterand, « Programme et préconstruit génétiques : le dossier de L'Assommoir », Essais de critique génétique.‑ Paris, Flammarion, 1979, « Critique génétique et histoire culturelle : les dossiers des Rougon‑Macquart », La Naissance du texte.‑ Paris, José Corti, 1989 ; « Genèse de La Faute de l'Abbé Mouret », Les Manuscrits des écrivains.‑ CNRS éditions/Hachette, 1993 ;« Le méta‑texte génétique dans les ébauches de Zola », Genesis, n° 6, « Enjeux critiques », 1994.
2 En cherchant bien, on peut trouver quelques points communs : l’usage de listes et la quantité imposante de notes (même si la fonction de ces notes est extrêmement différente) ; le statut ambigu de tableaux structurants (les arbres généalogiques des Rougon‑Macquart, les schémas d’Ulysse), à la fois échaffaudages avant‑textuels ayant joué un rôle important dans la construction de l’œuvre et document quasi pédagogiques diffusés par l’auteur pour orienter la réception de son œuvre.
3 Quelques années avant la date (1887) où Edouard Dujardin est censé avoir inauguré la forme, avec les Lauriers sont coupés. Mais on sait qu’on pourrait trouver de nombreux précédents, et que Joyce n’a sans doute hissé Dujardin au rang de précurseur désigné que parce que sa stature limitée ne risquait nullement de lui faire de l’ombre.
4 On pourrait songer au cas de Stendhal, qui mêle étroitement sur le même document, dans l’espace de la même page, des énoncés qui relèvent du brouillon textualisé, et d’autres qui relèvent du journal intime ou de la délibération de l’œuvre ; toutefois, à y regarder de plus près, on retrouve la séparation chez Stendhal puisque le discours à la première personne est relégué dans une multitude de notes en marge du texte narratif et ne se substitue pas à lui.
5 Il est vrai qu’il est également fréquent dans les scénarios de Flaubert.
6 Là encore, on pourrait songer à Stendhal, quand il se prend lui‑même comme pilotis de sa fiction, mais précisément Stendhal parle généralement de lui à la troisième personne, sous le nom de Dominique.
7 Il ne faudrait d’ailleurs pas se hâter de rabattre ici le cas de figure classique de l’écrivain qui construit sa fiction sur la base de son expérience personnelle antérieure, puisqu’on a noté que l’image d’une homme mûr, dont la vie a été consacrée au travail, et qui se prend de passion pour une très jeune femme, apparaît dans l’Ebauche du Rêve une année avant qu’elle ne se concrétise dans la vie de Zola à la suite de la rencontre de Jeanne Rozerot.. Voir l’étude du Rève dans le tome IV des Rougon‑Macquart dans la Pléiade (1966) par Henri Mitterand, p.1626.
8 « Prendre avant tout une tendance philosophique, non pour l’étaler, mais pour donner une force unité à mes livres. La meilleure serait peut‑être le matérialisme, je veux dire la croyance en des forces sur lesquelles je n’aurai jamais le besoin de m’expliquer. Le mot force ne compromet pas. […] D’ailleurs, ne pas écrire en philosophe ni en moraliste. »
9 Voir D. Ferrer, « La toque de Clementis : rétroaction et rémanence dans les processus génétiques », Genesis n° 6, 1994, p. 94.