12/11/2012
Seconde journée d’études organisée à l’Université de Bourgogne le 24 janvier 2013 par le laboratoire Centre Pluridisciplinaire Textes et Cultures EA 4178 avec le soutien du Pôle recherche de l’IUFM de Bourgogne.
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En octobre 2011 s’est déroulée à Dijon une journée d’études qui avait pour objectif d’examiner les enjeux et les modalités du rapport entre écritures scolaire et littéraire, en s’autorisant d’une double perspective : d’une part, celle qui analyse le travail de création et les œuvres littéraires au regard d’une tradition rhétorique transmise par l’institution scolaire et d’autre part, celle qui met l’accent sur les pratiques scolaires d’écriture de fiction nourries par une fréquentation régulière du littéraire et des écrivains.
Lors de cette première journée, des spécialistes venus d’horizons divers se sont penchés sur les liens complexes qui unissent depuis l’Antiquité les pratiques d’écriture scolaire avec celles des écrivains. Les communications et les échanges qui ont suiviont permis de mesurer combien la tradition littéraire et l’esthétique classique ne disjoignaient pas ces pratiques et les pensaient en termes de complémentarité bien plus que de rupture. Mais la fin du xviiie siècle a complètement renouvelé la notion de beau comme l’ont mis en évidence plusieurs intervenants : le primat est accordé au beau inédit, non plus à l’inventio ; la notion de création originale se voit valorisée.
Figure désormais détachée des auctoritas, l’auteur n’est plus un écolier ; a contrarioce dernier cesse d’être un auteur en devenir. Assez logiquement, cette rupture revendiquée par l’esthétique romantique et les grands auteurs du temps n’est pas immédiatement entérinée dans les pratiques scolaires qui demeurent très longtemps soumises aux modèles de l’inventio classique. Quant aux écrivains, y compris ceux qui inscrivent leur pratique sous le signe du renouveau, ils entretiennent toujours un rapport ambivalent avec lesécritures et les lectures de l’enfance, se nourrissant d’elles, voire jouantdes consignes de l’écriture scolaire. Les liens demeurent donc mais, paradoxalement, se complexifient tout en s’allégeant. Ce que nous ont également montréles pratiques contemporaines analysées au cours de cette journée, c’est que les élèvesdans l’enseignement primaire et secondaire, comme les adultes en atelier d’écriture peuvent être aussi des auteurs au sens post-classique du terme s’il leur est donné la possibilité de déployer un positionnement créatif qui interroge réellement les stratégies auctoriales et permette de s’en saisir pour les vivre.
La réflexion engagée lors de cette première journée consacrée en grande partie à la France se poursuivra le 24 janvier 2013 et trouvera notamment sa spécificité dans une approche comparatiste avec un regard porté sur les pratiques scolaires d’écriture fictive en vigueur à l’étranger ainsi que sur la nature de leur articulation avec l’œuvre des écrivains.
Un colloque comme le colloque « Pratiques d’écriture littéraire à l’université » organisé à l’Université de Cergy-Pontoise en décembre 2010 a mis, entre autres, l’accent sur les différences de tradition entre l’enseignement de l’écriture littéraire tel qu’il est dispensé à l’Université en France et à l’étranger, en s’intéressant notamment à l’implantation relativement récente des ateliers d’écriture littéraire dans le cursus universitaire français au regard de la présence bien plus ancienne des workshopsde creative writingoutre-Atlantique, dans des formations qui leur sont entièrement dédiées, de la première année au doctorat. Il s’agira d’engager une réflexion similaire sur la place de l’écriture d’invention à l’étranger, en s’intéressant aussi aux usages en vigueur dans l’enseignement primaire et secondaire. On se penchera sur les démarches utilisées selon les pays pour enclencher le processus d’écriture littéraire, sur les compétences d’écriture et de lecture développées chez les élèves par le biais d’activités ciblées. On pourra aussi se demander si les processus de subjectivation mis en jeu dans et par l’écriture diffèrent d’un espace national à l’autre. (« L’institution pédagogique, l’écrit et le « sujet en formation », Langage et société, n°111, 2005).
Il sera également intéressant de s’interroger sur un éventuel antagonisme entre écriture scolaire et création littéraire, ailleurs qu’en France où cette opposition demeure vivace. Pour poursuivre avec l’exemple précédent, l’appétence pour les cursus de creative writingaux Etats-Unis montre que l’institution scolaire n’est pas nécessairement pensée comme le fossoyeur de l’originalité, qu’elle peut être perçue comme un lieu capable de révéler le potentiel créateur de chaque apprenti-écrivain, l’idée qui prévaut outre-Atlantique n’étant pas de promouvoir l’idéal classique de l’imitation, mais de considérer que la créativité n’est pas le fruit d’un don, qu’elle peut au contraire s’enseigner. Observe-t-on là-bas la même situation en ce qui concerne les années qui précèdent les études supérieures ? La prise en compte du rôle majeur des écrivains américains – les writer teachers – dans les cursus de creative writing, cursus qu’ils sont eux-mêmes nombreux à avoir suivi, pourra d’ailleurs fournir un éclairage nouveau sur la question – déjà abordée lors de la première journée d’études – , de l’éventuelle influence des pratiques d’écriture scolaire et universitaire sur les productions littéraires d’une période donnée. L’abondance de publications littéraires universitaires dans le champ éditorial américain est-il le signe d’une vitalité générique et stylistique ou bien la manifestation d’une nouvelle forme de formatage, aboutissant à une littérature médiocre ? (Anis Shivani, Against the workshop, 2011). Par comparaison, on pourra également s’intéresser à la place moindre occupée par les écrivains français dans les ateliers d’écriture universitaires. Résulte-t-elle du rapport spécifique qu’entretiennent la France et les pays anglo-saxons avec leur patrimoine littéraire respectif ? (Anne-Marie Petitjean, « Explorer le patrimoine littéraire par l’écriture créative, aux Etats-Unis et en France ; texte présenté en ligne à l’adresse suivante :
La première utilisation de l’expression creative writingaux Etats-Unis a été effectuée en 1837 dans un discours d’Emerson appelant à l’indépendance culturelle par rapport à l’ancien colonisateur britannique. La mise à mort d’une certaine forme de révérence aux modèles patrimoniaux est sans doute l’un des pré-requis indispensables pour permettre la naissance d’une écriture créative véritablement centrée sur le scripteur, ouverte à des lectures plus contemporaines ou envisageant autrement le rapport aux auteurs du canon.
Ce sont des enjeux similaires que l’on voit se dessiner dans une part de la littérature issue d’anciennes colonies françaises, eux aussi susceptibles d’alimenter notre réflexion. Il pourra être particulièrement riche d’observer comment les pratiques d’écrivains rendus francophones par l’école témoignent d’un rapport particulier et paradoxal à une langue seconde, vecteur de normes aussi bien politiques et sociales qu’esthétiques. Cette pratique d’une langue étrangère qui, seule, permet d’accéder au statut d’écrivain, entérine l’irrémédiable d’une rencontre ambivalente avec le colonisateur. On pense aux textes des auteurs de la première génération d’écrivains colonisés qui, tout en condamnant leur statut de dominés, se découvrent une maîtrise dans laquelle ils s’épanouissent en devenant eux-mêmes enseignants. Dans des ouvrages comme Rue Case-Nègresde Joseph Zobel ou Le fils du Pauvrede Mouloud Feraoun, tous deux publiés en 1950, le motif de la rédaction ne peut-il être envisagé comme un espace de révélation d’un individu à lui-même ? Qu’en est-il de ce topos et de son évolution pour les générations suivantes qui remettent en cause cet usage trop soumis à leur goût aux canons scolaires, et qui préfèrent le métissage et le refus des normes sociales de la langue colonisatrice, qu’il s’agisse de P. Chamoiseau ou d’A. Kourouma, pour n’en citer que quelques-uns ?
A rebours, on pourra se demander quel est l’usage fait de cette « littérature monde » : entre censure et traditions scolaires nationales prégnantes, trouve-t-elle une place auprès des élèves ? Si oui, laquelle ? Permet-elle de croiser fructueusement les traditions scolaires et culturelles de ses origines avec celles des autres pays ? Qu’en est-il dans l’espace scolaire d’une littérature que D. Damrosch dans What is World Littérature (2003) caractérise par trois traits distinctifs, réfraction elliptique des littératures nationales, écriture qui gagne en traduction et appel à une lecture distanciée ? Ces trois éléments peuvent-ils prendre place heureusement dans une didactique renouvelée de l’écriture ? Le conte africain si souvent produit dans les classes françaises de l’école primaire a-t-il encore quelque chose d’africain, autre qu’un exotisme de surface ? Témoigne-t-il d’un renouvellement heureux de l’écriture scolaire, s’appuie-t-il vraiment sur une tradition inédite qui vient bousculer les canons et s’enrichir de nouvelles intertextualités ou bien n’est-il qu’un cadre vide, voire entaché de psittacisme ? Cette problématique, qui peut s’appliquer à la production scolaire française aussi bien qu’étrangère, permettra de poursuivre la recherche entamée en 2011.
L’ensemble de ces réflexions pourra amener, on le souhaite, à proposer des évolutions significatives dans la conception du lien entre pratiques littéraires et écritures scolaires tout en s’intégrant dans les axes dégagés lors de notre première journée d’études.
1. Histoire des pratiques d’écriture fictionnelle dans l’enseignement :comme l’ont proposé au sujet de la France les travaux d’André Chervel synthétisés dans son Histoire de l’enseignement du français du xviiieau xxe siècle (2007) ou encore Le français, discipline d’enseignement : histoire, champ et terraindirigé par J.L. Chiss, H. Merlin-Kajman et C. Puech (2011), il s’agira ici de décrire les espaces d’institution et de production de l’enseignement de l’écriture dans d’autres traditions nationales, afin de permettre des comparaisons. On s’appuiera ainsi sur les textes officiels, les manuels, les ouvrages à destination des enseignants, les évaluations nationales, etc.
2. Pratiques d’écrivains en lien avec les exercices d’enseignement : quelques exemples ont été donnés plus haut concernant les écrivains francophones de langue seconde ou la littérature américaine contemporaine. On pourra se demander si certains auteurs usent dans leur écriture des modèles scolaires propres à une tradition nationale, qu’il s’agirait de décrire ou d’infléchir. Dans l’autre sens, qu’en est-il de l’usage des figures tutélaires de tel ou tel pays au sein de l’école? Si en France, il est avéré qu’on travaille très souvent en classe l’écriture du portrait sur le modèle balzacien, use-t-on particulièrement dans les cursus scolaires du picaresque en Espagne, ou de l’esthétique du Bildungsroman en Allemagne ? Les écrivains contemporains ainsi formés y sont-ils encore sensibles dans leur production ?
3. Didactique de l’écriture d’invention : il s’agira de proposer une analyse des démarches d’écriture fictionnelles proposées de l’école primaire à l’enseignement supérieur aussi bien en France qu’à l’étranger. On s’interrogera sur leurs principes de mise en œuvre et sur leurs apports dans la construction des compétences d’écriture des élèves en lien avec celle de leur identité de sujet auctorial. Réflexions théoriques et comptes rendus analytiques de pratiques de classe seront également bienvenus. On privilégiera les études mettant l’accent sur l’articulation entre écriture et lecture littéraires ou bien explorant l’intérêt de la prise en compte des écrivains dans le projet artistique des élèves.
4. L’écriture d’invention comme matériau de l’écriture autobiographique et romanesque : dans l’autobiographie, la scène d’écriture scolaire fonctionne comme un véritable topos, au même titre que le souvenir des premières lectures. On la trouve aussi dans la fiction. On s’interrogera sur le rôle de cette reprise explicite des modèles et des pratiques scolaires dans la mise en jeu, en mouvement, en question(s) de l’écriture littéraire. On se demandera si ce motif obéit à un traitement différent selon les histoires culturelles et les pays envisagés.
Merci d’adresser avant le 12 novembre 2012 une proposition d’environ 2500 signes, accompagnée d’un bref CV, à Martine Jacques (mjacques2606@numericable.com) ainsi qu’à Caroline Raulet-Marcel (caroline.raulet@dijon.iufm.fr)
Les communications seront destinées à durer environ 30 min et donneront lieu à publication.