21/03/2013
Organisé par l’équipe d’accueil CLIMAS (Cultures et Littératures des Mondes Anglophones) et la FRE EEE (Europe Européanité Européanisation)
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A la fois espace de transition, espace frontalier qui marque la différence entre les deux territoires qu’il sépare mais aussi espace de mise en relation, d’échange et d’interaction, l’interlangue joue un rôle fondamental dans les dynamiques de construction identitaire. Ce que d’aucuns ont qualifié de « marécages langagiers » (Coste 1989) fut à l’origine conçu comme un système intermédiaire entre la langue-source et la langue-cible, système par lequel tout apprenant doit passer au cours du processus d’acquisition linguistique. Dans le domaine littéraire, la notion fut appliquée dès les années 1980 aux phénomènes d’hybridation linguistique au sein d’une même unité syntaxique dans le souci de mettre en valeur la tension qui en découle et la possibilité d’engendrer une langue « autre » (Bruce-Novoa). Le rôle problématique de l’interlangue dans le processus de construction identitaire constitue une invite à repenser l’identité loin de tout carcan essentialiste, dans une perspective dynamique et évolutive par laquelle l’instabilité constitutive de la notion se transformerait paradoxalement en un tremplin vers une redéfinition du sujet (Kramsch 2009).
La réflexion que nous souhaitons mener s’inscrit dans le cadre plus large d’un questionnement sur le multilinguisme en tant qu’atout ou handicap dans le processus de construction du sujet. S’il est vrai que la compétence plurilingue fut longtemps réprouvée par la communauté scientifique médicale qui n’y voyait qu’une source de pathologies diverses – voire de retard mental – l’évolution des mentalités favorisée par la mondialisation et le nouvel ordre économique qui l’accompagne en fait désormais une valeur ajoutée non négligeable dans les échanges internationaux.
L’école joue aujourd’hui un rôle important dans ce processus. Lieu privilégié de construction des interlangues, lieu de rencontres de langues et cultures de plus en plus diverses, elle constitue un terrain d’observation des enjeux psycholinguistiques et sociolinguistiques liés aux contacts des langues-cultures. L’évolution de la notion d’interlangue vers celle de « translangue » (Creese et Blackledge 2010) témoigne de l’actualité de cette notion.
L’un des objectifs de ce colloque est de susciter un dialogue transatlantique en favorisant les échanges entre spécialistes américains et européens autour de ces problématiques. L’ensemble des interventions nous permettra ainsi, nous l’espérons, de dresser un bilan critique des politiques linguistiques menées par le gouvernement américain ces vingt dernières années et d’envisager les défis que doit relever l’Europe du 21ème siècle à la lumière de l’expérience américaine.
Le passage au 21ème siècle marqua un tournant décisif dans les politiques linguistiques états-uniennes. Sous la présidence de George W. Bush, la loi du « Aucun enfant laissé pour compte » (No Child Left Behind Act, 2001) témoigne d’une volonté manifeste de promouvoir la langue anglaise au détriment des avancées significatives des trente années qui avaient précédé. Dans le même temps, un certain nombre d’états (Californie, Arizona, Massachusetts) se dotèrent de tout un arsenal législatif renforçant la préséance de l’anglais dans divers domaines. Et pourtant, certains observateurs notent aussi l’impact du 11 septembre sur la conscience nationale, avec comme retombée inattendue la prise de conscience que, les frontières nationales ne suffisant pas à protéger le territoire américain, l’ouverture sur autrui et sur les cultures étrangères par l’acquisition d’autres langues peut également servir d’antidote au terrorisme. Conscient que la réussite économique d’un pays dépend aussi des compétences linguistiques de ses acteurs citoyens, le gouvernement fédéral a tout de même fait, ces dernières années, des efforts significatifs pour promouvoir l’apprentissage des langues étrangères en accordant notamment des avantages financiers aux étudiants s’engageant dans la voie de l’enseignement d’une langue vivante. Les défenseurs d’une Amérique monolingue (English-only) voient néanmoins toujours dans le souhait de conserver sa langue d’origine l’expression d’un anti-américanisme latent. A l’inverse, les tenants de la diversité linguistique remettent en cause le paradigme romantique selon lequel le monolinguisme serait au fondement même de toute identité nationale.
L’Union européenne s’est elle aussi engagée ces dernières années dans un vaste chantier de promotion du multilinguisme qui s’est concrétisé, entre autres, par le « programme d’action dans le domaine de l’éducation et de la formation tout au long de la vie » – fer de lance d’une politique volontariste de soutien à la diversité linguistique. Les débats houleux qui animent depuis quelques années la communauté européenne ne sont pas sans rappeler ceux qui passionnèrent les Etats-Unis dans les années 70 et 80. La politique menée par l’Europe a d’ailleurs bien du mal à faire abstraction du modèle ou contre-modèle états-unien, comme on peut le voir dans la volonté affichée de se démarquer du melting-pot à l’américaine au profit d’une « maison de l’Europe » au sein de laquelle cohabiteraient harmonieusement différents peuples et langues (« a common home in which diversity is celebrated, and where our many mother tongues are a source of wealth and a bridge to greater solidarity and mutual understanding », European Commission). Malgré des différences notables d’ordre historique et constitutionnel, nous pensons que les questions dont débattent actuellement les Européens sont susceptibles de bénéficier de l’éclairage qu’apporterait l’expérience américaine.
Outre des communications privilégiant un regard croisé entre ces deux sphères géopolitiques, nous encourageons vivement des chercheurs de diverses aires culturelles à enrichir le débat par leurs connaissances spécifiques dans le domaine de l’éducation, de la civilisation ou de la littérature.