Homo fabulator, la performativité des fabulations

03/04/2025, ENS, 45 rue d’Ulm, 75005 Paris – Salle Celan (14h-16h)

Amadeo de Souza Cardoso, Le Moulin

Je propose dans cette communication un bref panorama diachronique dont la thèse principale est la suivante. Dans les périodes anciennes, antérieures à la fin du XVIIIe siècle, prévaut une étroite relation entre lecture et sexualité, reposant sur une conception de la fiction très proche de ce que l’on appelle aujourd’hui la simulation perceptive. Cette  interprétation implicite de la fiction induit une relative bienveillance à l’égard des femmes lectrices de romans, doublement victimes de l’amour et de la lecture. Au XIXe siècle, cette représentation se transforme, en partie sous l’effet de la victoire du courant médical matérialiste et progressiste sur l’idéalisme ainsi que sous l’influence des idéaux-types rousseauistes (en particulier celui de Sophie dans l’Emile). L’intérêt se porte alors plutôt sur les particularités du cerveau féminin, ce qui a une incidence directe sur la perception des dangers que revêt pour les femmes la lecture des œuvres d’imagination. Des idées nouvelles apparaissent, telle que l’enlaidissement et même le flétrissement des lectrices, ou la dramatisation, sur le mode comique ou sérieux, des conséquences de l’écart avec le réel que cause l’immersion fictionnelle au féminin.  On constatera la prégnance de cette désexualisation, médicalisation, moralisation de la relation des femmes à la fiction à travers des textes de Delphine de Girardin et de Pierre Leroux.

Françoise Lavocat est Professeur des Universités à l’Université Sorbonne-Nouvelle, membre senior de l’Institut universitaire de France, co-fondatrice de la Société internationale des recherches sur la fiction et la fictionnalité, et spécialiste de théorie littéraire et des théories de la fiction. Elle est notamment l’autrice de Fait et fiction. Pour une frontière (Seuil, 2016), Les Personnages rêvent aussi (Hermann, 2020) et du Routledge Handbook of Fiction and Belief (Routledge, 2023), qu’elle a co-dirigé avec Alison James et Akihiro Kubo.