28/09/2021 - 15/09/2022
« On a touché au vers ». Genèses de la forme poétique
[Revue Genesis (Manuscrits-Recherche-Invention), no 56]
Le vers en question
En 1894, Mallarmé entamait une conférence d’Oxford en annonçant un scoop : « J’apporte […] des nouvelles. Les plus surprenantes. Même cas ne se vit encore. / – On a touché au vers. »
Ce moment qu’il baptise « crise de vers », Mallarmé en offre ailleurs une dramatisation ramassée : en 1885, Victor Hugo meurt ; se relâchant, sa main puissante laisse échapper le vers qu’elle (main)tenait, et celui-ci se brise.
Mais il est entendu que le vers ne se brise pas d’un seul coup. Consommée officiellement en 1886 dans les colonnes de La Vogue, cette rupture est préparée en sous-main depuis bien des années. Et l’ouverture vertigineuse des possibles qu’elle offre à l’écriture versifiée pose des questions que ne peut négliger, aujourd’hui encore, tout poète qu’intéresse « le vers ».
Car, fondamentalement, c’est le vers lui-même qui est mis en question par l’approche de la « crise ».
En amont, c’est la problématique de son assouplissement : jusqu’où peut-on aller tout en restant dans « le vers » tel que le définit la tradition métrique ? Quels enjeux esthétiques ce jeu avec les limites du vers revêt-il ? Comment penser la relation entre le schème abstrait du mètre, dictant une structure par défaut, et la réalité discursive du rythme, lié aux accents de la langue ?
En aval de la crise, les questions changent un peu. La plus générale et la plus prégnante est : pourquoi le vers ? S’il n’y a plus de décompte obligé, il appartient alors à chaque poète de motiver le principe même du retour à la ligne, d’en faire non pas une loi ininterrogeable dictée par la tradition, mais une valeur habitée de l’écriture poétique.
Enquête génétique
Sur ces deux plans, une approche génétique est susceptible d’offrir de précieux éclairages à une compréhension intime de ce qui se joue dans la forme même du vers. Lorsqu’il s’agissait de « toucher au vers », il a bien fallu « retoucher le vers ». Par ailleurs, l’effort visant à motiver la découpe d’un poème en vers libres a bien dû, lui aussi, occasionner maintes retouches… Les fonds d’autographes poétiques regorgent sans nul doute de traces de ces tâtonnements autour de la forme d’un vers.
Le numéro 56 de Genesis cherchera ainsi à regrouper des études rendant compte de ces tâtonnements, de ces hésitations, de ces retouches portant sur le vers, et cela sur la base de brouillons, d’avants-textes, de manuscrits ou de versions successives du corpus considéré. Il ne s’agit pas de baliser historiquement ce corpus en ne retenant que des poèmes proches du moment historique de la « crise de vers ». Ce qui importe, c’est que le dénominateur commun des études proposées soit une attention accrue à l’élaboration de la forme du vers, dans des textes où celle-ci apparaît comme un véritable enjeu esthétique.
En amont de la « crise de vers », on s’intéressera plutôt à observer le jeu de tentatives plus ou moins offensives par rapport à la métrique classique ; en aval, on s’attachera à toute hésitation manifeste quant à la segmentation du discours ou à sa disposition sur la page – fût-ce, d’ailleurs, dans des textes de prose dont l’étude génétique révélerait un substrat métrique, dissimulé par la mise en forme finale.
Dans tous les cas, la comparaison de divers états des poèmes étudiés devrait paver la voie à une réflexion sur la manière dont leurs auteurs considèrent ce principe formel qui a traversé les siècles, mais qu’il s’est toujours agi, pour les vrais poètes, d’habiter et de conformer à leur usage propre : le vers.
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Les propositions de contribution (max. 3000 signes) sont à envoyer avant le 15 janvier 2022, accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique, à christophe.imperiali@unine.ch