All. Briefe ; Angl. Correspondence ; Jap. Shokan’ ; Ar. ; Chin. ? ; Esp. ? ; Ital. ? ; Port. ; Rus. ?.
• Communication écrite entre deux personnes, utilisant le support de la lettre. 
• La perspective d’un catalogage ou d’une publication des correspondances possédant un intérêt historique et littéraire conduit à distinguer entre la correspondance active (les lettres envoyées, sur lesquelles se porte prioritairement l’attention)et la correspondance passive (les lettres reçues, provenant de différentes origines, et par nature hétérogènes).  
• Selon la terminologie utilisée par G. Genette dans Seuils, les correspondances d’écrivains appartiennent au paratexte de l’œuvre : situées en dehors du péritexte, elles relèvent de l’épitexte privé, au même titre que l’avant-texte ou le journal intime. 
Hist. Avant la constitution de la génétique textuelle dans les années 1970, l’étude de la naissance des œuvres reposait en général presque exclusivement sur les données fournies par les correspondances, souvent faute d’accès aux documents de genèse (ainsi des premières hypothèses sur la genèse du roman proustien : Vigneron, 1937 ; Kolb, 1938). Distinguant les processus de l’endogenèse et de l’exogenèse, la critique génétique considère, d’une manière générale, les lettres comme un matériau exogénétique à cause des éléments documentaires qu’elles contiennent. Toutefois, la question de la fonction génétique des correspondances d’écrivain est posée par un certain nombre de chercheurs (Pagès, 1985, 2004 ; J.-L. Diaz, 1999 ; B. Diaz, 2002) et dans plusieurs colloques ou ouvrages collectifs consacrés aux problèmes de l’épistolaire (Leriche & Pagès, 2006-2008 ; Stroev, 2009 ; Biagioli, 2010).
Théor. La communication épistolaire permet à l’écrivain de développer librement, face à ses interlocuteurs, des réflexions sur l’art et la littérature ainsi que sur son œuvre passée ou à venir : l’exemple de Flaubert est emblématique à cet égard. Les informations à caractère génétique qu’une correspondance est susceptible d’apporter sont de différentes sortes : l’indication d’une source livresque ou d’un fait vécu, liés à la conception de l’œuvre ; la date d’un moment clé de la rédaction (un commencement ou un achèvement, par exemple) ; l’analyse du processus de l’écriture ; ou bien un éclairage sur les dernières étapes que franchit l’œuvre en accédant au statut de texte imprimé (du feuilleton à l’édition originale ou à l’édition illustrée qui peut suivre, éventuellement).
En dehors de cette dimension paratextuelle, il faut cependant considérer des cas où des lettres relèvent de plein droit de l’avant-texte : par exemple, lorsqu’elles offrent des étapes rédactionnelles initiales ou intermédiaires entre deux brouillons (Leriche, 2006). Ce cas diffère de ceux où une lettre est rétrospectivement intégrée au texte en cours de rédaction, après avoir subi quelques transformations (chez Stendhal, par exemple, ou chez les Goncourt qui recherchent un effet d’authenticité par l’insertion, dans leurs romans, de documents d’origine épistolaire).
Dans la communication épistolaire un moment privilégié doit être pris en considération, celui au cours duquel l’écrivain attend d’un correspondant une réponse qui lui permettra de faire un choix décisif : il ne se contente pas d’expliquer son œuvre à son interlocuteur, mais lui demande de lui apporter un point de vue personnel, de lui livrer ses propres commentaires sur l’œuvre en gestation, en attendant de ces réflexions une solution à des problèmes qu’il rencontre. Les correspondances de Flaubert, de Zola ou de Proust fournissent différents exemples d’une telle situation à laquelle on pourrait donner le nom d’écriture collaborative. Encore plus remarquable est l’écriture à quatre mains, reposant sur une collaboration directe entre deux écrivains qui ont fait le choix d’unir leurs efforts pour aboutir à une œuvre commune : lorsqu’elle existe, la correspondance peut éclairer la part qui revient à chacun (ainsi dans le cas d’Émile Erckmann et Alexandre Chatrian, devenus célèbres sous le pseudonyme d’Erckmann-Chatrian).
Plus ou moins fécond d’un point de vue génétique, l’échange épistolaire dépend en partie de la qualité des interlocuteurs que l’écrivain s’est choisis. Différents degrés peuvent être distingués, allant du simple informateur occasionnel, qui livre le renseignement qu’on lui demande, à l’ami proche avec qui il est possible de poursuivre un dialogue suivi. Mais lorsqu’elle s’instaure, la confiance demeure souvent fragile ; en tout cas, elle ne se construit jamais sans heurts ni malentendus (voir les lettres de Zola à ses disciples des Soirées de Médanou celles de Valéry à André Gide et à Pierre Louÿs). D’une manière paradoxale, il arrive que les échanges les plus sereins se produisent avec des amis éloignés ou des correspondants étrangers avec qui l’on peut converser librement en évitant toute querelle de proximité (par exemple, les lettres de Zola à Antony Valabrègue ou à Jacques Van Santen Kolff ; celles de Huysmans à Théo Hannon ou à Arij Prins). Une prudence méthodologique s’impose en tous les cas au généticien : les « confidences » épistolaires peuvent être des écrans de fumée  derrière lesquels l’écrivain cache la nature ou l’avancement réel de son travail en cours (Leriche & Pagès, 2010).
Quest. D’un point de vue génétique, les questions que l’on est amené à se poser concernent les modalités de l’échange. La correspondance collaboratrice débouche-t-elle sur un véritable dialogue, ou bien se limite-t-elle, pour l’essentiel, à un monologue inspiré, tenu par l’auteur de l’œuvre en cours d’élaboration ? On se trouvera devant un monologue, si le destinataire ne joue qu’un rôle de simple récipiendaire passif ; et devant un dialogue, lorsqu’il apparaît comme un partenaire actif, soit en apportant des idées, soit, au minimum, en questionnant et  en apportant stimulations et critiques. Sans qu’on puisse aller jusqu’à parler de co-énonciation de l’œuvre en gestation, cette présence active de quelques correspondants et la prise en compte de leur avis dans les choix poétiques confère à la création une dimension fortement dialogique.
Une telle réflexion conduit à examiner les méthodes qui régissent les éditions de correspondances. La correspondance « passive » n’est-elle pas souvent sacrifiée au profit de la correspondance « active », jugée plus importante ? Ne faut-il pas la réhabiliter, en soulignant son intérêt dialogique, et la traiter d’une manière égale ? Une réponse à cette question se trouve sans doute dans le développement des éditions électroniques qui, en rétablissant la totalité de l’échange épistolaire, peuvent remédier aux limites des éditions traditionnelles (Leriche, 2008).
Les conditions de conservation des lettres doivent également être prises en considération. L’émetteur a-t-il pris le soin de garder une copie de ses lettres pour pouvoir, plus tard, les réutiliser (ainsi Marguerite Yourcenar, au cours des années 1950-1960, ou Barbey d’Aurevilly, assuré de pouvoir récupérer les lettres envoyées à son ami Trébutien, qu’il appelait sa « caisse à paperasses ») ? Les lettres reçues ont-elles été conservées dans leur totalité ? Comme dans le domaine de l’archéologie, les lettres parvenues à la postérité ne constituent qu’une petite partie de l’iceberg : il importe de savoir ce qui a été conservé et ce qui a été exclu par l’émetteur ou par le destinataire, ou même par leurs ayants droit.

->AVANT-TEXTE, DOSSIER GENETIQUE, JOURNAL INTIME, PARATEXTE, ENDOGENESE, EXOGENESE

Auteurs :

Françoise Leriche

Alain Pagès